L’avenir n’est plus dans le progrès ?
Très bien, rapportons le passé dans le présent
et faisons en sorte qu’il ne nous échappe plus jamais.
Donald Trump (raconté par Grafton Tanner)
Mais le passé n'a pas d'amis
Quand il vient lécher les statues
On m'a reléguée dans la nuit
Au milieu des vieux tas d'invendus
Hubert-Félix Thiéfaine
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| les gars du marketing, c'est que de la racaille. |
J'ai du mal à me remettre de ma rencontre récente avec le foreverisme, ce concept marketing forgé par des industriels soucieux de prolonger la vie commerciale de produits ayant dépassé leur date de péremption y’a déjà un bail, concept dont j'ai immédiatement élargi le spectre pour découvrir qu'il gangrénait les fondements de mon existence depuis son origine. Et question gangrène dans le fondement, j'en connais désormais un rayon de radiothérapie.
J'ai déjà copieusement grabouillé, raclé et regrifougné l'article précédent comme un putain de palimpseste pendant que vous dormiez, j'en attaque donc un nouveau. J'ai découvert que le foreverisme ne concernait pas que les films de superhéros tentant d'endiguer le déclin de l'empire américain, les clones australiens en simili Pink Floyd ou les disques posthumes de Jimi Hendrix enregistrés sous la pluie à travers un sac de couchage...
Je vois bien que les tentatives périodiques de Métal Hurlant de ressusciter l'héritage de Dionnet ou celles de LFI pour ressusciter celui de Staline, les relances constantes du Centre des Impôts et celles d'anciennes meufs égéries soi-disant retirées du marché voire de la galaxie, le succès grandissant des franchises évangéliques pour rebooter le christianisme, tous ces phénomènes rentrent dans la même catégorie des produits culturels obsolètes qu'on ressort sur les présentoirs au cas où le consommateur prisonnier de ses pulsions ne fasse plus la différence entre l'original et la contrefaçon.
C'est lui accorder bien peu de jugeote, en attendant que l'IA finisse son travail de décervelage. Disant cela, je confonds malicieusement comme un imbécile heureux le concept de "produit culturel" à décliner ad libitum avec la tendance de mon esprit à croire éternelles des choses disparues, à mélanger comme un imbécile malheureux le passé et le présent, au risque de trouver à mon futur un petit goût de déjà vu, de déjà vécu, mais en moins bien, l'âge venant diminuer les plaisirs quand il ne les abolit pas tout court, comme en atteste mon état un peu prématuré à mon goût de retraité sexuel. On ne choisit pas ce qui nous arrive, on peut juste moduler notre façon d'y réagir.
Non seulement je combats le foreverisme culturel mais je dois aussi le traquer en tant que croyance erronée en la permanence des choses et des êtres. Heureusement que je n'écris plus sur mon blog de slips sales, ça serait un bon prétexte pour m'y lamenter de ce biais cognitif, une fois franchie la limite au-delà de laquelle mon ticket n'est plus valable. Comme George R.R. Martin, qui n’a selon Télérama que deux passions : ne pas écrire la suite de Game of Thrones, et se plaindre dans la presse de ne pas y arriver.
Dans le temps je me disais "si le sentiment survit à la personne qui l'a suscité, c'est que c'était pas une hallu", formule-choc dont le sens s'est un peu perdu. Enfin, je vois bien pourquoi je disais ça, et je comprends aussi pourquoi je ne le prétends plus : l'autre jour, au bureau, j’ai fait pleurer une fille. Il m'a suffi d'évoquer un certain incident, elle est remontée dans son souvenir et crac ! elle l'a revécu, c'était très douloureux, et ça a tout de suite débordé. Mes gros pieds dans ses petits plats. Quel con. C'était sans intention malveillante au départ, et quand je lui ai expliqué en sus, aussi déconfit qu’un fruit périmé, que ça faisait longtemps que je n'avais pas fait pleurer une femme, vu que je n'ai plus de prostate, elle a réussi à pleurer de rire en même temps ! et elle est repartie vers son bureau dans ce triste état, j'espère qu'elle avait une culotte de rechange ! Ca m'a appris à distinguer l’hypermnésie émotionnelle de l’hypermnésie autobiographique qu'on trouve parfois sur des blogues de vioques, même s'ils inventent la plupart des détails comme ça leur chante.
Pour l'esprit, les barrières temporelles sont plus perméables que les spatiales. On les franchit par la pensée, et ça peut aller assez vite. Une photo de facture donne le mal du pays, et très peu de choses séparent la nostalgie (l'acceptation du manque né de la perte, acceptation qui peut être elle-même joyeuse) du foreverisme, le désir forcené de permanence, qui en est l'antithèse et le déni.
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| Cette planche de Goossens illustre bien les inconvénients de revivre un traumatisme rien qu'en l'évoquant... |
Il cumule ainsi une approche marketing et le handicap psychologique du foreverisme.
Mais tout ça ne nous rendra pas Frank Zappa, que j'ai revu l'autre soir jouer Chunga's Revenge dans feu l'émission Chorus d'Antoine de Caunes qu'on regardait à la télé le dimanche midi en se demandant ce qu'on ferait quand on serait grands, sans savoir qu'on serait alors pris dans une boucle temporelle à rechercher les émissions télé de quand on était petits.
https://jesuisunetombe.blogspot.com/2010/01/what-ever-happened-to-all-fun-in-world.html
























