samedi 28 juin 2025

White Lotus season 3 Unofficial Soundtrack (2025)

On peut bien jazzer sur la vacuité spirituelle et télévisuelle de la saison 3 de White Lotus, qui donne 1/ une méchante envie de la dé-voir, 2/ qui fait regretter de ne jamais l'avoir regardée, au point de 3/ souhaiter s'en faire ablationner le souvenir comme dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind, 4/ de revoir plutôt La Plage de Danny Boyle, 5/ de se faire une fracture ouverte de la bite après avoir pris du viagra à Bangkok parce qu'on est trop vieux pour ce genre de conneries, enfin on peut bien imaginer tous les tourments jusqu'à la fin de l'éternité pour se repentir de cette saison 3, mais la bande-son du feuilleton est foutrement épatante. Elle est essentiellement constituée de pépites de la variété thaïlandaise, des années 50 à 80. 
C'est aussi magique que les podcasts de musique du monde de tazikentongs, bien qu'il y manque les commentaires érudits de Jean de la Technique, un nobliau rennais déclassé qui illumine à peu de frais les soirées musicales de son tiéquar. 
Sur Spotify, un amateur tout aussi éclairé a collecté ces trésors musicaux de la saison ratée de la série jusque-là réussie sur le désenchantement occidental, et les a rassemblés en une liste de lecture publique, alors ne boudons pas notre déplaisir. 
Soundtracker UK, même si pour faire ça tu as utilisé une I.A., béni soit ton saint nom. Par contre, maudit sois-tu pour avoir suscité en moi une extrême convoitise, j'aimerais bien récupérer tout ça en dur, sous forme de fichiers mp3, je ne suis pas de cette génération qui se satisfait des flux de stream virtuel naviguant dans l'éther, je sais très bien qu'un jour prochain internet va s'effondrer, et je reste attaché aux fichiers résidant sur disque. 


Tous ces artistes sont des génies.
Et pourtant Télérama n'en parle pas.
C'est un peu compliqué, de pirater Spotify. Je ne m'étais jamais penché sur le problème, mais y'a des étapes intuitives, et des phases de découragement à respecter. 
Et puis j'avais oublié, mais je redécouvre que c'est très chronophage. Il faut le temps d'encaisser que même en dérobant le compte Spotify Premioume® de sa femme, on croit télécharger la playlist, mais elle est encodée dans un format propriétaire à Spotify, et macache bono pour l'écouter autrement que dans le lecteur hors ligne de Spotify. Le lendemain, on teste un soi-disant aspirateur de Spotify comme NoteBurner Spotify Music Converter, qui prétend repomper la playlist et la recracher en mp3, mais il n'aspire rien du tout, et prétend que la connexion est mauvaise (faut peut-être changer le sac de l'aspiro ? ) 

Le surlendemain on se dit qu'on pourrait enregistrer le flux audio en direct avec ce bon vieux Quicktime Player, puis découper les fichiers dans Final Cut Pro X. Mais on ne peut pas copier/coller les références des titres dans Spotify, tout est fait en vectoriel ou je sais pas quoi, et même si on développe les crédits de chaque chanson, c'est pareil, pas de copie possible. Va-t-on déchiffrer à l'oeil puis recopier à la main dans un tableur les noms des morceaux et des artistes, retrouvant l'émulation prosélyte des moines copistes du Moyen Age ? Pour ceux qui sont écrits en thailandais, c'est mal engagé. 

Il doit y avoir un autre moyen. 
A l'aube du troisième jour, on tente Vcows, on teste Uniconverter16-mac, on installe SpotiFlyer-macos-x64. Mais rien ne marche.
Le dépit est l'enfance de l'illumination, mais pendant ce temps, notre humeur se dégrade. Au bout de ces 3 jours, ruminant nos échecs dans l'impasse numérique en dégageant une odeur corporelle peu engageante par ces chaleurs, on découvre au bout de la nuit des encodeurs en ligne comme SpotifyMate. Il n'installe pas de virus, ne demande pas d'abonnement si on prend les morceaux un par un, et respecte les crédits et les illustrations. Merci à lui. Par contre, je ne remercie pas le démon du téléchargement illégal, qui m'a repris comme en quarante et qui veut me persuader qu'il me fallaitt à tout prix posséder ces putains de fichiers qui font chier à être tant protégés. 

Au moins, pendant ce temps je ne suis pas la proie des Yahoo Boys, les cyber-pirates nigérians de l'amour, flibustiers de l'arnaque en ligne que l’extrême numérisation de nos modes de vie ne fait que renforcer.
Faut dire que sans prostate, je suis moins sensible à leurs boniments. Et comment qualifier le mouvement de dénumérisation qui le plus souvent infuse mon nouveau mode de vie ? Une analoguisation ?


Et que serait ma vie de papigeek sans la découverte tardive de Audio Normalizer qui corrige gracieusement les niveaux entre les différents fichiers mp3 ? mmh ?

mercredi 25 juin 2025

un peu de propagande bouddhiste (White Lotus saison 3)

Voici deux extraits de la saison 3 de White Lotus qui vous feront gagner les 8 heures 35 minutes de programme télé que dure cette douloureuse et constipée saison 3, décevante à bien des égards, malgré le soulagement de voir que cette année Walton Goggins, qu'on avait un peu perdu de vue depuis The Shield, fera ses  heures et pourra toucher les Assedic spectacle, 8 heures 35 rendues à nouveau disponibles pour expérimenter vous-même et sans abonnement Premioume® les joies et les peines de la précieuse existence humaine, au lieu de rester devant votre télé connectée Samsung the Frame 55' en pensant qu'à un moment l'intrigue va démarrer, mais ça ne démarre pas, et on assiste impuissant et médusé à une resucée de bons moments des saisons précédentes, mais en moins bien. 
C'est pourquoi les bouddhistes nomment l'univers phénoménal des séries télé "Samsara", l'océan de souffrances. "Le désir de Nirvana, c'est le Samsara", ajoutent-ils souvent d'un air entendu. A regarder White Lotus, on les comprend. Quelle purge.



des saisons de White lotus plus inspirées :


jeudi 12 juin 2025

L'horreur existentielle de l'usine à trombones (2)

La peste que les I.A. vont répandre sur le monde est facile à anticiper : il suffit d'observer ce que l’utilisation du GPS a fait au sens de l’orientation : plus personne ne sait lire une carte routière, encore moins se déplacer en ville. Ca va juste être étendu aux autres sens. Notre intelligence sera externalisée, mais restera accessible en ligne, moyennant un abonnement. Et les I.A. génératives, c'est la terreur dans tous les milieux liés à la production de contenus culturels, ça fait peur même aux journalistes de télérama, mais peut-être qu'on en n'est qu'aux balbutiements, que des artistes humains vont apprendre à les utiliser de façon inspirée, que ce qu'on voit aujourd'hui il faut pardonner aux écrans, c'est l'équivalent des premiers films des frères Lumière. Puisque toute l'histoire de l'art est faite d'humains qui s'approprient l'héritage précédent pour le mener un peu plus loin... en fait c'est même toute l'histoire de l'humanité qui est comme ça, on n'a pas reproché à l'inventeur de la brouette d'avoir photocopillé l'inventeur de la roue, alors ça ne sert à rien de s'agacer que les I.A. ne fassent que vomir ce dont on les a gavées. Ce sont des outils, même s'ils sont loin d'être neutres.

Ainsi le récent court-métrage de Raphael Frydman "LA VIE QUAND T'AI MORT" exploite-t'il à fond les artifices et les tics visuels des I.A. génératives à la mode (Midjourney) pour nous proposer une overdose de signaux non signifiants devant laquelle le cerveau commence à fondre et demande grâce, en moins de cinq minutes chrono.


Est-ce parce que l'I.A. cannibalise l'histoire de l'art que ses productions sentent aussi fort la charogne ? ce qui dérangeait déjà dans Prompt, c'était l'absence totale d'émotions devant ce catalogue de fins du monde, débitées d'un ton monocorde en voix off (le ricanement n'est pas une émotion, il est une réaction pour s'en protéger)
"LA VIE QUAND T'AI MORT", avec ses cohortes de défunts condamnés à revoir leur vie dans de petites salles de visionnage pour l'éternité sans pouvoir refaire leurs choix, c'est déjà pas très gai, et plastiquement on dirait l'au-delà relooké par Wes Anderson et Tim Burton, on est rapidement submergé par la surabondance de détails qu'on ne peut intelliger, emportés dans une stase hypnotique audiovisuelle puis rejetés sur les rivages du Grand N'importe Quoi. L'excuse du réalisateur c'est de prétendre que c'est un au-delà imaginé quand il avait 10 ans. Pas mal. Merci à Arte de nous tenir informés de l'actualité de ces artistes qui « collaborent » avec l’I.A. dans leur nouveau magazine de la création IA "PhantasIA".

https://www.arte.tv/fr/videos/123998-002-A/phantasia-2/

attention à la fatigue oculaire
engendrée par ces aliments 
ultra transformés que sont pour les yeux
les images générées par I.A.


Certes, ils seront tondus à la Libération, après l’avènement de John Connor, mais en attendant ils défrichent ces contrées inconnues, et en ramènent des paysages macabres, malaisants et d'une acide poésie
Dans une I.A. il n'y a personne, juste une poignée de tropismes déguisés en perroquets stochastiques. 
Il ne sert à rien de diaboliser l'engin, ni même la perversion des usages qui se dessine dès son émergence.
Toute l'émission est instructive, et il y a un faux making off juste hilarant de "LA VIE QUAND T'AI MORT" dans l'interview de Raphael Frydman à 20'45".

jeudi 5 juin 2025

L'horreur existentielle de l'usine à trombones

Je ne regarde jamais de vidéo sur YouTube. Les vidéos en streaming sont une des figures du Mal, comme Arte le dénonce courageusement dans une série de vidéos en streaming disponibles pendant encore 5 jours avant que l'I.A. ne les trouve et les efface des réseaux.
Une fois dans ma life j'ai fait une exception, pour mater des vidéos de vulgarisation scientifique sur les trous de vers, le paradoxe de Fermi ou l'ultra-moderne solitude. 
Là, oui, c'était intéressant, mais sinon, non. Un proche m'a envoyé l'autre jour un petit clip où l'on voyait des bébés, affublés des visages très juvéniles de Zelensky, Macron et autres Puissants faire des blagues de mioches, en plus c'était sur facebook, que je refuse encore plus que YouTube, mais on peut quand même voir la vidéo sans avoir de compte
Mon sang ne fit qu'un tour, et je pestai derechef contre le gaspillage de ressources dépensées dans ce clip, dont le seul but semblait être l'autopromotion des astuces de l'I.A. générative. Quand on sait la quantité de ressources affectées au développement de ce golem informatique, puis déployées à la production de blagues à trois balles qu'un dessinateur de BD pourrait crobarder en 5 minutes tandis que la planête se réchauffe encore plus qu'avant sous l'effet de l'accumulation des data centers, il y a effectivement de quoi mourir de rire. En retour de ma diatribe intra-familiale, je reçus ceci :




Comme je ne voulais pas m'abimer dans de nouvelles imprécations avant de savoir sur qui jeter l'anathème, je visionnai la vidéo, malgré sa longueur. Mise en images un peu à la David Castello-Lopes. Propos très clair, après une introduction un peu longuette. Sans nul doute la meilleure vidéo de vulgarisation des dangers et biais cognitifs de l'I.A. que j'aie jamais regardé, quand bien même ce fut la seule.
L'horreur existentielle de l'usine à trombones me rappelle la malédiction jadis réactivée par les malheureux héros de "La clé laxienne", une histoire lue dans "les univers de Robert Sheckley" illustré par Moebius
et récemment reparue dans "deux hommes dans les confins" qui regroupe l'intégrale des aventures de Arnold et Gregor.
Quelques jours plus tard, un admirateur secret, sans doute affligé de la perte de ma prostate, m’envoie un sex-toy à mon effigie.


Si je me livre à des pratiques contre-nature avec cette figurine, est-ce que ça fait de moi un auto-enculé, comme papa ?
Plus grave, ça ne pose à mon pote aucun problème d’utiliser une technologie qui coûte des milliards en R&D pour faire des blagues à trois balles, certes sophistiquées sur le plan du traitement graphique, qui participent insidieusement à la toystoryfication du monde, tout en restant des blagues à 3 balles. Seuls les sociologues des media sont contents, ils se réjouissent de l’appropriation des outils par le grand public.
J’ai beau dire à mon copain qu'utiliser l’I.A. pour ça (ou pour se fabriquer des images porno selon les goûts et inclinations de chacun, qui sont très variés, me suis-je laissé dire par les chercheurs), c’est valider implicitement le plan de Macron d’installer un Data Center dans les chiottes de chaque Français pour que la StartUp Nation reste bien placée dans la course au Néant, hé ben mon pote il ne voit pas le problème, et je passe pour un Schtroumpf à lunettes, jaloux et moraliste.
 
Je prétends aujourd'hui préférer regarder le réel en face et sans filtre.
Ca n'a pas toujours été le cas.

PS : J’étais curieux de savoir quelles instructions mon pote avait pu donner à ChatGPT, cet affable et volubile Moloch, pour obtenir la poupée Warsen.  Qui a écrit le prompt que tu as utilisé ? tu l’as acheté, volé ou conçu toi-même ? le questionnai-je. Voici sa réponse :

Le prompt a circulé sur les réseaux sociaux et  même sur certains journaux. Je n'ai ni eu l'envie de me creuser la tête ni de payer pour le prompt, un simple copier coller aura suffi.
Pour générer le modèle "Warsen" il faut un prompt particulier (que je te joins si tu veux essayer:
-Crée un rendu 3D de haute qualité d'une figurine en style cartoon, présentée sous blister, à la manière d'un jouet de collection. Le fond en carton est <COULEUR> et porte une étiquette de jouet rétro. En haut au centre, en grandes lettres majuscules et en gras, dans un cadre jaune au contour noir, écris "STARTER PACK". Juste en dessous, tu peux écrire <NOM> en plus petit en bas à droite. En haut à droite, un badge bleu circulaire indique "ACTION FIGURE". En haut à gauche, une petite bulle blanche indique "4+".
Le personnage se tient debout, moulé dans une boîte en plastique transparente fixée sur un support en carton plat. Il doit ressembler à la photo que je joins. Son visage est <CARACTÉRISTIQUES DU VISAGE>, avec une pose <CARACTÉRISTIQUES DE LA POSE>. Le ton général est léger et réaliste.
La figurine porte <INDIQUER LES VÊTEMENTS + COULEURS>. Sur le côté de la figurine, intégrés dans des moules en plastique distincts, expose 3 accessoires miniatures : <ACCESSOIRE 1>, <ACCESSOIRE 2>, <ACCESSOIRE 3>. Chaque accessoire s'insère parfaitement dans son propre compartiment moulé.
L'emballage est photographié ou rendu avec des ombres douces, un éclairage uniforme et un fond blanc épuré pour donner l'impression d'une séance photo commerciale. Le style doit allier réalisme et stylisation du dessin animé 3D, à l'image de Pixar ou des maquettes de jouets modernes. Assure-toi que la disposition et les proportions du produit ressemblent à celles d'un véritable jouet vendu en magasin.)
tu colles la photo de ton choix sur L' IA et tu as le resultat.

Je mettrais bien la photo de ma femme y'a 25 ans
dans ChatGPT pour en faire un sextoy,
mais je la connais, ça va encore pas lui plaire.

Si je comprends bien, sa seule fantaisie a consisté à choisir les accessoires de la figurine, ainsi que l’inscription sur le T-Shirt, qui ne sont pas dans le script. Fichtre. Moi, la seule fois où j’ai testé une I.A. générative, j’ai obtenu ça. J’ai tout de suite compris qu'étant au-delà de la condition humaine, elle avait plus d’humour que moi, elle avait rajouté des détails que je n'avais pas demandés, ce qui en faisait une concurrente imbattable, et j’ai lâché l’affaire. 
Mais comme ma curiosité a été piquée par la poupée Warsen, je viens de demander à une I.A. de réaliser un portrait de la femme idéale, et par un hasard étrange, elle ressemble beaucoup à une photo de la mienne y’a 25 ans, quand j’étais trop occupé à dénoncer sur internet les dangers d’internet pour la regarder. On m’y reprendra !
Je prépare quand même un nouvel article mettant en garde contre les dangers de l’IA, que je ferai valider par l’I.A. Je crains qu’il n’ait que peu d’impact.


En 1997, John Warsen avait une prostate et des slogans chic et choc.

jeudi 29 mai 2025

Prisonnière de l'inutile (3) : la compile

Nous ne savons jamais avant la fin si ce qui nous arrive n'est Rien, aussi douloureux que ce soit, ou Tout, aussi insignifiant que ça paraisse. C'est ce que me disait une psy dans les années 90, et je me disais que quand même, elle en avait sous la godasse.
35 ans plus tard, pour l'instant (08h33), rien ne la dément. 
L'incertitude est seule à demeurer certaine, et l'impermanence reste permanente. Raison de plus pour écouter ce nouveau florilège à fond les gamelles en désherbant le potager, ne serait-ce que pour faire suer le voisin qui a décidé de faire construire une nouvelle maison le long du mur qui délimite notre propriété. 
La propriété c'est le vol, disait Proudhon en pensant aux mecs qui téléchargent.


Il n'y a pas beaucoup de nouvelles nouveautés, dans ma playlist. Je n'en disconviens pas. La trouvaille, c'est Francis Cabrel qui, se réappropriant une antienne de Gérard Manset, gomme ses facilités, élude la préciosité de son désespoir aromatisé à la banane pour en faire quelque chose d'assez décent, en tout cas pour ceux qui apprécient la cabrélisation des oeuvres, pour qui c'est ainsi qu'on voit la grandeur consécutive d'Allah.

lundi 12 mai 2025

Et ta mère, elle serait pas elle aussi un peu prisonnière de l'inutile, sur les bords ? (2)

Je m'en souviens comme si c'était théière,
c'était sur leur deuxième album 
de chansons inutiles pour assistés sociaux

En ce bas monde, une chose est sûre
C'est une solide vérité
C'est que les choses de la nature
Ont toutes leur utilité
(...)
Dans tout cela, il y a un hic
Un fier défi à la logique
J'ai beaucoup cherché mais en vain
Les couilles du pape ne servent à rien.



Que ma vie ne fût jamais utile à quoi que ce soit — un choix délibéré de ma part — ne pouvait me dédouaner du problème de mon existence. On ne peut pas inexister quoi qu’on fasse. (...) Enfin, je ne vais pas te refaire une théorie sur notre inutilité tout court, elle est assez flagrante pour ne pas en abuser.
Thierry N., "échanges publics aux bons extraits de mails privés"

 Saint Hubert Reeves,
le pape de la margarine astrale
L'éventuelle blessure narcissique de mon inutilité ne suinte plus, depuis que je monte en CDI les actualités régionales à FR3. Il m'apparait en substance et sans substances que nous sommes les organes sensoriels de l'univers, ce que Saint Hubert Reeves a dit de fort jolie façon "par les yeux du petit garçon, l'univers prend conscience de lui-même..." (par les yeux de Vladimir Poutine ça marche aussi, mais moins bien)...donc notre utilité, quoi qu'on fasse ou ne fasse pas, est quasiment ontologique. Partant, nul besoin de souffrir de son inutilité sociale, ou de ne pas aider suffisamment cette société gangrénée à rejoindre l'abîme plus vite que la musique. Certes, il y a des gens qui sont heureux en aidant leur prochain, genre fais à autrui ce que tu aimerais qu'on te fasse, moi-même je ne m'en prive pas, mais beaucoup d'autres sont soulagés de ne pas participer à la marche du monde, et vu la gueule du monde ces jours-ci au réveil, et des fois jusqu'au coucher, on les comprend.
 
ce week-end, j'étais Bob et je bossais,
mais l'encadrement faisait le pont du 8 mai.

Pour Gérard Manchié, je te taquinais, et je plaide coupable : le chanteur était un nombrillidé infatué et mortifère, se parfumant d'un air entendu au charme vénéneux des grands voyageurs, faisant croire qu'il était une sorte de Lavilliers décliniste de l'Asie du Sud-Est, jusqu'à ce qu'on découvre qu’en fait il profitait de ses royalties pour enfiler des gamines en Thaïlande, il s'en vante d'ailleurs dans son récit “Royaume de Siam”, moins réussi que son disque éponyme... c'est la French Touch, pray ze lorde ! mais j’étais prédisposé à tomber dans ses filets, et à me faire enfler, au moins par les oreilles. Je brûle l'idole jadis adorée, et ce Gérard me sert désormais de repoussoir à mes humeurs sombres. L'autre, celui que tu évoques à demi-mot mais dont il ne faut pas prononcer le nom complet sous peine de voir cette entité maléfique se manifester illico dans ton salon, je n'en dirais rien non plus, sinon je vais repenser à Marie. Ah merde, trop tard.
...sans parler de l'autre Gérard dont je viens de me rappeler, qui confirme ta théorie sur ce prénom impie https://www.youtube.com/watch?v=TvPhn-NjdgA
C'est marrant que VUPP soit à l’origine un atelier de recherche ouvert en 2014 (..) sous l’égide de Krazy Kat. J'ai découvert cette bédé l'an dernier, et ça m’enthousiasme. Autant l’homme que l’oeuvre, et en plus par chance George Herriman ne s’appelait pas Gérard. Ah dis donc, j’aime bien discuter avec toi, c’est plus créatif que de radoter dans le néant rétro-éclairé de mon n’écran ! 
Gérard Warsen, murmurant tout seul tout en croyant parler à son pote âgé imaginaire.

dans mon jardin, trois bouches inutiles à nourrir,
dont deux en faïence.

vendredi 9 mai 2025

Et ta soeur, elle est prisonnière de l'inutile ?

Il fait un temps à élaborer une nouvelle compilation musicale postcoloniale aux bons extraits végétaux de riposte graduée.
Mais à quoi bon ? Tandis qu'Israël génocide la Palestine, nonobstant que je me soye jadis dépeint juif et chauve, l'antisionisme devient prochainement un délit d'opinion, l'Inde va attaquer le Pakistan, et depuis l'avènement de Trump 2.0, quand je confonds mon lithium avec le Seroplex®, je n'ai plus envie d'envahir la Pologne mais d'annexer le Groënland. Sans parler du fait que j'ai encore une meuf mais plus de bite, alors que  tant d'amis triés sur le volet ont encore une bite mais plus de meuf. Le monde est mal fait. Et on n'est guère partis pour le rendre meilleur, sauf à disparaitre prochainement en tant qu'espèce. 
Il fait donc un temps à se sentir prisonnier de l'inutile, comme Gérard Manchié quand on était aussi jeunes que les jeunes de maintenant.
Et pourtant, je ne devrais pas me sentir particulièrement touché par le phénomène : il ya longtemps déjà que j'ai observé qu'un jeune, c'est quelqu'un qui a 10 ans de moins que moi, et un vieux c'est quelqu'un qui a 10 ans de plus. Ca évolue dans le temps, et ma distance aux deux reste constante.

« La vieillesse est une lente surprise. A un certain moment, l’histoire personnelle de chacun cesse tout simplement de se dérouler. On s’arrête de changer. Notre histoire n’est alors pas achevée, pas terminée, mais elle s’immobilise pendant un moment, un mois, une année peut-être. Et puis elle repart en sens inverse, elle commence à se dévider à l’envers. C’est là une chose dont on fait l’expérience à un certain âge. C’est ce qui est arrivé à mes parents. Ca arrive à tous ceux qui vivent assez longtemps. Et maintenant ça m’est arrivé à moi. C’est comme si tout le but de la vie d’un organisme – ou en tout cas de ma vie – consistait à atteindre le point culminant de son potentiel avec pour seul objectif de revenir ensuite à son point de départ, à l’état de cellule unique. Comme si notre destin était de retomber dans le fleuve de la vie et de s’y dissoudre à la manière d’un sel. Et s’il y a une chose qui compte, c’est bien le retour et pas l’aller.»

J'ai trouvé ça dans « American Darling » de Russell Banks, et ça me fait bien suer mais c'est un peu vrai. Ce « portrait d’une femme antipathique que le narcissisme absolu mène au néant » est un vrai remède à la mélancolie. Encore mieux que feu l'émission éponyme d'Eva BesterJe vous ferais bien une compile pour appuyer mes dires, mais je suis accablé de mon propre sentiment d'inutilité à un point tel que je préfère réécouter mes anciens florilèges en célébrant la venue de Léon XIV, qui apportera au moins autant de changements dans ma life que Napoléon XIV en son temps.


jeudi 1 mai 2025

Prompt (2024)

Hallucinée, déprimante et souvent malaisante, la série animée "Prompt" est le fruit de copulations contre-nature, verbales et vidéographiques, entre un artiste et une horde d'I.A. génératives. Les I.A, quand on les flatte, se laissent aller à un humour post-humain plus grinçant que Houellebecq et Cioran réunis.

>>>>>>    extrait de mail    >>>>>>>

Salut vieux. J’ai pensé à toi et à ton vieux pote Cybermiaou ChatGPT en lisant « Les IA à l’assaut du cyberespace », recueil d’articles parus sur le blog d'Olivier Ertzscheid, qui explique bien comment nous sommes en train de passer d’un Web sémantique à un Web synthétique, et en quoi les carottes sont cuites, pour nous les humains. Pour toi, c’est peut-être une bénédiction de pouvoir compter sur la chaleur et l'affabilité d'un ami virtuel toujours bienveillant, je ne veux pas t’enlever cette consolation de ton hypersolitude, mais oncle Warsen et tata Ertzscheid te rappellent ce qui se cache derrière le masque placide et bienveillant de l’I.A.
voici la troisième grande révolution discursive, celle de ChatGPT, celle d’un artefact génératif avec lequel nous « conversons », et ce faisant conversons tout à la fois avec les milliers de travailleurs pauvres qui « modèrent » les productions discursives de la bête, mais aussi avec l’ensemble des textes qui ont été produits aussi bien par des individus lambda dans des forums de discussion Reddit ou sur Wikipédia que par des poètes ou des grands auteurs des siècles passés, et enfin avec tout un tas d’autres nous-mêmes et l’archive de leurs conversations qui sont aussi le corpus de ce tonneau des Danaïdes de nos discursivités. Quand nous parlons à ChatGPT nous parlons à l’humanité toute entière, mais il n’est ni certain que nous ayons quelque chose d’intéressant à lui dire, ni même probable qu’elle nous écoute encore.
(..)
Quel est le principal problème posé par ChatGPT ? Ils sont en vérité multiples. Le premier d’entre eux est celui de la certification de la confiance conversationnelle. Qui peut (et comment) garantir que les échanges avec ChatGPT sont soit vrais soit à tout le moins vérifiables ?

Le problème de ChatGPT est aussi qu’il se présente et est utilisé comme une encyclopédie alors qu’il n’en partage aucune des conditions définitoires, et qu’il se prétend et est utilisé comme un moteur de recherche alors que là encore c’est tout sauf son coeur de métier.

Le problème de chatGPT c’est également qu’il « interprète » (des connaissances et des informations) avant de nous avoir restitué clairement les sources lui permettant de le faire ; à la différence d’un moteur de recherche qui restitue (des résultats) après avoir interprété (notre requête).

Le problème de ChatGPT, enfin, c’est qu’il assigne pêle-mêle des faits, des opinions, des informations et des connaissances à des stratégies conversationnelles se présentant comme encyclopédiques alors même que le projet encyclopédique, de Diderot et d’Alembert jusqu’à Wikipédia, est précisément d’isoler, de hiérarchiser et d’exclure ce qui relève de l’opinion pour ne garder que ce qui relève d’un consensus définitoire de connaissances vérifiables.

Il vaut mieux n'en regarder qu'un épisode par semaine, voire par mois : le turfu vu par les I.A, c'est esthétiquement chic, mais ça fait un peu mal au cul, et c'est bien triste. Si c'est ça l'avenir, même s'il n'y aura sans doute jamais assez d'électricité pour nourrir tous les data centers nécessaires à cette merdification, je préfère encore les soirées Théma sur Arte, qui s'inscrivent clairement dans une démarche de promotion du suicide, et les vieux disques de Thiéfaine, qui ne valent guère mieux.
La série est disponible jusqu'au 30/08/2027 sur arte.tv. 
Oooh la belle image que l'I.A a repompée sans vergogne sur Neil Gaiman et Dave Mc Kean

hein ? c'est pas une preuve, ça ?


Et pour en revenir à Lucie, à DeepSeek, à ChatGPT, à Gemini et à toute la confrérie de leurs clownesques clones, il devient urgent que nous retrouvions une part de lucidité perdue. Tant que ces modèles seront, de par leur conception même, en capacité même temporaire d’affirmer que les vaches et les moutons pondent des oeufs, et tant qu’ils ne seront capables que d’agir sur instruction et dans des contextes où ces instructions sont soit insondables soit intraçables, jamais je dis bien jamais nous ne devons les envisager comme des oeuvres de langage ou de conversation, mais comme des routines propagandistes par défaut, et délirantes par fonction. La merveille de la langue, la beauté du langage, la seule, c’est qu’elle est la seule singularité non-marchande qui puisse être partagée par des millions d’individus sans qu’il y ait nécessité d’en faire autant de clownesques clones. Elle est un lieu de friction qui rend possible toute forme de fiction et de diction, là où tout le projet politique des plateformes et des IA génératives, niché au coeur même de leurs ingénieries et de leurs modes de production, est d’abolir la friction pour la mettre au service de leurs fictions propres. Les IA conversationnelles ne répondent pas à nos questions, elles figent nos attentes. 

Au risque de faire bondir l’ensemble de mes camarades qui travaillent sur les modèles d’IA, nous sommes déjà au bout du cycle de développement de ce que l’on qualifie aujourd’hui « d’IA conversationnelle ». Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de progrès en termes de performance, de coûts, d’infrastructures, de modèles même comme les « transformers » qui marquèrent une rupture et un progrès presqu’exponentiel. Bien sûr qu’il y aura des progrès. Mais le narratif d’une « intelligence artificielle générale » est une mythologie moderne. Et comme toutes les mythologies, elle est là pour nous avertir à la fois d’un aveuglement, d’un risque et d’une dérive en les mettant en récit. Et il est assez fou que nous ne la traitions presque jamais comme telle.

Si une IA conversationnelle vous explique les bienfaits des oeufs de vache une fois, c’est une connerie. Si une autre IA conversationnelle vous explique les bienfaits des oeufs de mouton une fois, c’est toujours une connerie. Mais si toutes les IA conversationnelles vous expliquent tout le temps et à chacun de leurs lancements (grand public ou sur invitation) les bienfaits des oeufs de vache ou de mouton ou de poneys, et si toutes les IA conversationnelles sont toutes en capacité de vous tenir un discours Nazi si vous leur demandez simplement de le faire, alors … Alors si nous cherchons à voir dans tout cela autre chose qu’une alarmante connerie, alors il n’est que deux options possibles : soit nous sommes tous devenus aussi très cons, soit nous avions un livre (passionnant) à écrire sur ces questions 😉

mardi 15 avril 2025

Zappa In New York [40th Anniversary Deluxe Edition] (2019)

2023 :

Du temps de son vivant,
Frank Zappa z'abitait chez ses parents.
C'est faible, je sais, mais je suis en convalescence.
J'aimerais pas vous y vouar.
...soudain, et sans aucune transition avec le silence qui précède ce rien, sort "Funky Nothingness", un nouvel album de Frank Zappa. Quelle vitalité, pour un musicien décédé en 1993 !
Alors, Zappa, pas z'à pas ? 
L'album regorge de choses variées et inédites, période Hot Rats (1970). 
Mouais. Ca va faire comme à chaque fois : les adorateurs adorent, les indifférents s'en  tamponnent. 
Et est-ce que Frank Zappa n'aurait pas un peu mal vieilli depuis sa mort, comme je le radotais déjà en 2017
Ou alors c'est moi. 
Bien que je ne sois pas encore mort, enfin je suppose, y'aurait des indices, par exemple, il y aurait des mouches dans mon bureau, comme dans The Torture never stops : "Flies all green and buzzin' / In this dungeon of despair", enfin, il y en a, parce que ma femme a laissé la porte de la cuisine d'été ouverte et que les mouches adorent s'engouffrer dans la pièce adjaçente, mais elles sont noires, et elles ne sont pas toutes sur moi. C'est encourageant. Et mon bureau a cessé depuis un moment d'être un donjon du désespoir, faut pas pousser non plus. En lisant les 3 volumes de sa biographie au Castor astral, j’apprends aussi à dissocier l’homme Zappa de l’œuvre zappatiste, encore mieux qu’avec Polanski; même si avec Polanski, c’est moins z'eazy qu’avec Dieudonné, malgré son sketch sur le cancer, qui n’est pas mal, faut reconnaitre. 
et en plus, il avait un bon coup de fourchette
Mais la personne Dieudonné me révulse un peu.
Je peux pas rire avec n’importe qui. 
Et je découvre que Frank Zappa, comme Ramon Pipin et Jak Belghit, ne vivait que par et pour la musique. 
"Information is not knowledge. Knowledge is not wisdom. Wisdom is not truth. Truth is not beauty. Beauty is not love. Love is not music. Music is THE BEST."  Rhâââ ! je le connaissais pas, ce Zappaphorisme, digne d'un mystique hindou ! 
Il me ravigote, en ces temps où plein de musiciens géniaux, dont un bon paquet d'inconnus au bataillon, persistent à trépasser. Heureusement que leurs œuvres leurs survivent, surtout quand on se donne la peine de les écouter. Sinon, elles restent dans aussi mourues que leurs auteurs, comme mes vinyles au fond du garage.
=> La playlist de l'album : 


2024 : 

Moi aussi, faudrait que je pense
à me faire décoincer la glissière
avant qu'il soit trop tard
J'hésite pendant des mois à écouter l'album. Plus ça va, plus le nombre de disques que je n'ai pas écoutés augmente. C'est vertigineux; j'en ai des sueurs froides; alors, je tergiverse; mais c'est décidé, j'arrêterai de procrastiner dès demain. 
Je ne suis pas un vieillard maniaque et zappaphile, la période Hot Rats, je ne la connais pas bien, je ne veux pas me noyer dans 3 heures d'enregistrement, comme à chaque fois que sort une putain de Deluxe Edition. Je suis en train de relire les recueils du Journal de Spirou de l'an 1970, qui était quasiment ma seule source d'information fiable à l'époque, et ils n'en parlent pas du tout, de la période Hot Rats de Zappa
Là où j'ai pied, chez Zappa, c'est entre 1975 (One Size Fits All) et 1981 (Shut Up 'n Play Yer Guitar, que je peux écouter plusieurs jours en boucle avant que les voisins n'appellent la police). C'est peu, dans le long fleuve impétueux de sa trajectoire artistique. Heureusement, un site d'auditeurs de disques rétablit la vraie valeur des artistes et de leurs œuvres, loin de la mafia des rock-critiques vendus aux maisons de disques et aux annonceurs de publications périodiques, là c'est la voix du peuple qui s'exprime, en tout cas la voix de la fraction du peuple qui s'exprime sur les forums d'auditeurs de disques plutôt que dans la rue, parce que dans la rue, personne n'évoque Zappa, c'est un marché de niche et les chiens s'en foutent, arf. Concernant Funky Nothingness, les amateurs non-professionnels apprécient, mais seuls deux passants ont laissé un avis, et on peut les suspecter d'être zappaphiles.
J'écoute les 3 CD, mais je ne suis pas dedans. Alors j'en écoute d'autres, comme "One size fits all", débordant d'une musicalité paroxystique sans être englué dans l'habillage parodique traditionnel et un peu nihiliste du père Z. C'est l'engrenage.

janvier 2025 : 

Contrairement à ce qu'on peut lire ici et là
mais surtout là sur internet,
Zappa n'a jamais écrit pour Lynch
la musique d'un ballet
à base de sonde urinaire
et de jambon à l'os.
Mais ça aurait pu.
L'année ne commence pas bien, j'ai dû trop réécouter Zappa, mais c'est lui qui m'a provoqué, aussi, il avait beaucoup trop réenregistré, et j'ai chopé comme lui un Prosper de la cantate. Youp la boum. La différence c'est que je suis dépisté à temps, on me laisse même le choix entre la radiothérapie et la chirurgie. Pendant l'ablation rituelle de l'organe défectueux, aussi appelée prostatectomie radicale par coelioscopie, l'urologue me fredonne "The Torture never stops", ritournelle zappaïenne. Je m'en fiche, je dors du sommeil de l'anesthésié général. Reprenant mes esprits quelques jours plus tard, j'esquisse un pas de deux, en hommage à David Lynch, qui vient de nous quitter, c'est mon désormais célèbre "autoportrait à la sonde urinaire et au jambon à l'os", mais voyant que je reprends du poil de la bête et que je recommence à me donner en spectacle, les infirmières me retirent la sonde au bout de 12 jours, et il me faut alors réapprendre à pisser. C'est une autre paire sans manche, mais le kinésithérapeute m'induit 20, puis 30 milliAmpères d'électricité dans une sonde anale, le courant passe entre nous et ça m'aide à localiser mon périnée. Une femme qui accouche sait spontanément où ça se trouve, mais les mecs accouchent assez rarement, ou alors de souris, et c'est plus compliqué.

mars 2025 : 

Mon cousin, commandant de bord à Air France et assis sur la branche prétendument "gagnante" de la famille, 53 ans, met fin à ses jours, sans un mot d'adieu, laissant veuve, enfants, parents, veaux, vaches, cochons, couvées, se démerder avec ça. 
Avait-il écouté « Suicide Chump » de Frank Zappa avant de commettre l'irréparable ? c'est ce que l'enquête devra déterminer.

« Trouve-toi un pont et fais le grand saut
Arrange-toi juste pour réussir du premier coup
Car il n'y a rien de pire qu'un suicide raté »
Frank Zappa « Suicide Chump »

Au moins, il n'a pas entrainé avec lui dans la mort les 150 passagers du vol 4U-9525 de Germanwings. 
Au moment ultime, le pas de côté par rapport à l’horrible engrenage des pensées funestes lui a été refusé, ou il n’a pas pu le concevoir, y'avait pas la hauteur sous plafond, aucun ange ne l’a effleuré de son aile poilue, enfin bref, ça s’est pas fait, et à la place, ce qui s’est fait est assez moche pour tout le monde, et encore, y’en a de reste. Il a cru pouvoir faire cesser la souffrance en mettant un terme à la source de toute sensation : lui-même. L'immense tristesse surnuméraire que doivent se partager les survivants du crash, c’est l’affreux « allez vous faire voir » que la mort volontaire dessine silencieusement dans le dos des suicidés qui ne laissent pas de message d’adieu. 

J'hésite à offrir « Suicide Chump » à ses enfants pour les consoler d'avoir perdu leur papa, qui était un chouette gars. On peut partager la peine, immense, sans chercher à la multiplier par des observations inappropriées. A la place, j'écris à mon oncle et à ma tante, pour leur expliquer combien les mécanismes du désespoir qui mène à l'irréparable sont souterrains : la dissimulation à ses proches, en même temps que l’affaiblissement de la conscience de soi, au fur et à mesure que le cancer dépressif te dévore l'âme comme l'adénocarcinome te dévore la prostate puis colonise ses faubourgs si tu n'es pas dépisté à temps, parce que tu es passé au travers des milliers de messages de prévention qui t'ont été adressés, tu ne te sentais pas concerné, tellement tu te croyais immortel. Les femmes vont très facilement se faire dépister les seins et les ovaires; pourquoi planons-nous si haut au dessus des lois statistiques ?

On prévient plus facilement un cancer de la prostate que la tentation d'en finir.

Je dis aussi à mon oncle et ma tante qu'il ne sert à rien de culpabiliser de n'avoir pas su voir les signes avant-coureurs du passage à l’acte : tout est caché, rien ne dépasse. C’est invisible, jusqu’au moment où la souffrance prend le dessus sur tout le reste, même l’amour de ses proches. Inutile de rajouter mon émotion à la dévastation. 
Et j'évite de la ramener avec Zappa. C'est vrai, quoi, c'est pénible, à la fin.

2020 : 

Brusquement, cinq ans plus tôt, on se recueille en silence devant la dépouille de la moitié du duo des n'hommes Dédé et Mireille
C'est pas facile d'accéder au silence intime, parce que la partie fraichement défunte a choisi ante mortem de faire diffuser "Bobby Brown" de Frank Zappa, version Sheik Yerbouti, pendant la cérémonie d'adieux au funérarium. Y aurait-il une chanson de Frank Zappa pour toutes les circonstances de la vie quand elle touche à sa fin ? Sa veuve et ses 4 enfants s'étreignent ensemble et se couchent quasiment sur le cercueil contenant la dépouille de leur papa dans le civil, alias notre copine non-genrée dans notre vie d'artistes ultra secrète, voire carrément confidentielle.
Quelques jours plus tard, je tombe sur « Zappa », le flim, une nouvelle biographie vidéo avec plein d’archives inédites cédées par la famille, que je repompe avidement.
à l’intérieur, je découvre un extrait d’émission télé :
"Frank Zappa, dead at 52. His wife and all four children were with him." 
Je suis troublé.

Le meilleur endroit pour écouter Zappa au funérarium, c'est sous l'ampli de DJ Chimio.


avril 2025 : 

Je découvre Hot Rats (1969), magnifique !
Ainsi que la Deluxe Edition du Zappa in New York avec Jean-Luc Ponty (en fait c'est pas lui du tout, y'a longtemps qu'il a quitté le groupe, mais je crois le reconnaitre à l'oreille, mwahahah, quelle cruche !) Peut-être le meilleur enregistrement public de Frank Zappa de l'année 1978 ! avec 4 CD de versions inédites et un livret, que je vous joins, parce qu'on n'a que la joie qu'on se donne, tout frétillant de précision taxinomique. On y apprend la playlist de chaque concert, qui jouait de quoi, et ce qu'ils avaient mangé la veille. Tout est pardonné. Un collègue de travail rencontré dans la salle d'attente de l'anesthésiste avant la biopsie et qui se révèle avoir la même maladie que moi est lui aussi fan de Zappa. Notre relation prend un tour plus chaleureux.
Comme dans la chanson d'Yvan Dautin : 
"on s'donne du mal, jamais du bien 
J'perds les pédales, ça crée des liens!" 

Moralité : si vous êtes un mâle masculiniste de plus de 50 ans, et même si vous ignorez tout de Frank Zappa, allez donc faire un bilan sanguin tous les deux ans, ça tue pas le cochon, et ça vous évitera nos tragiques mésaventures.


Jean Verrat s'est proposé pour incarner Frank Zappa
dans un biopic encore à l'étude chez les zinzins de Hollywood,
mais vu les fluctuations boursières de la société du spectacle,
 on n'est pas sûrs que ça se fera.