mercredi 19 novembre 2014

L’Europe avance, vers le mal…

Extraits de l’excellentissime débat Emmanuel Todd / Henri Gaino chez Atlantico (version intégrale sur le site), survenu le 10 octobre.

Emmanuel Todd : Ce qui est caractéristique de l’Europe c’est de ne plus être dans la réalité du monde, de plus avoir de vision globale du monde, comme il en existe aux Etats-Unis, en Russie, en Chine ou au Japon. Cela dit,  l’Allemagne  développe  une vision et si elle reste longtemps le centre de l’Europe, alors l’Europe finira par acquérir une vision allemande du monde.

Ce que montre l’Histoire c’est qu’en général les politiques sont en retard sur les crises économiques.  On en arrive en général à une crise politique avant d’avoir résolu la question économique. Et ce que montre l’histoire des crises politiques, c’est que les tempéraments politiques nationaux sont très différents. En vérité, l’entrée en crise maximise la diversité  culturelle et les antagonismes. En 1929, les deux pays les plus avancés dans la crise sont l’Allemagne et les Etats Unis. Pour produire Roosevelt d’un côté et Hitler de l’autre. En France cela donne le Front Populaire. Ce sont des réactions fort diverses. Je sens monter une tension générale s’incarnant  en Europe dans une divergence des comportements politiques. En France, on est pris dans une farandole totalement démente associant une droite classique pulvérisée, un PS qui est devenu un vrai parti de droite, aile gauche comprise,  et un Front National prônant simultanément la solidarité nationale et la division de la nation entre Français anciens et récents. En Allemagne, ils ont comme en Suisse l’union de la gauche et de la droite, effet d’une organisation verticale de la société. Lorsqu’on dit que l’Europe est désormais le continent de “la” démocratie, (après avoir inventé le fascisme, le communisme et le nazisme soit dit en passant), on fait comme s’il n’y avait chez les 27 qu’un seul système politique. C’est faux. D’ailleurs, si les gens de l’UMP ou du PS étaient sérieux dans leur idée de faire comme l’Allemagne, ils gouverneraient ensemble.

La crise approche, la pensée unique évolue. La pensée unique des années 90  (pour moi pensée «zéro »), c’était l’infinie beauté du libre-échange, de l’euro, de la démocratie,  l’amitié entre les peuples, un pacifisme de principe. Sur ce dernier point nous pouvons identifier une mutation récente, effet de l’anxiété d’élites, politiques ou journalistiques impuissantes devant le détraquage du monde. Ce que l’on sent venir,  ici c’est un besoin de boucs-émissaires et une préférence pour la guerre: avec Bachar El-Assad, avec Poutine. La pensée zéro n’est plus pacifiste. L’Europe avance, vers le mal.On dénonce depuis un quart de siècle la xénophobie des couches populaires, mais vraiment, m’acharnant à essayer de comprendre la russophobie des élites, je suis arrivé à la conclusion que la russophobie, c’est tout simplement la xénophobie des élites. 


Pas de doute, Emmanuel Todd est toujours aussi passionnant.

Et en super-bonus :



« Quand vous prophétisez un conflit entre la nation américaine et le nouvel empire allemand, vous êtes sûr de vous ?

-Évidemment non. J’élargis le champ de la prospective. Je décris un futur possible parmi d’autres futurs possibles. Un autre serait une solidification du groupe Russie-Chine-Inde en un bloc continental s’opposant au bloc occidental euro-américain. Mais ce bloc eurasiatique ne pourrait fonctionner qu’avec l’addition du Japon, seul capable de le mettre au niveau technologique occidental. Mais que va faire le Japon ? Pour le moment, il est plus loyal envers les États-Unis que l’Allemagne. Mais il pourrait se lasser des vieux conflits occidentaux. Le choc actuel paralyse son rapprochement avec la Russie, complètement logique pour lui du point de vue énergétique et militaire, élément important du nouveau cours politique imprimé par le Premier ministre japonais Abe. C’est un autre risque pour les États-Unis, dérivant du nouveau cours agressif allemand.
Plusieurs futurs sont ainsi possibles mais pas une infinité ; 4 ou 5 peut-être…
Je me suis remis à lire de la science-fiction pour me décrasser le cerveau et m’ouvrir l’esprit. Je recommande vivement un exercice du même type aux gens qui nous dirigent, qui, sans savoir où ils vont, marchent d’un pas décidé. »

Parce qu'il n'y a pas que Twin Peaks et les musiques bizarres dans la vie...

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