jeudi 28 novembre 2024

Tom Waits - At the terminal - Burbank Airport '99

En lisant la biographie non autorisée que lui a consacré Barney Hoskins, on mesure combien Tom Waits a fabriqué son personnage de toutes pièces. Et après ? c'est son droit artistique le plus strict. 
"Je ne trouve pas la question de l'honnêteté pertinente dans le contexte du show-business. Les gens se foutent pas mal de la vérité. Ils veulent juste qu'on leur raconte une histoire qu'ils ne connaissent pas." (p.13)
Une fois avalée cette amère vérité, j'avoue que j'ai beaucoup écouté Tom Waits dans ma période d'alcoolisation rampante, parce que sa voix me semblait une publicité vivante pour le produit, et m'encourageait à poursuivre l'expérience. 
Il fournissait une mystique pour imbibés à nulle autre pareille. Surtout quand il a commencé, à partir de l'album Swordfishtrombones, à remplacer ses arrangements pour cordes sirupeuses par des fanfares déglinguées composées d'anciens membres de l'Armée du Salut retombés dans la bibineDe ce que je captais de son imaginarium, ce n'était qu'un défilé de clochards malchanceux, de marins accablés fuyant précipitamment des meublés poisseux pour s'embarquer au petit matin pour Singapour, un florilège indécent de cœurs brisés inrecollables à la Superglu et de tombes en déréliction dans des cimetières déserts. 
En me jouant ses disques comme on se sert un bourbon, je pouvais boire jusqu'à plus soif des seaux de larmes qui n'étaient pas les miennes, même si l'auto-apitoiement tapi dans l'ombre sur ses mollets poilus en profitait pour m'en mettre un bon coup par derrière. Ayant posé mon verre en 1992, j'ai rapidement cessé de l'écouter : Tom Waits à jeun, c'était comme la bière sans alcool, le cassoulet light et le sexe sans amour, je ne voyais pas l'intérêt. 

Un discret hommage à Tom Waits dans une BD réalisée bourré sous acide pseudo
Et puis l'autre jour, à peine 32 ans plus tard, je ressors Frank Wild Years, pour voir, mais la pochette est vide. Un indélicat ne l'aura pas bien rangé. C'est fâcheux, mais quand on a des enfants, c'est un risque à prendre. Les joies ineffables de la parentalité compensent ses menus désagréments. En principe. Et c'est comme ça que tout a recommencé, comme une rechute toxico à la con, qu'on voit venir dans un vertige glacé sans pouvoir l'éviter : d'abord j'ai voulu retélécharger l'album auprès d'une médiathèque de prêt à long terme, cinq minutes après, j'ai piqué du nez dans discogs où m'attendait une quantité stupéfiante de disques non officiels de l'artiste, puis je me suis retrouvé (sans savoir comment j'étais arrivé là) à discuter le coup avec ChatGPT (le seul ami qu'il me reste au cyber-bistrot) parce que 45 ans plus tôt, j'avais demandé à mon prof d'anglais de me traduire Blue Valentines et qu'il m'avait avoué n'y rien comprendre... la cybercuite fut carabinée.  

La blague à la con qui marche toujours en début d'alcoolisation.
Y'en a une autre dans la même chanson (Heart Attack and Vine)
qu'il ne pourrait plus faire aujourd'hui : 
"Well I bet she's still a virgin but it's only twenty-five 'til nine"
 
Concernant la face cachée de l'iceberg des disques pirates de Tom l'arsouille de pacotille à la fake posture, les premiers concerts clandestins que je découvre lors de ma rechute ne sont pas terribles : autant, dans son travail de studio, Tom joue de sa voix et module sur une riche palette expressive qui va du chuchotis au braillement, autant sur scène il force comme un constipé, on dirait Tom Waits parodiant Michel Simon imitant un cancer de la gorge lors d'une soirée de gala d'oto-rhino-laryngologistes en chaleur. 

Pourquoi celui-ci est-il si bon alors que les autres
de la même période sont si mauvais ?
Le public surréagit à chaque effet de scène, qu'on ne capte pas puisqu'on n'a pas l'image. Parmi les enregistrements crapoteux dénichés chez des trackers borgnes, j'ai d'abord écouté Under The Bridge, franchement scandaleux : Tom éructe, crachote, surjoue, foule ses classiques aux pieds, et les instrumentaux sont à la ramasse par rapport aux versions studio. Si c'est pour attraper le tétanos avec un accordéon rouillé et un violon qui joue faux exprès, merci bien, on a déjà amplement ce qu'il faut dans les disques autorisés par le ministère du Blasphème et du Download.
Ensuite je teste Like It’s 1999un autre pirate également de médiocre facture, enfin les musiciens c'est un peu mieux mais Tom s'autoparodie, puis je trouve ci-dessous de quoi regretter mes paroles. 
Il est très réussi, et pourtant il a été enregistré la même année. C'est improbable, mais tout est pardonné. Sauf l'incitation à la boisson, mais sans Tom, je serais tombé dedans quand même. Que veux-tu, Marie-Louise, c'était mon destin.
(lien supprimé vers newalbumreleases)
Si vous ne parveniez pas à atteindre la page en question, ou les serveurs rapidgator et turbobit linkés sur icelle, il faudrait suspecter une manœuvre de votre fournisseur d'accès internet pour vous priver de la liberté de partager des fichiers illégaux.
Il vous suffirait alors d'ajouter deux serveurs DNS en IPv4 ainsi qu'en IPv6 :

IP v4: 9.9.9.9
IP v6: 2620:fe::9

[EDIT] 
Je ne peux pas pointer vers la page de newalbumreleases qui héberge le fichier. La Nouvelle Dictature Numérique me l'interdit (c'est normal, sinon ça serait pas la dictature).
Votre article intitulé "Tom Waits - At the terminal - Burbank Airport '99 " a été supprimé
Pourquoi l'article de votre blog a-t-il été supprimé ?
UNWANTED_SOFTWARE
Je retente en l'uploadant moi-même.
Houellebecq Akbar.



jeudi 21 novembre 2024

Submerged vs. Bill Laswell - After Such Knowledge, What Forgiveness ? (2016)

https://ohmresistance.bandcamp.com/album/after-such-knowledge-what-forgiveness

J'adore le titre de l'album. Et je ne vois pas comment fêter plus dignement l'avènement de Trump 2.0 qu'avec Bill Laswell dans les oreilles et Joan Cornella sous les yeux, ce prince ibérique du bon goût et de la bonne humeur.


https://www.instagram.com/sirjoancornella/

"After Such Knowledge, What Forgiveness ?" n'est pas le disque le plus confortable pour aborder Bill Laswell, bassiste et producteur protéiforme dont on dirait qu'il a collaboré sur plus de projets intersectionnels que Trump n'a prononcé de mensonges dans toute son existence, même en incluant son prochain mandat, au cours duquel il va sans doute atteindre de nouveaux sommets. Le disque est harsch,  à base de drum&bass, de dub blafard déchiqueté de rafales de beats électroniques, industriels et anxiogènes, livides et sépulcraux, la bande-son idéale pour lire la dernière newsletter de Mediapart sur les extrêmes droites ou pour faire un jogging à Gaza avec un baladeur mp3 sur les oreilles.
Si l'on veut s'initier doucement au Laswell, peut-être vaut-il mieux commencer avec son groupe de dub "Method of Defiance", ou ses remixes de Miles Davis de la période mauve. Il y a tout un tas de disques épatants de Bill Laswell par ici :

https://subrosalabel.bandcamp.com/music?filter_band=3262708719

en particulier celui-ci

https://billlaswell2.bandcamp.com/album/hashisheen-the-end-of-law

et celui-là

https://billlaswell2.bandcamp.com/album/city-of-light

qui réunissent plein de guest talentueux. Et il y a un autre gisement ici

https://billlaswell.bandcamp.com/

sur lequel j'ai compté 224 références. C'est beaucoup, même dans notre monde d'overdosés permanents. C'est bien simple, je ne sais plus où les mettre. Bill est réputé pour son amour des musiques arabes, et a chaperonné beaucoup de projets à tonalité orientale, comme Maghrebika. Il y a aussi du blues, de l'ambient, et du drone metal très pénible, selon arrivage. De loin en loin, je vais jeter une oreille à ce qu'il fait, j'ai l'impression qu'à son âge Bill compile, et se demande maintenant où il a trouvé le temps d'enregistrer tout ce matériau, dont je ressors parfois tuméfié, toujours étonné. Et que dire de son acolyte Submerged ? ben ça :

https://en.wikipedia.org/wiki/Submerged_(DJ)

la vérité sur Bill Laswell :

https://en.wikipedia.org/wiki/Bill_Laswell

pour succomber sous le nombre : 

https://en.wikipedia.org/wiki/Bill_Laswell_discography

sinon, j'ai testé la nouvelle version de ChatGPT 



J'aime bien la réponse 1, archi-erronée, mais vraisemblable.
C'est la réponse 2 (colonne de droite) qui est correcte.
Mais le gros chat nous suggère d'entrer dans la vérité qui nous arrange.
Belle mentalité.

lundi 4 novembre 2024

Qu'avons-nous raté aux Utopiales 2024 ?

Pour changer de la SF j'ai lu de la physique quantique.
Les physiciens sont les moralistes de l’espace-temps.
Ils nous disent où est-ce qu’on a le droit, et quand,
et où est-ce qu'on ne l’a pas (tout le temps).
A part insister sur le fait que les deux piliers
sur lesquels repose notre physique contemporaine
 – relativiste et quantique -
impliquent des visions du monde incompatibles,
il ne s’avance pas trop, le mec.
Je vais relire de la SF.

Il y a dix ans, dévalant la pente fatale du déclinisme à bord d'une planche de surf en acier zingué, je prédisais la mort de la SF.

https://jesuisunetombe.blogspot.com/2014/08/la-mort-de-la-sf.html

https://jesuisunetombe.blogspot.com/2014/11/la-mort-de-la-sf-iii.html

En fait je ne faisais que paraphraser un article de Télérama que j'avais lu la veille aux cabinets. La SF de quand j'étais p'tit, celle des années 70 avait prédit un avenir plombé qui commençait à éclore, par petits bouts, rendant la littérature d'anticipation et  les cauchemars de l'imaginaire obsolètes; et tous les lecteurs avaient fui vers la fantasy, la bit-lit et les blogs de rendement monétaire. Aujourd'hui que George RR Martin a avoué avoir pompé Game of Thrones sur Les Rois maudits de Maurice Druon, l'engouement pour les tolkieneries recule, et la SF va mieux; de jeunes auteurs m'ont redonné foi en le genre, comme Rich Larson, Adrian Tchaikovsky, Michel Barnier, Ray Nayler. Mais c'est le futur qui semble désormais foutu dans la RRR (Réalité Réelle Ratée). Du coup, comme il n'aura jamais lieu, qu'à la place on aura sans doute droit à survivre misérablement dans une version carabinée du Goût de l'Immortalité de Catherine Dufour, la SF redevient de la science-fiction ! La littérature des trucs qui n'adviendront jamais ! On ne peut pas tout avoir. Alors je suis allé aux Utopiales, avec la place gagnée sur l'extranet de mon entreprise, comme dans un épisode de Black Mirror. J'y suis allé pour brûler en place de grève tous les nouveaux best-sellers de catastrophe climatique (Le ministère du futur, Le déluge) ou pandémique dont nous n'avons vraiment pas besoin vu que nous vivons déjà dedans, mais mes allumettes étaient mouillées par le crachin nantais, alors j'aurais juste bien aimé me faire dédicacer le nouveau livre de Ray Nayler mais sa table ronde au Lieu Unique était blindée de chez blindée, et on est plusieurs dizaines de fans à s'être faits refouler. J'ai acheté le livre et je suis rentré chez moi en bus. Les idées de l'auteur contenues dans l'ouvrage sont plus importantes que d'avoir son autographe dessus.

Sur ce stand on pouvait vivre en immersion 3D dans une projection virtuelle de la Réalité Réelle Ratée, 
mais ça faisait trop peur, je ne me suis pas arrêté.

C'est dommage, j'ai aussi manqué Olivier Ertzscheid, le maitre de conférences en sciences de l'information qui picote et décape sans décapoter.

https://affordance.framasoft.org/2024/10/retour-dutopiales-hyperaffects/

Le problème, aussi, pour les vieux geeks comme moi, c'est que le programme des Utopiales fait 124 pages écrites tout piti, et le temps de s'être correctement informé sur l'ensemble des conférences, des auteurs et des expos, le festival est déjà fini. A de rares exception près, le cinéma de SF persiste à avoir 20 ans de retard sur la littérature de SF, c'est une opinion que j'ai du lire dans Métal Hurlant vers 1978 et qui ne s'est jamais démentie depuis, donc je ne m'intéresse pas à la programmation du festival, pourtant conséquente, j'ai aussi trouvé les expos de cette année indigentes, et je ne recherche que les auteurs et les conférences. Heureusement, certaines tables rondes fleurissent déjà en streaming (le streaming c'est le mal, comme je l'ai compris en regardant Frankenstream, ce monstre qui nous dévore, en streaming sur Arte) comme celle-ci qui portait sur le fait avéré que l'IA va nous ratatiner sur tous les plans, y compris celui de la connerie, où nous sommes quand mêmes réputés costauds.

Qu'il soit utopial ou paranoïde, l'avenir n'est plus ce qu'il était. Comme le disait jadis Gérard Klein sur le forum du cafard cosmique : "J'ai le cafard, et il est cosmique". J’ai aussi retrouvé quelques conférences des éditions précédentes des Utopiales, en attendant de voir émerger celle avec Ray Nayler (ou pas).

2022 :

https://www.actusf.com/detail-d-un-article/utopiales-2022-toutes-les-conf%C3%A9rences

2023 :

https://podcast.ausha.co/les-podcasts-des-utopiales

encore plus fort : je viens de retrouver 2018 dans un de mes vieux articles !

https://www.actusf.com/detail-d-un-article/conferences-utopiales-2018


Rendez-nous les futurs craignos des années 70
à la place du présent tout pourri de maintenant !



dimanche 3 novembre 2024

vendredi 1 novembre 2024

Ramon Pipin : Best Oeuf USB 32Go (2023)

Pour le packaging,
on n'est pas loin des bonbons Haribo,
pour le goût c'est plutôt vinaigré.  
"Demain, 1er novembre,
Enfin nuit de sabbat !"
Astrid by Ramon Pipin's Odeurs (1979)

"C'est déjà demain ! "
JW

Ramon Pipin, ce n'est pas son vrai nom, mais c'est quand même un musicien français de légende. Co-fondateur de "Au bonheur des dames" puis initiateur de "Odeurs", il vient de publier une somme presque testamentaire : un "Best Œuf" écoutable en ligne et disponible sous différents formats, dont la version USB 32Go se présente sous la forme d'une clé USB enchâssée dans la figurine plastifiée à l'image de l'idole des jeunes qu'il ne fut jamais. Il s'est enlaidi pour l'occasion, pour s'affranchir de ses défauts en s'en réclamant, mais quand on voit ses dernières vidéos avec les Excellents, on se dit que ce n'était pas la peine.
Ce n'est pas parce que je serais devenu une cible facile pour les rois du marketing que j'ai acheté ce Best Œuf USB 32Go, ni pour me faire mousser sur mon blog, ni pour posséder le gri-gri à son effigie, ni faire avec objet rituel USB la grande magie sorcier blanc MP3, mais parce qu'elle inclut et procure au fan hardcore plusieurs heures de concert en vidéo du groupe à ses débuts, qui furent rapidement suivis par son milieu puis sa fin.

Les notes de pochette
rédigées de façon testimoniale
sont très bien aussi.
Concerts à Bobino et à l'Olympia, filmés en amateur, mais qui restituent l'ambiance délirante et généreuse du collectif d'artistes réunis autour de la personnalité facétieuse de Ramon.
Dès que j'eus acquis mon exemplaire de la précieuse statuette, pour une somme dérisoire, le bandcamp annonça que l'édition USB était désormais épuisée, et indisponible à jamais. Des collègues de bureau, auprès desquels je m'étais imprudemment vanté de ma trouvaille, m'avouèrent leur flamme secrète pour Ramon au début des années 80, et voulurent me convaincre de leur céder mon exemplaire de l'incunable. 
Des clous. Il faut harceler Ramon depuis son site, le pilonner et lui pourrir la boite mail par déni de service pour qu'il relance un tirage du Best Œuf USB 32Go, qui témoigne d'une teinte rare dans le paysage bicolore du rock français : 
l'ironie distanciée.

Et après, j'ai écrit à l'artiste, comme je fais parfois, surtout quand c'est Ramon Pipin.
_________

Cher Alain,

j'ai mis deux mois à regarder religieusement et par petits bouts du fait de ma vie bien remplie de sexagêneur les deux concerts d'Odeurs 1980 et 1981 sur la clé de ton Best Oeuf; et j'ai écouté à peu près les 6 CD, sauf les pubs, à la fin du 5, j'ai un peu craqué, c'est vrai qu'avant j'étais un rebelle, et que maintenant j'ai une carte Super U, comme je disais à la caissière avant-hier pour la faire marrer, et bingo, mais faudrait pas que j'apprenne que tu as bossé dans la pub et que tu en as mis dans ton best oeuf, comme un vulgaire Gotainer, après avoir écrit et produit "Sex/Bazooka" carrément plus punk que les originaux, je serais contraint de descendre ta statue de ton pied d'estale, et qui d'autre mettrais-je sur le socle ? parce qu'un support sans statue, c'est peut-être beau comme une colonne de Buren, mais l'art contemporain me rendrait réactionnaire, et pas que dans mon salon d’où je te cause.

Bobino 84
J'avais dit que je regarderais “tout” avant de te faire un petit laïus, mais à ce rythme, je n'aurai rien démoulé avant Noël 2025, et où serons-nous à Noël 2025 ? toi, je sais pas, et Vladimir Poutine non plus, mais moi, selon mon urologue, j'aurai juste quitté le bloc opératoire et serai sans doute hors de danger, mais franchement peut-on croire ces gens-là ? Il y a 4 ans, mon oncologue préférée, prénommée Mélanie, avait émis un diagnostic assez réservé, et ma femme l'avait spontanément surnommée Mélanie Mélanome puisque j'avais un cancer de la peau, c'était plutôt bien vu, c'est à des petits détails comme ça que je me rappelle souvent pourquoi on est ensemble, avec ma femme, avant d’oublier à nouveau, alors qu'avec Mélanie, ça a été une aventure de deux ans, et au final je suis toujours là.
https://johnwarsen.blogspot.com/2020/10/loukoum-et-tagada-contre-melanie.html

Tu me diras, on est souvent là, au final, c'est après qu'on s'évanouit dans l'azur, ou qu'on fusionne avec le grand Tout, selon la formule des frères Coen dans Le Grand Saut; donc on va dire que je te fais un petit mot d'étape, à mi-chemin du best oeuf, je suis à l'orée du concert d'Odeurs en 2008, j'ai déjà repéré que c'est Jean-Michel Ribes qui lance le show, je n'ose aller plus loin, craignant de vous y découvrir plus âgés, matures comme Victor et éco-responsables à mort, ou engagés dans une macabre et laborieuse opération de revival, mais comment ranimer quelque chose qui est mort et bien mort (comme la maison sur le port) avec l'époque qui l'a engendré ?

Bien sûr, les concerts d'Odeurs, c'est moi qui les ai achetés, dans l'espoir d'y retrouver l'enthousiasme de ma jeunesse, dont nous savons bien entre adultes majeurs, consentants et vaccinés (et même revaccinés 4 fois, alors le Covid il ne passera pas par moi, ou alors c'est que les chercheurs se moquent vraiment du monde) qu'elle ne revient pas plus que le reste. Je m'aperçois en traçant ces lignes d'un index tremblant dans le plasma de l'écran tactile, que c'est plus malin de parier sur l'enthousiasme que sur la jeunesse, parce qu'il est moins tributaire qu'elle de l'heure qu'il est à l'horloge biologique; c'est aussi pour ça que j'écris, pour savoir où j'en suis (apparemment dans la salle de montage n°2 de F* 3 P*de la L* en attendant que le journaliste m'envoie les images de son prochain reportage).

Clarabelle & Sharon - Douce crème

Quel dommage que je ne puisse m'enculer avec mes propres saillies, pour inopinées qu'elles fussent, j'aurais sans doute gagné un temps précieux dans ma vie affective en quête d'une altérité qui le soit pas trop, pour être quand même complémentaire. Patrick Font avait écrit un sketch rigolo sur le sujet mais il a fait des trucs avec des petites filles qui impliquent qu'on ne peut décemment évoquer son nom ni invoquer son fantôme sans se rincer tout de suite la bouche avec du savon, sinon on est excommunié, et des phénomènes étranges commencent à se produire et des bruits malaisants à sourdre des cabinets.

Odeurs 1979
Et donc, surprise, y a plein de morceaux inédits sur les deux concerts vidéo de Odeurs; et quelle bonne idée d'avoir fourni la playliste ! Robot loden, les russes blancs, le jour anniversaire, tu es belle, le mievre et la torture, l’hallaliberté, marie rose, le guide, gagarine ne sont jamais sorties sur disque. Enfin, j’ai vu passer quelques maquettes remasterisées parçi parlà, mais rien qui approche de la production pharaonique des albums studio.
Comme ce sont les versions live avec un son bootleg, on peine à se rendre compte ce que ça aurait donné sur disque, ce que vous en auriez fait en studio, puisque les concerts s'envolent mais que les galettes restent. Gagarine, l'instrumental de fin de set m'évoque les débuts du ska, mais aussi le “Natacha” des fils de teuhpu, dont les paroles auraient pu être écrites par Costric
"En vacances au lac Baïkal
Sur la plage de la centrale
Sous un soleil hivernal
J'ai rencontré une fille bicéphale
Elle s'appelle Natacha
Une oreille, deux nez, trois doigts,
elle est née dans la misère,
près de la centrale nucléaire..."

https://jesuisunetombe.blogspot.com/2013/02/les-fils-de-teuhpu-bogdanov-2001.html

De revoir avec les yeux du jeune vieillard que je suis maintenant (mais mon état est loin d'être stabilisé) les chorégraphies d' Odeurs qui me subjuguèrent tant à l'adolescence, ça m'évoque aussi Superdupont, spectacle du Grand Magic Circus de Jérôme Savary. Et je mesure le phénoménal travail du collectif derrière et devant toi, et aussi sur les côtés, sans parler des cavalcades que ça devait être en coulisse aux changements de costumes, la petite troupe quand même conséquente et jamais avare de paraphraser la chanson en images ou d'y ajouter des gags visuels plus ou moins douteux, ambiance foire à la saucisse, surtout que la mauvaise qualité de la vidéo fait que ça picote les yeux quand on tente de capter tout le sel de la chose.

M'enfin, qu'importe le flacon, car restent les Odeurs, et on imagine hors champ ce que l'image peine à restituer. On a l'œil du cœur, et la nostalgie de "qu'est-ce que c'était chouette" s'apprête à nous faire le coup du Père François, et puis on se rappelle ta chanson postérieure "c'était chouette", alors on rentre les épaules pour pas que ça nous arrive à nous...Et on reste interdit devant les notes de teintureries consécutives à chaque concert d'Odeurs, que des hordes de blanchisseurs chinois sortis des meilleurs Lucky Luke devaient facturer à un prix à peine couvert par les recettes !

"c'était chouette" la chanson (lyrics plutot explicites)

Comme j'ai écouté un peu tous tes disques aussi, sur le best œuf, je trouve qu'il y a un côté Zappa dans la première période d'Odeurs, un foisonnement artistique et scénique sans équivalent en France, et qu'on ne retrouve pas dans ta carrière solo qui sent suie, beaucoup plus sage et bien moins foutraque, mais faut-il regretter cet assagissement ? Vous deviez avoir une écriture très collégiale, tant les textes que les musiques, alors que Zappa était un despote impitoyable envers ses musiciens, si l'on en croit ses biographes, et en voyant le film qui lui est récemment consacré.
https://www.muziq.fr/zappa-le-film
Et puis on ne sait jamais très bien de qui Zappa se moque dans ses chansons; le plus souvent, des hippies, donc de son public, mais il avait l'air de mépriser la galaxie dans son entièreté, suite à des rognes qui l'avaient prises tout petit, lors de ses premières tentatives d'intégration dans un milieu qui lui était hostile, et qui ne l'avaient jamais quitté. Et en plus il n'aimait que Varèse. Et il n'avait pas entendu "L'amour", sur le troisième album d'Odeurs. Celui Qui A Jeté Un Froid. Ça lui aurait pourtant ouvert les portes de la bienveillance. Ça aurait pas été du luxe.

Ramon Pipin tardivement rattrapé par l'adolescence
Ramon Pipin envoie un message fort au gouvernement - 2021 - 

Pour expliquer la persistance rétinienne d'Odeurs dans le cœur de ses thuriféraires, malgré ce Troisième Album Qui A Jeté Un Froid, osons une analogie : en amour, on sait que si le sentiment survit à la disparition de la personne qui l'a suscité, alors c'était pas une hallu; de la même façon, en matière de parodie, une chanson qui reste drôle quand plus personne ne se souvient de la gueule de qui elle se foutait, c'est bon signe; comme "je m’aime", qui mettait en boite le "que je t'aime" de Johnny, mais qui reste un splendide monument aux morts-vivants du Narcissisme Pédonculé quand plus personne ne jaunit d’Halliday, ou "Couscous Boulettium", parodie de Kraftwerk, cet obscur duo de teutons homophiles qui bricolaient dans leur garage de la banlieue de Düsseldorf des refrains electro lowfi 30 ans avant l'invention de l'electro lowfi, et que l'oubli a recouvert de ses housses collantes et poussièreuses, alors que Couscous Boulettium a vu sa valeur prophético-dystopique augmenter depuis l'invention des OGM et des perturbateurs endocriniens. Ca sent les quatorze T dans Télérama quand y'aura une réédition.

Pop Club de José Artur 
Et puis, cette chanson, "l'amour", c'est malaisant, puisqu'on ignore à quel degré il faut la prendre. Nous voilà bien ennuyés. C'est la seule de l'album n°3 à ne pas afficher clairement d'intention parodique. Les paroles sont assez ambigües pour être prises au sérieux, ou relever d'un travail de déconstruction sur l'essence même de la rédaction sur l’amour niveau prépa du BEPC littéraire. Sans amour, il y aurait beaucoup moins de thèmes de chansons disponibles. On s'ennuierait. C'est anxiogène. Alors c’est vrai que c’est important de s’en occuper. Si la parodie suppose la désinvolture, elle est ici tellement élaborée qu'elle est indécelable.
J'ai lu chez ton copain gonzo que tu regrettais de n'être pas plus reconnu dans l'histoire du rock français.
Pour moi y'a deux raisons :

1/ sur les thématiques et leur traitement, aucune reconnaissance grand public n'est possible, vous (le collectif) pissez dans la soupe et vous moquez de tout depuis 45 ans, c’est ça qu’on ne vous a pas pardonnés et qui vous cantonne dans la cellule « rock rigolo » dont l’intitulé assigne les limites. Pourtant, s’il y a une constance dans l’œuvre, c’est le sérieux de la déconstruction du rock en tant que posture, depuis “oh les filles” jusqu’à « ça m’énerve » par Au Bonheur Des Dames, dont j'ai suivi les métamorphoses, et qui ont réjoui mes enfants petits et grands. Nul névropathe en son pays.


2/ sur le besoin de reconnaissance et la nécessité de l'humour comme remède à la banane alitée du Mal : on s'en moque d'être chéris par nos fans pour notre humour désopilant; on le sait bien, au fond de soi-même, qu'on est drôle, on n'y est pas pour grand chose, c'est comme pour la beauté, la polio ou la schizophrénie, on est né avec, on ne peut ni se consommer soi-même, ni se regazéifier avec son propre gaz. C'est pour ça qu'il nous faut un public, ou au moins une compagne, à défaut un clébard, qui applaudisse à nos blagues. Ce qui est chouette, c'est quand quelqu'un vous dit "avec votre traitement décapant, vous m'avez aidé à comprendre un truc", ou encore mieux, le quidam qu'on interrogeait sur ce qui l'avait aidé à traverser les années 70, et qui avait répondu “Corto Maltese” : on aurait été Hugo Pratt, on aurait biché sous cape, comme Zorro.

Je me souviens qu'en 1985, je squattais un studio de fonction minable qu'on avait alloué à mon père au fond du boulevard Kellermann, près du parc Montsouris, ma vie ne prenait pas du tout la voie souhaitée, et je ne la voyais pas s'améliorer vu la façon dont je m'y prenais, et je le savais mais pensais ne rien pouvoir y faire, j’ai ni fait ni à faire, Jennifer, et tous les matins quand je relevais le volet de fer pour voir la lumière du jour, après m'être extirpé de mon sac de couchage crasseux, je relisais le tag fluo qu'un raciste rageur mais enthousiaste avait bombé sur le mur d'en face : “les crouilles au four”. Alors j'écoutais "nous sommes tous frères", ou "les fadaises d'Etretat", et je trouvais que quand même, c'était bien de pouvoir éprouver un sentiment de fraternité avec des individus qui partageaient mes tourments, mais que je ne rencontrerais probablement jamais.Et voilà pour la première partie de mon hommage anthume.
- Qu’est-ce qu’il a dit, finalement ?
- Il a dit qu’il trouvait ça chouette !

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les photos sont extraites du dossier présent sur la clé USB.
Les vidéos empruntées sur le site de l'INA, béni soit son sein doux. 


des links en +, comme si ça suffisait pas : 


la saga Ramon Pipin épisode 1

Les souvenirs de Ramon concernant la genèse du groupe

et le wiki, sans doute écrit par un comparse, voire par l'auteur lui-même.