Affichage des articles dont le libellé est downtempo. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est downtempo. Afficher tous les articles

jeudi 16 octobre 2025

OM - BBC Radio 1 (2019)

Blasphème ou Révélation ?
Théophanie ou marchands du temple ?
Quand il était petit, le groupe OM produisait une sorte de doom metal hypnotique, fruste et masturbatoire, qu'ils eurent la bonne idée, un jour qu'ils revenaient bredouilles de la cueillette des champignons, de pimenter aux chants liturgiques. 
Une guitare basse furibonde et placide qui ferait peur à Lemmy Kilminster, un bûcheron bien membré à bord d'une moissonneuse-batteuse qui a coûté un bras en leasing au Crédit Agricole, et ce nappage de chants religieux issus des trois monothéismes de l'Occident. Et un peu de sitar et de tablas, voire du violoncelle (qui inspire la même terreur sacrée que le mellotron dans les vieux King Crimson) et éventuellement des voix féminines quand le budget le permet, parce que ça fait vendre. Oh dis donc mais c'est que ça commence à faire du monde en studio, je ne sais pas si la production va payer le déjeuner de tous ces gens à la cantine ce midi. Et puis, nous vomissons l'Islam politique, mais apprécions les extraits du Coran psalmodiés par un muezzin en goguette, à partir du moment où c'est remixé par des Occidentaux, comme David Byrne et Brian Eno dans My life in the bush of ghosts, nous n'y voyons nulle hypocrisie, on s'en fout de ce qu'il psalmodie, parce que ça fait joli et que nous n'en sommes plus à une contradiction près.

Nos joyeux lurons sont doués pour
enchaîner d'entrainantes gigues
Lors de la dernière pandémie, comme ils tapaient comme des sourds et déclamaient des textes hermétiques d'un air arrogant,  j'ai trouvé OM très sain(t), et pour contrer les effets délétères de la prochaine, je suis en quête d'un nouveau substitut sonique, dans la même gamme de coloris, et c'est pas facile. Car OM n'a enregistré que 3 albums studio entre 2007 et 2012, ceux qu'on trouve sur l'étagère du haut de cette page de Pitchfork, et qui creusent le macro-sillon de la pollinisation croisée entre la spiritualité fastueuse de Dead can Dance et les rototos acidulés du Pink Floyd période Set the secrets for the heart of the sun, période qui n'a duré que le temps de ce morceau, le tout finement entrelardé d'un hachis de doom / stoner, en tout cas ce sont les étiquettes qu'on leur colle le plus souvent.

Est-ce que ça fâcherait Dieu d'être immortalisé 
sur une pochette de disque de rock ? 
c'est mon album préféré, 
et c'était déjà la fin.
Il existe aussi une quantité d'EPs sur scène, d'une thrashitude lassante car un peu morne. Le doom, au départ on se dit que c'est sympa pour les groupes qui ne savent pas jouer, ils participent à la sarabande metal, un peu au ralenti, en léger différé, comme des personnes en situation de handicap et sous lithium, alors les piles durent trois fois plus longtemps. 
La légende de Saint Wiki, auquel il est judicieux de faire l'offrande d'une dizaine de sesterces en ce moment, raconte qu'ils auraient donné des concerts qui duraient 5 heures à Jérusalem, tellement ils jouaient lentement, et BHL y a trouvé matière à les accuser d'antisémitisme, alors que c'était peut-être juste de l'antisionisme. 
Va savoir. 

En tout cas, sans pouvoir deviner si la démarche mixant doom et religiosité de façade était putassière, émanant de prétentieux qui se la pètent, ou au contraire relevait d'une élévation spirituelle et artistique à faire pâlir bien des candidats à la crucifixion, ils étaient bien partis pour monter en puissance avec leurs arrangements de plus en plus chiadés, sous la houlette de Steve Albini, et puis l'aventure tourna court. 
Snif. 

Méfions-nous, car le groupe peut rester en sommeil pendant des décennies, tel Cthulhu lové sur lui-même, quand on est plein de tentacules c'est fastoche, dans les profondeurs englouties de R'lyeh-la-vieille, au fond de l'océan Pacifique où meurent les récifs coralliens sous les coups du GIEC, attendant le moment où les étoiles seront alignées pour se réveiller et reconquérir le monde, et d'un seul coup  il y a ce live de 2019, enregistré dans les studios de la BBC, que même ChatGPT a été incapable de me trouver une explication, à part d'aller repomper les données sur discogs.com, et il est pas mal, ce live, à part qu'il n'est plus disponible sur bandcamp, dont acte. 
Il donne une bonne idée du potentiel de OM, et puis maintenant que les otages israéliens survivants sont libérés et que les dead can dance, ça vaudrait le coup de refaire un concert à Jerusalem, un peu moins bourrin que la dernière fois. Ou alors à Gaza. Unplugged dans les gravats, s'il le faut. 
Ca serait pas pire.

les liens qui libèrent pas :

https://www.sputnikmusic.com/review/51084/Om-Advaitic-Songs/

https://theobelisk.net/obelisk/2019/10/23/om-bbc-radio-1-review/

mardi 8 juillet 2025

Psychopathologie du téléchargement illégal

Au bout d'un moment que je bourrine des sites de vente en ligne et que je découvre de nouvelles pelletées de romans de lui dont j'ignorais absolument l'existence, je me rends compte que j'ai envie de Silverberg comme j'aurais envie de clopes, d'alcool ou de porno. Pour apaiser la tension née d'un désir insatisfait et auto-engendré.
Trop ballot.

Ca fait des lustres que je prétends écrire un de ces jours un article sur la psychopathologie du téléchargement illégal; pas quelque chose sur les conséquences néfastes du vol à l'étalage cybernétique sur le commerce ou la culture, non, rien que du vécu, de l'intime, quand ça tourne mal du point de vue des utilisateurs. Le titre de l'article divulgâche quelque peu le contenu attendu. Psychopathologie, ne riez pas, car comme l'alcool, la dope, le gaz hilarant, les playlists Spotify ou la pornographie, le partage de fichiers peut devenir une passion néfaste, débouchant sur une addiction, et la malédiction des fichiers hébergés sur disque dur ouvrir un enfer un peu pénible à traverser, pour soi et pour ses proches, une fois qu'on est prisonnier de l'inutile
(cf le tuto de la soluce : si tu traverses l'enfer, surtout ne t'arrête pas, disait Churchill, et n'oublie pas de ramener le pain, ajoutait sa femme.)

le geek intrépide, juste avant de se lancer dans l'aventure
de traverser l'enfer sans slip de rechange 

Je crois que l'heure est venue de me confesser devant mes cyber-pairs. Cette arlésienne de l'article remis à tantôt n'a que trop duré, et mon état s'est aggravé pendant des éons, longtemps avant que le ministère du Blasphème et du Download me tombe dessus, et je lève le pied grâce à la riposte graduée avant que ça finisse encore plus mal que ça n'avait commencé.
___________________________________________________________________________________
Deuxième avertissement – Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom)
Madame, Monsieur,
 
Il a de nouveau été constaté, par procès-verbal, le dimanche 16 mars 2025 à 06 heures 19 *, qu’une ou plusieurs œuvres ont été téléchargées ou partagées depuis votre accès à internet, en violation des droits d’auteur. Ces faits peuvent constituer une infraction pénale.

Faits :

Vous avez souscrit un abonnement à internet auprès du fournisseur d’accès à internet ORANGE/FRANCE TELECOM, vous êtes donc légalement responsable de l'utilisation qui est faite de cet accès. Vous avez déjà reçu une première recommandation par voie électronique (chris**.p*@orange.fr) le 5 mars 2025 car votre connexion a été utilisée pour mettre en partage, sans autorisation, des œuvres protégées par le droit d’auteur.

Depuis, de nouveaux faits ont été constatés à partir de votre accès internet :

  • L'album/La compilation/L'œuvre musicale « Fortaleza » de Bernard Lavilliers le dimanche 16 mars 2025 à 06 heures 19 (GMT), par l'intermédiaire du protocole « BitTorrent » (logiciel qBittorrent) , depuis l'adresse IP 2.1*.1*.1**

Conséquences :

Si, malgré les avertissements reçus, votre accès à internet est à nouveau utilisé pour des mises en partage d’œuvres protégées, vous êtes passible de poursuites devant le tribunal de police pour contravention de négligence caractérisée. Vous risquez alors une amende d’un montant maximum de 1500 € (7500 € pour les personnes morales) en application de l'article R. 335-5 du code de la propriété intellectuelle.

Pour plus d’information à ce sujet, vous pouvez consulter le site internet de l’Arcom : https://www.arcom.fr/

Le téléchargement illégal prive les créateurs de leur rétribution et représente un danger pour l’économie du secteur culturel. Il vous expose en outre, vous et votre entourage, à des contenus inappropriés (pornographie, violence) ou malveillants (virus, spams).

Comme le prophétisait Ptiluc dès 1985, la gratuité ne résoud pas tous les problèmes.

Je me suis fait gauler à partager "Fortaleza" de Bernard Lavilliers, putain, avec Nanard, on est entre rebelles ! Fortaleza, sur l'album Pouvoirs, le brulôt anticapitaliste que j'avais acheté en vinyle en sortant du lycée en 1978 !
Je suis vexé. J'ai acheté et racheté ce disque, et on me menace comme si j'étais sorti de chez le disquaire avec un skeud sous le zonblou, et que ça se voyait un peu. Faut dire que les disques Longue durée 30cm, c'était sans doute pas facile à tchourer. Alors qu'avec internet, et l'immatérialité des fichiers... peut-on parler de lâcheté numérique ?
Et ce qui me blesse, aussi, c'est que je me croyais immortel, surtout depuis mes 2 cancers, et intraçable sur le Net. La menace de la sanction me démontre que j'avais surtout perdu le sens des réalités. Mes proches ne comprennent pas pourquoi je m'adonne à cette passion funeste du "partage" (le fait d'héberger les fichiers et de les mettre à disposition des autres internautes quand mon ordi est allumé), et me suggèrent de souscrire un abonnement Netflix. Si je me contentais de streamer un contenu ou de faire du direct download, j'aurais pas ces soucis : seuls les adeptes du partage en réseau sont accessibles aux gendarmes : la Hadopi (aujourd'hui l'Arcom) ne peut intervenir que contre l’utilisation de réseaux P2P, où les partages de films ou d’albums de musique sont réalisés sur la place publique, à l’exception des rares réseaux P2P chiffrés.
C'est vrai que si je me fais choper, la troisième fois c'est 1500 €, quand même. On peut en acheter, des Blurays, avec ça. Mais je n'ai pas de lecteur Bluray. A un moment donné, je n'ai pas eu envie de racheter en Bluray ce que j'avais déjà acheté en VHS, puis en DVD, et je me suis laissé tenter par l'illégalité. Où l'offre, en quantité comme en qualité, était bien supérieure à ce qu'on trouvait sur le marché officiel.

Heureusement, on ne peut pas télécharger illégalement le pain
(ça serait la ruine des boulangers)

Je me demande un peu où est passée notre fougue à diffuser et à incarner les intuitions de Roland Barthes sur la société de consommation, insistant sur le fait qu'elle crée une dépendance où les individus sont encouragés à acheter toujours plus de biens et de services pour atteindre le bonheur et l’épanouissement et dénonçant une société qui privilégie l’apparence et la superficialité au détriment d’une véritable compréhension et d’une réflexion sur les enjeux sociaux et culturels. Faut croire que comme l’alcool et les cravates de notaires, les séries télé et les intégrales des bootlegs de Bob Dylan sont puissantes, déroutantes, sournoises. La sédation est profonde. Le capitalisme nous réserve à chacun selon ses goûts un anesthésiant de première bourre. Aah ça, j'en ai vu, des films et des séries, et j'en ai stocké 10 fois plus sur mes disques durs, mais en x années de téléchargement clandestin, je suis devenu un genre un peu exotique de gros con, un rebelle qui regarde sa télévision piratée après y avoir bossé toute la journée. C’est pour ça qu’y tourne en boucle. Je vois ça grâce à la méditation, que je reprends maintenant que je peux m'asseoir sans souffrir de la pièce manquante autour de mon premier chakra. Alors allons-y pour la complainte du repenti, le return de la revenge of son of Hadopi. Malgré tous mes efforts, je ne parviendrai jamais à égaler le style d'Alexandre Vialatte dans son recueil d'articles "Et c'est ainsi qu'Allah est grand". Desproges lui doit beaucoup. Ou alors ils s'abreuvaient à la même source poétique. L'esprit souffle où il veut. Mais quand ça veut pas, ça veut pas.

l'important, c'est de reconnaitre son erreur

Au début des années 2000, j'ai été comme beaucoup d'autres geeks attiré par les sirènes du BitTorrent. Ce protocole de partage de fichiers "de pair à pair" permettait à chaque internaute de devenir à la fois serveur et client de ses semblables; pas comme dans un bistrot, non, comme dans un réseau informatique; je finis par être recruté sur des trackers privés, ces serveurs qui facilitent la recherche de pairs (seeders et leechers) pour le partage de fichiers via le protocole peer-to-peer, réservés aux membres inscrits, avec souvent des règles de ratio pour limiter l’accès, et je vis s'ouvrir à moi des casernes d'Ali-Baba, remplies de rayonnages à l'étendue vertigineuse, des entrepôts Amazon sans caisse de sortie, à s'en prendre les pieds dans l'étagère du bas quand on lève la tête pour contempler l'armoire qui monte jusqu'au ciel, et là c'est le drame. Chez les trackers privés, c'était une pépinière de cinéphiles, qui encodaient eux-mêmes, trouvaient des sous-titres à des films improbables et introuvables sur le marché légal. Les mots-clés, chez moi, c'était curiosité, avidité, immunité. A mon tour, je me suis formé, j'ai traduit, j'ai sous-titré, j'ai encodé, j'ai partagé. C'était tendance. Le royaume de la copie privée. Avec la même émulation que dans les années 70, quand on recopiait les disques vinyle qu'on achetait dans le commerce sur une cassette audio, pour dépanner nos camarades de lycée, mais avec ici un effet démultiplié par le réseau de potes "virtuels". Les cassettes analogiques, audio ou vidéo, supportaient mal la recopie, alors que du fait de la non-altération de la copie numérique et des commodités du réseau "de pair à pair", on peut cloner et recloner le même fichier à l'infini, il reste identique à l'original. Même si j'ai perdu beaucoup de temps à me pâmer devant cette alchimie, ça reste plus fascinant pour moi que les embardées de ChatGPT.

La corne d'abondance est le symbole 
de cette offre pléthorique sur les réseaux
En fait, l'article sur les ravages du pire-to pire est quasiment rédigé dans cet état des lieux de 2014.
Je me plaignais déjà de la surabondance de l'offre, de la sensation d'étouffement et de mon épuisement à chercher la pépite qu'il me fallait absolument ramener pour justifier les heures que je passais à chercher quoi regarder. Alors c'est vrai que j'ai consommé films et séries gratuitement jusqu'à plus soif, que je me prenais pour un petit malin qui niquait Babylone, auquel la réponse répressive aurait été synonyme de l’obscurantisme des partisans d’un droit d’auteur maximaliste, complètement inadapté à l’ère numérique, qui refusent de voir que le partage est au fondement même de la culture et de la création (La quadrature du net).

les vraies femmes ne se téléchargent pas.
Elles se vivent au quotidien.
Au début, je me disais que je ne piratais que les majors, mais finalement les trucs mainstream ça me fait rapidement suer, donc j'ai commencé à emprunter des films indépendants à cette médiathèque de prêt à très long terme, et après j'ai énoncé que si une œuvre piratée me plaisait je l'achetais, mais dans les faits ça ne s'est traduit que pour les livres et les disques (ce qui est déjà pas mal). Qui irait voir au cinéma un film qui lui a plu en version tombée du camion ?
Sans parler de l'antéchronologie quantique : quarante-sept ans après avoir acheté le Pavane de Keith Roberts en livre de poche à la Librairie du Centre de Perros-Guirec, je me rappelle soudain ne pas l'avoir lu, j'en emprunte une copie numérique sur z-library, et là, je le lis ! Je considère en avoir déjà acquitté les droits jadis, donc ça ne me pose pas de problème insurmontable. Pavane est une uchronie de la fin des années 60, qui préfigure la SF steampunk. Mais après ça, où trouver  les Seigneurs des moissons, paru en France dans le Galaxie bis n° 73 de 1981 qui contient les nouvelles de l'auteur situées dans le même univers, mais qui n'ont pu trouver place dans Pavane 
C'est encore z-library qui gagne à tous les coups. Aucun libraire ne peut se procurer le Galaxie bis n° 73 de 1981. Sauf moi qui ai dû les diffuser quelque part sur ce blog parce que justement, ils étaient introuvables ailleurs. Et où se procurer tous les vieux disques que Gérard Manset a envoyés au pilon depuis des décennies, au fur et à mesure qu'il devenait plus bougon et mécontent de son œuvre passée ? Hein ? hein ? nulle part ailleurs qu'au sein de communautés privées d'adorateurs qui partagent leurs reliques en peer-to-peer. Et l'intégrale d'Henri Salvador, qu'il fallait rendre disponible quelque part puisqu'elle ne l'était pas ? ah non, ça aussi, je l'ai mise sur mon blog
Mais avant, je l'avais bien trouvée sur un réseau. 

Les cyberpotes qu'on se fait dans les communautés 
peer-to-peer prennent un malin plaisir
à travestir leur identité avec un VPN facial
Et je constate depuis que j'ai acheté une télé connectée que le téléchargement illégal est désormais totalement obsolète en tant que pratique culturelle (en plus d'avoir une facture carbone rédhibitoire, parce que déplacer des gigaoctets, ça fait fumer les serveurs en basse-Californie, ce qui provoque ensuite des déluges au Texas où ne périssent pas que des climato-sceptiques) puisque l'offre légale, ne serait-ce que tous les replays disponibles sur Arte, décourage toute tentative de contre-programmation avec un lecteur multimédia lisant les fichiers .mkv en 4K : tous les films et toutes les séries seront un jour prochain disponibles  sur une plate-forme gratuite, alors à quoi bon se faire suer le burnous ? 
Je vois dans Télérama que l'émission Rembob' INA de Patrick Cohen est consacrée cette semaine à Raymond Devos et rediffuse une archive des années 70, vite je la télécharge tout de suite avec l'aspirateur video downloadHelper sur le site de la chaine LCP... puis je découvre qu'elle est disponible en replay sur ma télé Orange. Le plus excitant c'était de la télécharger... pour les dépendants à la nouveauté, allergiques au cinéma en salle mais pas au fait de voir un film avant tout le monde, il y a deux arguments. Celui entendu il y a quelques siècles sur le forum du cafard cosmique, à propos des excès de la vie digitale :

"Le fait qu'il y ai de bons acteurs pourrait encore à la rigueur donner envie d'aller voir le film afin qu'ils soient rémunérés en conséquence, et que cela leur donne la motivation de continuer, mais l'écart entre leurs bénefs et ceux des grands pontes est tellement terrifiant que je préfère garder mon fric. Toutefois ce n'est pas pour ça qu'il ne faut pas aller le voir, j'ai toujours bien aimé les Harry Potter....Téléchargés.
- Je ne comprends pas... Tu ne veux pas payer pour les films Harry Potter, mais tu les aimes bien? Genre tu vas aux putes, tu t'amuses bien, et au moment de payer tu t'enfuis en sautillant, le pantalons sur les chevilles, parce que les macs c'est vraiment des connards ? je suis choqué."

Le Chadopi est moins affectueux
que Chat GPT, mais
quand il vous tient, il vous lâche plus
L'esprit souffle où il veut et l'intelligence est toujours un régal pour l'intelligence, où qu'elle se manifeste et se déploie. L'autre argument est de nature technoïde : le délire du "partage", c'est vraiment les années 2000/2010, aujourd'hui une nouvelle génération de fripouilles arrive sur le marché avec du streaming décomplexé de qualité, dans des tavernes bien louches comme Rogzov
ou Stremio, qui fait encore plus fort : si on le configure correctement en installant le plug Torrentio, il offre un catalogue cinéma et séries stupéfiant, qui va de l'Antiquité à nos jours; sur le plan technique j'ai l'impression qu'il vampirise des fichiers Bittorent. Je ne sais pas si c'est très moral : les pirates peuvent-ils impunément se pirater eux-mêmes ?
"Only thieves can steal from themselves
Only the stupid cam learn
Only the prisoner can be set free
Only the dead can live"

Et si j'empile et thésaurise trop de films tombés du camion dans mon disque dur sans les regarder, convulsé par des fièvres de gloutonnerie numérique, je deviens moi aussi, comme Gérard Manchié, prisonnier de l'inutile; la frustration augmente, bien plus vite que la vitesse de download. Comme disait Clémenceau, le meilleur moment de l'amour, c'est quand on monte l'escalier. Et le meilleur moment, dans le bitTorrent, c'est quand ça télécharge. Encore que si je n'avais pas aspiré illégalement la musique du film Arrival, je n'aurais pas trippé à mort dessus, je n'aurais pas utilisé Heptapode B dans un reportage monté hier pour la station de télévision où j'officie, et je n'aurais pas déclenché des royalties pour Jóhann Jóhannsson. Bon d'accord, il est mort, mais un jour, quand ils liront ce blog, ses ayants-droits me remercieront.

les effets pervers de la riposte graduée
(quand tu pirates l'adresse IP de ton voisin)

Quand on a attrapé le virus du partage numérique, on  n'en a jamais assez. Parce qu'on passe de plus en plus de temps à surveiller ce qui sort, à capturer dans ses filets ce qui tient sur le disque, au mépris du temps d'écran télé disponible pour regarder tout ça; on veut tout voir (sous-entendu que le meilleur sera toujours assez bon pour nous) et on finit par ne plus allumer sa télé, parce que la traque nous a épuisé et mis sur le flanc; sur le plan psychopathologique, il y a 19 ans je notais à propos d'autre chose que 
des concepts tels que subtiliser, en cachette et jouissance se sont très nettement agrégés au sein de ma conscience diurne qui s’en est retrouvée brusquement onirisée. Il y a quelque part en moi l’idée que l’impossibilité existentielle d’accéder au plaisir induit la recherche délinquante de braconner celui de l’autre.
J'observe qu'il y a aussi un peu de cela dans cette satisfaction impossible de la pulsion scopique. Bon, allez, on se calme, d'autant plus que l'urologue m'a dit hier qu'il fallait faire le deuil de l'érection, sauf à envisager des piqûres dans la verge, ce à quoi mon romantisme et ma femme répugnent pour l'instant. Sans parler de la pharmacienne, qui ne voudra jamais venir me piquer à domicile. Pour l'instant, j'ai encore l'impression d'avoir prêté ma prostate à un ami dans le le besoin, et qu'il tarde à me la rendre. 
Je le comprends. 
Mais avec quoi vais-je compenser ce manque, si j'en crois la prophétie auto-réalisatrice freudienne deux lignes plus bas, si j'arrête de télécharger ? 
Le renoncement, c'est bien joli comme concept, mais dans les faits nous ne savons renoncer à rien, nous ne savons qu'échanger une chose contre une autre. (en fait c'est pas une prophétie, mais un postulat). Force est de constater que quand je consacre 1 heure par soir à la lecture, ça va quand même mieux, intellectuellement, que si je me fais subir Mad Max : Furiosa en 2160p sur ma Samsung The Frame 55 pouces. 
Et en plus, ça fout la trouille au chat. J'ai totalement perdu mon objectif premier, qui était de passer un bon moment devant la télé. La technologie n'est pas neutre, et elle induit des usages dont nous n'interrogeons pas assez les présupposés. Alors que par exemple, Apocalypse : now version Redux, qui passe de 2h30 à près de 3h20, si on a une version 1080p, c'est absolument fascinant. Ainsi que les vieilles séries produites dans les studios de Villeneuve-la-Vieille, (Le prisonnier, datant de 1967 et dont il circule de nouvelles versions tellement remasterisées qu'on a l'impression d'avoir de nouveaux yeux, qui permettent de voir les épisodes enfin dans l'ordre), mais aussi toutes les séries du début des années 2000 qui flottent à la surface de la face lumineuse du Darkweb qu'on appelle dans notre jargon caverneux le Warez ) elles aussi dans de somptueuses versions restaurées, Les Sopranos, Six Feet Under, The Shield, Deadwood, Carnivale, Breaking Bad, qui sont animées d'une ampleur et possèdent un souffle romanesque qui n'a pas vieilli, par rapport aux séries bofbof de maintenant, alors vas-y, télécharge-moi tout ça, maintenant que t'as changé d'ordi ça devrait pas poser de problème, et puis sinon t'auras qu'à racheter de la mémoire de stockage)

Tel est pris qui croyait se pendre.
illustration by courtesy of Ador
En conclusion, qui trop embrasse, mal étreint. L'inconfort, la frustration née de l'errance dans les entrepôts culturels sans caissière sont insolubles dans le téléchargement illégal. Pour quelqu'un comme moi, avec une structure addictive, c'est comme boire de l'eau salée quand on a soif. Mieux vaut retourner au cinéma, avant que nos pratiques contre-nature l'aient tué.
Si en plus vous vous faites attraper la trompe dans le bol par l'Arcom, vous pouvez toujours recopier cette réponse de Numérama au bas de cet article, par ailleurs remarquable pour faire le point sur la chasse aux pirates.
Mais si entretemps vous avez pris un VPN pour continuer votre siphonnage décomplexé des réseaux sans vous faire ennuyer par l'Arcom, assurez-vous d'avoir correctement configuré le killswitch. Sinon, que Benalla vous vienne en aide. 
Pour mémoire, tandis que je rédigeais ce laborieux pensum, le dernier repaire de malfaiteurs sans but lucratif (ni ratio de seed / leech) dans lequel je mettais un peu d'animation est tombé en rade, peu avant que j'uploade l'hallucinante série John from Cincinnati de David Milch et Kem Nunn (2006). Que la terre leur soit légère.


[ Mise à jour du 20 Aout ]
un point de vue convergent sur le Cul-De-Sac Des Étagères Infinies, c’est à dire l’immensité de catalogues de contenus dans lesquels on passe davantage de temps à choisir quoi regarder plutôt qu’à simplement … regarder. Ok, c'est un problème de riche, mais n'est pas pauvre qui désire beaucoup, et si la réponse spontanée au problème (i.e. "la sobriété numérique") émerge d'elle-même comme la Vérité sort du Puits quand les Fake News n'y sont pas, la question suivante c'est comment parvenir à incarner cette sobriété.

À la question « quel est le prochain livre que vous allez lire » posée à Colin L. Powell, l’ancien secrétaire d’État sous Bush fils, dans le Book Review du NYTimes d’aujourd’hui, il répond:

« Sigh ». C’est ça le problème. Je n’arrête pas de télécharger de nouveaux livres sur ma liseuse, et je n’arrive pas à me décider lequel lire. Le désir d’acquérir des livres électroniques se fait tellement de façon impulsive, instinctive, que je ne sais plus à la fin ce qui se trouve sur mes étagères électroniques (e-shelfs). Et quand je regarde, j’y vois des titres que je ne reconnais même pas, ou du moins dont je ne me rappelle ni avoir voulu ou ni avoir acheté» (dimanche 1 juillet 2012, page 8)

http://www.zeroseconde.com/2012/07/le-cul-de-sac-des-etageres-infinies/

Je ne lui soufflerai pas l'adresse des Lecteurs Anonymes. Ce n'est pas un problème de lecture, mais de désir, et de compulsion, d'où nait l'empilage. Et puis, ça serait l'hôpital qui se fout de la charité.

jeudi 25 mai 2023

Eivind Aarset & Jan Bang - Snow Catches on Her Eyelashes (2020)

Ecouter le disque Snow Catches on Her Eyelashes, ça donne envie de savoir ce que ça veut dire, Snow Catches on Her Eyelashes. ChatGPT-3 me ronronne que ça veut dire "La neige s'accroche à ses cils".
Laisse donc Cécile en dehors de ça, s'te plait, mon GéPéTéounet.
A part ça, j'espère que c'est clair : on est dans le floconneux, au bord du grand silence ouaté en haut de la piste verte, et on n'y voit pas à 50 cm.
On a failli planter par mégarde son bâton dans le moniteur.
Heureusement que ça descend très doucement vers le Grand Rien, noyé dans le brouillard.
Cet album me revient et me hante jusqu'à ce que je le dépose sur ma tombe, après ça j'espère qu'il me laissera tranquille, parce qu'il distille une ambiance furieusement discrète et sourdement mélancolique. Mention spéciale à "Before the Wedding", d'une grâce élégiaque, qui semble figée dans l'ambre mélodique qui sied plus aux enterrements qu'aux mariages, même si l'un ne va pas sans l'autre.
L'atmosphère atonale et peu propice à l'expression de la chaleur humaine s'insinue par le conduit auditif, puis répand son narcotique granité à l'intérieur de mes cellules osseuses, prétextant intervenir en tant qu'anti-inflammatoire plutôt que comme anxiolytique
On est bien dans la mouvance bruitiste (mais souvent violemment silencieuse) électro-cold et absentéiste de David Sylvian, en tout cas depuis qu'il est retourné vers l'informe et un anonymat qu'on lui souhaite bienheureux, Arve Henriksen et les joyeux lurons de jazz ambient norvégien, Nils Petter Molvær, Anders Engen, Audun Erlien, Erik Honoré, Sidsel Endresen, Georges Warsen et Hilde Norbakken, dont l'égrénage laborieux des patronymes dans votre conversation fera s'écarter les gens de vous lors d'un cocktail de vernissage de votre blog où vous aviez pourtant fourni tous les petits fours, et ils ne vous rappelleront jamais. 
Mais pour ceux qui aiment, le disque est bien, et ça valait le coup. Bien que ça n'ait kouaziman rien à vouar avec la madeleine de Proust qu'était pour moi le kouign amann de la mère Ty Coz devant l'église de Perros-Guirec, beaucoup plus chargé en beurre et en sucre, mais mes artères de jeune enfançeau pouvaient le supporter à l'époque, avant que les ligues de vertu ne contraignent la pâtissière bretonne à élaborer un kouign amann plus léger, écologiquement responsable et digestivement soutenable. 
Si Eivind Aarset & Jan Bang étaient des pâtisseries, on serait à la limite de l'impalpable, et alors adieu bourrelets disgracieux.

https://eivindaarsetjanbang.bandcamp.com/album/snow-catches-on-her-eyelashes

Le frère de Jan, c'est Big. Mais sa soeur ne s'appelle pas Gang. Ou alors, je n'y suis pour rien.

ce qu'on en pense dans le Landerneau du jazz ambient atonal moldoslovaque :

https://www.allaboutjazz.com/snow-catches-on-her-eyelashes-eivind-aarset-and-jan-bang-jazzland-recordings

D'une durée d'environ quarante-trois minutes, l'élan vers l'avant de l'album sera suffisant pour entraîner la plupart des auditeurs et les laisser rayonner de contentement à la fin. Les passionnés de la scène musicale norvégienne contemporaine trouveront ici de quoi renforcer leur dévotion et les inciter à revenir pour plus. Ceux qui sont curieux, mais qui n'ont pas encore vu la lumière, sont invités à consacrer du temps à écouter sérieusement Snow Catches on her Eyelashes; convertis sont renvoyés à la liste mentionnée précédemment. Aarset, Bang et compagnie vont de mieux en mieux, tout comme la scène norvégienne. En avant et vers le haut.

https://jazzlandrec.com/snow-catches-on-her-eyelashes-eivind-aarset-jan-bang

il existe d'autres oeuvres de Eivind Aarset chroniquées sur ce blog, il faut juste chercher un peu à sortir de sa zone de confort.

https://jesuisunetombe.blogspot.com/search?q=Eivind+Aarset+

il faut aussi que je prenne le temps d'écouter ce mystérieux Jan Bang, impliqué dans une jungle de projets irradiants de silences explosifs (pour que le Big Bang fasse du bruit, il eut fallu qu'il y ait de l'air pour le transmettre, et des oreilles pour l'ouïr)

https://punktstillefelt.bandcamp.com/album/modest-utopias

https://arjunamusic-records.bandcamp.com/album/walk-through-lightly

https://jpshilo.bandcamp.com/album/invisible-you

https://jesuisunetombe.blogspot.com/2022/03/jan-bang-erik-honore-david-sylvian.html

jeudi 24 mars 2022

Jan Bang, Erik Honoré, David Sylvian, Sidsel Endresen, Arve Henriksen - Uncommon Deities (2012)

Comment échapper au chant d'amour
du Chicken of Depression
quand il est en rut ?
Quand ni Willem, ni Soulcié, ni même les dessins de Houellebecq dans Hara Kiri ne nous arrachent plus aucun rictus sangloté, quel onguent appliquer sur nos plaies ouvertes et nos jambes de bois ? Regarder des gens s'entretuer aux infos de l'ORTF, c'est encore pire que de regarder des jeunes forniquer pour des bons d'essence ou des tickets de pain sur les réseaux asociaux, car s'infliger des scènes insoutenables sans
 pouvoir interagir avec elles ni influer sur leur issue rend fou. C'est pourquoi depuis trois semaines, je ne regarde que des films de guerre. Ça me rappelle deux ou trois bricoles sur la nature humaine que j'avais dû perdre de vue, et pourtant j'ai lu le Bug humain de Sébastien Bohler, édifiant sur le sujet. Celui qui n'a pas vécu la guerre ignore tout des vertus de la prière, entendais-je début mars. Vertus que ne contestent ni l'église de Moscou ni celle de Kiev
Encore s'adressent-elles au même Dieu, celui des Orthodoxes. Mais comment le Dieu des Orthodoxes pourrait-il sanctifier cette boucherie - charcuterie ? 
hein ? 
A moins qu'il y en ait deux. 
Un par belligérant. 
Mais alors, comment ces Dieux peuvent-ils cohabiter dans le Cosmos, pas si infini que ça d'après le Grand Schtroumpf ? Et pourquoi le Dieu de l'Eglise de Kiev serait-il moins balèze au combat que celui de Moscou ? Ultimement, Lequel des Deux a la Plus Grosse Bistouquette Antichar ? Vastes questions, qui hantent les soldats des deux armées, et qui ont suscité une réponse originale chez David Sylvian, dans ce Uncommon Deities.

Marguerite Duras n'a pas écrit que des conneries,
elle en a aussi filmées (Desproges)
Car cela fait déjà trois décennies que, tel un déserteur de l'armée russe s'enfonçant dans les sous-bois en vouant Poutine aux gémonies après avoir dissimulé son char sous les branchages (comptez deux tonnes de fougères pour un char de taille adulte), David Sylvian progresse dans son intention de disparaitre complètement de nos radars, ne ménageant pas ses efforts pour sortir des albums de plus en plus confidentiels, n'hésitant pas à se confiner dans un silence explosif pendant des décennies entières passées dans les arbres, sans même que la caméra de Marguerite Duras puisse le surprendre à travers les feuillages, plutôt touffus en cette saison, qui est aussi la période optimale pour la nidification des déserteurs de l'armée russe. Ça en fait, du monde dans les arbres. Comme pour l'ouverture du Salon de l'Autosatisfaction, il y a foule.


Pour Uncommon Deities, David Sylvian a sans doute longuement médité le sketch des Monty Python "How not to be seen" dans sa cellule monastique. Parce que franchement, "plus arty que ce projet, tu meurs sur ma tombe, si tu te retrouves pas crucifié pour hérésie sur une porte de grange dans le bas-Berry". Mais même s'il s'est retiré du monde, qui a entendu une fois dans sa vie la voix profondément magnétique de David s'en rappelle à jamais et le cite de mémoire dès qu'elle s'échappe des frondaisons, même à la limite de l'audible et noyée dans des gazouillis électro-acoustiques. 

Son timbre est inimitable, et pour tout dire beaucoup moins oubliable que celui de Zemmour, par exemple, et c'est  le Pen perdue (qui sera pourtant au second tour, même si je louche sur les nichons à Mélenchon) pour s'effacer à tout jamais de nos mémoires, car je me souviens encore très bien par exemple de son album studio avec Robert Fripp (The First Day, très chouette) et du live mémorable qui s'ensuivit (Damage, très chouette aussi, dont les deux compères sortirent chacun leur propre version du mixage, tellement ils n'étaient pas fâchés).

l'affiche de l'expo : David Sylvian mimant
le chapeau de David Bowie, un must-have !
Alors qu'en ce moment, les programmes électoraux me glissent dessus comme un pet sur une toile cirée. Et pourtant, la Chine, l'Ukraine et le changement climatique se tirent la bourre pour faire avancer de quelques secondes avant minuit l'horloge de la fin du monde, donc ça serait sympa de trouver quelque chose d'intelligent à aller voter avant le Doomsday. Je peux faire mienne l'attitude de mon grand père : "peut-être que le parti se trompe, mais moi je me suis pas trompé de parti." La jouer conscience de classe en visite au Salon de l'Autocrate Islamo-Gauchiste. 
A moins que je me contente de prier, avec David Sylvian, quelques-unes de ces divinités infimes, peu connues et pas banales, comme Le Dieu de l'abdication progressiveLe Dieu des organismes monocellulaires, celui des Trous Noirs, celui du Silence (et dans Quel Oubli Tragique Il Croupit ! )


Sur un fin glacis musical de ses collègues expérimentateurs, David Sylvian interprète des poésies de Paal-Helge Haugen ayant pour objet des divinités subalternes et improbables, mais à la réflexion pas plus cons que les dieux mainstream (Jehovah, Mahomet, Russell Banks, Xi Jinping). Et tout cela a vraiment eu lieu, pas dans le Métavers, dans lequel on ne trouve déjà plus de terrain constructible, mais au sein d'une installation audiovisuelle conçue par David (dont on trouve encore des traces dans des lieux peu connus et mal éclairés d'internet), au cours du Punkt festival organisé chaque année à Kristiansand, en Norvège depuis 2005.

Un instantané du vernissage de l'expo. Ça fait pas rêver,
mais on était quand même mieux là qu'à Kiev.

Alors, réflexion post-moderne sur la perte de sens de nos sociétés trop libérales, ou énième tentative de Divid pour perdre son égo et décevoir son dernier fan, ce qui serait le signe d'un orgueil vraiment démesuré chez l'artiste déjà suspect d'une quête spirituelle qui a déjà bien plombé sa carrière depuis qu'il n'est plus un chanteur pop énorme au Japon ? Tenus par notre devoir de réserve, nous nous garderons bien d'épiloguer. C'est déjà pas mal que j'aie pu trouver les fichiers d'une oeuvre si confidentielle, alors que la moitié des serveurs russes sont en torche derrière le rideau de fer. Voici ce qu'en pensait un blog de micro-spécialistes, comme ça vous ne pourrez pas dire que vous n'étiez pas prévenus :

Ultra-rare : l'édition limitée et imprimée à la main
du guide des champignons toxiques et des poèmes
de Uncommon Deities passés par la bouche de David Sylvian

A cheval entre l'oeuvre radiophonique, la musique classique contemporaine et la musique improvisée, Uncommon Deities est une séduisante épopée moderne et envoûtante qui tente de tracer un arc entre les expériences collectives du controversé Manafon et les fulgurances expérimentales du chef d'oeuvre de David Sylvian, Blemish. Il résulte une œuvre blanche, un mariage délicieux avec le silence qui continue de tracer les contours d'une pop audacieuse et iconoclaste dont le label Samadhisound demeure la tête de pont.










Pour écouter le disque :

Pour aller plus loin et tout savoir sur les dieux pas connus :

- Les textes des poèmes sont cachés dans une base de données Soundcloud gérée par David depuis le Métavers, mais en général il suffit d'entrer le titre du texte dans un bon vieux moteur de recherche, comme j'ai fait ici avec le dieu des organismes monocellulaires :
ou celui des plus petits dieux
Le message est lumineux : si vous ne trouvez pas votre pointure, libre à vous de décrire puis de vénérer le dieu de la Facture Impayée, celui des Enculés Alcooliques, des Enfants Morts sous les Gravats ou du Déserteur caché dans les Branches.

Pour aller moins loin :
N'oubliez pas de visiter la chapelle du Dieu des enfants qui se laissent toucher (vu dans une petite église de Mayenne)

Pour aller nulle part : 
Continuez de respirer et de boire frais. Ça va passer. Tout est impermanent. 

jeudi 28 octobre 2021

Hector Zazou - Strong Currents (2003)

La pochette d'origine, classieuse
(je dis ça pour dissiper toute équivoque)

Il existe deux pochettes pour cet album, l'une assez élégante, l'autre beaucoup moins. C'est un des mystères de l'existence des directeurs artistiques à travers les âges. 

La réédition 6 mois plus tard, augmentée d'un titre
(pochette qui dissipe aussi toute équivoque, mais pas pareil)

Quand j'ai envie de pleurer sans prendre prétexte de réécouter Gérard Manset, j'écoute cet album d'Hector Zazou. Ou si je n'en ai pas l'opportunité, il me suffit de penser à la pochette version "mon cul sur la commode, avec la photo d'Hector mort au mur, et qui ne peut même pas en profiter, vu qu'il est du mauvais côté".
En effet, quand on est mort, la rigidité cadavérique nous interdit de nous retourner pour apprécier une paire de fesses dont nous n'avons pourtant plus l'usage (dans rigidité cadavérique, le mot clé c'est cadavérique, et non rigidité).
Voici un de ses projets les plus mélancoliques, sorte de symphonie trip-hop très 90's, tantôt anémiée, tantôt symphonique, réalisé avec une dizaine de chanteuses souffrant toutes d'une carence en lithium, l'ensemble se révélant d'une mélancolie brouillardeuse à ronger les os. Enfin, c'est l'effet que ça me fait, je ne veux forcer personne à ressentir mes états intérieurs qui sont copyright© moi.
Fragments d'une discographie zazouesque
Un article raisonnablement élogieux
où l'on peut en écouter des extraits, un peu comme à la Fnac quand le vendeur était d'accord pour fendre le cellophane du 33 tours sur la tranche et nous placer dans une cabine d'écoute, ce qui ne nous rajeunit pas.
Un autre
En tout une douzaine de titres souvent vaporeux, langoureux, cafardeux, mais le cafard susurré par une jolie voix féminine c'est quand même mieux que le cafard tout seul, des fois on jurerait entendre Björk, la chanteuse islandaise tellement ravagée qu'elle porte le nom d'un petit déjeuner aux céréales, d'autres fois la pulpeuse chanteuse de Elysian Fields, hé bien non, dans les deux cas on aurait tort. C'est pas elles. Mais on n'a pas peur d'avoir tort, ce qu'il faut craindre c'est le besoin d'avoir raison. 
Il y a sur l'album des chansons plus mortifères que d'autres. Mais le souci constant de Zazou de s'entourer de jolies femmes qui chantent avec suavité les effondrements de l'âme plaide en la faveur de quelqu'un qu'on ne peut vraiment suspecter de détester la vie, même s'il l'a quittée depuis. 
Parti pêcher le maquereau, Hector revint avec de belles morues. 
On pense aux remèdes à la mélancolie énumérés par Ramon Pipin dans Chèque baby chèque : "Je ne chante la solitude qu'entouré de vingt personnes / mes histoires d'amour sont prudes mais à tous les vices je m'adonne / les mélodies du malheur restent ma spécialité / et je mets toute ma ferveur à ne jamais rigoler." Certes, la stratégie d'Hector est plus subtile et n'inclut pas de dimension parodique; encore que, en contemplant la version 2 de la pochette, on puisse avoir des doutes. Et les photos du livret sont signées John B.Root, un pornographe qui eut son heure de gloire dans les milieuxXX autorisés; et alors ? Zazou est mouru en 2008, nous privant de la possibilité de l'interroger à ce sujet; s'est-il moqué du monde ou pas, avec ce trip-hop languide ? Rêvait-il de se taper son aréopage de chanteuses dépressives et mystérieuses, et ne le pouvant, il leur a sublimé des textes et des écrins musicaux pour les y enchâsser ? 
A la longue, la puissance vénéneuse des pièces du disque s'estompe, au profit d'un vague à l'âme complice. Si vous absorbez un champignon moyennement toxique tous les jours, l'effet du poison s'atténue. 
Autre cas : quand vous vivez avec un cancer, que vous apprivoisez, à condition d'être dépisté à temps, et que vous finissez par tutoyer. Si lui commence à vous parler, par contre, n'hésitez pas à consulter votre oncologue. Ou à lui passer Strong Currents. Les textes du disque semblent d'une insondable intimité. L'élégance le dispute-t-elle à la préciosité ? ou lui-colle-t-elle un atémi à la carotide, comme Chuck Norris ratatine Gérard Manset ? La gravité féminine qui nimbe le projet dans son ensemble est un peu intimidante, pour qui n'a jamais su parler aux femmes quand elles étaient en train d'enregistrer, parce qu'elles étaient bien capables de répondre "mais Chut-euh, tu vois pas que j'enregistre, connard ?"
Si l'on s'interroge sans fin, il faut alors scruter d'un oeil rougi par l'anxiété et le manque de sommeil les explications sur la genèse du projet :
qui n'expliquent rien en tout petit, mais évoquent bien le destin de Zazou, passeur.
Il faudrait sans doute fumer quelque chose de plus costaud que du CBD en écoutant ça pour avoir une révélation divine. Mais je ne fume pas de CBD, pour la même raison que je ne mange pas de cassoulet light.