lundi 20 décembre 2021

Qu'avons-nous raté aux Transmusicales de Rennes 2021 ?

surfeur sortant prestement de la vague
sonique des Transmusicales
avant que la déferlante épidémique
ne se referme sur lui
(de notre envoyé spécial sur place)

Bien sûr, l'article est réservé aux abonnés prémioume®, les nantis prêts à claquer 17,99€/mois dans un abonnement au Monde pour crouler sous les infos sur l'horaire d'arrivée des vagues de Covid à Perros-Guirec et de Zemmour à Villepinte (elles sont corrélées comme des particules de spin). 
Heureusement que je suis là pour vous en faire profiter.

L’édition 2021 du grand rendez-vous musical breton a retrouvé l’élan de ses meilleures années. Tel un surfeur sortant prestement de la vague avant qu’elle ne se referme sur lui, les Transmusicales de Rennes ont tenu leur 43e édition, du 1er au 5 décembre, alors qu’une nouvelle déferlante épidémique commençait à menacer le proche avenir des événements culturels.


Fidèles à leurs habitudes cosmopolites, les «Trans» accueillaient cet automne, près de 80 groupes ou chanteurs et chanteuses de 34 nationalités différentes (...) Un millésime 2021 dominé par une euphorie festive et bariolée, témoignant autant du parti pris des directeurs artistiques, Jean-Louis Brossard et Mathieu Gervais, que d’une soif de partage encouragée par le contexte : qu’il s’agisse de la fanfare rock New Orleans fantasmée par les Londoniens de Tankus the Henge et leur leader, Jaz Delorean menant son cabaret aux sons de cuivres jazzy et de guitare funky, plus proche du Mississippi que de la Tamise ou de la vitalité 100 % féminine des Barcelonaises de Maruja Limon. En pétantes chemises vertes et bleu turquoise, les six Catalanes ont ainsi puisé leur énergie dans la dynamique du flamenco, les pulsions solaires du rock latino, croisées de funk et de son cubain. En femmes puissantes qu’on dirait échappées d’un film d’Almodovar, elles ont empoigné les Bretons pour ne plus les lâcher.
Les Béninoises du Star Feminine Band ont aussi rayonné d’un entrain fédérateur, enroulées de tissu traditionnel, les chevilles serties de bracelets de coquillages secoués au rythme de chorégraphies millimétrées. Originaires de Natitingou, au nord-ouest du Bénin, les sept musiciennes n’ont qu’entre 11 et 18 ans mais imposent les rythmes virevoltants d’hymnes à l’émancipation féminine et à la sororité africaine, chantées en bariba, en peul ou en français. Piloté depuis 2016 par le musicien André Balaguemon, le groupe mêlant percussions traditionnelles, claviers, guitare électrique, basse et batterie, ravit par sa fraîcheur et sa détermination, sur disque (un premier album, Star Feminine Band, publié par Born Bad records) comme sur scène.

La puissance collective n’est pas seule garante de fête. En solo avec son accordéon diatonique, le Finlandais Antti Paalanen a ainsi retourné les quelque 3 000 spectateurs du hall 3, intrigués par sa voix d’ours enroué, fascinés surtout par la virtuosité d’un jeu batifolant entre plages poétiques et emballement jubilatoire. Son soufflet s’allongeant comme le cou d’un dragon peut ainsi évoquer la tendre magie de l’enfance, la respiration de son chien ou tournoyer en polkas frénétiques jusqu’à s’intensifier aux frontières de la techno.


A milieu de ces festins de sourires et de couleurs bigarrées, le noir concert de Ziak agrippait avec d’autant plus de force. Vendredi 3 décembre, vers 22 heures, le hall 9 plongeait soudain dans l’oppressante pénombre du monochrome musical et vestimentaire orchestré par cette nouvelle sensation de la drill, ce courant sombre et violent du rap anglais devenu en quelques mois une des tendances fortes du rap français. Avant le triomphe récent de son premier album Akimbo, Ziak a multiplié depuis 2020 les titres et les clips (Raspoutine, S.P.S., Rhum & machette, Fixette…) adaptant à sa façon les codes de la drill britannique.
Gorgées de deal, de vengeance et de meurtres à l’arme blanche, ces productions ultra-efficaces aux sons d’une noirceur poisseuse ont d’autant plus affolé les réseaux sociaux et les sites de streaming que le jeune homme s’est caché derrière le même anonymat cher aux bad boys londoniens, au casier trop chargé pour être dévoilé. Sur la scène des Trans, on l’a retrouvé ainsi avec trois acolytes, le visage entièrement dissimulé par un bandana, la tête enfouie sous la capuche d’une doudoune noire tombant jusqu’à mi-cuisse, les mains gantées. Le flow grave et puissant donnerait-il des pistes ? On repère des références à Haïti, à l’argot des cités de l’Essonne mais aussi à l’islam.
Il aurait bien aimé continuer de brouiller les pistes mais le rappeur mystère refusant toute interview s’est fait rattraper par les détectives de la toile. Bien originaire de l’Essonne, il aurait officié précédemment sous le nom de Mikeysem, lors d’enregistrements au rap plus chanté et langoureux. Ce grand métis à la peau claire et aux dreads peroxydés n’aurait donc pas vécu tout ce qu’il chante. Certains en font un imposteur. D’autres, plus raisonnables, rappellent que le fantasme cinématographique est l’un des fondements de l’histoire du hip-hop. La puissance d’un univers artistique ne se mesurant pas forcément à sa « street credibility ».

Stéphane Davet - Publié le 05 décembre 2021 à 22h31

L'affiche de la première édition
Bon. J'ai mis des hyperliens, pour renforcer ma street credibility, et pour qu'on se rende compte de ce qu'on a vraiment raté aux Trans cette année. L'abominable Ziak masqué au torchon de cuisine totalise 9 934 068 vues, alors que la petite vidéo toute gentille du concert des familles avec le Star Feminine Band n'en fait que 30. Alerte rouge en Afrique Noire : la messe est dite. Pour savoir ce que nous avons raté aux Trans d'autres années :
Sur ce, je retourne écouter le podcast des voix du monde, 
qui passe des trucs un peu plus authentiques et rafraichissants, quitte à être taxé d'un altermondialisme naïf, à avoir une street credibility proche de zéro et à être complètement out.

jeudi 16 décembre 2021

Chris Rea - The Road to Hell (1989)

En 1989 Chris Rea sort l'album "The Road to Hell".
Pourquoi ce titre ? 
Hé bien, il se trouve que l'autoroute to Hell avait été privatisée par AC/DC, et la Route Départementale tou Hell, ça faisait pas très sérieux. 
Et c'était déjà pris aussi. ("Lara Croft en sous-tif, sur la D66", de sinistre mémoire.)
Entre ces deux extrêmes, La Route vers L'enfer ça faisait pas trop adaptation cheap et frenchy d'un road movie impérialiste yankee avec Yves Montand et Louis Lefuneste (le voisin d'Achille Talon) s'esclaffant sur la banquette arrière.
Ce disque reste son plus grand succès public.

Dans les romans de Cormac Mac Carthy, le suffixe "vers l'enfer" est implicite.
L'ajouter serait un plénoasme. 
Si le livre s'appelle "The Road",
tout le monde 
rajoute spontanément "to Hell" dans sa tête.
Comme ça c'est pas la peine de charger la couverture.
Attention, le film n'est pas l'adaptation du disque de Chris Rea.


Plusieurs adaptations voient le jour, dont une en BD, avec la complicité de Daniel Goossens et du Père Noël, qui  nous étonnera toujours par sa faculté à rebondir dans le Réel dans les périodes où il est passé de mode, comme par exemple dans les moments où le gouvernement suggère à tous les Français.e.s. de passer Noël chez soi tout seul avec une bonne bouteille de pif et une boite de cassoulet pour pas attraper le cluster géant, parce que même si on est à jour de sa triple vaccination, quand le virus vient frapper à la porte et qu'on le menace de son pass sanitaire en brandissant son smartphone, même en criant "Raoult Akbar !", ça le fait bien rigoler, presque aussi fort que les antivax. C'est dans ces instants difficiles qu'on a bien besoin de se raccrocher à quelque chose, et pourquoi pas le Petit Jésus ou le le Père Noël, alors on l'aide à se remettre en selle, bien qu'il ait été brûlé à Dijon en 1951 et qu'il sente encore un peu le cramé.


Une autre adaptation du disque de Chris Rea émerge sur les réseaux asociaux, en direct-to-video, dans une proposition de cinéma un peu minimaliste : "Maman j'ai cassé l'auto", un film institutionnel pas très avenant de promotion de l'assurance tous risques à l'usage des clients de la MACIF. 

Le disque original aura néanmoins mis 32 ans à m'atteindre, grâce à un concours de circonstances tout à fait croquignolet et abracadabrant, dont nous nous tamponnerons ici le coquillard, parce que j'ai pas que ça à faire.

https://en.wikipedia.org/wiki/The_Road_to_Hell


Ce qui saute tout de même à la figure sans même avoir besoin d'écouter le disque, si on parcourt le wiki en angliche parce que le français est pitoyable, c'est qu'il y a des références répétées à l'augmentation de la dissolution de la société et à la montée de la violence, y compris les émeutes, les meurtres et leur description irresponsable aux informations télévisées (You Must Be Evil) et « la peur perverse de la violence » dans les rues de la ville (The Road to Hell), où "tout est devenu fou" au milieu des craintes que "quelqu'un ne se fasse tuer là-bas" (Texas). On note aussi la présence troublante de la "Terre carrée" flottant dans l'espace de la pochette, pour montrer en images que la planète ne tourne plus très rond.

Ce symbole de la "Terre carrée" issu des plus beaux pdf filmés du mouvement QAnon, qu'on trouvait déjà en germe dans la BD inquiétationniste de Grunt Morrison "les Invisibles" qu'aucun éditeur français n'a pu publier jusqu'à son terme sans être acculé à la faillite par ses créanciers et des piles d'invendus monstrueuses, c'est pourquoi il vaut mieux l'acheter en v.o. sur amazon.
Il s'agit donc d'un disque essentiellement pré-apocalyptique, au moins dans l'intention, qui tente de nous convaincre d'infléchir la course des évènements qui nous mène à la banqueroute cosmique (on est en 1989, et on a encore le temps). 
Les observateurs de l'ONU constatent une cohésion thématique auparavant absente du travail de Rea, avec la majorité des morceaux contenant de forts éléments de commentaire social, en particulier concernant l'aliénation et la violence, et des paroles qui font référence à une recherche continue d'évasion/rédemption.
Ils passent sous silence la métaphore lumineuse et néanmoins occulte concernant le pseudonyme du chanteur : Chris Rea = Crise (en) Réa, c'est évidemment avec 30 ans d'avance un avertissement prophétique et incantatoire sur le sous-équipement chronique en lits de réanimation dans les structures hospitalières face à la pandémie mondiale. 
C'est pourquoi l'album a été remasterisé et réédité en 2019 avec un deuxième CD de faces B, de remixes et de morceaux live, comme une piqûre de rappel juste avant qu'il soit dangereux d'aller l'acheter la Fnac et d'en ramener le cluster géant à prix vert.
C'est cette version que nous vous proposons ce soir.

2019 remaster bonus disc
No.TitleLength
1."He Should Know Better" (B-Side of Road To Hell single)4:38
2."That's What They Always Say" (Rainbow Mix)6:41
3."1975" (B-Side of That's What They Always Say single)4:47
4."The Road To Hell Parts 1 & 2" (Live At Wembley Arena March 1990)6:59
5."Working On It" (Live At Wembley Arena March 1990)6:26
6."Let's Dance" (Live At Wembley Arena March 1990)7:34
7."Daytona" (Live At Birmingham NEC November 1991)6:36
8."Working On It" (Extended Mix)5:56
9."Josephine" (US Version from New Light Through Old Windows)4:16
10."Let's Dance" (from New Light Through Old Windows)4:15
11."You Must Be Evil" (Live In Stuttgart 1991)4:36
12."I Can Hear Your Heartbeat" (from New Light Through Old Windows)3:25
13."Working On It" (from New Light Through Old Windows)4:26
Total length:70:38

https://www.mediafire.com/file/nbbeznpfnyogeuqC+R+-+T++R++to+H+2019+Remaster.zip/file

Ce qu'on peut observer tout aussi finement, surtout si on est une femme, c'est qu'avec une voix comme ça, il est dommage que Crise (en) Réa gâche son talent dans un brouet de rock/blues un peu mainstream, alors qu'il ferait un Leonard Cohen (période The Future) tout à fait présentable s'il bossait un peu ses lyrics et ses orchestrations.

mardi 14 décembre 2021

Chris Isaak - Blue Hotel (1991)




Je redécouvre Chris Isaak.
Enfin, surtout ses tubes Blue Hotel et Wicked Game.
Le reste, j'en ai rien à taper.
Enfin, je dis ça pour provoquer, mais ça ne va choquer personne. 
On baigne ici dans un entre-soi chaleureux et communautariste.
Et comme je suis quand même un gros curieux, je regarde par le trou de serrure du wiki, et qu'est-ce que j'apprends ? que 
Wicked Game, issu de l'album Heart Shaped World sorti en 1989, est un succès planétaire en 1991 et relance la carrière de Chris Isaak. En 1989, Heart Shaped World est un échec (comme les deux premiers albums), mais une version instrumentale de Wicked Game est créée pour le film Sailor et Lula de David Lynch, qui est un fan du chanteur. Après avoir vu le film plusieurs fois en ayant apprécié ce morceau instrumental, l'animateur d'une station radio d'Atlanta est le premier à diffuser la version complète ; quatre mois plus tard, le titre est diffusé sur les principales radios et se place parmi les dix meilleures ventes américaines. Le clip de cette chanson a été réalisé par Herb Ritts et a connu un grand succès sur MTV et VH1. Réalisé entièrement en noir et blanc, il fait intervenir Chris Isaak et le top model Helena Christensen s'enlaçant sur une plage et se murmurant mutuellement à l'oreille.
La prochaine fois que je fais une cover d'Higelin ou de Patrick Font, je tourne le clip en m'enlaçant sur une plage et en me murmurant mutuellement à l'oreille, ça devrait relancer ma carrière.


 https://www.mediafire.com/file/k7jidmf96fgvdut/CI_BH.zip/file

dimanche 12 décembre 2021

Gébé - Berck (2016)

Tous les ans en novembre /décembre, je me sens un peu Berck
Je veux dire, comme le personnage mi-Golem mi-punk, mais inquiétant à plein temps, imaginé par Gébé dans le Hara-Kiri des années 60. En novembre /décembre, comme Berck, j'aimerais pouvoir m’enfoncer sous la terre, ou dans le mur d'un building fraîchement érigé, au béton encore frais, et passer quelques décennies à suçoter des racines par la leur, avant de ressortir voir ce qui a pu changer en vérité dans le monde. Bien que de son point de vue, l'espèce humaine reste assez prévisible et finalement décevante, hormis pour les distractions et les sources de nourriture inattendues qu'elle lui procure. 

Je ne suis pas Berck. Pas encore. Mais ça me monte doucement; plus ça va, plus les injonctions à se réjouir et surtout à consommer autour de la fête de la nativité du Christ me donnent envie de me remettre à boire pour pouvoir mieux dégueuler partout, et aller me livrer à des comportements antisociaux dans des galeries commerciales périurbaines débordant de promotions rutilantes, bref de me comporter pire que ce gros malotru de Berck

une planche originale trouvée ici :
https://www.2dgalleries.com/art/gebe-berck-1964-hara-kiri-24952

D'abord parce que c'est toujours l'heure d'un petit bilan annuel auto-dépréciatif, car moi aussi je suis né un 25 décembre, et si je me la mesure par rapport à celle du petit Jésus, qu'ai-je fait de constructif depuis l'an dernier par rapport à lui, qui est mort bien plus jeune que moi, et qui n'avait pas les moyens de communication dont je dispose ? Berck. 
Et plus notre civilisation s'enfonce dans l'ornière qu'elle a elle-même creusé, plus nous sommes invités à nous couvrir mutuellement de cadeaux, ou à défaut de bons d'achat FNAC pour des raisons nauséabondes, je vous laisse vous rapprocher des caisses parce que ça pue vraiment trop :
1/ pour nous aider à oublier ça,
2/pour fêter la naissance du gars qui a racheté tous nos péchés d'un coup avant d'aller les revendre après sa mort sur le Bon Coin en ayant engrangé au passage une plus-value substantielle
3/ ou encore pour célébrer le "père Noël", qui était pourtant dénoncé par le clergé comme un suppôt du consumérisme et la « bête noire » à abattre. En tout cas, à Dijon, en 1951, où on lui reproche d’éclipser Jésus-Christ. Le 23 décembre, son effigie est brûlée devant le parvis de la cathédrale, devant de nombreux enfants.
Ce Berck sans forme, sans psychologie, sans logique, sans histoire, sans vergogne, qui n’a rien d’humain et ne l’est d’ailleurs pas, mais qui mime si bien l’humain dans ce qu’il a de pire, nul n’a jamais vu ça. Il fallait l’oser. La raison, avec Berck, fait plus que vaciller, elle est emportée dans un maelstrom, une tornade intellectuelle qui te laisse comme un noyé sur le rivage : à poil, abandonné, en terre inconnu, sans repères, mort.

Et voici un Berck en couleurs scanné par mon assistante pendant mon sommeil et extrait de la formidable réédition intégrale des Cahiers Dessinés de 2016, qu'on trouve encore partout si on ose demander à son libraire. Ne le commandez pas chez Amazon, l'entrepôt de l'Illinois a été détruit cette nuit, et la couverture du livre risque d'être un peu abîmée.

https://www.lemonde.fr/international/article/2021/12/11/aux-etats-unis-une-tornade-fait-au-moins-cinquante-morts-dans-le-kentucky-selon-le-gouverneur-de-l-etat_6105687_3210.html

Bref, un excellente idée de cadeau de Noël.

vendredi 10 décembre 2021

La veuve Wolinski a rejoint son mari, où qu'il soit (ou ne soit pas)

Maryse Wolinski, romancière et journaliste, qui a partagé la vie du dessinateur Georges Wolinski pendant quarante-trois ans, est morte à 78 ans des suites d’une maladie.
Quand on lui demandait comment il appréhendait la mort, Georges Wolinski répondait par cette boutade : « J'ai dit à ma femme : tu jetteras les cendres dans les toilettes, comme cela je verrai tes fesses tous les jours. »

Wolinski a inventé le selfie de cul
au moins 50 ans avant que ça existe en vrai.
Respect pour sa femme.


Benicio Del Toro peignant Léa Seydoux dans un sketch du French Dispatch de Wes Anderson,
sous le regard complice de Wolinski

mardi 7 décembre 2021

Patrick Font - L'Algérien (1974)


J'étais peinard devant un feu de bois d'arbre, une bûche d'une espèce rare, en voie d'extinction, et bien décidé à reposer mes yeux et surtout mes doigts. J'ai mis un vieux disque, glané sur un blog de curiosités. J'ai découvert "L'Algérien" de Patrick Font. Une chanson de 1974. J'ai alors compris que le problème ne datait pas d'hier. 
Bien sûr, les chansons ça sert à rien, comme le fait finement remarquer quelques années plus tard Francis Lalanne dans "J'ai de la boue au fond du coeur", qui ne résoud rien, pas plus que celle de Patrick Font, pas plus que le film Dupont Lajoie d'Yves Boisset sorti à peu près à la même heure. Parce que ni les films d'Yves Boisset ni les vidéos de Jaune Warsen ne peuvent influer le cours implacable du monde. 
Néanmoins, à la première écoute de L'Algérien, mon sang n'a fait qu'un tour. 
Adieu la sieste devant la cheminée. 
Ca n'a pas trainé, en deux heures la vidéo était bouclée. Mon premier clip anti-Zemmour, putain de sa mère. A 58 ans, il était temps de commencer à m'impliquer. J'ai un collègue monteur qui s'interdit d'avoir un logiciel de montage à la maison, je comprends pourquoi. Je pensais sincèrement ne plus m’en servir, maintenant que les enfants sont trop vieux pour que je fasse des films de famille, je me suis pas méfié, mais j'ai récemment refait un peu d'art vidéo avec des potes, et là, j'ai un nouveau projet sur lequel m’investir la nuit, quand j’en ai marre de déblogguer des mots pleins de lettres. Je réalise pour les fêtes (mais je ne pense pas être prêt avant Noël 2028) un long métrage ludique et pédagogique incluant l’ensemble des génériques des films de James Bond depuis l’Antiquité jusqu'à Pourrir peut attendre, le dernier en date, agrémenté des séquences de fiction qui précèdent souvent ces génériques, y adjuvant des sous-titres de mon cru un peu farfelus; on peut envisager ultérieurement une version en breton quand je serai sorti de prison après avoir ainsi transgressé les lois sur le copyright, évidemment, tout cela fleure bon la kolossale perte de temps, l’auto-addiction à trois balles et la crispation identitaire « ah dis donc qu’est-ce que je suis drôle » qui me pend au nez depuis longtemps, après avoir frappé de plein fouet Wes Anderson et son French Dispatch. 
Et alors ? qu’y puis-je, si je me shoote à la vacuité égotiste de la dérision ? et ça ennuie qui ? au moins je laisse dormir mes colocataires.

 [EDIT] 
Excellent édito d'un philosophe dans l'Obs sur Zemmour. 
Tout n'est donc pas si foutu que ça.

dimanche 5 décembre 2021

David Bowie - Toy (2001)

Sur discogs il existe tout plein de pochettes différentes de l'album "Toy" de Bowie
une sorte d'album imaginaire qui ne fut pas publié après son enregistrement en 2001, qui fuita clandestinement lors des BowieLeaks en 2011 et qui vient d'avoir une "vraie" sortie en 2021, lors de la parution du coffret de 11 CD "Brilliant Adventure (1992-2001)", une rétrospective des sous-produits de la créativité débridée dont l'alien angliche fit preuve pendant cette décennie. Si la pandémie ne vous a pas déjà fait attraper la pauvreté, une occasion de s'endetter pour les fêtes, dont je puis vous prêter une copie pirate avant l'achat sans trop de re-morts car l'auteur est définitivement à l'abri du besoin et des soucis créatifs et financiers depuis fin 2016. Je ne suis pas un thuriféraire de Bowie, je suis sensible à certains aspects de sa personnalité et de son oeuvre, mais là c'est quand même l'occasion d'un petit cadeau virtuel et inédit (en principe) à destination des inconditionnels argentins désargentés.


"Brilliant Adventure (1992-2001)" : pour les fans, une tuerie. Pour leurs amis, juste une idée de cadeau.

Un rappel inopiné de l'affaire, inspiré par un journaliste du Monde passé boire un coup hier à l'improviste sur ma tombe :

Après lui, j'avais rencart avec un gars de Rolling Stone, encore plus pointu car après tout ce sont des musiciens frustrés professionnels :

celui d'un fan aigri par les privations, et moins soumis aux pressions des annonceurs :

Enfin, mes confrères de télérama, sans qui j'aurais du mal à savoir quoi télécharger pendant mes loisirs :

Petit événement de l’année, la présence dans ce coffret (avant une sortie indépendante au début de l’année prochaine) de Toy, disque enregistré en 2000 et aussitôt mis au rebut. Le projet est singulier, une relecture des chansons de jeunesse, certaines connues (London Boys), d’autres non. L’enthousiasme est palpable, un désir ardent de faire voyager les souvenirs et de leur donner une actualité. C’est parfois réussi – sur une version ralentie et lyrique de Conversation Piece, ou sur un Silly Boy Blue baroque –, parfois anecdotique et lourd. Une curiosité qui n’aurait sans doute bouleversé personne au début du millénaire. Et qui s’apprécie aujourd’hui comme une étrange pièce du puzzle.



" Religion is for people who fear hell,
spirituality is for people who have been there."
R.I.P. David Bowie
Ce que j'aime chez Bowie :

- sa prestation d'extraterrestre paumé dans "L'homme qui venait d'ailleurs", le film malade de Nicholas Roeg, dont tous les films sont malades mais ils sont bien quand même.

- l'album "Scary Monsters", avec Robert Fripp à la guitare nucléaire.

- l'album "Earthling", avec Reeves Gabrels à la guitare nucléaire.

-  l'album "Blackstar" de jazz funéraire, paru deux jours avant sa mort.

- le fait qu'il n'ait jamais cessé de se réinventer, alors qu'il semble que je tourne un peu en rond.

jeudi 2 décembre 2021

Lujipeka : Putain d'époque (2021)

C'est en parcourant par hasard le site du journal Rolling Stone que je viens de comprendre ce qu'il m'arrive en vérité ces derniers jours. C'est pas du tout des troubles de désorientation de la personne âgée cyberdépendante, comme je le craignais.
Mais je découvre que les Trans Musicales de Rennes commencent une fois de plus sans moi, qu'elles sont à une portée de biniou mais que je n'aurai pas la chance d'y aller voir, entendre, et pourquoi pas toucher, comme le fils de Marie, Lujipeka.

Lujipeka, c'est la vraie grosse découverte énorme de la matinée.
Comme lui, je mange des kebabs en exhibant mon pass sanitaire à des rebeus indifférents, comme lui J'ai payé mes impots et j'ai pris mes médocs, comme lui masqué j'attends l'retour d'la peste, on n'est qu'les cobayes d'un grand test malgré les accents un peu inquiétassionistes de cette hypothèse de travail. Bref, tout nous rapproche, hormis le fait qu'il fait deux millions de vues dès qu'il pète un coup. 
J'ai dû devenir à mon tour et à l'insu de mon plein gré le digne représentant d’une génération désenchantée, bien que j'aie du travail, un toit sur la tête et à manger dans mon gofri.

ma preuve d'achat comme quoi je mange des kebabs

mercredi 1 décembre 2021

568 disques de Pink Floyd à ne pas offrir pour Noël (2021)

Hans Zimmer : la reprise de Pink Floyd
qui pourrait ne pas vous surprendre
Et voilà. A force de s'échauffer les gonades sur Dune, entre les versions du film déjà sorties dans la Réalité Réelle Ratée et celle qui a failli, sans doute vachement mieux mais vouée à séjourner dans les Limbes jusqu'au prochain Big Crunch, à moins que Jodorowsky lui trouve un financement in extremis auprès d'un producteur bipolaire, comme Terry Gilliam pour son Don Quichotte, je finis par rêvasser de la musique que Pink Floyd aurait composée pour le film, puisqu'ils avaient été pressentis pour la version de 1976 (article précédent). 
Au lieu de quoi, mon ami Google (le dernier qu'il me reste) me propose une douloureuse resucée de "Eclipse" réalisée par Hans Zimmer pour le trailer du Dune de Villeneuve. 
Kolossale Rigolade.

Heureusement que mes vieux Métal Hurlant en train de moisir au garage hermétique, c'est vraiment la Machine à Rêver, et que je peux noyer mon chagrin déceptif dans ma nouvelle collection de vieux Rock & Folk en .pdf dans laquelle je vais sans doute découvrir une interview anthume des Pink Floyd évoquant la musique du film de Jodo dont ils allaient enregistrer les premières maquettes dès qu'ils auraient fini leur clope. 
N'oublions pas qu'on est alors en 1976, que le tabac n'est pas encore un marqueur social négatif, et que tout le monde fume, sauf Georges Pompidou, qui a dû arrêter en urgence du fait des complications infectieuses provoquées par les corticoïdes, et qui était déjà mort depuis deux ans d'une septicémie sans avoir e le temps de rêvasser sur ce disque imaginaire de la musique du Dune de Jodorowsky par Pink Floyd.

La première fois que j'ai vu un personnage de Dune dessiné par Moebius, c'était à Rennes, en 1979, lors d'une exposition à la gloire des Humanoïdes Associés. Le film était déjà mort-né, et sa légende de foetus cosmique avorté démarrait à peine, avec des storyboards, des roughs, des costumes, des peintures de Giger, en veux-tu en voilà.

ma preuve d'achat : la pochette de l’événement, un inédit de Denis Sire
Je l'ai dit ailleurs, je le redis ici parce que mon avis est resté scandaleusement inaperçu depuis avant-hier qu'il a été publié sur un blog cinéphile, alors je me chite :
Le Dune de Villeneuve, comme le Blade Runner de Ridley Scott, c'est d'abord de vrais monuments de la littérature SF Qui Séduisent des Auteurs du 7ème art mais Qui Les Contraignent à se couler dans le moule mainstream induit par les enjeux industriels de la production, enjeux colossaux puisqu'il s'agit de refaire venir les gens dans les salles de cinéma alors que certains vaccinés refusent le pass sanitaire pour embêter la dictature numérique. 
après l'expo, j'ai enfilé discrétos le costume du Sardaukar designé par Moeb
et j'ai fait un selfie avec deux ploucs du coin
Et les monuments de la littérature SF deviennent alors de proprets blockbusters, anodins et inodores. Je dis pas ça comme excuse pour les massacrer ou pour pisser contre, car certains monuments attirent irrésistiblement les chiens incontinents, et ça peut être jouissif, surtout si on a jusqu’ici vécu un peu comme on trimballe une envie de pisser le long des pissotières et qu'on ne pisse pas, pour ne pas donner corps à ses bas instincts, mais enfin, ça donne des livres un peu compliqués à ne pas trahir, même sans pisser contre ni même un peu partout pour jouir sans entraves comme l’enseignaient les soixante-huitards.

Pompidou tombe en arrêt en découvrant les revendications abracadabrantes des enfants de 68
D’ailleurs, à la limite, la bouse mortifère de Villeneuve donne moins envie de relire le roman pour comprendre là où ça a merdé que de survoler à basse altitude les avertissements incisifs de Guy Debord (Guitou est clairement l’inspirateur Bene Gesserit de Charlotte « gender fluid » Rampling qui lui rend un discret mais vibrant hommage en jouant avec un filet à « provisions » sur la tête, comme une métaphore numineuse de la marchandise/spectacle).

Projet d'affiche pour la sortie de la version de Jodo.
D'une grande sobriété, comme le reste de son oeuvre.

Comme le relate Saint Wiki dans l’almanach des marées à Perros-Guirec tels qu’ils furent enseignés par la Vieille Peau Muad’Dib, « selon Debord, le spectacle est le stade achevé du capitalisme, il est un pendant concret de l'organisation de la marchandise. Le spectacle est une idéologie économique, en ce sens que la société contemporaine légitime l’universalité d’une vision unique de la vie, en l’imposant aux sens et à la conscience de tous, via une sphère de manifestations audio-visuelles, bureaucratiques, politiques et économiques, toutes solidaires les unes des autres. Ceci, afin de maintenir la reproduction du pouvoir et de l’aliénation : la perte du vivant de la vie. »
C’est la torpeur maléfique engendrée par la contemplation morbide de cet interminable clip touristique un peu bruyant, creux et clinquant pour la Jordanie et ses naïades de piscines lyophilisées (il y a tellement peu d’eau en Jordanie qu’ils sont obligés de pisser dans les piscines avant de les reboire) qui nous fait suspecter cette perte du vivant et de la vie, la cabane sur le chien, le ratage du métrage, un peu trompeur aussi. 

La bande-son qu'on entend dans l'avion 
pendant tout le voyage sur Air Jordanie.
C'est juste un peu saoulant.
Car le film est roublard comme seuls les vrais spots de réclame savent l’être : si j'en crois le Monde Diplomatique du mois dernier, il reste en Jordanie quelques poches de rebelles à dératiser avant de pouvoir bronzer à l’ombre (mélanome oblige) des minarets d’Amman en sirotant des long drinks au bar de l’hôtel avec des guérilleros Fremen avant de regagner sa chambre pour écrire son article tranquillou. 
Avant de se confronter à l’oeuvre de Herbert, Villeneuve pouvait passer à mes yeux pour un Auteur, son Blade Runner 2049 était mortifère mais intéressant, Hans Zimmer y recopiait Vangelis sans pisser dessus, mais pour les réals, Dune c’est vraiment le test ultime, et l’écueil sur lequel les plus glorieux s'éventrèrent, s'éventrent, et s'éventreront. 
Mais ne boudons pas notre déplaisir, ni notre ennui, car le film peut ramener de nouveaux lecteurs au Livre, comme le film de Christopher Nolan Le Prestige, inutilement complexe, m’avait mené à l’oeuvre littéraire de Christopher Priest, labyrinthique et narrativement défaillante, selon les dires de l'auteur, qui n'a jamais tort.

J'avoue qu'on se retrouve assez loin de la musique des Pink Floyd, malgré le malicieux clin d'oeil que leur jette Hans Zimmer en reprenant "Eclipse" dans le trailer du Dune de Villeneuve. Pour sustenter mon besoin de rêve et me consoler de la perte irréparable de la musique du Dune de Jodorowsky par Pink Floyd avant même qu'elle ait eu sa chance d'exister, je me suis alors tourné vers l'ami internet, sur qui l'on peut toujours compter en cas de coup dur pour qu'il vous remonte le moral à grands coups de n'importe naouak. Et c'est ainsi que je dénichai quelques remixes improbables de Pink Floyd :


Résumé de ces 2 galettes : 
des malfaisants parviennent à faire croire qu'en s'emparant du nom du groupe et de quelques samples remixés avec des moufles, la Trance sera au rendez-vous. 
Ils lancent aussi la rumeur que The Orb aurait participé au Remix, ce qui donnerait tout son sens à l'édition "limitée" : y'en aura pas pour tout le monde. Pas de bol, la réinterprétation de la face cachée de la lune est d'une telle médiocrité que le fan le plus limité en QI se trouve acculé au suicide plutôt que d'écouter ça plus longtemps. Le Blasphème urinaire contre le monument trouve ici son ultime frontière.


- Il existe depuis longtemps sur le marché des versions instrumentales "country", "folk" voire "bluegrass" de ces albums, qu'on croirait réarrangées par les producteurs qui mutilent Radiohead dans les avions, les ascenseurs, chez les dentistes et au crématorium. Je n'ai pas pu remettre la main dessus, et c'est tant mieux.

- Les sorteurs d'inédits chelous et de remasters suspects, à fuir plus qu'à craindre :

- Je viens aussi de dénicher 568 disques pirates du Floyd
dont certains étaient sans doute déjà en takeaway depuis belle lurette sur ma tombe


- Les amateurs éclairés qui essayent de sonner encore plus pompier que l'original
ou qui pompiérisent des tracks qui ne leur avaient rien demandé au lieu de leur foutre le feu

- Dub Side Of The Moon, un peu rigolo mais pas trop, et on n'entend pas bien la kora, parce qu'ils ont oublié d'en mettre

- Les simulateurs de floyderies les plus redoutés sont The Australian Pink Floyd Show
Heureusement ils n'enregistrent pas de disques; et j'apprends avec joie que leur prochaine tournée vient d'être annulée, remplacée au pied levé par le Omicron Tour 2022. C'est pas pire.

Qu'on ait étouffé pendant tout le XIXeme siècle les Amérindiens sous des covers de Pink Floyd fourrées à la variole, passe encore, mais qu'on extermine des bons Chrétiens, par des contrefaçons issues des coins les plus pourris du Multivers, alors que le XXIeme est déjà bien entamé, c'est quand même des pratiques peu glorieuses.
Qui n'a plutôt rêvé de la reformation du groupe mythique de rock progressif devenu monstre de pop mainstream ?

Davic Gilzmmour l'a pourtant dit et Reditt à Roger Waters bouchés :
" pour la reformation du Floyd, c'est dead.
Si tu veux encore agrandir ta piscine, t'as qu'à sortir des Remixes pour Noël.
De toute façon, tant que Richard Wright et Syd Barrett restent morts,
tu l'auras dans la Dark Side of the Moule. "

Finalement la meilleure reprise de Pink Floyd je l'ai cherchée partout mais c'est chez moi qu'elle était cachée depuis le début :

lundi 29 novembre 2021

Une interview de Jodorowsky à propos de Dune (1976)

Emoustillante interview d'Alexandro Jodorowsky à propos de son adaptation du roman "Dune" parue dans Rock&Folk n° 112, au joli mois de mai 1976, peu avant de démarrer le tournage. D'après l'intéressé, en tout cas.
N'aie pas peur de cliquer sur les images pour les agrandir.
Le mieux, c'est de les télécharger, sinon ça pique les yeux.
Merci à JM pour les scans ! c'est épatant !



 [Hé, DITeS] 
 du 9/12/21

en complément de programme, un excellent article sur le Dune "infilmable" de Jodo, pourquoi, comment.