A part la chanson de Gilles Servat "Les prolétaires", redécouverte la semaine dernière, je ne connais rien de plus déprimant ni désespérant que les dessins de Jacques-Armand Cardon, qui dépeignent de manière magistrale et allégorique les souffrances de la condition ouvrière humaine au vingtième siècle.
(Daniel Goossens a décrit par ailleurs les souffrances de la condition ouvrière fourmi au vingtième siècle, comme ça à eux deux ils ont fait le tour du problème).
Cardon, je l'avais totalement oublié, depuis les illustrations muettes dans l'Humanité-Dimanche des années 70, qui me laissaient blême après les avoir contemplées d'un œil d'enfant impie et hagard (longtemps avant que mon œil vire hippie et hangar).
J'ignorais alors tout de Kafka, Topor, Gébé, ou Francis Masse, s'il existait une version muette de Francis Masse, dont le lettrage des phylactères serait infiniment plus reposant pour les yeux, et qui sont les cousins germains de ce Cardon qui réussit à beaucoup publier dans la presse communiste de l'époque alors qu'il n'était pas du sérail (Pif le Chien fut publié plus longtemps que les bonhommes déshérités de leurs fringues et du reste de Cardon, mais Pif le chien c'était en strips quotidiens dans l'Humanité (pas -Dimanche).
Cardon et Pif le Chien dans l'Huma sont les deux mamelles que j'ai sucées pour nourrir ma conscience politique naissante. |
Cardon, je l'ai vu l'autre soir sur LCP dans l'émission de Patrick Cohen "Rembob'INA" dans laquelle Patrick réhabilite le patrimoine télévisuel qui sinon pourrirait doucement comme Swamp Thing dans les archives de l'INA, ce jour-là l'émission portait sur "Du Tac au Tac", joute graphique en forme de cadavre exquis entre auteurs de BD du début des années 70, imaginée par Jean Frapat. Une idée géniale, réalisée avec trois francs six sous, et qui a dû susciter bien des vocations de dessinateurs.
D'ailleurs, je le crois pas, mais le jour où je rédige cet article ils viennent de mettre l'émission en ligne, ce qui est le signe que j'attendais du Ciel où trône mon dieu laïque pour poursuivre mon effort rédactionnel.
Du jour où j'ai revu Cardon sur LCP, sémillant malgré son grand âge et l'amertume sans nom qui suinte de ses dessins, mon amnésie a été levée d'un coup. Il a fallu que je coure à la librairie acheter Ras-le-bol, somptueux recueil de ses demi-pages parues dans l’Humanité Dimanche et à Politique Hebdo de 1970 à 1976.
C'est publié aux Requins Marteaux, sans la faucille.
C'est du grand Art.
Contemporain.
(Alors que l'art contemporain me fait désespérer et de l'art, et de mes contemporains). J'aurais préféré y trouver ses dessins muets, plus intemporels, dont il en existe plusieurs recueils, plus rares et aussi convoités que le Nécronomicon de l'arabe dément Abdul Al-Hazred :
mais on va pas chipoter pour si peu. Réécouter un vieux Cure en même temps, c'est la garantie assurée sur facture de ne pas survivre à la prochaine soirée Théma sur Arte, dont les choix éditoriaux sont le prétexte rêvé à tant de suicide-parties que les Boches n'auront pas, sauf ceux qui regardent Arte.
Quelques dessins, toutes périodes confondues :
quelques scans que j'ai faits de "Ras-le-bol" :
(clique sur les images, n'aie pas peur, ce n'est pas sale,
et tu les verras en plus grand)
quelques liens, bien trop peu nombreux :
https://www.lambiek.net/artists/c/cardon_jacques_armand.htm
https://ecc-cartoonbooksclub.blogspot.com/2015/05/satirix-cardon-edition.html
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques-Armand_Cardon
https://lanticapitaliste.org/opinions/culture/ras-le-bol-de-bernard-cardon
https://superlotoeditions.fr/livres/ras-le-bol/
Le Cardon : Dessins est épuisé.Moi aussi.