Observons un instant cette illustration tirée de "Voyage au bout de la lune", bon sang.
Goossens a souvent une approche assez abrasive de la sexualité. |
Les outrances passées de Goossens, qui a vu les minorités LGBTAIbitcouill+ brûler ses albums en place de grève, lui assurent-t'elles une place au paradis des Blasphémateurs ?
Pas si sûr : le Grotesque Goossensien (le GéGé) étant impuissant à pimenter son nouvel album, aux charmes aguicheurs mais flétris, le GéGé se voit contraint de contaminer le réel, autrement plus fécond que le cerveau de son créateur, frappé de sénescence, pour y planter de nouvelles graines, comme dans un roman de Philip K. Dick dont David Cronenberg aurait raté l'adaptation (on peut toujours rêver, tant que Mélenchon n'est pas nommé premier ministre).
Je n'en veux pour preuve que cet article du Monde consacré à la mise en examen d'un petit entrepreneur issu d'une PME du porno français (artisanat familièrement désigné sous le sobriquet malicieux de la French Touch, par opposition aux multinationales du pain de fesse et du boudin noir, aux produits farcis d'OGM) dans lequel certains éléments de langage habilement dissimulés révèlent l'emprise souterraine de Goossens sur le journalisme contemporain :
La légende a fait le tour d’Internet : celle d’un couple d’instituteurs libertins, qui aurait monté à la fin des années 1990 un petit site sans prétention afin d’y échanger des clichés dénudés avec d’autres adeptes de l’exhibitionnisme en ligne. (..) Le couple est d’une discrétion farouche. Il n’existe aucune image d’eux nulle part. Michel Piron, aujourd’hui âgé de 64 ans, qui dirigeait toute la structure avant de passer en partie la main à son fils Thibaut à la fin des années 2010, est décrit par plusieurs protagonistes rencontrés par Le Monde comme un homme en surpoids et chauve, avec un accent du Sud-Ouest prononcé.(..) Il y a dix ans, seule avec son fils, Jessica (son prénom a été modifié) vit de boulots saisonniers et a besoin d’argent. Elle est « rabattue » par l’intermédiaire des réseaux sociaux et accepte une courte vidéo, pour « donner à manger à son enfant ». D’après son récit, avant les tournages, les réalisateurs de Michel Piron lui font consommer de la drogue. Elle est séquestrée, forcée à des pratiques non comprises dans le contrat, décrit une scène qui, selon elle, s’apparente à de la « torture ». La petite dizaine de vidéos qu’elle tourne à cette époque se propagent sur Internet et ressortent sans cesse. Elle enchaîne les dépressions et les tentatives de suicide. Jessica remonte la pente, retrouve son travail d’origine : serveuse dans un restaurant gastronomique en Suisse. Mais des clients la reconnaissent et elle est licenciée : « J’étais sale, pour l’image des gastros. » Pour elle, Michel Piron est tout sauf un simple diffuseur : « Il nous traite de folles pour décrédibiliser notre parole. » Elle l’a vu à l’œuvre : c’est lui qui donne le cahier des charges, lui qui veut qu’il y ait une sodomie, un plan sur les pieds et un autre sur les seins dans chaque séquence… C’est lui aussi qui « passe son temps à nous dénigrer, à nous traiter de vieille cougar ou de sale rebeu aux seins mal refaits », raconte encore Jessica.
On voit bien ce que Goossens, s'il avait été plus en forme, aurait pu faire de cet accablant témoignage. Aucun sujet ne l'effraie ni ne le rebute. La sexualité est décrite au mieux comme une névrose embarrassante, et on espère que c'est pas pour de vrai.
On se souvient de sa blague de Pervers Pépère dans "Le romantisme est absolu".
On se souvient de Casimir, le tueur d'enfants.
Et tant d'autres atrocités frontales, passées à la moulinette d'un fin observateur de la nature de l'esprit, avec toujours l'excuse que c'était pour rire, et puis 'gad où que ch'uis, apopo 800 pieds.
Aujourd'hui, ça ne passerait plus.
Et Goossens semble être au bout de son singulier filon.
Dans l’absolu, notre libre-arbitre nous permet de sortir à tout moment de la prison que notre génie a érigé en système, prison qui n'a bien souvent qu'un seul barreau autour duquel nous tournons, et que nous pourrions lâcher pour aller pisser contre le mur qui arrête le torrent de la connerie, mais le peut-il vraiment ?
Dans un vieux numéro de Métal Hurlant égaré dans les couloirs du Temps, un critique inspiré traita un jour Manara de Moebius de Prisunic.
C'était cruel, surtout pour Moebius, mais justifié.
Goossens, lui, n'a jamais été un Moebius de Prisunic. Dans "du plomb pour les pigeons", par exemple, il démontre que son talent peut parfois rivaliser avec celui de Jean Giraud, l'immortel auteur du western porté à l'écran par Jan Kounen "McClure et les sacs à gnôle contre les mangeurs de peyotl." Jean Giraud qui écrivait des petits mickeys de science fiction sous un pseudo qui ne trompait personne dans son garage hermétique de Jerry Cornélius dont la porte de l'univers coinçait un peu pour oublier qu'il était condamné à dessiner McClure jusqu'à la fin de ses jours pour faire chauffer la tambouille, mille putois.
Du plomb pour les pigeons |
Mais Goossens, lui, est en passe de devenir un Goossens de Prisunic.
Non seulement c'est du Goossens de Prisunic, mais en plus on reconnait Michael Lonsdale qui vient cachetonner post-mortem dans le rôle de Dieu. C'est du propre. |
En résumé :
Goossens a eu une vie artistique avant la mort, tout le monde ne peut pas en dire autant, et nous c'est quand la dernière fois qu'on a été génial ? Il a réalisé une oeuvre très originale, à base d'absurde tirant vers le grotesque, il a au moins un disciple en bonne santé (Fabcaro), et il peut donc couler une retraite paisible dans son pavillon en meulière en attendant la mort; ah non, ça c'est Margerin. Bon, c'est pas grave, on s'en fout, et on peut toujours relire ses vieilles bédés jusqu'à plus soif, ça tombe bien, il fait chaud.
Je ne connaissais pas le gag Kazimir et c’est quelque chose, ma foi.
RépondreSupprimerOui. On pouvait alors compter sur lui pour nous étonner à tous les coups.
RépondreSupprimerJe m'aperçois n'avoir jamais publié la compilation autoproduite avec mes mains pleines de doigts "Daniel Goossens_raretés_et_inédits.cbr" qui reprend à peu près tout ce que j'ai posté de lui en 2012, surtout des histoires courtes parues dans Fluide.
Il faudra réparer cet oubli.
Quoi ? Des inédits dans Fluide ? On nous cache des choses !
SupprimerJe n'ai pas le courage de comparer ma compilation avec la base de données des goossenso-dépendants, mais y'a du monde au balcon.
RépondreSupprimerhttps://bdoubliees.com/auteurs/go/goossens.htm
Faut juste que je passe de vieux geek à très vieux geek pour pouvoir regarder ça de plus près. J'ai tout mon temps.
J'ai compilé ce qui me semblait ne pas être paru en album.
Je posterai ça un de ces quatre.
RépondreSupprimerSi je dois être vraiment honnête, je préfèrerai que ça sorte en vrai album mais bon…
Supprimerpersonne n'empêche les éditeurs de se pencher sur une intégrale raisonnée. Mais tu sais bien que Goossens n'a jamais été un gros vendeur d'albums, malgré la reconnaissance de la critique et de ses pairs... les zozos dans mon genre sont à la fête pour proposer des compilations faites à la main.
RépondreSupprimerC’est vrai aussi que Fluide n’a pas une réputation de publication exhaustive et j’ignore la raison - peut-être parce que ça ne faisait pas un compte tout rond de pages.
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