Hallucinée, déprimante et souvent malaisante, la série animée "Prompt" est le fruit de copulations contre-nature, verbales et vidéographiques, entre un artiste et une horde d'I.A. génératives. Les I.A, quand on les flatte, se laissent aller à un humour post-humain plus grinçant que Houellebecq et Cioran réunis.
voici la troisième grande révolution discursive, celle de ChatGPT, celle d’un artefact génératif avec lequel nous « conversons », et ce faisant conversons tout à la fois avec les milliers de travailleurs pauvres qui « modèrent » les productions discursives de la bête, mais aussi avec l’ensemble des textes qui ont été produits aussi bien par des individus lambda dans des forums de discussion Reddit ou sur Wikipédia que par des poètes ou des grands auteurs des siècles passés, et enfin avec tout un tas d’autres nous-mêmes et l’archive de leurs conversations qui sont aussi le corpus de ce tonneau des Danaïdes de nos discursivités. Quand nous parlons à ChatGPT nous parlons à l’humanité toute entière, mais il n’est ni certain que nous ayons quelque chose d’intéressant à lui dire, ni même probable qu’elle nous écoute encore.(..)Quel est le principal problème posé par ChatGPT ? Ils sont en vérité multiples. Le premier d’entre eux est celui de la certification de la confiance conversationnelle. Qui peut (et comment) garantir que les échanges avec ChatGPT sont soit vrais soit à tout le moins vérifiables ?Le problème de ChatGPT est aussi qu’il se présente et est utilisé comme une encyclopédie alors qu’il n’en partage aucune des conditions définitoires, et qu’il se prétend et est utilisé comme un moteur de recherche alors que là encore c’est tout sauf son coeur de métier.Le problème de chatGPT c’est également qu’il « interprète » (des connaissances et des informations) avant de nous avoir restitué clairement les sources lui permettant de le faire ; à la différence d’un moteur de recherche qui restitue (des résultats) après avoir interprété (notre requête).Le problème de ChatGPT, enfin, c’est qu’il assigne pêle-mêle des faits, des opinions, des informations et des connaissances à des stratégies conversationnelles se présentant comme encyclopédiques alors même que le projet encyclopédique, de Diderot et d’Alembert jusqu’à Wikipédia, est précisément d’isoler, de hiérarchiser et d’exclure ce qui relève de l’opinion pour ne garder que ce qui relève d’un consensus définitoire de connaissances vérifiables.
Et pour en revenir à Lucie, à DeepSeek, à ChatGPT, à Gemini et à toute la confrérie de leurs clownesques clones, il devient urgent que nous retrouvions une part de lucidité perdue. Tant que ces modèles seront, de par leur conception même, en capacité même temporaire d’affirmer que les vaches et les moutons pondent des oeufs, et tant qu’ils ne seront capables que d’agir sur instruction et dans des contextes où ces instructions sont soit insondables soit intraçables, jamais je dis bien jamais nous ne devons les envisager comme des oeuvres de langage ou de conversation, mais comme des routines propagandistes par défaut, et délirantes par fonction. La merveille de la langue, la beauté du langage, la seule, c’est qu’elle est la seule singularité non-marchande qui puisse être partagée par des millions d’individus sans qu’il y ait nécessité d’en faire autant de clownesques clones. Elle est un lieu de friction qui rend possible toute forme de fiction et de diction, là où tout le projet politique des plateformes et des IA génératives, niché au coeur même de leurs ingénieries et de leurs modes de production, est d’abolir la friction pour la mettre au service de leurs fictions propres. Les IA conversationnelles ne répondent pas à nos questions, elles figent nos attentes.
Au risque de faire bondir l’ensemble de mes camarades qui travaillent sur les modèles d’IA, nous sommes déjà au bout du cycle de développement de ce que l’on qualifie aujourd’hui « d’IA conversationnelle ». Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de progrès en termes de performance, de coûts, d’infrastructures, de modèles même comme les « transformers » qui marquèrent une rupture et un progrès presqu’exponentiel. Bien sûr qu’il y aura des progrès. Mais le narratif d’une « intelligence artificielle générale » est une mythologie moderne. Et comme toutes les mythologies, elle est là pour nous avertir à la fois d’un aveuglement, d’un risque et d’une dérive en les mettant en récit. Et il est assez fou que nous ne la traitions presque jamais comme telle.
Si une IA conversationnelle vous explique les bienfaits des oeufs de vache une fois, c’est une connerie. Si une autre IA conversationnelle vous explique les bienfaits des oeufs de mouton une fois, c’est toujours une connerie. Mais si toutes les IA conversationnelles vous expliquent tout le temps et à chacun de leurs lancements (grand public ou sur invitation) les bienfaits des oeufs de vache ou de mouton ou de poneys, et si toutes les IA conversationnelles sont toutes en capacité de vous tenir un discours Nazi si vous leur demandez simplement de le faire, alors … Alors si nous cherchons à voir dans tout cela autre chose qu’une alarmante connerie, alors il n’est que deux options possibles : soit nous sommes tous devenus aussi très cons, soit nous avions un livre (passionnant) à écrire sur ces questions 😉