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lundi 15 juin 2020

Le Casanova de Fellini (1976)

Balançoires, trampoline,
le club mickey dégouline.

Vincent Delerm, "Deauville sans Trintignant"


A 14 ans, l'affiche me faisait un peu peur.
Elle avait raison.
Mais la peur n'empêche pas le danger.
J'ignore pourquoi j'ai voulu me frotter à la saison 3 de la série Westworld, dérivée de Mondwest, film de SF des années 70 avec Yul Brynner mettant en scène des androïdes, employés dans un parc d'attractions pour distraire le public de sa pitoyable existence pour $2,40 de l'heure H.T. et qui accèdent à une certaine conscience de classe après la lecture des oeuvres complètes de Jean Baudrillard pendant leur pause-repas, et se révoltent alors contre leurs oppresseurs humains.
Et je m'interrogerai jusqu'à la fin de mes jours, qui ne devraient plus tarder, vu la toxicité prétentieuse et absconne, c'est rien de le dire, de ce que je me suis injecté dans les pupilles. J'ignore si le poison s'est dissous dans sa propre inanité, et si on pourra dire à la mort des deux showrunners qui chapeautent la série "En entrant dans le néant ils ont dû se sentir chez eux" comme l'avait annoncé Georges "R.R." Clémenceau au décès d'Edgar Faure, ou si l'affreux et sombre venin a eu le temps de remonter jusqu'au cortex en suivant le nerf optique comme c'était indiqué sur Google Maps.
Toujours est-il que je vais tenter de rester debout  en rédigeant cette chronique, pour pouvoir témoigner de l'avancée du Mal, assis en temps réel sur la légitimité de mon désir de transparence, un peu comme Cobaye Charlie dans sa redescente très peu climatisée à la fin de Des fleurs pour Algernon. Me confronter à la saison 3 de Westworld, alors que j'avais dormi devant la 1, trompeusement attiré par une photo d'Ed Harris dans le Grand Canyon comme une phalène par une lampe anti-moustiques dans un camping low cost, et que j'avais boycotté la 2 sans que le ministère du Download s'en émeuve outre mesure, c'était sans doute dans le but inavoué - car inavouable - de rentabiliser mon abonnement au téléchargement illégal, conduite addictive dont le manuel de psychopathologie à l'usage des confesseurs reste à écrire, et dont ce blog constitue l'éternel brouillon, toujours recommencé, jamais finalisé.

Ou alors c'était pour voir ce que pouvaient bien donner Aaron Paul, pas capté depuis Breaking Bad malgré qu'on ait entendu sa voix dans les 5 saisons de Bojack Horseman, le cheval dépressif et sur le retour tellement il est mal dessiné, et Vincent Cassel, dont je ne comprenais pas la carrière en dents de scie avant d’en lire cet audacieux résumé dans le Figaro en préparant cet article : « Après s'être fait remarquer dans La Haine, en 1995, il rencontre Monica Bellucci en 1996. » d’ailleurs le journaliste du Figaro refait la même deux paragraphes plus loin avec MC Solaar : « Après s'être fait remarquer avec Prose combat, un putain de deuxième album en 1994, MC Solaar rencontre Ophélie Winter en 1995. » Une fois de plus, tout est dit. Ils sont un peu misogynes, quand même, au Figaro. Surtout que ce n'est jamais qu'un pâle remake de la vieille blague sur ta mère jadis parue dans la Désencyclopédie et attribuée tantôt à Sacha Guitry,  tantôt à Chuck Norris, un soir qu'il était déchiré au Seroplex® : « ta mère et moi avons été heureux pendant 25 ans, puis nous nous sommes rencontrés » 

Vincent Cassel imite le savant fou Zorglub à la perfection
dans Z comme Westworld, mais où est donc Spirou ?

D'après Vincent Cassel, joint par notre agent double au Figaro juste après le tournage, la série explore des notions philosophiques qui nous concernent tous, telles que la conscience ou la liberté. Mais elle évoque aussi des thèmes politiques relatifs à la vie privée, à l’échange des données, au rapport à l’autre, aux limites à l’expression de nos pulsions. Tout ce truc sur les deux premières saisons où l’homme viole, égorge et tue à bout portant des êtres à forme humaine sous prétexte qu’ils ne le sont pas, crée un effet miroir extrêmement intéressant. Celui-ci nous interroge en tant que public et en tant qu’individus et nous met surtout face à nous-mêmes."
Allons bon. La dernière fois que j'ai égorgé un être à forme humaine sous prétexte qu’ils ne l'était pas, c'était un Témoin de Jéhovah qui tentait de s'introduire sur mes terres en outrepassant le portail en plastique blanc sans sonnette et ordinairement fermé qui matérialise l'entrée du Ranch Warsen, et il faudrait une circonstance bien extraordinaire comme la rupture des gestes-barrière avec le livreur de menhirs peindus de Louis Julien pour me faire baisser ma garde et ouvrir ce portail, donc il l'avait quand même un peu cherché. 

le superbe AV_3670CE, commandé il y a 45 ans
et reçu la semaine dernière par la Redoute. 
Mais ça ne m'a pas particulièrement mis face à moi-même, j'ai pas eu le temps, vu qu'il a fallu sortir le Karcher pour nettoyer le portail à grande eau, car le sang ça s'incruste bien dans le plastique blanc, si on le laisse imprudemment sécher. Toujours est-il qu'au bout de 5 épisodes de Westworld, j'ai maudit les cadres de HBO qui avaient validé la mise en production de cette pharaonique saison 3 en sniffant de la mauvaise coke sur les fesses clandestines de professionnelles issues de la diversité à l'arrière de taxis new-yorkais bien trop pressés d'aller d'un point A où ils étaient bien à un point B où ils n'avaient rien à faire pour satisfaire des clients en manque de repères, j'ai abjuré ma foi dans les séries télé et failli renoncer à tous mes biens terrestres et brûler  mon superbe AV-3670CE, quand je me suis souvenu qu'il existait dans le temps du monde d'avant un truc qui s'appelait "films de cinéma", qui ne contraignaient pas à l'absorption morbide de dizaines d'heures de programmes avant de pouvoir déclarer qu'en fait, c'est complètement con, finalement.

Alors j'ai lancé Le Casanova de Fellini. Il y a quelques mois j'en avais trouvé  une copie sur un tracker russe à bas coût (capitale de l'Azerbaïdjan), copie en HD light, parce que la HD normale (la HD HD, quoi), me pique les yeux, et je voulais remater ce film, pas revu depuis sa sortie, j'en avais conservé un souvenir leste et polisson, comme quoi on n'est pas sérieux quand on a quatorze ans, à la revoyure dans ma peau d'adulte, l'esthétique du film penche beaucoup plus vers Le Choix Funéraire que vers les tenants d'un érotisme soft ou hard, et c'est une farce bien macabre et enténébrée que nous tenons là entre nos petites pattes griffues (j'ai vu les écureuils grimper aux framboisiers tout à l'heure, ces bâtards, et se servir comme s'ils étaient chez eux, alors qu'ils sont chez nous), incluant une vision du sexe quasi phobique, un univers théâtralisé, décadent et corrompu, après ça je comprends mieux pourquoi j'ai eu une adolescence dépressive, qui s'est prolongée quasiment jusqu'à avant-hier.

J'ignore comment ce Giacomo Casanova a pu outrager Fellini post-mortem au point de justifier un tel pamphlet, qui semble tenir de la vengeance personnelle aussi sûrement que si j'apprenais que Monica Bellucci m'avait trompé avec Vincent Cassel dès 1996, alors je dirais sans doute beaucoup de mal de lui, mais sinon, il peut bien tourner dans toutes les saisons de Westworld qu'il veut et s'y révéler aussi pathétique que Lambert Wilson dans un rôle analogue de Mérovingien dans Matrix 2 des soeurs Wachowski, y'a pas d'souci.
Le XVIIIème siècle de Fellini est un monde de cauchemar, sur lequel le jour ne se lève jamais, peuplé de créatures affreuses, sales et cupides qui ne méritent le nom d'individus que par un euphémisme miséricordieux.
D'un vibrant plaidoyer pour la castration chimique des Rocco Siffredis en costume d'époque qui ne se prennent pas pour de la merde entre deux échauffourées avec des greluches azimuthées, le film s'élève ensuite jusqu'au brûlot haineux, faisant l'apologie de l'extinction volontaire de l'espèce humaine dans son ensemble, si à la mode en ces temps décroissants. J'ai bien aimé.

 J'aimerais bien aussi trouver les dessins de Topor qu'il a créés pour le film autour du sexe féminin, ils sont redoutables. A 55 minutes du début du métrage, Casanova a un éclair de lucidité, et déclare sans affectation, avec une désarmante sincérité :
"Nous abusons de notre pouvoir sur les femmes, nous exerçons sur elles une véritable tyrannie, que nous avons réussi à leur imposer uniquement parce qu'elles sont meilleures, plus gentilles, plus raisonnables, plus généreuses que nous, en un mot ce sont de meilleurs êtres humains. Ces qualités qui auraient dû leur valoir une supériorité naturelle les ont au contraire réduites à notre merci, car nous sommes cent fois plus déraisonnables, cruels, violents et enclins par nature à opprimer autrui."

Il aurait pu ajouter que les femmes n'éprouvent quant à elles aucun besoin de se venger de l'infériorité des hommes comme dans mon film de John Warsen à moi que j'ai, mais son instant de lucidité est passé.
 Il repart aussi sec à courir après Eros et à se prendre Thanatos dans les rotules en retour, dans une Venise pourrissante, puis à la cour de différents roitelets d'Europe auprès desquels il tente de plaider sa cause d'affabulateur et de pitoyable intrigant, s'acoquinant avec une humanité de plus en plus grotesque, vivant des aventures de plus en plus sordides, dans cette bobine crépusculaire qui ferait passer Mort à Venise pour un Louis De Funeste.
Donald Sutherland est génial.



Après un énième lifting, Jabba the Hutt s'apprête à se laisser suborner par le vil séducteur.

mardi 21 janvier 2020

Lovecraft Facts (6) : The Lighthouse

J'en avais un peu marre de me lover grave dans le crade autour de Lovecraft, alors je me suis dit "tiens et si j'allais au cinéma pour me changer les idées", mais comme je passe le plus clair de mon temps à me pâmer devant l’abîme du Temps généré par mon miroir, mon beau miroir 27 pouces à vortex (vortex \vɔʁ.tɛks\ masculin invariable. Tourbillon creux créé par un écoulement de fluide), finalement le cinéma a trouvé moyen de s'infiltrer chez moi comme un volute d'incendie austral passant sous la porte de mon bureau (que je cherchais vainement et à tâtons pour tenter une fois de plus d'en sortir) pendant que la maison brûle et que la veuve Chirac regarde ailleurs.

C'est un peu facile, de tout mettre
sur le dos des boucs émissaires 
J'attendais impatiemment la sortie illégale sous le manteau (dont Jésus Saint Paul Saint Martin donna jadis la moitié à un pauvre) du second film de Robert Eggers, ayant apprécié le climat franchement anxiogène et subtilement paranoïaque quoiqu'un peu malsain de son premier film "The Witch", très remarqué à l'époque par l'Amicale des Pétochards de Fauteuils, avec le soutien implicite de la Communauté du 1080p Tombé du Camion Juste Avant la Sortie en Salle, même si la résolution de l'intrigue du film m'avait paru décevante et en contradiction avec l'argument soutenu pendant tout le métrage qu'il était pas si long que mon article.
Un critique semi-professionnel s'en était ému, me privant du bon pain de mettre ses mots dans ma bouche puisqu'il les avait mis dans mes yeux :
Avouez que c'est quand même bien pratique de trouver grâce à internet des gens qui se creusent le ciboulot pour fournir des explications univoques à des films qui se complaisent dans l'équivoque et l'espièglerie de l'ambiguïté à choix multiple, pour peu que vous soyez hermétiques à l'implicite vous repartez les bras ballants et le bec dans l'eau.
L'important c'est de pouvoir réitérer ma protestation veloutée sur cette plate-forme à moi que j'ai, quitte à exiger des pouvoirs publics le tournage d'une fin alternative plus satisfaisante pour l'esprit humain et les lois de la sorcellerie en vigueur au XVIIeme siècle, et financée par le biais d'une campagne de crowfunding; protestation veloutée comme un yaourt aux fruits, brassée à ma mesure en jouissant comme un florent pagny âne florent pagny de ma liberté de penser et de me le dire, et de me le faire savoir à grands coups de millions de dollars claqués en bannières gif animées sur blogspot, et de la fredonner dans les commentaires des quelques milliers de blogueurs qui comme moi ont succombé à l'illusion égotiste de toute-puissance de décrire leurs impressions paradoxales du film, dans le fol espoir de devenir des influenceurs aussi constellés d'étoiles que des généraux sur Allociné, ou des leaders d'opinion aux centaines de suiveurs décérébrés sur Sens Critique, pour traumatique qu'ait été l'expérience du visionnage de The Witch, pas aussi éprouvante que le Possession de Zulawski, mais quand même, Eggers dès son premier film s’affirmait comme une valeur sûre du malaise cinématique, et c'est pas donné à tout le monde.
"Rejetée de leur communauté religieuse par un tribunal à cause de l'orgueil et l'intransigeance du père, une famille très pieuse et tourmentée par la vie coloniale sur une terre étrangère et hostile s'installe loin du village fortifié à la lisière de la forêt devant laquelle curieusement elle s'incline, avec interdiction aux enfants de s'éloigner. Les conditions de vie sont très rudimentaires, l'élevage et l'agriculture préférés à la chasse qui devient néanmoins une nécessité."
"Ma sorcière bien-aimée" versus "La petite prison dans la mairie", et bien plus que ça.

Tout concourait à faire de cette tragédie familiale un chaleureux calvaire, mais aussi un plaidoyer anti-obscurantiste, dans la mesure oùssqueu le Mal invoqué comme cause extérieure ne semblait exister que dans l'esprit de ces chrétiens fondamentalistes enfiévrés par le malheur qui s'abattait à coups redoublés sur leur humble chaumine (rudesse du climat, frugalité des récoltes, duplicité des animaux de basse-cour, puberté de la petite mettant son frère dans l'embarras scopique)
"Presque jusqu'à la fin, et c'est toute l'habilité du scénario, le spectateur est amené à penser que ce sont les personnages eux-mêmes, leur mode d'existence, leur isolement contraint, pour ne pas dire leurs dispositions mentales et les circonstances, qui les conduisent à ces extrémités."
C'est ce que je viens de dire, merci.
Sauf qu’à un moment donné, de manière inexplicable, l'intrigue se retourne, le film se parjure, les sorcières dansent, leurs ballets brossent, nos poils se hérissent, et Scorcese se met à tourner pour Netflix.  
Dommage. 
Mais ça avait un petit goût de revenez-y. 
C'était prétentieux, tordu, mais stylé.
D'où mon attente, sans doute disproportionnée, parce que je ne suis l'évolution du marché des films de chtrouille que de loin, qu'il est réputé chiche en Auteurs, et que Eggers avait l'air d'en être un, né d'une éclosion spontanée simultanée à celle d'un autre Fils à Pénible : Ari Aster (Hérédité, Midsommar).
Après avoir suscité de grandes espérances par leurs frayeurs digestes, tous deux sont parvenus à produire, réaliser et sortir un second film en 2019, faisant frissonner d’aise les bourrelets de graisse bio surbronzée des nombreux bobos friqués et autres branleurs californiens privilégiés qui se pressent chaque année à la grand-messe du film indépendant de Sundance dans l’espoir d’y trouver un remède à leur mélancolie de gosses de riches. 
Mystérieusement, ou alors c'est une Fatalité de niveau n+1 et c’est quand même pas de bol, The Lighthouse tombe dans le domaine public l'escarcelle des voleurs de coulures simultanément à sa sortie en salle, tout comme sa grande soeur possédée The Witch s'était retrouvée offerte et pantelante sur les plateformes où le Yog Sothoth du bittorent en freeleech rêgne en Maitre en 2015.

Prochainement en vente dans cette salle ?
Par égard pour ceux qui ne l'ont pas vu et désirent persister dans l'intention de ne pas en entendre parler, je ne voudrais pas déflorer le film, ni même débiter un boniment semblable à celui que mes estimés confrères, professionnels de l'invective cinéma ou proféreurs semi-pro d'anathèmes on-line, n'ont pas manqué d'asséner sur leurs organes de presse, tous ces blogs de cinéphagie si affriolants avec leurs dessous parfumés et leurs bonnes intentions d’apporter la lumière sur tel ou tel chef d’oeuvre méconnu du 7eme art, qu'on en parcourt une bonne dizaine pour se faire une idée cohérente de l'éventail du choix des possibles, et puis on finit par retourner au lit bouquiner du Lovecraft, parce qu'on s'est saoulé grave en laissant tourner l'heure de la dernière séance. Et puis la dernière fois que je me suis risqué à la critique cinéma, j'ai trouvé que c'était un genre littéraire difficile et exigeant. Qu'il valait mieux louvoyer pour contourner l'obstacle du divulgâchage, quitte à bifurquer vers l'expérimental, pour ne pas lasser le cyber-promeneur qui, dès qu'il tombe sur des expressions comme "chaque cadrage est tiré au cordeau" ou " force est de constater la rigueur implacable de l'intrigue", a tôt fait de débusquer derrière la sentence frappée au coin du bon sens le critique en herbe, l'exégète verbeux, celui qui comble son manque à être par l'écriture suppurante et plaintive, l'apprenti moraliste, voire le scabreux scatophage qui se complait dans une pénombre qu'il croit lovecraftienne alors que c'est juste les dieux jaloux d'ErDF qui lui ont coupé le jus pour défaut de paiement.

"La pipe qui s'éteint, la marée le lendemain" (vieux proverbe breton)

Pour dire quelques mots du film sans m'éventrer non plus sur les écueils des mystères qu'il recèle en ses flancs ventrus, je vais les évoquer de façon détournée, tout comme le film ne se gène pas pour aborder certains sujets en nous faisant croire qu'il nous parle de tout à fait autre chose.
L’histoire à laquelle nous sommes priés de croire est donc celle-ci : Deux hommes sont envoyés comme gardiens de phare sur une ile désertique et brumeuse. La durée du séjour a été convenue à l’avance : 4 semaines. L’époque est indistincte, et l’on doit se référer aux déclarations d'intentions et diverses notules pseudo-documentaires mais en fait commerciales (Electronic Press Kit) pour savoir quand et où ça se passe, alors qu'un carton "Au large de la Nouvelle Angleterre, 1895", par exemple, ça n'aurait pas coûté grand chose au producteur et ça aurait utilement renseigné le spectateur qui n'a rien voulu savoir du film avant de le voir, condition de virginité virtuelle requise quand je vais au cinéma ou quand il vient à moi en rampant sous la porte comme ce soir.
L'absence de datation historique est sans doute volontaire, le récit se veut intemporel et sans âge.
Dès le début, on se doute qu'il ne s'agit pas de petites vacances entre amis genre Brokeback Mountain dans votre villa les pieds dans l’eau, mais d'une âpre expérience de survie en milieu hostile, car le confort est rudimentaire (il n’y a pas de wifi) et les deux hommes ont très vite un rapport dominant/dominé, entre le vieux loup de mer qui a tout vu, tout lu mais pas encore tout bu (Willem Dafoe, rocailleux) et son taciturne apprenti (Robert Pattinson, blanc-bec pataud qui ne demande qu'à apprendre, tout en ayant son petit caractère) qui se retrouve commis d'office aux taches subalternes, alimenter la chaudière du phare en charbon, nettoyer la chambrée, préparer les repas... c'est l'occasion d'un douloureux travail de dégonflement de l'égo, et un questionnement de tous les instants sur la légitimité de son plan de carrière qu'il pensait tracé d'avance dans la hiérarchie des fonctionnaires assermentés de la compagnie des Phares et Balises.

Le monde se divise en deux catégories. Capisce ?
Pour l'aspirant Lighthouse Keeper, le stage de fin d'études se transforme rapidement en colonie pénitentiaire au phare Ouest. Les corvées s'accumulent, son maitre de stage est de plus en plus renfrogné de chez renfrogné et il s'est octroyé toutes les gardes de nuit là-haut dans le phare, et au cours des soirées qu'ils passent entre garçons qu'il faut bien animer avec les moyens du bord bien qu'on soit à terre, se déploie une conception un peu homophobique de la masculinité fin de siècle (le 19eme, parait-il) à grands coups de chants de marins, d'anecdotes pas piquées des hannetons et de grandes lampées de tafia englouties cul sec. Le petit Robert va dégringoler de mauvaise surprise en déception intime, et une suite de petites escarmouches verbales engendrera un inconfort relationnel croissant entre les deux hommes, on voit le moment où pour se venger nos compères vont dégrader la note de leur gîte rural sur Airbnb, mais y’a toujours pas le wifi. 
On ne peut qu'assister impuissants et de plus en plus hallucinés à la dégradation de l'humeur de Robert, parallèle à celle de la météo; pour une raison qui restera obscure, nous avons accès aux représentations internes de Robert, mais pas à celles de Thomas (c'est vrai que je ne vous avais pas dit avant que le vieux s'appelait Thomas, mais les identités de nos deux larrons seront de plus en plus fluctuantes et vacillantes au fur et à mesure qu'on s'avance dans le film vers un dénouement qu'on espère éclairant mais qui ne le sera que pour les thuriféraires de la pensée symboliste, car Eggers, comme Lovecraft, conchie l'époque actuelle et sa médiocrité crasse, et semble se réfugier dans une vision passéiste du cinéma pas réactualisée depuis Murnau, bien que son film soit parlant à ce sujet)
Vous visionnez de vieux films, les vôtres se situent au XIXe siècle. Êtes-vous seulement intéressé par le passé ?
Il est vrai que j’aime Dickens, Dostoïevski, Tolstoï, les sœurs Brontë, Mary Shelley, Virginia Woolf, D.H. Lawrence… Je sais que je devrais passer plus de temps à m’intéresser aux œuvres d’aujourd’hui, mais je reviens toujours à celles-là. D’ailleurs ma femme est consternée que je lise si peu de livres écrits après la Seconde Guerre mondiale ! (interview d'Eggers dans Télédrama)
Les faits sont les suivants :
- tandis que le jeune vieillard auto-intronisé Gardien de la Lumière se paye de belles tranches d'on ne sait pas trop quoi toutes les nuits en haut du phare, l’apprenti en est réduit à des rituels magico-religieux assez minables, faut bien dire ce qui est, avec une pauvre idole de bois trouvée dans la bourre de son matelas, n'évoquant que de très loin la féminité ondine ou terrestre.

Les vieilles morues sont en alerte.
- une sirène vient d'ailleurs s'échouer sur les cailloux, promesse d'amour de vacances de travaux forcés avec ses lèvres aguicheuses, mais l'idylle tourne court. Ce n'était sans doute qu'Arielle Dombasle venant vanter les mérites d’un océan sans plastique. (ne cliquez pas sur le lien, ça fait trop peur)
- les locataires précédents du phare, qui avaient pourtant promis avoir pris soin de vidanger la cuve étanche qui collecte leurs déjections en l'absence de tout-à-l'égout, ont sans doute menti, car la voici déjà pleine; et quand on va mettre de la chaux vive dessus, on se fait attaquer par des mouettes acariâtres qui en sont restées aux Oiseaux d'Hitchcock.
- la météo qui devait être radieuse suite à la présence d’un anticyclone au-dessus d'Arkham fraîchit méchamment, il devient temps de sortir les cirés mais par malchance ils ont un peu moisi dans le placard de la buanderie.
Je ne vous en dis pas plus, sinon on va spoiler en s'poilant.

S'ils avaient eu un peu de wifi,
bien des drames auraient été évités
Ces petites contrariétés s’accumulent et viennent gripper un quotidien déjà pas facile à vivre pour nos hommes qui se chamaillent pour des vétilles, s'accusant mutuellement d'incompétence, de mythomanie maritime et qui s'invectivent maintenant dans une atmosphère de huis clos théâtral ranci de rancoeurs recuites et franchement délétère, parce que le vieux émet force pets sonores et odorants, à tel point qu'à chaque fois que y'en a un qui allume sa clope on s'étonne que tout le phare n'explose pas.
Tout ceci étant exposé au sein d'un cadre carré (1.19:1) d'une éprouvante exiguïté, dans un noir et blanc gris charbonneux à peine adouci par un grain synthétique rajouté au papier de verre numérique. On y suffoque comme dans des chaussures trop petites. Sur le plan du stylisme, c’est somptueux, et bourré de références cinéma, théâtre, littérature, Kubrick, Beckett, Richard Corben (pour la taille disproportionnée du vagin de la sirène, qu'on aperçoit pendant une seconde 3 images, je le sais parce que j'ai déjà revendu toutes mes captures d'écran à la criée en ligne de la Turballe)
Ca, y'a pas à se plaindre du côté des alibis culturels, ils sont en béton, et le cinéphile, le vrai, celui qui déteste la vie et s'en protège dans les salles obscures ou devant le vide sidéral de son homecinéma qui lui masque la vacuité de son inexistence, est vraiment à la fête.

C’est aussi un film qui se croit malin et demi; à partir du moment où les faits et les récits qui les encadrent commencent à diverger de façon irréconciliable, on se dit que soit nos amis yoyotent, soit la Réalité se délite. Quand on prétend vous apporter la preuve absolue que vous êtes un gros demeuré alors que votre monologue intérieur validait jusqu’alors une toute autre théorie, bonjour la dissonance cognitive, et c'est alors la porte ouverte aux décompensations psychiatriques. En multipliant les pistes, Eggers n’en valide aucune, nous laissant face à une tache de Rorschach filmique, qui devient le reflet de nos propres névroses.
Quand le film s'achève, on ne sait pas trop ce qu'on a vu. J'ai lu autant de théories distinctes que j'ai parcouru d'articles de blog. Pour ma part, je crois que l’âpreté des conditions de vie des petites gens avant l’avènement du wifi me semble le vrai thème du film, en tout cas le seul qui soit traité un peu sérieusement : les autres sont vraiment esquissés d'une main de fumiste.
Mais chaque plan est tiré au cordeau, et l'intrigue suit son cours implacable.
Peut-être que ces deux-là n'ont été envoyés sur cette ile mystérieuse que pour distraire les songes de celui qui, dans sa demeure de R'lyeh la morte, rêve et attend. Si vous voyez qui je veux dire sans prononcer son nom, ça m'arrange. J'ai déjà bien assez de problèmes comme ça avec les entités.

Robert prépare déjà son prochain film :
l'adaptation du Necronomicon
Au final, on peut se permettre de croire avoir vu :
- un documentaire sur les troubles de la dissociation de personnalité, sous couvert d'un face-à-face mortifère entre deux gardiens de phare (Fight Club, explicitement cité dans au moins une scène de bagarre en état d'ivresse)
- une pochade sur les marins d'eau douce, mythomanes par nécessité : ceux qui restent à terre,  les "rampants" qui se racontent des histoires, puis y croient jusqu'à la déraison pour oublier leur haine d'eux-mêmes. Car plus une personne se trouve nulle, plus en général est aura développé de l'orgueil par-dessus pour arriver à survivre.
- une farce sinistre sur la rouerie du patronat. Mais je venais de voir Robert Pattinson dans une vraie farce sinistre, dont les enjeux ne se révèlent que dans les derniers plans et font qu'on peut sortir en ricanant de la séance, comme si on avait été mordu par un gilet jaune, le cas de The Lighthouse est plus tangent.
- une allégorie de l’aliénation au travail. Haha. Elle est bien bonne.
- une expérience sensorielle inédite où l'on doute souvent de ce que l'on voit, entend, ressent.
- Déposez vos autres suggestions ici.



Quelques pistes pour finir de noyer la sirène :

http://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=18686495.html

https://www.vox.com/culture/2019/10/15/20914097/robert-eggers-lighthouse-interview-witch

https://explicationdefilm.com/2020/01/03/the-lighthouse/

https://collider.com/the-lighthouse-ending-explained/?amp

https://blogs.mediapart.fr/iconoclash/blog/030120/lighthouse

samedi 31 mars 2018

Salafistes - François Margolin, Lemine Ould M. Salem (2015)

Voici un documentaire glaçant : c’est une tribune libre offerte aux théoriciens de la branche djihadiste du salafisme, entrecoupée d’extraits de vidéos de propagande comportant de nombreux châtiments corporels et exécutions.
Les interviews sont réalisées à des moments d’optimisme historique pour le mouvement : Tombouctou en 2012, Raqqa en 2015 etc…
La vraie performance du film, c’est d’avoir pu approcher les théologiens au point de susciter leur confiance et de les laisser s’épancher en toute intimité sur les erreurs de l’Occident, la duplicité des Juifs, l’infériorité des femmes…
La seule contextualisation est offerte à la fin du film par un berger touareg, qui a vaguement la tête de Keith Richards, et qui raconte comment il a envoyé chier la bande de prédicateurs venus lui reprocher sa consommation de tabac (c'est lui qu'on voit sur l'affiche).
Rien de vraiment nouveau sous le soleil : dans son obstination à prôner un retour aux pratiques soi-disant en vigueur dans la communauté musulmane à l'époque du prophète Mahomet et de ses premiers disciples et à vouloir accomplir la rééducation morale de la communauté musulmane à coups de fouets et d’amputation, le salafisme n’a rien à envier à l’Inquisition espagnole, ni dans ses fins ni dans ses moyens : conçue à l'origine pour maintenir l'orthodoxie dans les royaumes catholiques, l'inquisition a progressivement élargi le champ de ses justiciables (musulmans, protestants, sectes), réprimé les actes qui s'écartaient d'une stricte orthodoxie (blasphème, fornication, bigamie, pédérastie…) et combattu la persistance de pratiques judaïsantes.
Le problème c’est que l’inquisition fut définitivement abolie le 15 juillet 1834, alors que le salafisme est vivant et en bonne santé.
Il faudrait un Bergson pour expliquer cette manie qu'ont certains êtres humains de camoufler leur frustration, leur soif de pouvoir et de barbarie sous les oripeaux de la parole de Dieu.
Ou la sérénité d'un Keith Richards malien, qui nous fait comprendre en 1'30'' qu'on a affaire à une bande de branleurs sanguinaires qui ne sont qu'un épiphénomène dont on aurait tort de se préoccuper, parce qu'ils ne font que passer, et qui les traite avec autant de désinvolture que s'ils étaient un groupuscule de Disapointed Melenchonists® ou des Témoins de Jéhovah un peu lourdingues.

lundi 8 janvier 2018

No w0man No p0rn : le Director's Cut (2018)

Pour une fois, je vais être franc avec vous, c'est à dire avec moi, puisque je viens de recevoir mes papiers militaires pour partir à la guerre avant mercredi soir une lettre anonyme et pourtant toute simple de

Stephen JOURDAIN, écrivain français, 1931-2009

« Je suis le secret enfoui dans l'odeur de l'herbe fraîchement coupée, dans le houououhh du vent s'engouffrant dans le conduit de cheminée, dans les cent mille doigts de l'averse de neige, dans la nacre d'un matin de printemps, dans le message muet d'un alignement de marrons d'Inde, dans la déclivité de la plage et la danse des poux de sable ; je suis ce qui jadis vous rendit vivant, je fus l'instigateur de tous vos émerveillements, de tous vos étonnements, je suis l'unique raison pour laquelle quiconque, jamais, s'aima et aima, je suis le secret qui irrigua chacun de vos secrets d'enfant, je suis l'ange que tout enfant porte en filigrane et que vous avez tué. 
Je suis vous. »

donc, tout ce baratin fumeux qui fleure bon le new-age old fashion mais avec une touche de french touch, pour vous dire qu'au jour d’aujourd’hui d’hier,
il faisait un temps à faire du montage vidéo



et pourtant
j’aurais mieux fait de faire du bricolage
c’est décidé, demain j’essaye FCP X 10.4 au bureau
c’est moins dangereux
autant pour mes velléités de reprendre la guitare
mais c'est pas rave
je vais aller m'acheter un micro usb
et je ferai du Garage Band sans les mains

JW, le roi du cut

En ce qui concerne la compile, je ferai la pochette plus tard,
je suis au bureau
si vous croyez que j'ai que ça à faire...


http://www.mediafire.com/file/u0u8dwp8riy8261/2018_no-w0man-no-p0rn.zip




[Mercury Records Audiophile Deluxe Edition] 

 [Edit] 

Stephen Jourdain m'a appelé pour savoir où j'en étais avec la pochette.
J'avais complètement oublié.
La voici.


jeudi 3 décembre 2015

Les Vivants (II) : Matt Johnson : Sweet Bird of Truth (1986)

Suite cryptique en sous-sol du billet d'hyènes d'hier.
Comme dirait Rick Degen, caché dans ce dessein, ivre mort à en faire pâlir les poissons violants sur le pont du Charles De Gaulle :

Et toi, fantôme de Matt Johnson, où te c-a-c-h-e-s-t-u, mmh ?

Et ton corps disloqué
Hante-t-il l'archipel que peuplent les sirènes ? 

Toi qui fus l'auteur de "Sweet Bird of Truth", sur le meilleur album de rock du monde de la semaine, qu'on ne peut même pas visionner sur Youtube ?

Bien sûr, il existe des solutions souterraines, à la limite de la légalité.

Pas de ça chez nous.
Alors on se rabat sur Infected.
On finit toujours par se rabattre sur notre second choix, c'est ça le drachme.
On devrait pas faire de compromis avec soi m'aime.
Ca nous gruge.
Donc,  Infected, ok.



Mais quand même, c'est pas la même.
Je me vois pas demander à Jésus "Infect me with your love".
Y'a des limites.

Alors, je me tourne vers mon gang de limiers & succubes détrousseurs de charognes, qui ont tôt fait de me ramener le fichier du darknet.
Après quoi je n'ai plus qu'à l'encoder, et lui faire passer la frontière sous une fausse usurpation d'identité non nominative, pour ne pas éveiller les soupçons du Ministère du Blasphème et du Download®.
Et hop !



And the bloody lyrics :

Arabia, Arabia, Arabia
6 o'clock in the mornin'
I'm the last person in this plane still awake
Y'know, I can almost smell the blood washin' against the shores
Of this lands that can't forget it's past
Oh, the wind that carries this plane
Is the wind of change, heavensent an' hellbent
Over the mountain tops we go
Just like all the other G.I. Joes, ee-ay-ee-ay-adios
This is your captain calling, with an urgent warning
We're above the Gulf of Arabia, our altitude is falling
An' I can't hold her up, there's no time for thinking
All hands on deck, this bird is sinking
Across the beaches an' cranes, rivers an' trains
All the money I've made, bodies I've maimed
Time was when I seemed to know
Just like any other G.I. Joe
Should I cry like a baby, die like a man?
While all the planets go to war, start joining hands
Oh, what a heaven, what a hell
You know there's nothing can be done in the whole wide world
Arabia
I don't know what's wrong or right
I'm just a regular guy with bottled up insides
I ain't ever been to church or believed in Jesus Christ
But I'm praying that God's with you when you die
This is your captain calling, with an urgent warning
We're above the Gulf of Arabia, our altitude is falling
And I can't hold her up, there's no time for thinking
All hands on deck, this bird is sinking
Arabia, Arabia, Arabia

Je n'en disconviens pleutre :
A'nouar, mais en plus elle ça date de 1986, le Pirée devant nous.
Quand j'aurai 5 minutes, j'enregistrerai une version karaoké avec mes poules, furieusement tendance.

lundi 16 décembre 2013

Une balade dans les Rocheuses (2013)


Le problème quand on part en vacances vers des pays lointains, c'est qu'on se dit qu'on va ramener quelques images. On embarque avec une petite caméra de poing, parce qu'on veut pas s'emmerder avec un pied et des accessoires, et on rentre après 8000 km de bagnole avec une hernie discale, des galères impensables avec les mormons loueurs de bagnoles à Salt Lake City, un bon burn-out dans les dents et 9 heures de rushes complètement inintéressants, et qu'est-ce qu'on va en faire ?
Ben, un clip, pardi.