lundi 22 juin 2020

Callisto McNulty - Delphine et Carole, insoumuses (2019)

« Ma chère enfant, ce serait une grande faute
que d’épouser votre père. C’est très simple, il faut le décourager, sans le contredire.
- Mais je l’aime. »

Delphine Seyrig et Catherine Deneuve,
dans Peau d’âne.
- extrait inclus dans le documentaire -



Elles ont dû bien s'amuser, Delphine et Carole, dans les années 70. Carole en a attrapé les rides de la rigolade, elle est fatiguée mais toujours enthousiaste pour évoquer les grandes heures du féminisme militant, qui marque les débuts glorieux et victorieux de l’émancipation des femmes hors des carcans patriarcaux. Elle est interviewée en 2009 pour fournir le fil conducteur de ce portrait croisé des deux copines, qui devait se focaliser sur Delphine Seyrig, disparue du cancer du poumon en 1990. Parce que les deux pasionarias ont beau combattre l'oppression masculine dans ces années-là, en s’emparant les premières des moyens de la vidéo légère et en réalisant une série de films assez acides sur la condition féminine, elles croisent les représentants officieux du discours du maitre sur les plateaux télé, les Drucker, Bellemare, Pivot le roi des valets, qui les accueillent brièvement dans leurs émissions avec une condescendance certaine et amusée, mais elles sont aussi prisonnières de la clope, qui les emportera toutes deux avant l’heure.

Carole n'a pas fini son film sur Delphine.
Sa petite fille l'achèvera dix ans plus tard.
Tout le monde fume comme des pompières, dans ces archives sagement tricotées par Callisto McNulty, la petite-fille de Carole. Et ça ne choquait personne, le tabagisme, pas plus que le sexisme ordinaire.
Et comment peut-on s’appeler Callisto McNulty, à moins de jouer dans The Wire ? le film ne le dit pas. Le film ne dit pas grand-chose, d’ailleurs, s’interdisant la voix off, brodant interviews, extraits de films, d’auto-productions vidéo de l’époque, retraçant par petites touches ce combat pour s’affranchir du phallocentrisme. Quarante cinq ans après, que reste-t’il de ces luttes ? Si on lit la récente enquête du Monde « Féminicides : mécanique d’un crime annoncé » on se le demande un peu.
Mais si, surmontant cet abattement passager, moins définitif que celui des victimes, on lit les éditos de Maïa Mazaurette dans le même journal, on se dit qu’au moins, maintenant, elles peuvent dire leur désir, au risque de paraitre plus mec que le mec le plus macho. Certaines affirment aujourd'hui la primauté du fantasme de toute puissance phallique. Je veux choisir mes partenaires, imposer les formes de mon plaisir et rester maître du tempo. Je veux avoir le phallus et non pas me soumettre au désir de l'autre jusqu’à être pour lui le phallus, ce qui est le marqueur du pole féminin du désir et le secret de leur pouvoir bien plus redoutable.
Et pourquoi pas ? moi ça m’a toujours eu l’air un peu fumeux, ces histoires. Le phallus c’est pas ce truc pour offrir du plaisir ? J’en ai entendu parler par Lou Reed, en termes voilés mais élogieux dans sa chanson « My red joystick ». Mon rouge bâton de Joie. Mais pour donner du plaisir, voire de la Joie quand la météo s’y prête, il faut bien quelqu’un pour en recevoir, non ? alors je me dis qu'on peut pas tous avoir des phallus, quand même, ça marcherait moins bien. Même si on dit des phalli.


Après, sur le plan symbolique, et au nom de la parité ratée et encore plus mieux ratable que nos grand-pères ne la ratèrent avec nos grand-mères, et si nous sommes condamnés à nous fréquenter complémentairement tant qu’on ne trouve pas d’alternative à la reproduction sexuée, je veux bien qu’on laisse les filles se foutre la toute-puissance phallique dans l’oeil avec leurs désirs, ça peut avoir des conséquences bénéfiques pour nous, bien que j’approche à grands pas de la date de péremption, et toujours pas un chapeau de vendu. Mais entendons-nous bien, que dans l’oeil, hein ? qu’elles ne viennent pas s’aviser de nous le mettre ailleurs, je suis chatouilleux.
Le documentaire un peu trop respectueux de la petite-fille de Carole se laisse donc visiter comme un gentil musée bien propret du témoignage sur un monde disparu, celui d'un combat plus irrévérencieux qu’agressif, avec des slogans assez corrosifs comme on en voit dans les manifs de l’époque, et sans qui Weinstein et Polanski auraient encore pignon sur rue.
Je n’ai pas été trop ému, je ne suis pas dans le coeur de cible, étant une ménagère pas tellement opprimée par mon conjoint (sauf quand j’ai oublié de faire à bouffer comme hier soir quand elle est rentrée du travail), mais elles avaient l’air de bien dépoter, les deux pétroleuses, j'aurais bien aimé les croiser, mais je ne sais pas si elles auraient apprécié mon humour glacé et sophistiqué.
Surtout que je vois au générique la présence d’un Géronimo Roussopolos, je me demande ce qu'il a fait au Bon Dieu avant sa naissance pour s'appeler comme ça, et je connais une blague bien grasse avec Géronimo Lagadec, je vais la garder pour plus tard.

Ma légitimité pour parler du féminisme
est cachée dans ce dessin. Trouve-là.
Ce qui m’a fait peur, c’est un extrait de plateau télé avec plusieurs réalisatrices féministes. Il y a là Marguerite Duraille, qui met la touche finale à son déguisement de Jabba the Hutt en col roulé qu’elle ne quittera plus que sous les caresses expertes des thanathopracteurs, qui nous assène que le cinéma des femmes est un cinéma politique, avant de nous présenter un extrait d’India Song dans lequel Michael Lonsdale souffre encore des séquelles postopératoires d’une balaidansl’culrectomie, et Liliane de Kermadec, avec qui j’ai monté un court métrage dans les années 90, où elle ne tenait plus du tout le même discours, car nous fûmames, nous bûmes, nous tombîmes. 
Je ne laisserai personne dire que c’était le bon temps.

16 commentaires:

  1. J’ai failli le zieuter (il est passé sur Arte ou autre il y a peu) et puis non, pas trop le temps.

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  2. c'est dingue. Moi c'est quelqu'un qui m'a demandé de le regarder, du coup ça m'oblige d'écrire pas pareil que d'habitude.

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  3. il m'en faut autant que pour regarder un film féministe en ne me sentant à priori pas concerné. Ce qui est curieux, c'est à quel point les filles sont gentilles, car elles ne rechignent pas à regarder des films "masculinistes" (le sont à priori tous ceux qui ne professent pas d'option féministe) alors que nous on se fait vraiment prier pour regarder des trucs féministes.
    Ca rejoint la déclaration d'amour aux femmes de Donald Sutherland dans mon post sur Casanova.

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    1. Pas tout à fait. Je ne suis pas sûr qu’elles goûtent un Transformer ou un Charles Bronson à sa juste valeur. Et puis, du fait de la prépondérance des films masculinistes, les scénaristes et producteurs s’ingénient à introduire des éléments propres à séduire un peu le public féminin qui accompagne monsieur. Alors que le cinéma féministe ne fait pas toujours beaucoup d’effort dans l’autre sens (sauf pour les scènes lesbiennes – tiens, ça m’interpelle du coup).

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  4. Pardon, nous mélangeons par ma faute documentaires et films de fiction. Le terme "féministe" accolé à une fiction sert de repoussoir. En tout cas, moi j'irais pas. Si on lui adjoint le sticker "including LGBT scenes", ça sent l'opération commerciale. Le mieux, c'est de propager les valeurs sans prétendre quoi que ce soit, comme dans The Nightingale, qui m'a arraché tout le papier peint par surprise, moi qui n'avais envie de rien, j'eus droit à c'que j'n'attendais pas.
    L'attrait vaut mieux que la réclame.
    http://ilaose.blogspot.com/2020/03/the-nightingale.html

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  5. Pas tout à fait d'accord, maestro. Depuis "Thelma et Louise" ou "Bagdad café" le terme fiction féministe est un solide argument de vente.
    Je sais, ça remonte déjà...

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  6. J’ai vu il y a peu Cléo de 5 à 8 de Varda qui a été une excellente surprise pour moi. Et il y a plein de séries féministes super (Mrs Measel).

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  7. Oui oui, je vous capte bien, les gars, c'est juste que le terme "féministe" m'horripile et me semble desservir la cause. En tout cas il me fait reculer, en tant que mec. C'est pas que je me sente menacé par lui, mais je fuis la revendication collective du genre.
    Je n'ai pas de solution, donc c'est sans doute qu'il n'y a pas de problème.
    "Thelma et Louise" ne finit pas très bien, quand même. C'est un film de mec.
    "Bagdad café" est plus troublant.

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    1. Je peux comprendre. Il y a une jeune femme à fond dedans (avec de bonnes raisons) qui est passée à la maison et la discussion était très difficile (notamment sur l’Art) puisqu’elle avait des idées très arrêtée sur la question… d’un point de vue purement théorique.

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  8. Ce ne sont pas les bonnes raisons qui manquent au féminisme. Et les intentions, affichées ou non, ne présument pas de la qualité de l'oeuvre. Faut voir si elle tient debout toute seule, ou si elle a besoin d'un tract explicatif à côté.

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    1. C’est le problème des œuvres à message. Malheureusement, les militant(e)s ont tendance à penser que le message fait œuvre. Ça donne quelque fois l’impression de revivre le Part Communisme à la française ou le maoïsme. Une approche très éloignée de me goûts à moi.

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  9. Note bien qu'aucune femme ne participe à cette conversation, qui a pourtant démarré il y a presque 24 heures. A croire qu'elles préfèrent ronéoter leurs textes de propagande plutôt que de radoter toutes seules devant leur ordinateur.

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    1. Les femmes ont appris à la dure qu’il y a des endroits louches qu’il vaut mieux éviter.

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  10. Vous galéjez, m'sieu Frodon.
    On me murmure en régie qu'il y a un vrai public féminin de blogs et de forums, ne serait-ce que Madmoizelle, pour commencer.
    Simplement, nous ne nous y croisons pas. Sur Internet les hommes recherchent des hommes et les femmes recherchent des femmes, sauf sur les sites de rencontre, exclusivement fréquentés par des trolls griffus et poilus des deux sexes.

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    1. Plutôt que blog ou forum , je connais beaucoup de femmes qui préfèrent porter leurs discussions sur des plateformes genre Facebook , où elles sont légions
      Hommes ou femmes nous avons nos moyens de communication qui sont différents

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