Henri Salvador n'est connu du très grand public que pour deux périodes bien identifiées : celle rigolarde des années 60, quand il fait le con avec des chansons rigolotes ("Zorro est arrivé", "Le travail c'est la santé"...), profitant à fond des débuts de la télé, de la vague yéyé et de l'invention du Scopitone (juke-boxe à vidéos qui trônait dans les bars) qui lui permet des festivals de grimaces, et puis celle en 2000 de sa renaissance en crooner impeccable sous l'égide de la chanteuse Keren Ann ("Chambre avec vue"), une dernière vie en guide de révérence-référence.Mais Salvador était beaucoup plus que cela, avec une vie musicale avant et pendant. Auteur-compositeur et bon guitariste dès les années cinquante (standards de la classe de "Syracuse", "Count Basie"...) et aussi - ce que révèle avec bonheur cette réédition-compilation du label Born Bad - tout au long des 70's, quand, en complet autodidacte (il était déjà son propre producteur dès les 60's, avec son label Rigolo), il s'installe un studio à domicile, empli de guitares, synthétiseurs, boîtes à rythmes, chambres d'écho, qu'il va utiliser seul. Une sorte de précurseur, qui produira là pendant une douzaine d'années en marge des morceaux destinés à Disney avec qui il est sous contrat, des chansons personnelles, bidouillées, expérimentales, publiées sur des singles-bides commerciaux dans un total anonymat. Des chansons qui sonnent aujourd'hui étonnamment modernes(...)
«Ma femme m'a tellement bien compris qu'à présent elle peut penser pour moi. Quand elle a une idée, pour ainsi dire, c'est une idée de moi!»
(Télé Magazine, 1972)
Jacqueline va le façonner et l'émanciper. Quand il l'épouse en 1950, c'est une jeune femme discrète et érudite qui prendra peu à peu en main sa carrière. Elle imposera ses vues et son tempo frénétique. Témoin du showbiz, Jacqueline constate que les artistes, écartés des discussions professionnelles, sont souvent spoliés. Henri brise tour à tour les chaînes qui l'unissent à Philips, Vogue, Barclay, son éditeur, son manager, son impresario, et devient autonome. Les Salvador se familiarisent avec les ficelles de la production, de l'édition, du pressage, de la distribution et de la promotion. Il y aura toujours chez eux de quoi enregistrer une maquette. L'appartement est truffé de magnétos. Un au pied de son lit pour la guitare. Un autre dans son bureau pour le Steinway. Sur tous les fronts il collectionne les hits, invente, parodie, adapte, produit."
(..) Avec sa console et ses bobines, Henri multiplie sa voix et harmonise à l'infini. Tout est fait à l'arrache mais non sans application. Il s'amuse avec les sons décalés des synthés, s'éclate avec les boîtes à rythmes. Il utilise tous les beats préenregistrés, teste les 'fill' en boucle pour générer des beats alternatifs, joue avec les vitesses, programme ses propres rythmiques parfois loufoques. Musicalement, ce virage artistique change le groove. Salvador s'est inventé un jazz mécanique qui prend son swing dans les guitares et son tonus dans les vocals. Peu doué à la basse, il se débrouille avec ses cordes et son clavier Moog. Pour habituer les auditeurs à ce nouveau style, la PAM produit d'abord quelques face B de 45tours – On n'est plus chez nous, ou l'histoire de deux scat-men interrompus par un passant qui cherche la place de l'Opéra. Puis une face A: Ah ce qu'on est bien quand on est dans son bain enregistrée dans la salle de bain, le hit de Noël 1970. Et enfin le premier album autoproduit : Les Aristochats, distingué par l'Académie Charles Cros en 1971. Jacqueline tient les rênes, la calculette et… les clés du studio où elle enferme parfois Henri pour qu'il compose. Il ne sort que pour travailler ses shows télé.
/////////// Pensées ultimes de John Warsen, tome XVI, p.396 et suivantes :
On n'est plus ici dans la veine du crooner jazzy, ni dans les délires franchouillards du label Rigolo, mais on n'en est jamais très loin non plus; il y a une prise de risque, un fourbi, des trouvailles, des trucs ratés, aussi, parce que ça s'entend qu'il est tout seul, un mec qui n'a peur de rien expérimenter, à plus de cinquante ans; bien sûr, il y a la disneyification rampante sur quelques titres, et les blagues populo, pas toujours très recherchées... Fallait bien bouffer... "La vie, c'est comme jouer du piano, c'est dégueulasse si tu joues faux" (in "Le bilan")
...du coup je trouve un bon article sur cet aspect peu reluisant de sa carrière
bien que ça soit sans doute moins pire que son soutien à Sarkozy en 2007... mais bon, qui me fera encore politiquement bander quand j'aurai 90 ans ? difficile de le savoir à l'avance. Surtout si d'ici là, les élections sont abrogées par décret.
Et comment qu'on vous suit. On se permet même de vous signaler
RépondreSupprimerhttps://radioherbetendre.blogspot.com/2014/11/jones-contre-zorro.html
Ah oui c'est cocasse. Les Français furent longtemps spécialistes de "l'adaptation qui n'a plus rien à voir avec l'original".
RépondreSupprimerDisney a été un peu fâché avec le scopitone de Zorro, et c'est Jacqueline qui a rattrapé le coup en signant un accord commercial.
Tiens, je vois que le dernier Schnock (déjà le n°38) est consacré à Henri Salvador, qu'il est en vente dans les 3 entrepôts Cultura de Toulouse et que tu ne l'as pas encore acheté (pardon de te tutoyer, la promiscuité engendre la familiarité)
La véritable histoire de "Zorro est arrivé" par les reporters de l'extrème du gorafi
RépondreSupprimerhttps://www.lefigaro.fr/2007/08/23/03004-20070823ARTWWW90290-et_alors_et_alors_zorro_est_arrive.php
On y pige mieux comment le bougre se retrouva à promotionner les films à la con de Disney. Quant à Schnock, on va bêtement attendre que ça arrive à la bibli municipale, c'est plus économique, c'est plus pratique...
SupprimerJules
A l'époque les films de Disney n'étaient pas si "à la con" que ça. On était encore loin des missiles idéologiques comme le Roi Lion. C'était surtout le merchandising et l'infantilisation du public qui étaient à dégueuler. Quel besoin d'infantiliser des enfants ?
SupprimerMa femme achète tous les Schnock, sauf quand y'a Vassiliu ou Salvador dedans, auquel cas j'arrive à la librairie avant elle.
Sexman me paraît fort Warsennien. Sachant que Sarkozy a soutenu Raoult from Marseille, que peut-on en déduire ?
RépondreSupprimerJe pense que si j’avais été musicien/chanteur à l’époque, les grimaces de Salvador m’auraient bien agacé. Il n’était pas que ça mais il abusait grave. On comprend le boulot de longue haleine de Bashung pour sortir de là.
Sex Man est hilarant, mais traite le problème sous l'angle de la gaudriole.
RépondreSupprimerA l'époque, la dépendance sexuelle, c'était la maladie qui fait rire.
Warsen se la jouerait plutôt Symphonie Pathétique.
Salvador fut un affreux jojo affligé de pulsions contradictoires, comme un Jango Edwards possédé du démon des variétés verdâtres. C'est ça que j'aime chez lui.
Je ne sais pas si tu as déjà vu les débuts de Bashung, c'était d'un grand comique involontaire. Mais il ne faisait pas tant de grimaces qu'Henri.
À l’époque, la came était plus dure à trouver, c’est sûr. C’est sûr que Bashung s’est cherché à ses débuts (et il a fait quelques panades il me semble).
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