Une erreur s'est glissée dans l'illustration : c'est la couverture de Metal #15 |
Dans un numéro de Métal hurlant, une drôle de signature est apparue. Celle d’un certain Joe Staline. Les lecteurs se sont interrogés. Qui est ce mystérieux Joe Staline ? Philippe Manœuvre ? Jean-Pierre Dionnet ? Un autre journaliste de Métal ? Un pseudonyme collectif que chacun peut emprunter à sa guise ? Nous n’avons jamais révélé son identité. Joe Staline est resté un inconnu célèbre, un mystère vivant, un éternel point d’interrogation. Je crois que l’heure est venue de lever le voile. Joe Staline, c’était moi. Enfin, la plupart du temps, à hauteur de 80 %. Dans 10 % des cas, c’était Manœuvre, et les 10 % restants se partageaient entre d’autres rédacteurs ou dessinateurs, comme Luc Cornillon. L’idée d’utiliser ce pseudo m’est venue en feuilletant un livre intitulé Joseph Staline, ma vie secrète, écrit par Alain Paucard, l’un des collaborateurs de Métal. Je l’avais déniché dans la librairie de celui-ci, un authentique repaire de gauchistes. Sur Internet, quelqu’un que je ne connais pas se fait passer pour ce bon vieux Joe en signant « Jo Staline », sans « e ». Méfiez-vous des imitations. C’est un faux, un fake, un imposteur, un usurpateur. Il n’y a qu’un seul et unique Joe Staline.Joe Staline était un autre moi. C’était mon garde-fou, celui qui me ramenait dans le droit chemin quand je m’égarais. C’était mon ange gardien, ou plutôt mon petit diablotin. Comme dans les dessins animés de Tex Avery, où l’on voit le loup entouré de deux démons qui lui indiquent la marche à suivre, et le pauvre loup ne sait pas quoi faire, on le sent perdu, tiraillé entre deux injonctions contradictoires. Joe Staline écrivait des choses que je ne pouvais pas me permettre d’écrire. Il était sévère avec moi. Il critiquait mes choix éditoriaux et mes lubies du moment. À Métal, j’avais choisi de ne pas avoir d’idéologie précise. Chacun était libre de dire, d’écrire et de dessiner ce qu’il pensait afin d’exprimer sa vision du monde. Je ne censurais personne, par conviction et par intérêt, car je tenais à ce que le journal accueille toutes les expressions. Il n’y avait que deux sujets tabous : l’antisémitisme et la pédophilie. Pour le reste, je laissais faire, même si je n’étais pas toujours d’accord. Joe Staline pouvait être réactionnaire. Quand on lui en faisait le reproche, il répondait par l’une de ses maximes favorites, selon laquelle « les avions à réaction avancent plus vite que les avions à hélices ». Il était beaucoup plus intelligent que moi. Il me servait à défendre un disque ou un livre que je ne pouvais pas défendre sous mon nom, car je me serais trouvé en contradiction avec un autre de mes articles. Il pouvait dire n’importe quoi, professer les idées les plus subtiles comme les pires stupidités. Il était l’enfant naturel de Léon Bloy et de Jules Barbey d’Aurevilly. Son esprit volait bien plus haut que le mien.