vendredi 13 mars 2020

Lovecraft Facts (11) : Gilles25

Quand on lit "Epouvante et Surnaturel en Littérature", l'essai que Lovecraft consacre en 1926 à la littérature de terreur avant d'y engloutir le reste de sa vie consciente, on est abasourdi de sa lucidité et de l'étendue de ses connaissances; on sait qu'il a absorbé et digéré l'intégralité du roman gothique pour maitriser son sujet, mais quand même... Et que n'applique-t-il ensuite sa science à ses oeuvres ? ses fictions fantastiques postérieures seront hérissées d'épithètes désuètes et périssables, dans un style hyperbolique et suranné, à mille lieux des bonnes pratiques littéraires du livre de pétoche qu'il édicte. 
Aujourd'hui, je ne sais pas, il faudrait attraper un ado, le séquestrer dans une cave en restreignant son accès à la nourriture en fonction du nombre de pages de Lovecraft déchiffrées chaque jour à la lueur d'une chandelle de mauvaise qualité, parce que dérobée dans une église presbytérienne tombée en déréliction. Aurait-il seulement peur ? Si on l'interroge en le frappant patiemment à coups de bottin, il risque fort de louer les idées et l'inspiration du Maitre, mais de cracher sur le style, trop ampoulé pour les jeunes générations nourries au théorème sujet verbe complément sujet verbe complément du père Ellroy. Les jeunes de maintenant ne respectent plus les Grands Anciens, mais c'est parce qu'ils ne sont plus en état de les entendre, avec la débauche de distractions modernes qui s'offrent à eux.
Profitons-en pour lui souffler la bougie, renverser le broc d'eau sale et murer la cave avant qu'il nous transmette le coronavirus, le Président nous ayant révélé hier soir à la télé que les jeunes salopiauds sont porteurs sains de la pandémie, mes chers compatriotes, ça lui fera les pieds. J'espère qu'il a abrité Brigitte dans un caisson stérile, elle est dans le coeur de cible du virus. 

Les livres de Cthulhu,
c'est plus ce que c'était.
Bien sûr, lorsque nous dévorions fiévreusement des traductions low cost de Lovecraft, inconfortablement assis contre un des piliers du préau du collège, par de visqueuses et interminables après-midis d'automne, si un sentiment d’horreur nauséeuse s’emparait indiciblement de nous, c’est surtout parce qu'à l'époque, il n’y avait rien d’autre pour geeker : la télévision ne possédait que 2 chaines en noir et blanc, le magnétoscope, le jeu vidéo et l’internénette attendaient patiemment dans les limbes de l’imaginaire d’inventeurs pas encornets que quelqu'un pense à eux pour les faire advenir.
Aujourd'hui, bientôt un siècle après que le calvaire de sa vie terrestre ait pris fin, Lovecraft est revendiqué comme source d'inspiration par tout un tas d'artistes plus ou moins bien intentionnés et inspirés, hier j'ai vu un film soi-disant tiré de La Couleur tombée du Ciel qui tirait sur le rose bonbon - rose bonbon ! en lieu et place du vert-de-gris nauséeux que tout lecteur de Lovecraft a bien sûr visualisé en s'injectant la nouvelle d’origine, allons, vous divaguez.
Bien sûr, j’admets volontiers que mon vert-de-gris nauséeux n’est qu’une déclinaison qui m’est propre de son univers sale, et qu’il y a finalement autant de Lovecrafts que de lecteurs, et que c'est seulement la prétention de savoir qui est Lovecraft, qui peut donner lieu à cette confusion et ces malentendus. Libre à chacun de faire prospérer la franchise comme il le sent. On ne saura jamais qui était vraiment Lovecraft, bien que certains faits puissent être établis et qu'on puisse constater par ailleurs certaines malédictions objectives : ses phobies administratives raciales et réactionnaires, largement dictées par son milieu, son inaptitude à vivre de sa plume, les impasses qu’il a dû murer sur certains royaumes de l’existence humaine, faute de pouvoir y pénétrer.
Ca, pour murer, dans la fraternité des adorateurs du Calmar géant, on est là.
Mon vert-de-gris kryptonite, c'est même l'essence du totalitarisme : déclarer qu'il y a une réalité Lovecraft, et que tout le monde devrait la percevoir. Au plan imaginal, il y a autant de Lovecrafts que de consciences qui le perçoivent, et au plan ultime, Lovecraft est le seul à savoir qui il était, et il sera toujours le seul, dans les Siècles des siècles.
Et pendant ce temps-là, au final le film ressemble à ce que j’avais perçu/projeté émotionnellement sur l’affiche : moitié Disney, moitié Cronenberg. Et selon Houellebecq, qui commit en début de carrière une petite biographie du Grand Malade de Providence, pour Lovecraft, comme pour tous les racistes, l’horreur absolue, plus encore que les autres races, c’est le métissage.
Et quoi de plus métissé que ce film ?
Si Howard Phillips s’en retourne dans sa tombe, c’est bon signe : c’est qu’il est encore vivant.
Du coup, je suis repassé devant la cave murée l'autre jour, et j'eus la surprise d'y découvrir un feuillet hâtivement griffonné avec ce qui semble être des excréments humains qui dépassait de sous une brique.

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Envoyé 27 December 2019 - 13h25 :Jour 356 à la station spatiale orbitale. Il y a 7 jours que Gilles25 est né. Comme tous les autres, il a d'abord cru être l'unique Gilles. Quand je lui ai montré les autres, il a prétendu qu'ils étaient ses clones. il y avait Gilles12, encore en vie malgré ses blessures, Gilles 17, le Gilles à lunettes, et le Gilles obèse, le tout premier (à ma connaissance). Gilles25 s'est adressé au Gilles obèse. Sous les couches de graisse, il ne ressemblait plus à un Gilles mais le second lui a tout de même dit : comment sais-tu que tu n'es pas un clone. Alors le premier Gilles (à ma connaissance) l'a regardé et a dit : Quand je mange, je ressens une sensation. Cette sensation, c'est moi qui la ressens et non toi. Je pourrais la décrire alors que toi, tu ne pourrais que faire semblant, de l'extérieur. Voilà pourquoi, tant que je mange, je suis le premier Gilles. [...] Bien sûr, nous ne lui avons pas dit ce que Gilles mangeait ...
Ha ben voilà, tu vois quand tu veux ! j'ai descellé deux-trois briques pour le féliciter, en quelques lignes il était parvenu à reproduire l'essence de l'esprit du reclus de Providence, l'horreur naissant de l'implicite, du non-nommé... mais il m'a vite avoué qu'il s'était inspiré du film "Moon", de Duncan Jones.
Heureusement, il me restait un peu de mortier frais, j'ai tout rebouché.
Salauds de jeunes.

Le premier Gilles s'appelait en vérité Edouard - archive photo : 
au moment de la reprise du procès de "l'abomination de Karachi"
après le rejet de ses pourvois en cassation.
Ca fait encore plus peur que Lovecraft.

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