Je viens de percucapter que A crédit et en stéréo d'Eddy Mitchell était une adaptation plutôt enthousiaste (à défaut d'être réussie, en tout cas aux yeux des Fils à Pénible dans mon genre, mais on les emmerde) de No particular place to go de Chuck Berry.
Ça m'est venu en le sifflotant dans la cuisine, tout en donnant de petits coups de latte à divers objets qui trainaient par terre, pour leur rappeler qu'ils n'avaient rien à faire là.
A première vue, No particular place to go raconte l'équipée automobile de Chuck Berry quand il était jeune, il emmène sa copine en balade dans son véhicule à combustible fossile, ils n'ont nulle part où aller en particulier, il aimerait bien l'embrasser et plus si affinités, mais ils ne parviennent ni l'un ni l'autre à défaire leurs ceintures de sécurité, alors ils ne font rien du tout et finissent par rentrer à la maison avec une monstrueuse érection frustration, flon flon, qu'ils vont sans doute éteindre en se goinfrant de Royal Bacon® dans un MacDo, tout du moins s'ils parviennent à débloquer leurs ceintures de sécurité, la chanson ne le dit pas, ce n'est pas son boulot.
J'ai toujours décodé un sous-texte racial dans cette entêtante ritournelle, pour moi la copine de Chuck est blanche, c'est pour ça que leurs ceintures (les convenances de l'époque, dont la non-mixité) restent coincées, et qu'ils n'ont pas d'endroit où aller, et qu'ils ne parviennent à rien faire ensemble, à l'instar du jeune Alexandre dans le complexe de Portnoy de Philip Roth, et puisqu'on ne vivra jamais tous les deux, puisqu'on est fous, puisqu'on est seuls, puisqu'ils sont si nombreux et que même la morale parle pour eux, alors à quoi bon se raser ?
La chanson date de 1964.
En 2017, soit 53 ans plus tard, Jordan Peele réalise une variante en pdf filmé sur le même thème, version quand même assez éloignée de l'original sur cette question toujours sensible aux USA sous Trump 1er, question qu'on ne peut laisser en pâture aux mains des fous de la gâchette qui s'invitent de plus en plus régulièrement dans le débat auquel ils n'apportent pas de nouvel argument rhétorique sinon un gros tas de cadavres encore tièdes, et quand tu es un cadavre, il importe finalement peu que tu sois Noir ou Blanc, Ouais Ouais Ouais Maintenant.
L'adaptation d'Eddy Mitchell, quant à elle, escamote subtilement la question raciale, pour se concentrer sur une critique radicale du capitalisme financier. Eddy venait de lire La société du spectacle de Guy Debord et voulait se payer le rêve américain, en épinglant ses pires travers. A l'époque où sort le quarante-cinq trous A crédit et en stéréo on pensait que le consumérisme ne s'en relèverait pas, mais finalement sa capacité à récupérer sa critique fonde son aptitude à la survie, et je crois bien que tant que l'homme blanc n'aura pas pollué la dernière rivière et abattu le dernier arbre, il n'acceptera pas l'idée que l'argent ne se mange pas, il est un peu idiot, à crédit et en stéréo.
No particular place to go
A crédit et en stéréo