jeudi 10 mars 2022

Le petit Steve Roach illustré : Une année 2021

Into the Majestic (2021) 

Il y a des disques de Steve Roach qui ronflent et grondent comme un Alligator 427 en approche de Kyiv. Celui-ci, non. C'est même un disque de musique planante comme on n'en attendait plus de la part du recuit de l'Arizona : deux longues plages étirées vers l'infini, et sans doute au-delà, dorées au soleil intérieur de la bienveillance en harmonies majeures et cascades tintinnabulantes, majestueuses comme un Pape à Noël. The Spiral Heart est une rêverie chaleureuse et ouatée, parcourue de ponctuations rythmiques sobres et élégantes. Et pourquoi Steve a-t-il attendu tant d'années pour redécouvrir les vertus d'une stratosphère expurgée des gaz à effet de serre dont il abusa jadis ?
Into the Majestic déroule ses volutes de séquenceurs placides, lumineux, outrageusement lénifiants, qui paraîtront confits dans la sérénité et pour tout dire un peu plan-plan aux aigris crispés sur leurs certitudes que tout fout le camp, sauf l'impermanence et les accords de Minsk. Tant pis pour eux. Les autres seront ravis de faire du surf à la surface de ce lac de montagne miroitant. Le morceau a été créé en concert depuis la Timeroom, et a été diffusé en direct le 24 octobre 2020; le stream en est encore visible ici :

(4/5)
https://steveroach.bandcamp.com/album/into-the-majestic

Temple of the Melting Dawn
 (2021) 
en collaboration avec Serena Gabriel

Steve et Serena visitent le Temple de l'Aube fondue, main dans la main en grignotant du gruyère râpé. Il a amené ses synthés, elle a pensé à apporter ses flûtes, son harmonium de poche, tout ce qu'il faut pour faire une petite session live; sans oublier le picnic, car les femmes savent faire et même penser à plusieurs choses à la fois, contrairement aux mecs qui n'ont qu'une vieille pétoire à un coup. Hormis le morceau In Another Time, plein de charmes anciens et de secrets ouatés et luminescents, le reste se veut une invitation à la contemplation, mais ne m'évoque rien, malgré la présence d'instruments traditionnels. C'est spectral et diaphane, mais ça manque de corps, de narration, d'évènements sonores plus consistants que la trace des chips froissés sur la nappe de l'ambient. Quand Eivind Aarset et Jan Bang partent explorer les territoires inconnus qu'ils génèrent autour d'eux en faisant semblant de n'avoir jamais croisé Jon Hassell, on est toujours étonnés de se trouver là, en cet endroit. Steve et Serena ne font que susciter une somnolence coupable.



As It Is (2021)

Un album pour une fois varié dans sa palette de coloris : la moitié des pièces exsudent des climats vraiment travaillés et originaux (What Falls Away, Threshold Meditation, Emerging) tandis que l'autre moitié du bol contient de la soupe en sachet délayée à l'eau froide, avec les ingrédients habituels, sauf l'ingrédient secret, cruellement absent.

(3/5)



Live at SoundQuest Fest (2021)

Interminable pensum de cascades de friselis d'arpèges harmoniques texturés et programmatiques, sauf pour la dernière piste, sauvée de la langueur monotone par les boites à rythme tribales, comme on le voit sur la vidéo. C'est pas parce que c'est enregistré dans les conditions du direct que ça doit être aussi pénible qu'un disque studio. Evidemment, arrive toujours le moment où Steve lève le nez de ses machines et s'aperçoit que tous les spectateurs sont en train de quitter la salle, il tente alors de sortir de son trouble du spectre autistique en balançant quelques percussions synthétiques imitant à s'y méprendre les tambours d'un vieux sorcier de l'ayahuesca. Aah, si Peter Gabriel n'avait pas inventé par inadvertance le tribal ambient en faisant revenir à feu doux Peter Gabriel 4: Security dans sa cuisine numérique, le dark ambient n'aurait peut-être jamais vu le jour...

Peter Gabriel enfile son masque de chaman
pour faire une blague à son vieux chat cardiaque
Dans l'interview avec Alan Freeman fébrilement retranscrite dans le fanzine White Shadow (#3, pp12), Gabriel nous dit en substance : "J'ai retrouvé une conscience rythmique. Et l'écriture - en particulier avec l'invention de ces boîtes à rythmes - est fantastique. Vous pouvez stocker dans leurs mémoires des rythmes qui vous intéressent et vous excitent. Et puis le groove continuera sans vous , et le groove sera exactement ce que vous voulez qu'il soit, plutôt que ce qu'un batteur pense être approprié pour ce que vous faites."
Ici, dans Live at SoundQuest Fest (2021), à ne surtout pas confondre avec l'excellentissime Live at SoundQuest Fest (2011) il faut attendre le 4ème et dernier mouvement pour que Steve se rappelle de cette interview et retrouve la marche avant, comme avant. 
Ah c'est sûr que si tout le concert avait été du même tonneau, on aurait moins mégoté sur l'entouziasme. Du coup on va visionner la vidéo du non-évènement
et là, on capte l'aspect physique de la prestation (à partir de la cinquantième minute) vécue dans le champ expérimental et intersectionnel
et on fait un ajout à la Rétrospective qui fut la meilleure anthologie de Steve réalisée après l'écoute sous contrôle d'huissier des 257 albums de sa discographie récente

(2/5)

Beyond Earth & Sky (2021)
en collaboration avec Michael Stearns

Michael Stearns est surtout connu pour ses musiques de films documentaires méditatifs et anxiogènes, sauf pour les effondrologues (Baraka, Samsara) films qui s'inscrivent dans la lignée de la trilogie Koyaanisqatsi produite dans les années 80 par Francis Ford Coppola et qui dénonçait, je cite, "
les prémisses de notre société ultra-libérale, où tout est marchandise, même l’homme, tiraillé entre son désir de possession et l’asservissement induit par celui-ci." 

http://www.slate.fr/story/69837/samasar-un-autre-documentaire-est-possible



les musiques de Michael Stearns
dans les films de Ron Fricke,
c'est quand même quelque chose,
même sans la 8K Digital HD.
Surprise : en collaborant pour la première fois depuis 1995 avec Steve Roach, 
Michael Stearns lui apporte une syntaxe plus articulée, un espace plus vaste, et lui offre un vrai tremplin pour éviter l'appauvrissement cognitif et relationnel qui le guette chaque fois que sa femme oublie de planquer les clés du studio d'enregistrement et qu'il passe des journées entières à y faire ses petites expériences hébéphrènes : simuler encore et encore des phénomènes biologiques ou météorologiques en secouant quelques molécules dans une éprouvette, dans son labo creusé à flanc de montagne sous la salle à manger, puis réduire son interaction au minimum et se contenter d'observer ce qui se passe - c'est cela qui est donné à voir dans les vidéos de ses concerts : il se déplace précautionneusement entre des murailles de synthétiseurs analogiques, titillant un potentiomètre ici, effleurant un curseur là, attentif à ne pas interférer avec l'expérience en cours, comme si ses séquenceurs étaient bourrés de chats de Schrödinger. Ici, il y a des intentions, un tempo, des harmonies, de l'amplitude, tout ce qui fait défaut par défaut à son usine de galettes ambientes. Comme le résume un auditeur attentif : Just beautiful soundscapes that capture nature in all its glory.

(5/5)


Epilogue : je découvre que ♫ Piero Scaruffi's Music Database dispose de plein d'entrées sur Steve Roach. Je vais pouvoir comparer nos notes, pour voir s'il classe lui aussi Steve Roach à la rubrique des cavaliers de l'Apocalypse, au même titre que la Conquête, la Guerre, la Famine, la Mort, l'Epidémie, et la compile de John Warsen.

1 commentaire:

  1. Je vous préviens, si personne ne commente ma rétro 2021, je vais préparer celle de 2022.

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