vendredi 1 novembre 2024

Ramon Pipin : Best Oeuf USB 32Go (2023)

Pour le packaging,
on n'est pas loin des bonbons Haribo,
pour le goût c'est plutôt vinaigré.  
"Demain, 1er novembre,
Enfin nuit de sabbat !"
Astrid by Ramon Pipin's Odeurs (1979)

"C'est déjà demain ! "
JW

Ramon Pipin, ce n'est pas son vrai nom, mais c'est quand même un musicien français de légende. Co-fondateur de "Au bonheur des dames" puis initiateur de "Odeurs", il vient de publier une somme presque testamentaire : un "Best Œuf" écoutable en ligne et disponible sous différents formats, dont la version USB 32Go se présente sous la forme d'une clé USB enchâssée dans la figurine plastifiée à l'image de l'idole des jeunes qu'il ne fut jamais. Il s'est enlaidi pour l'occasion, pour s'affranchir de ses défauts en s'en réclamant, mais quand on voit ses dernières vidéos avec les Excellents, on se dit que ce n'était pas la peine.
Ce n'est pas parce que je serais devenu une cible facile pour les rois du marketing que j'ai acheté ce Best Œuf USB 32Go, ni pour me faire mousser sur mon blog, ni pour posséder le gri-gri à son effigie, ni faire avec objet rituel USB la grande magie sorcier blanc MP3, mais parce qu'elle inclut et procure au fan hardcore plusieurs heures de concert en vidéo du groupe à ses débuts, qui furent rapidement suivis par son milieu puis sa fin.

Les notes de pochette
rédigées de façon testimoniale
sont très bien aussi.
Concerts à Bobino et à l'Olympia, filmés en amateur, mais qui restituent l'ambiance délirante et généreuse du collectif d'artistes réunis autour de la personnalité facétieuse de Ramon.
Dès que j'eus acquis mon exemplaire de la précieuse statuette, pour une somme dérisoire, le bandcamp annonça que l'édition USB était désormais épuisée, et indisponible à jamais. Des collègues de bureau, auprès desquels je m'étais imprudemment vanté de ma trouvaille, m'avouèrent leur flamme secrète pour Ramon au début des années 80, et voulurent me convaincre de leur céder mon exemplaire de l'incunable. 
Des clous. Il faut harceler Ramon depuis son site, le pilonner et lui pourrir la boite mail par déni de service pour qu'il relance un tirage du Best Œuf USB 32Go, qui témoigne d'une teinte rare dans le paysage bicolore du rock français : 
l'ironie distanciée.

Et après, j'ai écrit à l'artiste, comme je fais parfois, surtout quand c'est Ramon Pipin.
_________

Cher Alain,

j'ai mis deux mois à regarder religieusement et par petits bouts du fait de ma vie bien remplie de sexagêneur les deux concerts d'Odeurs 1980 et 1981 sur la clé de ton Best Oeuf; et j'ai écouté à peu près les 6 CD, sauf les pubs, à la fin du 5, j'ai un peu craqué, c'est vrai qu'avant j'étais un rebelle, et que maintenant j'ai une carte Super U, comme je disais à la caissière avant-hier pour la faire marrer, et bingo, mais faudrait pas que j'apprenne que tu as bossé dans la pub et que tu en as mis dans ton best oeuf, comme un vulgaire Gotainer, après avoir écrit et produit "Sex/Bazooka" carrément plus punk que les originaux, je serais contraint de descendre ta statue de ton pied d'estale, et qui d'autre mettrais-je sur le socle ? parce qu'un support sans statue, c'est peut-être beau comme une colonne de Buren, mais l'art contemporain me rendrait réactionnaire, et pas que dans mon salon d’où je te cause.

Bobino 84
J'avais dit que je regarderais “tout” avant de te faire un petit laïus, mais à ce rythme, je n'aurai rien démoulé avant Noël 2025, et où serons-nous à Noël 2025 ? toi, je sais pas, et Vladimir Poutine non plus, mais moi, selon mon urologue, j'aurai juste quitté le bloc opératoire et serai sans doute hors de danger, mais franchement peut-on croire ces gens-là ? Il y a 4 ans, mon oncologue préférée, prénommée Mélanie, avait émis un diagnostic assez réservé, et ma femme l'avait spontanément surnommée Mélanie Mélanome puisque j'avais un cancer de la peau, c'était plutôt bien vu, c'est à des petits détails comme ça que je me rappelle souvent pourquoi on est ensemble, avec ma femme, avant d’oublier à nouveau, alors qu'avec Mélanie, ça a été une aventure de deux ans, et au final je suis toujours là.
https://johnwarsen.blogspot.com/2020/10/loukoum-et-tagada-contre-melanie.html

Tu me diras, on est souvent là, au final, c'est après qu'on s'évanouit dans l'azur, ou qu'on fusionne avec le grand Tout, selon la formule des frères Coen dans Le Grand Saut; donc on va dire que je te fais un petit mot d'étape, à mi-chemin du best oeuf, je suis à l'orée du concert d'Odeurs en 2008, j'ai déjà repéré que c'est Jean-Michel Ribes qui lance le show, je n'ose aller plus loin, craignant de vous y découvrir plus âgés, matures comme Victor et éco-responsables à mort, ou engagés dans une macabre et laborieuse opération de revival, mais comment ranimer quelque chose qui est mort et bien mort (comme la maison sur le port) avec l'époque qui l'a engendré ?

Bien sûr, les concerts d'Odeurs, c'est moi qui les ai achetés, dans l'espoir d'y retrouver l'enthousiasme de ma jeunesse, dont nous savons bien entre adultes majeurs, consentants et vaccinés (et même revaccinés 4 fois, alors le Covid il ne passera pas par moi, ou alors c'est que les chercheurs se moquent vraiment du monde) qu'elle ne revient pas plus que le reste. Je m'aperçois en traçant ces lignes d'un index tremblant dans le plasma de l'écran tactile, que c'est plus malin de parier sur l'enthousiasme que sur la jeunesse, parce qu'il est moins tributaire qu'elle de l'heure qu'il est à l'horloge biologique; c'est aussi pour ça que j'écris, pour savoir où j'en suis (apparemment dans la salle de montage n°2 de F* 3 P*de la L* en attendant que le journaliste m'envoie les images de son prochain reportage).

Clarabelle & Sharon - Douce crème

Quel dommage que je ne puisse m'enculer avec mes propres saillies, pour inopinées qu'elles fussent, j'aurais sans doute gagné un temps précieux dans ma vie affective en quête d'une altérité qui le soit pas trop, pour être quand même complémentaire. Patrick Font avait écrit un sketch rigolo sur le sujet mais il a fait des trucs avec des petites filles qui impliquent qu'on ne peut décemment évoquer son nom ni invoquer son fantôme sans se rincer tout de suite la bouche avec du savon, sinon on est excommunié, et des phénomènes étranges commencent à se produire et des bruits malaisants à sourdre des cabinets.

Odeurs 1979
Et donc, surprise, y a plein de morceaux inédits sur les deux concerts vidéo de Odeurs; et quelle bonne idée d'avoir fourni la playliste ! Robot loden, les russes blancs, le jour anniversaire, tu es belle, le mievre et la torture, l’hallaliberté, marie rose, le guide, gagarine ne sont jamais sorties sur disque. Enfin, j’ai vu passer quelques maquettes remasterisées parçi parlà, mais rien qui approche de la production pharaonique des albums studio.
Comme ce sont les versions live avec un son bootleg, on peine à se rendre compte ce que ça aurait donné sur disque, ce que vous en auriez fait en studio, puisque les concerts s'envolent mais que les galettes restent. Gagarine, l'instrumental de fin de set m'évoque les débuts du ska, mais aussi le “Natacha” des fils de teuhpu, dont les paroles auraient pu être écrites par Costric
"En vacances au lac Baïkal
Sur la plage de la centrale
Sous un soleil hivernal
J'ai rencontré une fille bicéphale
Elle s'appelle Natacha
Une oreille, deux nez, trois doigts,
elle est née dans la misère,
près de la centrale nucléaire..."

https://jesuisunetombe.blogspot.com/2013/02/les-fils-de-teuhpu-bogdanov-2001.html

De revoir avec les yeux du jeune vieillard que je suis maintenant (mais mon état est loin d'être stabilisé) les chorégraphies d' Odeurs qui me subjuguèrent tant à l'adolescence, ça m'évoque aussi Superdupont, spectacle du Grand Magic Circus de Jérôme Savary. Et je mesure le phénoménal travail du collectif derrière et devant toi, et aussi sur les côtés, sans parler des cavalcades que ça devait être en coulisse aux changements de costumes, la petite troupe quand même conséquente et jamais avare de paraphraser la chanson en images ou d'y ajouter des gags visuels plus ou moins douteux, ambiance foire à la saucisse, surtout que la mauvaise qualité de la vidéo fait que ça picote les yeux quand on tente de capter tout le sel de la chose.

M'enfin, qu'importe le flacon, car restent les Odeurs, et on imagine hors champ ce que l'image peine à restituer. On a l'œil du cœur, et la nostalgie de "qu'est-ce que c'était chouette" s'apprête à nous faire le coup du Père François, et puis on se rappelle ta chanson postérieure "c'était chouette", alors on rentre les épaules pour pas que ça nous arrive à nous...Et on reste interdit devant les notes de teintureries consécutives à chaque concert d'Odeurs, que des hordes de blanchisseurs chinois sortis des meilleurs Lucky Luke devaient facturer à un prix à peine couvert par les recettes !

"c'était chouette" la chanson (lyrics plutot explicites)

Comme j'ai écouté un peu tous tes disques aussi, sur le best œuf, je trouve qu'il y a un côté Zappa dans la première période d'Odeurs, un foisonnement artistique et scénique sans équivalent en France, et qu'on ne retrouve pas dans ta carrière solo qui sent suie, beaucoup plus sage et bien moins foutraque, mais faut-il regretter cet assagissement ? Vous deviez avoir une écriture très collégiale, tant les textes que les musiques, alors que Zappa était un despote impitoyable envers ses musiciens, si l'on en croit ses biographes, et en voyant le film qui lui est récemment consacré.
https://www.muziq.fr/zappa-le-film
Et puis on ne sait jamais très bien de qui Zappa se moque dans ses chansons; le plus souvent, des hippies, donc de son public, mais il avait l'air de mépriser la galaxie dans son entièreté, suite à des rognes qui l'avaient prises tout petit, lors de ses premières tentatives d'intégration dans un milieu qui lui était hostile, et qui ne l'avaient jamais quitté. Et en plus il n'aimait que Varèse. Et il n'avait pas entendu "L'amour", sur le troisième album d'Odeurs. Celui Qui A Jeté Un Froid. Ça lui aurait pourtant ouvert les portes de la bienveillance. Ça aurait pas été du luxe.

Ramon Pipin tardivement rattrapé par l'adolescence
Ramon Pipin envoie un message fort au gouvernement - 2021 - 

Pour expliquer la persistance rétinienne d'Odeurs dans le cœur de ses thuriféraires, malgré ce Troisième Album Qui A Jeté Un Froid, osons une analogie : en amour, on sait que si le sentiment survit à la disparition de la personne qui l'a suscité, alors c'était pas une hallu; de la même façon, en matière de parodie, une chanson qui reste drôle quand plus personne ne se souvient de la gueule de qui elle se foutait, c'est bon signe; comme "je m’aime", qui mettait en boite le "que je t'aime" de Johnny, mais qui reste un splendide monument aux morts-vivants du Narcissisme Pédonculé quand plus personne ne jaunit d’Halliday, ou "Couscous Boulettium", parodie de Kraftwerk, cet obscur duo de teutons homophiles qui bricolaient dans leur garage de la banlieue de Düsseldorf des refrains electro lowfi 30 ans avant l'invention de l'electro lowfi, et que l'oubli a recouvert de ses housses collantes et poussièreuses, alors que Couscous Boulettium a vu sa valeur prophético-dystopique augmenter depuis l'invention des OGM et des perturbateurs endocriniens. Ca sent les quatorze T dans Télérama quand y'aura une réédition.

Pop Club de José Artur 
Et puis, cette chanson, "l'amour", c'est malaisant, puisqu'on ignore à quel degré il faut la prendre. Nous voilà bien ennuyés. C'est la seule de l'album n°3 à ne pas afficher clairement d'intention parodique. Les paroles sont assez ambigües pour être prises au sérieux, ou relever d'un travail de déconstruction sur l'essence même de la rédaction sur l’amour niveau prépa du BEPC littéraire. Sans amour, il y aurait beaucoup moins de thèmes de chansons disponibles. On s'ennuierait. C'est anxiogène. Alors c’est vrai que c’est important de s’en occuper. Si la parodie suppose la désinvolture, elle est ici tellement élaborée qu'elle est indécelable.
J'ai lu chez ton copain gonzo que tu regrettais de n'être pas plus reconnu dans l'histoire du rock français.
Pour moi y'a deux raisons :

1/ sur les thématiques et leur traitement, aucune reconnaissance grand public n'est possible, vous (le collectif) pissez dans la soupe et vous moquez de tout depuis 45 ans, c’est ça qu’on ne vous a pas pardonnés et qui vous cantonne dans la cellule « rock rigolo » dont l’intitulé assigne les limites. Pourtant, s’il y a une constance dans l’œuvre, c’est le sérieux de la déconstruction du rock en tant que posture, depuis “oh les filles” jusqu’à « ça m’énerve » par Au Bonheur Des Dames, dont j'ai suivi les métamorphoses, et qui ont réjoui mes enfants petits et grands. Nul névropathe en son pays.


2/ sur le besoin de reconnaissance et la nécessité de l'humour comme remède à la banane alitée du Mal : on s'en moque d'être chéris par nos fans pour notre humour désopilant; on le sait bien, au fond de soi-même, qu'on est drôle, on n'y est pas pour grand chose, c'est comme pour la beauté, la polio ou la schizophrénie, on est né avec, on ne peut ni se consommer soi-même, ni se regazéifier avec son propre gaz. C'est pour ça qu'il nous faut un public, ou au moins une compagne, à défaut un clébard, qui applaudisse à nos blagues. Ce qui est chouette, c'est quand quelqu'un vous dit "avec votre traitement décapant, vous m'avez aidé à comprendre un truc", ou encore mieux, le quidam qu'on interrogeait sur ce qui l'avait aidé à traverser les années 70, et qui avait répondu “Corto Maltese” : on aurait été Hugo Pratt, on aurait biché sous cape, comme Zorro.

Je me souviens qu'en 1985, je squattais un studio de fonction minable qu'on avait alloué à mon père au fond du boulevard Kellermann, près du parc Montsouris, ma vie ne prenait pas du tout la voie souhaitée, et je ne la voyais pas s'améliorer vu la façon dont je m'y prenais, et je le savais mais pensais ne rien pouvoir y faire, j’ai ni fait ni à faire, Jennifer, et tous les matins quand je relevais le volet de fer pour voir la lumière du jour, après m'être extirpé de mon sac de couchage crasseux, je relisais le tag fluo qu'un raciste rageur mais enthousiaste avait bombé sur le mur d'en face : “les crouilles au four”. Alors j'écoutais "nous sommes tous frères", ou "les fadaises d'Etretat", et je trouvais que quand même, c'était bien de pouvoir éprouver un sentiment de fraternité avec des individus qui partageaient mes tourments, mais que je ne rencontrerais probablement jamais.Et voilà pour la première partie de mon hommage anthume.
- Qu’est-ce qu’il a dit, finalement ?
- Il a dit qu’il trouvait ça chouette !

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les photos sont extraites du dossier présent sur la clé USB.
Les vidéos empruntées sur le site de l'INA, béni soit son sein doux. 


des links en +, comme si ça suffisait pas : 


la saga Ramon Pipin épisode 1

Les souvenirs de Ramon concernant la genèse du groupe

et le wiki, sans doute écrit par un comparse, voire par l'auteur lui-même.