jeudi 10 octobre 2024

Geof Darrow - The Shaolin Cowboy (2024)

Triées parmi une sélection de deux cent choses inintéressantes
dites à propos de The Shaolin Cowboy :


#1 - Futuropolis a publié tantôt un quatrième tome des aventures du Shaolin Cowboy de Geof Darrow, alors que les trois volumes de l'édition française parus en 2020 étaient clairement étiquetés 1/3, 2/3 et 3/3 : pour moi, l'affaire était implicitement close, et maintenant voilà qu'il faut la rouvrir. 
J'aimerais pas être l'autiste fraction Asperger qui va se faire offrir Pour une poignée de beaufs et s'apercevoir qu'il n'est pas sous-titré 4/3. 
Ca fait désordre, et Dieu sait que dans les livres de Geof Darrow le chaos n'est qu'apparent, et qu'en réalité, tout est bien rangé, même les cailloux dans le désert, si nets et précis, malgré leur multitude, qu'on peut les compter après les avoir lus.

Quand vous aurez fini  le comptage de cailloux, vous pourrez compter les touffes d'herbe.

#27 - Là où le cinéma exhibe, la littérature suggère. Ce en quoi elle lui est me semble-t-il supérieure, en incitant le lecteur à se fabriquer des images mentales à partir des mots déposés sur le papier par l'écrivain, puis se les projeter dans la cire vierge et molle de l'écran blanc de son cerveau rose, alors que le cinéma impose "sa" vision. 
C'est pourquoi il est plus plaisant de découvrir un écrivain en remontant du film vers le livre qui a été adapté à l'écran que d'aller voir au cinéma la traduction d'une oeuvre littéraire en un film, mutation souvent décevante puisque les images produites n'ont aucune chance de coïncider avec celles qu'on s'est créées en lisant le livre.   
Et voilà pourquoi votre fille est muette ! 
(expression employée au sujet d’un discours, d’un raisonnement obscur, peu rigoureux, et qui n’aboutit à rien.)

L'édition originale du tome 4 avec son jeu de mots intraduisible, et sa version française.
Ca pique les yeux parce que mon blog est imprimé trop petit.
La bonne échelle pour regarder les dessins de Darrow, c'est 1/1.

#28 - Et la bande dessinée, alors ? Elle est à cheval - chez Darrow, elle trottine plutôt à dos de mulet - entre l'écrit (figé) et l'image (animée). 
A partir d'idées accueillies et retravaillées par des esprits consentants armés de pinceaux habiles, des images fixes sont réalisées, à charge du spectateur de recréer l'espace interstitiel et le mouvement effectué entre les cases, dont les bordures délimitent l'espace imaginé. J'ai l'air de vouloir réinventer le fil à couper le beurre n'aoûte, mais attendez voir. Et quand les illustrations sont pleine page, à bords perdus, et que le bord gauche de la page prolonge les traits du bord droit de la précédente, suggérant un lent mouvement panoramique + dézoom s'étendant sur cinq doubles pages, comme dans le tome 1 du Shaolin Cowboy, et que la BD mime dangereusement le cinéma ? On fait quoi, on appelle Netanyahou Retailleau ?

 The Shaolin Cowboy, Tome 1 - Start treck pages 16 à 25. 
J'ai foutu en l'air deux exemplaires papier de mon illustré électronique favori
pour vous faire montrer ce que je voulais dire.

#14bis - Certains artistes mettent leur créativité au service de populations vilipendées, comme Jacques Audiard défendant récemment les narcotrafiquants colombiens désireux de changer de sexe. Geof Darrow poursuit une œuvre tout aussi spectaculaire mais beaucoup plus intransigeante, lui qui prend depuis plus de 20 ans la défense de minorités stigmatisées comme les lézards, les zombis, les requins, les tourteaux nazis, les mules trop bavardes à casquette transparente verte, les hors-la-loi déclassés, les Donald Trump bébés et les démons nazebroques qu'on jurerait sortis du désert B. cher à Moebius.


#37 - La lecture des livres de Geof Darrow est exigeante : chaque image fourmille de détails qui se battent entre eux pour pénétrer dans ton œil le premier, et dont la scrutation fragmente l'attention, au point qu'il arrive souvent qu'on se perde dans ses planches. Surtout dans les deux premiers tomes de Shaolin Cowboy où les différents plans de l'image ne sont pas du tout simulés par le sfumato ou la perspective atmosphérique, où ni les contours ni les couleurs ne sont adoucis par la distance.


#38 - Errance entre les pages qui vaut toujours mieux que la déshérence entre quatre planches, même si elle ne permet de l'éviter que temporairement, perte de soi et désorientation auxquelles on prend vite goût, et qu'on peine à éprouver en s'immergeant dans le dernier Métal hurlant Spécial Lovecraft, ça par exemple, et dans la bande dessinée contemporaine en général, pour persister dans le style de remarque acerbe (aux Croates) de boomer décliniste qui a fait le succès de ce blog.

les films Z en cinémascope peuvent aller se rhabiller.
Clique sur l'image, ce n'est pas sale.

#4 bis - D'ailleurs on peut lire n'importe quel album de la série Shaolin Cowboy en commençant par la case 3 de la page 28 puis sauter à l'illustration pleine page 74-75 avant de revenir lire la préface et poursuivre au hasard, ça ne nuit aucunement à la compréhension de l'histoire, et ça peut même la rendre plus évidente à suivre. 
Surtout quand il n'y en a pas.

la case 3 de la page 28

#52 - Le savais-tu ? Juan Jose Ryp est un dessinateur espagnol qui est parvenu au milieu des années 2000 à reproduire le graphisme de Geof Darrow d'assez près, y compris dans les œuvres avec gravier et/ou morts-vivants, et ça ne lui a pas porté chance; il fait aujourd'hui du Wolverine à tire-larigot, et semble retombé dans un relatif anonymat (encore pire que moi réuni)

Juan Jose Ryp : ni désert ni lézards, et encore moins de moine shaolin coboye : 
nous sommes bien en présence d'une contrefaçon.

#36 - Geof Darrow a beau nous faire croire que ses histoires se déroulent dans un univers surréaliste peuplé de chimères échappées d'un tableau de Dali, on n'est pas dupe, et on voit bien qu'il se contente de repeindre habilement au rotoscope des photographies qu'il a prises en ouvrant à f/1.8 au 1/500eme, ce qui explique ce caractère figé dans ses scènes de baston souvent très gores dans lesquelles aucun mouvement n'est suggéré, et où les trainées de liquide (sang, lymphe et autres fluides vitaux tels la bière et le coca) sont figées dans l'ambre graphique et l'air vespéral.

des fois on regrette David Carradine dans Kung Fu, quand même.
C'était un peu plus sobre, et moins violent. Mais les temps ont changé.

#71 - Il faut se dépêcher d'envoyer le Shaolin Cowboy casser la figure aux patrons de Microsoft, car ceux-ci ont décidé de rallumer des centrales nucléaires éteintes pour faire tourner leurs IA génératives dont les besoins en électricité sont outrecuidants, tout ça pour leur faire fabriquer à bas cout (capitale de l'Azerbaïdjan) des copies dégriffées et peu inspirées des meilleurs dessins de Geof Darrow.

des dessins "à la Darrow" fabriqués par Midjourney version v6.1
je ne trouve ça pas très ressemblant, mais les geeks qui ont inventé l'I.A. générative, si.

#8 - Il y aurait tant de choses à dire sur Darrow, et tant de questions à lui poser : qu'est-ce que c'est que ce moine Shaolin qui cède à l'ultraviolence, toujours à regret, comme le regretté Kwaï Chang Caine dans la série américaine Kung Fu (1973), ou comme l'ancien bourreau Ogami Itto dans la saga de films de poussettexploitation Baby Cart, l'enfant Massacre  ? mais le mieux c'est de relire ses livres. Les réponses sont forcément dedans. Elles ont l'air quand même bien cachées.

Le tome 2 tout entier est une lente chorégraphie à la tronçonneuse.

#125 - La réalité c’est ce qui continue d’exister lorsqu’on cesse d’y croire, aurait dit Philip K Dick. Je ne crois plus trop à la BD, mais elle ne disparait pas pour autant, et c'est tant mieux pour elle. Selon mon libraire, ce sont surtout les albums de 54 planches qui sont moins édités, au profit des romans graphiques. Est-ce qu'on peut dire que The Shaolin Cowboy c'est du roman graphique ? chaque album fait autour de 200 pages. 
Mais de quoi ça parle vraiment ? Du Bien. Du Mal. De l'éthique pour s'en prémunir. Des moyens de le combattre. De la décadence de la civilisation américaine. 
Au-delà du médium qu'il utilise, Darrow reste un incroyable créateur de mondes.

Le tome 3 "Who'll stop the reign" est très apprécié des chats.

#88 bis - Les tomes 1 et 2 ont pour cadre un désert de l'ouest des USA (Utah ou Nevada) les tomes 3 et 4 se déroulent dans un univers hyper-urbain ravagé par la violence, les gangs, les restaurants de fruits de mer, Donald Trump et la grève des poubelles. 
Leur lecture est aussi malaisante et hallucinatoire que "The Filth" de Grant Morrison, et peut provoquer nausées, vomissements, règles douloureuses et saignements d'oreilles de porc confites.

Dans Kung-Fu, David Carradine n'aurait pas géré ça pareil. Mais l'important, c'est le résultat.


Pour aller plus loin

 


Prochain album :  Shaolin Cowboy au Liban !

lundi 30 septembre 2024

Sages Comme Des Sauvages - Cthulhu (2024)

 

Quand on fait de la vidéo "professionnelle" (sic), on voit avec une horreur indicible arriver en salle de montage des images amateur qui sont au format eskimau d'entr'acte, parce que les gens ont l'habitude de tenir leur smartphone vertical plutôt qu'allongé
On les z'a pas bien éducationnés à l'image, les gens. Tout est à reprendre.
Tant que les téléviseurs restent au format 16/9, à la diffusion ça donne un format d'image tout moche, et des grosses bandes noires sur les côtés, que certains responsables d'antenne nous forcent alors à remplir avec de la matière prélevée dans la zone centrale, zoomée et floutée, pour éviter le noir à l'écran. Racistes !
Seule la petite chaine franco-allemande Arte diffuse ses archives 4/3 au format d'origine, pour ne pas les dénaturer.
Et moi, quand je tombe sur un clip facebook issu du dernier album de Sages Comme Des Sauvages qui n'est même pas dans le dernier Métal Hurlant Spécial Lovecraft.

jeudi 5 septembre 2024

Frank Zappa - Deutschlandhalle Berlin (1978)

 - Un problème assez gênant avec Frank Zappa, c'est qu'il ressemble beaucoup à mon oncle Jeff quand il était jeune et qu'il se croyait drôle, alors qu'il faisait des blagues lourdingues et assez pénibles pour son entourage, mais on se sent parfois obligé de ricaner en chœur pour ne pas remettre en cause l'équilibre relationnel au sein du système familial, parce qu'on sait que l'individu - symptôme est l'arbre qui cache la fantômette, et qu'après votre coup de gueule, la famille se débrouillera pour choisir un autre symptôme, et que vous n'avez pas envie que ça tombe sur vous.

Ceci est la pochette d'un disque qui n'existe pas,
du moins dans la discographie officielle.
C'est soi-disant un Live FM Broadcast
At The Deutschlandhalle, Berlin, 
Germany, 15th February 1978.
Mais même ça, c'est sujet à caution.
 - Le second problème assez net avec Frank Zappa, c'est qu'il a introduit la farce dans le rock, qui jusque-là se complaisait dans une posture masculiniste assez égotiste;  mais que reste-t'il d'une parodie quand plus personne ne se souvient de qui elle se moquait ? Chez Zappa, heureusement, malgré le temps passé, et l'affadissement certain du versant gotlibien, un certain nombre de portraits et d'observations restent valides, car le moraliste affleurait sous le satiriste. Et mon oncle Jeff Zappa n'est pas uniquement écouté par des sociologues étudiant l'Américain moyen des années 70.

- Le troisième problème un peu embêtant de Frank Zappa, c'est qu'il n'a que très peu dormi entre 1965 et 1993, ses biographes ont repéré trois micro-siestes, l'une en 1972, pendant l'enregistrement de Waka/Jawaka, la seconde en 1981 à l'occasion de la promo de Shut Up 'N Play Yer Guitar, et la troisième pendant une séance de chimiothérapie qui ne devait malheureusement pas le guérir du cancer de la prostate, mais il a brièvement ouvert les yeux pour annoter une page de la partition qu'il était en train de composer, et  de ce fait, cette dernière sieste est niée par ses ayant-droits, et sa discographie reste une jungle inextricable d'enregistrements studios, de captations publiques parsemées d'overdubs, de disques semi-officiels et d'enregistrement pirates réhabilités à peu près partout, même par le Parti Communiste Chinois, qui est pourtant le premier à contester les règles de l'Organisation Mondiale du Commerce quand ça l'arrange.

- Ce qui nous donne le quatrième problème, qui est bien ennuyeux, avec Frank Zappa : pour s'y retrouver dans cette overdose permanente de surabondance, il faut consulter des ouvrages spécialisés, ou tomber par hasard sur le site de référence, qui rend aussi maboul que l'était ce pauvre arabe dément de Abdul Ger'al-Darmalin.

la playlist du disque qui n'existe pas

 - Ce qui engendre le cinquième problème assez agaçant avec Frank Zappa, dont les adorateurs sont aussi pénibles à écouter que mon oncle Jeff, et qui peinent à parler d'autre chose que de leur Maitre. Heureusement, on peut couvrir leur babillage de geeks mal grandis avec n'importe quel disque de Frank, qui ne vivait que pour composer, comme on le découvre dans le film qui lui fut consacré par Alex Winter en 2020, principalement composé d'interviews de lui et de ses très proches.
https://www.muziq.fr/zappa-le-film/
Ce qui frappe, dans ces interviews, indépendamment de ce qu'on peut penser ou non de sa musique, c'est l'absolue clarté d'esprit dont il faisait preuve, et l'inconcevable liberté qu'il avait su conquérir en lui-même. Et comme le rappelle le jeune Thomas Jefferson en exergue de "Frank Zappa Et La Dînette De Chrome",  « Le prix de la liberté, c’est l’éternelle vigilance. »

un adorateur de Zappa reçu en audience privée par le Maitre

 - Pour la faire courte et éviter de créer le sixième problème vraiment rédhibitoire avec Frank Zappa, je dirais que cet enregistrement d'un concert de début 1978 à Berlin restitue très bien la puissance d'un orchestre pharaonique (Patrick O'Hearn, Terry Bozzio, Adrian Belew, Peter Wolf, Tommy Mars, Maurice Dubrignoulet) qui parcourt à fond les vélos le répertoire des albums officiels de l'époque (Zappa in New York, Sheik Yerbouti) avec entre autres des versions très réussies de Torture Never Stops, Bobby Brown, Yo'Mama, ainsi que d'hilarants intermèdes parlés où Zappa délire sur les groupies allemandes. 

le disque qui n'existe pas :


la note de pochette du disque qui n'existe pas

Pour aller plus loin :
 

jeudi 11 juillet 2024

Ricet Barrier - Tel quel (1994)

J'ai trouvé sur un serveur russe dont je tairai le nom par décence pour les victimes cet ultime album en public du chanteur à moustaches qui reprenait de bon cœur il y a trente ans déjà ses plus grands succès d'hier et d'aujourd'hui d'avant-hier.
Le livret, inclus à l'envoi si vous avez sur vous votre abonnement Premioume®, retrace les quarante ans de carrière du troubadour, avec moult explications. 
Sachant que mon grand-père me sifflotait déjà des répliques issues de "la servante du château" en 67, calcule l'âge qu'aurait le capitaine s'il était encore vivant, et déduis-en l'avantage qu'il en retire d'être mort et ainsi à jamais dans nos mémoires, après abattage fiscal des bénéfices perçus en Suisse Romande où il allait souvent.

https://e.pcloud.link/publink/show?code=XZL4XgZNTUmphjKvtF1hXg8bvsL85bM5UNk

"Au nom du peuple français, merci d'avoir hébergé les fichiers du double CD en public de Ricet.
 - De rien, Marina. Tu me revaudras ça en 2027. La bise à Jojo."


samedi 6 juillet 2024

Marc Dugain - Un Narcisse Solitaire (2024)

texte publié dans Le 1 hebdo le 19/6/24

CETTE HISTOIRE semblait tirée d’un roman du XIXe siècle, quand la littérature était à son apogée. Un jeune provincial issu d’une bonne famille, le visage forgé par la détermination, sort de l’œuf couvé par une grand-mère aimante qui a su distinguer dans son petit-fils un personnage singulier dont l’ambition ne devrait pas connaitre de limites. Ses grandes facultés intellectuelles sont en adéquation avec le système français de sélection des élites, et il ne sera pas long à décrocher le diplôme sésame qui permet de se mouvoir avec souplesse dans le complexe économico-bureaucratique français, où il est permis à une petite élite venue des grands corps de passer leur grosse tête indifféremment à travers la porte d’une haute administration, d’un cabinet ministériel aussi bien que d’une entreprise privée, dans un va-et-vient, une ondulation, déterminé par son seul intérêt.

De l’Ecole nationale d’administration, il prend le formatage péremptoire mais tente d’en gommer le balancement circonspect par ce qui ressemble à des convictions. Nous sommes à l’époque où les énarques doivent choisir entre la gauche et la droite sans être forcément d’un côté ou de l’autre. Une ambition n’est rien si elle ne croise pas certaines circonstances historiques. Nous sommes loin des éruptions de l’histoire qui ont favorisé l’émergence des grands hommes comme Clemenceau ou de Gaulle. Non, l’époque est plutôt au délitement. La droite s’est ensablée dans le sarkozysme, quand les idéaux du gaullisme ont été confisqués par une bande du 9-2 qui a marché sur l’Elysée sans connaitre de résistance. Il en restera le sauvetage des banques de la faillite dans laquelle leur cupidité les avait précipitées, par la dette bien sûr, beaucoup de dette.

Dans un mouvement d’essuie-glace propre aux démocraties, la gauche succède à une droite épuisée par les affaires. Victime d’un priapisme suicidaire, ce ne sera pas Strauss-Kahn mais un tacticien d’appareil qui prendra la suite du champion de la mise en examen. La gauche est de retour, fracturée comme à son habitude, menée par des bourgeois parisiens au grand coeur qui rêvent d’un capitalisme qui les soulagerait de leur culpabilité en gommant ses excès comme on lime les dents d’un cheval. L’autre gauche, vitupérante, qui n’est pas plus assise sur le monde ouvrier, parti au Front national, rêve encore du Grand Soir qui glisse sur des matins à gueule de bois. Elles sont irréconciliables, alors François Hollande navigue au centre sans inviter les vrais centristes à le rejoindre. La gauche se focalise sur les minorités bruyantes pendant que la majorité silencieuse accélère sa dérive vers l’extrême-droite, qui vaut mieux pour elle que toutes les trahisons dont elle se sent la victime. Et pendant ce temps-là, comme dit la chanson, la marée numérique a submergé les esprit, le citoyen s’efface devant le consommateur, s’abstient de plus en plus de voter, et les réseaux sociaux se développent selon le principe dénoncé en son temps par mon arrière-grand-mère : « c’est pas parce qu’on n’a rien à dire qu’il faut le faire savoir. »

Le drame est planté ; qui sera le sauveur ? Il va prendre la forme de ce sémillant Rastignac de l’Inspection des Finances qui appréhende la réalité en système expert et qui, après avoir fait une partie de ses armes à l’ombre de Hollande, le double quand celui-ci est empêché de se représenter par manque de popularité. Du jamais vu sous la Ve. Notre super-héros à la française va tout faire exploser. Fini ce clivage de façade entre une droite et une gauche vermoulues qui peinent à se distinguer, prises dans les glaces de l’Europe ultralibérale et de la mondialisation. Alors, quel est le programme ? Il n’y en a pas d’autre que d’accompagner l’efficience d’un marché qui est l’expression la plus parfaite de ce que nous sommes, de nos aspirations et de notre futilité. L’avènement d’une pointure politique moderne se fait dans ce qu’il y a de plus abyssal, le vide opportuniste.

Pourtant, de la conviction, il en a pour lui-même et pour cette fonction. Il s'y moule dans ce qu’elle a de plus désuète, l'autoritarisme, et les effets de manche nourris par une profusion de communication tous azimuts dans une symbolique le plus souvent ridicule.

Les Français, même diminués par la numérisation de leur neurones, ne peuvent pas avoir élu quelqu'un seulement parce qu'il n'a pas de programme. Il leur faut plus, et ce plus, c'est le barrage contre une extrême droite qui monte tranquillement, sans s'essouffler. De minoritaire dans son absence de conviction, il devient majoritaire comme dernier rempart contre les effluves de Vichy qui se transforment en fumet acceptable et même enthousiasmant pour ce peuple plongé dans la perspective d'une tragédie climatique et d'un grand remplacement... par l'intelligence artificielle. Face aux grands défis du siècle, un réchauffement qui nous cuit au court-bouillon quand il ne menace pas de nous noyer dans les inondations, il croit bien faire un proclamant son inoubliable « make the Planet great again », en référence à Trump, qui n'a qu'un slogan - « rendre à l'Amérique sa grandeur » - qu'il a repris lui-même de Reagan. Et là débutent les plus spectaculaires opérations de com’, les plus invraisemblables tergiversations, retournements tragiques sur un sujet qui concerne tout simplement l'avenir de l'humanité. Kennedy disait, pour rire, qu'il avait nommé son frère Bobby ministre de la Justice pour lui permettre d'apprendre le droit. En se faisant élire, Emmanuel Macron pensait peut-être suivre une formation diplômante dans un simulateur de pouvoir, sauf qu'il est le président, l'élu dont la nation attend qu'il l'emmène vers de meilleures perspectives. C'est là qu'un de ses défauts majeurs se révèle cruellement. Cette nation, il ne la connaît que dans les livres, les études, les rapports. Il ne l'appréhende pas charnellement, parce qu'au fond, elle ne l'intéresse pas autrement que comme une donnée Macron-économique.

Pourtant, au-delà de son triangle des Bermudes qui relie Amiens à Paris et Paris au Touquet, il existe un désarroi, une inquiétude, une réalité bien loin de la start-up nation ou cohabiteraient « ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien ».

Puisqu'ils ne sont rien individuellement, ils vont tenter d'être quelque chose collectivement. Et le voilà confronté à la révolte la plus grave de la Ve République depuis Mai 68, fomentée pour la première fois par des gens qui n'ont pas de programme, des Gilet jaunes qui veulent un peu d'argent et de considération.

C'est trop demander et il faudra que ce narcisse solitaire soit conduit dans les tunnels d'évacuation de l'Élysée, que ses gardes du corps en viennent à craindre tout simplement pour sa vie pour qu'il comprenne qu'il fait fausse route. Il déploie alors tout son charme pour renouer le contact par des diatribes nourries qui ne mèneront à rien, comme ne mènera à rien sa Convention citoyenne sur le climat. Parce qu'il ne veut pas brusquer les intérêts qui le portent depuis le début, qui comptent sur lui pour que rien ne change en profondeur, qui se réjouissent de la montée vertigineuse de l'impuissance publique face à la violence du marché qu'ils représentent.

La crise sanitaire a mis notre dette en émoi avec son « quoi qu'il en coûte » généreux mais ruineux, alors, pour redonner confiance aux prêteurs, il se lance dans une réforme des retraites peut significative dans ses conséquences financières et s'obstine. La guerre en Ukraine a redoré le blason de sa dimension internationale en masquant notre déroute en Afrique, où la France se dérobe devant une armée de mercenaires. Cette guerre en Europe lui donne le sentiment de rentrer enfin dans l'histoire, oui il s'inscrira sans doute pour son fameux « Eh Volodymir, comment ça va ? », lancé au téléphone au président ukrainien le matin de l'invasion russe. Il se représente face à une Marine Le Pen parvenue à l'avant-dernier étage de son ascension.

Malgré l'aide du scrutin majoritaire, il perd la majorité à l'Assemblée. Le contempteur de la droite et de la gauche se retrouve seul face à ceux qu'il a persécutés. La réalité se révèle, jour après jour, il a été élu, une fois encore contre Marine Le Pen, mais il demeure minoritaire, très minoritaire. Il se sert du 49.3 pour gouverner comme le faisaient les Américains du B-52 au Vietnam. Il pilonne, tout à l'ivresse de sa solitude alors qu'autour de lui tout déraille. L'extrême gauche, empêtrée dans son soutien à une organisation terroriste, récupère l'antisémitisme traditionnellement dévolu à l'extrême droite pendant que cette extrême droite s’affaire à rassurer la communauté juive sans vraiment s’aliéner les musulmans qui refusent l'islamisme. Clemenceau et tous ceux qui ont vécu l'affaire Dreyfus ne reviendraient pas.

Puis vient le coup de grâce. L’élection européenne révèle son véritable socle électoral, moins de 15 % des votants, probablement pas plus de 10 % des inscrits. C'est pire que Hollande à la même période de son mandat. Il a réussi l'impensable, rendre impossible tout gouvernement de droite, de centre ou de gauche. Lui sait au plus profond de lui-même qu'il n'a pas d'autre choix que dissoudre parce qu'il ne peut plus faire semblant de gouverner. Dissoudre pour se sauver lui-même. Tout être tend à persévérer dans son être, et il n'est pas l'exception. Pour ne pas déchoir, il ouvre les vannes d'un barrage qu'il avait été élu pour contenir. Il libère des eaux douteuses qu'il a amplement aidé à faire monter. Il contribue à l'affaiblissement d'une fonction déjà dévoyée par ses prédécesseurs. Au-dessus des partis, comme la Constitution le prévoyait à l'origine, il l’a été surtout par son hubris et une estime de lui-même qui lui interdit de se confronter à la force du doute, confrontation dont sont sorties les grandes pointures de notre histoire. Sans grande conviction alliée à cette humilité du doute, il est bien difficile de se mettre à la disposition d'autres que soi-même. Au moment où l'intelligence artificielle questionne l'essence même de la politique en nous proposant une vérité suprahumaine incontestable, il rend obsolète la fonction présidentielle. Sa dissolution de l'Assemblée, il la conçoit comme le châtiment d'un peuple ingrat qui n'a pas su se courber devant sa supériorité intellectuelle.

Son plan, on le connaît : abreuver les Français d'un Rassemblement national immature et incompétent, jeter à la face des Français un premier ministre de 28 ans totalement inexpérimenté, laisser l'affrontement se développer entre les extrêmes et quand les Français n'en pourront plus, il dissoudra à nouveau en espérant revenir triomphant. Un bien mauvais calcul qui risque plutôt de justifier la radicalisation de l'extrême droite, qui pourrait s'installer pour longtemps. Alors on se plaît à rêver qu'il s'en aille et que dans un dernier sursaut les forces démocratiques raisonnables élisent une personnalité qui ne soit pas la énième incarnation d'espoirs bientôt déçus mais qui œuvre pour mettre en place un régime parlementaire mature intégrant de la démocratie directe, ce qui peut être fait sans démagogie, sous la bienveillance d'une ou d'un président vraiment au-dessus des partis et de son ambition personnelle, capable d’œuvrer pour le bien commun. Mais là on rejoint la fiction.


Pour aller plus loin :


https://affordance.framasoft.org/2024/07/dissolution-start-up-nation/

https://blog.mondediplo.net/le-scenario-manquant

https://www.blast-info.fr/

https://www.frustrationmagazine.fr/grande-coalition-catastrophe/

https://usbeketrica.com/fr/article/legislatives-bollore-mene-un-combat-qui-vise-a-saper-notre-civilisation-et-notre-democratie


jeudi 4 juillet 2024

Mac Quayle - Mr. Robot, Vol. 8 (Original Television Series Soundtrack) (2023)

On n'a pas osé prévenir Mac Quayle que la série Mr. Robot s'était achevée en 2020, dans une stupéfaction télévisuelle rarement atteinte depuis la fin de la série Le Prisonnier (1967). 
Par voie de conséquence, il a continué à produire sa musique d'ambiance neurotoxique et anxiogène pour alimenter les retournements scénaristiques des prochains reboots, préquels et spin-offs, et nous en livre déjà le Volume 8, alors que Mr. Robot, la série ne compte que 4 saisons, comme Vivaldi. 
Comme ça, si d'ici là Vladimir P. résoud nos problèmes de façon définitive, nous aurons de quoi fredonner des mélopées synthétiques plaintives et décharnées dans nos caves tout au long du prochain hiver nucléaire. Si c'est Jordan B. qui s'en charge, récent outsider dans les soirées électorales de stupéfaction télévisuelle promis à un bel avenir, on jouera tous dans le reboot à bas bruits de bots du Prisonnier (1967) dans lequel Rami Malek sera ravi de faire des apparitions en guest star totalitaire, avec sa machoire soudée et sa moue vitreuse légendaire. 
Une petite nouveauté dans cette livraison : Mac Quayle s'écarte de ses canevas habituels électro-downtempo-lowfi pour dépressifs en manque de médocs, pour explorer des territoires musicaux jadis défrichés par Bernard Herrmann, plus émotifs et narratifs, même si on reste dans une gamme de coloris d'ennemis résolus de la Joie.  
Est-ce qu'il se moque ? et si oui, de qui ? il faudrait revoir la série pour apprécier l'illustration ou le contrepoint sonore qu'offre la musique dans son contexte filmique, mais je ne suis pas encore assez suicidaire pour refaire le grand 8. Je vais attendre le 8 juillet.

https://macquayle.bandcamp.com/album/mr-robot-vol-8-original-television-series-soundtrack

lundi 1 juillet 2024

Deux doigts dans la reprise (4)

Depuis sa victoire aux Eurockéennes jusqu'au dimanche 7 juillet inclus, Jordan Bardella vient tous les soirs chanter "Le cul de la patronne" de Ricet Barrier (dans la version  enregistrée par La Rallonge en 2015 reproduite ci-dessus) sous les fenêtres du palais de l'Elysée, pour bien faire comprendre à Brigitte Macron que le règne de son Napoléon IV de mari touche à sa fin et que y'a pas que les carottes qui soient râpées. Ca se croit malin, à c't'âge-là. A croire qu'il n'a jamais entendu parler de l'article 16 (à 16' dans la vidéo ci-dessous, mais je ne me lasse jamais d'écouter l'historien Johann Chapoutot et j'ai déroulé tout le bobinot)

jeudi 27 juin 2024

La playlist de Métal hurlant (2023)

Il fait un temps à racheter Charlie-Hebdo plutôt que Métal HurlantSauf que les mecs qui écrivaient bien dans Charlie-Hebdo sont tous morts d'un coup en 2015, ce qui fait que le journal est aujourd'hui de facture médiocre, alors que les princes de la BD de SF qui bossaient à Métal Hurlant dans les années 70 nous quittent de mort naturelle, discrètement et en ordre dispersé, sauf Dionnet et Manoeuvre, qui s'accrochent comme des moules à leur rocher, sont multi-interviewés pré-mortem, et encensés en direct live dans les colonnes du magazine comme les anges tutélaires qu'ils furent, et Dieu sait si nous aurons besoin d'anges après le 7 juillet. 
Charlie-Hebdo devrait prendre exemple sur Métal Hurlant, et rediffuser les meilleurs dessins d'actualité de Reiser, Wolinski et Gébé, dont certains n'ont pas pris une ride, ça serait bath et ça boosterait ses ventes : les numéros testimoniaux de Métal Hurlant, qui distillent des extraits choisis du patrimoine métallique sont pour l'instant les plus réussis, ceux qui font appel à des créateurs contemporains et qui tentent de s'inscrire dans le futur de maintenant se heurtant au fait indubitable que Acier couinant, c'était mieux avant. 

MÉTAL HURLANT NUMÉRO 9
numéro non-testimonial daté de novembre 2023, avec que des jeunes pousses
(à ne pas confondre avec Métal Hurlant numéro 9 Canal Historique)

Druillet n'a jamais su dessiner les visages humains, 
et on s'en foutait complètement.
C'était le bon temps.
C'est plus difficile de produire de la SF aujourd'hui, vu que toutes les prévisions des auteurs pessimisto-gauchistes des années 70 sont en passe d'advenir In Real Life, le techno-fascisme en sus. Jerry Frissen se démène pour rester le Jean-Pierre Dionnet de sa génération, il fait plaisir à voir en rédacteur en chef de la nouvelle formule du journal, c'est juste moi qui suis peiné à Lara Biatta de ne pas trouver les auteurs contemporains à la hauteur de ceux d'hier. A ce propos, Philippe Druillet citait Baudelaire dans la préface de La Nuit (1976) :

" D'où vous vient, disiez-vous, cette tristesse étrange,
Montant comme la mer sur le roc noir et nu ? "
- Quand notre cœur a fait une fois sa vendange,
Vivre est un mal. C'est un secret de tous connu."

C'est peut-être ça que j'ai : mon cœur a trop battu d'attendre Métal hurlant, qui arrivait très irrégulièrement en kiosques à l'âge où c'était vital pour moi de lire le prochain numéro, et maintenant que mon coeur a fait sa vidange, macache bonobo pour retrouver l'élan vital. Merci Druillet, merci Baudelaire. Dans le numéro 9 du trimestriel rebooté, j'ai toutefois trouvé une histoire particulièrement réussie, c'est d'un auteur espagnol, on dirait un épisode de Black Mirror. Black Mirror ça serait vraiment le Métal Hurlant de maintenant si Métal Hurlant était rené sous forme de série télé, Black Mirror dont la saison 6 marque quand même un certain épuisement de l'imaginaire de Charlie Brooker qui lui servait de fécond terreau, il lui faudrait sans doute un reboot, après une mort symbolique. C'est tendance : le reboot du Front National en Rassemblement éponyme lui a bien profité. Par contre, le reboot de "En Marche" sous la franchise "Renaissance", ça ne enmarche pas terrible. Pour renaitre, il faudrait déjà avoir mouru. Comme Charlie Hebdo et Métal Hurlant







Vous lirez le reste de l'histoire dans ce numéro 9 du nouveau Métal Hurlant. Vous y trouverez aussi des suggestions d'écoute musicale, sous la forme d'une playlist égrénée dans tout le magazine, et que j'ai regroupée ci-dessous ici-bas, je me suis dit que ça allait m'ouvrir de nouveaux horizons sonores, mais ça ne m'incite pas à revenir vers le rock, je suis vraiment trop vieux, mon cœur a fait sa vidange etc...
Pour revenir à la BD de SF, où sont aujourd'hui les équivalents BD d'auteurs de SF littéraire Adrian Tchaikovsky, Rich Larson, Ray Nayler ? pour ne citer que les contemporains qui me semblent revivifier le genre. C'est à dire où sont les Moebius, Druillet et Bilal d'aujourd'hui ? peut-être qu'ils bossent dans le jeu vidéo. Peut-être qu'on n'est plus dans une époque qui puisse en engendrer. Allez, tu nous saoules, fais péter la playlist.

jeudi 20 juin 2024

L'année dernière à Avoriaz

Mon Dieu qu'elles étaient moches, ces affiches.
On en venait à regretter celles de Siudmak
pour le festival concurrent.
Quand j'étais petit, j'ai beaucoup bavé (malgré mon bavoir) devant les émissions télévisées consacrées à la promotion du festival d'Avoriaz, qui diffusaient des extraits plus qu'inquiétants des films sélectionnés, propres à enflammer l'imagination de nos chères têtes blondes, que j'avais brune; j'étais loin d'imaginer que ce festival du film fantastique avait été créé par un promoteur immobilier pour servir de publicité à la station de sports d'hiver. 
Lui-même était encore plus loin d'imaginer que cinquante ans plus tard, le réchauffement climatique ferait du ski de piste un loisir coupable, parce que hideusement coûteux en carbone. 
Etant légèrement obsolète moi-même, j'y suis allé en janvier dernier, car ma géographie approximative situait Avoriaz dans les Hautes-Pyrénées, et j'ignorais que le festival avait disparu trente ans plus tôt du fait du déclin tragique du cinéma de genre qui lui avait donné un prétexte pour naitre.

Les affiches de Siudmak n'avaient
peut-être pas de stouquette,
mais elles avaient de la gueule.
Le peu de neige tombée était artificielle et de glissabilité médiocre. Seul le bas de la station était ensemencé par les canons, alors après deux jours sur les pistes vertes, j'ai préféré grimper à pied vers le col des chamois, mais le silence de la montagne y était sali, violé, reviolé puis assassiné par les chuintements industriels des canons à neige et le grincement des télésièges, qui tournaient à vide, toute la journée, pour amortir les forfaits. Bravo aux gros bras et aux petites mains du technocapitalisme, qui nous impose un monde inhumain où la géo-ingénierie résoudra tout, au profit de milliardaires visant l’immortalité. 
En percevant par mes sens (aiguisés par l'obscénité de mon forfait remontées mécaniques) les blessures secrètes de la montagne, je prenais conscience du fait qu'"Ils" avaient réussi à dénaturer la Nature, et à en faire une zone industrielle et commerciale, avec sa bande-son à la David Lynch et ses parkings déserts. 
On se serait cru dans un livre d'Hervé Kempf. 

Un soir, après un bon grog tilleul-mescaline, l’animateur du centre de vacances ORTF nous a présenté un très beau film de montagne qui a gagné plein de prix dans les festivals, et que j'ai retrouvé en ligne, mais ce n'était ni de la SF ni un film de chtrouille.
Car le film de montagne est lui aussi un film de genre, en tout cas un genre de films, avec ses fans, et ses festivals. Je me demande bien comment le cinéaste a pu financer son projet, qui dépasse de beaucoup le budget des petites blagues de Roger Corman (le Jean-Pierre Mocky américain du film de trouille d'exploitationet de ses disciples, diffusées jadis à Avoriaz. 

Moi aussi je peux tourner des survivals à petit budget avec mon smartphone.
Quand je n'ai plus entendu les canons à neige, je me suis perdu. 
L'éventualité d'un hiver nucléaire, provoqué par Poutine ou par un de ses enthousiastes outsiders ne constituerait sans doute pas la réponse la plus écologique au changement climatique, qui accélère la fonte du support des sports de glisse, mais si elle me permet de skier en combinaison antiradiations sur une neige faite des cendres de notre civilisation retombant en doux flocons sur les pentes de la station, après tout, pourquoi pas ? 
ça ferait un petit film de vacances post-apo qui nous changerait des sempiternels retours et préquels de Mad Marx dans le désert australien. Et ça relancerait le festival d'Avoriaz !
Aujourd'hui, grâce à la puissance de l'outil télématique (bien qu'on puisse regretter la concision du bon vieux minitel, face à l'inflation d'informations disponibles sur Tout) j'ai accès à la base de données ultime : l'ensemble des films de la sélection d'Avoriaz, pendant les 20 ans qu'a duré le festival. 

Il me semble que celui-ci (de 1974)
m'avait particulièrement impressionné.
On y contait l'enfance
de Abdul Ger'al-Darmalin. 
Et grâce à VPN mon amour, et à l'étonnant cabinet de curiosités recensées ici,  je peux télécharger ces films, en toute illégalité, hmmm c'est délicieux, d'être un délinquant sénile. Même si la neige elle a fondu, et que le festival il a mouru.
A condition de me rappeler quel film m'avait fait frissonner vers 14 ans. Mais au vu des bandes-annonces de l'époque, je ne sais pas si c'est les films qui ont pris aussi cher que moi, mais la rencontre aura du mal à se faire entre le consommateur et le produit. Nous ne sommes plus les mêmes. Voir un film d’épouvante 50 ans après l’avoir ardemment désiré, c’est miser sur la déception. Parce qu'on a changé, qu'on a grandi, et que rien n'est plus irrémédiable que la maturité.
Même en sacrifiant au vieux rituel hypnotique, en tamisant la lumière, en enfilant sa nuisette comme pour un rendez-vous intime avec soi-même, on pose le Rip du Bluray sur la platine, mais dès les premiers flonflons, on sent un grand froid, et qu'on s'était tout à fait trompé, les endorphines restent aux abonnés absents, la fête est finie avant d'avoir commencé.

Il y a quand même le risque de se confronter à une civilisation disparue, rencontre pleine de charme ; Enfer mécanique (The Car, 1977) m'a récemment ému, en me parlant d'une version de l'Ouest profond des Etats-Unis qui a totalement disparu depuis. Dans l'Utah de 1977 décrit ici, la petite communauté rurale est soudée autour de l’idéal républicain et des valeurs chrétiennes, les institutrices risquent leur vie pour protéger les enfants, les forces de l’ordre sont profondément respectueuses de la population, d’ailleurs il y a une fliquette d’origine autochtone qui n’est absolument pas racisée par ses collègues, l’autostoppeur hippie de passage est propret, et au lieu de prendre du LSD, les jeunes du coin vont faire du vélo dans les canyons.
Le véhicule diabolique, vague avatar du poids lourd vu dans Duel de Spielberg, est lui-même tenu en respect par le divin et ne peut pénétrer dans le cimetière, qui est un « espace consacré ». 
A mon avis, cet engin du diable est une métaphore de la modernité, dont personne ne veut entendre parler dans le coin, et qui va néanmoins déferler sur le pays.
En le découvrant 50 ans après sa sortie, j’y découvre une vision formidablement naïve et touchante du Mal, très éloignée de la malignité cinématographique telle qu’elle a pu se déployer depuis (je ne donne pas de nom, ça lui ferait trop plaisir).
Ne vaudrait-il pas mieux relire La maison des damnés, de Richard Matheson ? je me souviens avoir vomi d'horreur lorsque je dévorai l'ouvrage, vers 13 ans et demi. Vomir en dévorant, c'était pas évident. Et comment retrouver l'émotion qui me saisit quand je parvins à trainer mes parents à la séance de Phantom of the Paradise, qui fut le grand prix d'Avoriaz en 1975 ? 
L'autre jour, j'ai revu par erreur Hurlements, Prix de la Critique du Festival d'Avoriaz en 1981. Au départ, je voulais voir un autre film de Joe Dante, "The Second Civil War", un téléfilm réalisé en 1997, pour pouvoir le comparer au Civil War dystopique d'Alex Garland en 2024, et puis je me suis dit que tant que j'y étais, je pouvais réévaluer toute son œuvre. Joe Dante est réputé avoir mauvais esprit, et avoir eu beaucoup de difficultés à monter ses projets, en seconde partie de carrière. L'amertume avait pris le pas sur les ricanements.

Je t'offre la jaquette collector de la version française.

Après avoir revu Hurlements, je me disais que les Américains restaient de grands enfants, ça faisait film d'horreur pour ados, mais après avoir lu la critique de DVD classik, j'y trouve une thématique plus adulte.
l'état de loup-garou est libérateur, le seul qui soit finalement normal pour les concernés, celui où s'épanouissent le plaisir et le goût de la chair, qu'elle soit à dévorer ou dans laquelle on peut s'ébattre. La civilisation et l'humanité (et par extension la psychanalyse, comme on l'apprendra à la fin) sont une entrave à l'expression d'une animalité qui constitue le seul état qui vaille d'être vécu.
Emoustillé par la performance d'animalité pure proposée par Elisabeth Brooks - l'argument-choc du film pour soutenir cette thèse, avec une scène de nu intégral évoquant une époque où les femmes à poil l'étaient vraiment. 
Et à part ça ? Un personnage du film contaminé par la lycanthropie comprend que l'animalité n'est pas un chemin praticable vers l'humanité (pas le journal, le concept) qui est en nous, et atteint au sublime en se sacrifiant pour alerter le monde du danger de la morsure du loup garou. C'est pas mal, comme idée, dans un film de genre de ce genre.
Encore faudrait-il faire le distinguo entre animalité et bestialité, et regarder si Jean-Baptiste Morizot n'a pas dit quelque chose d'extrêmement chiadé sur le sujet du loup pas garou, qu'on pourrait replacer à l'occasion. Au moins comme ça on ne pourrait pas dire que comme nous, la culture ne sait plus où elle habite. 

Elisabeth Brooks. C'est le rôle de sa vie.
Quand même, on cherche les autres apparitions d' Elisabeth Brooks à l'écran. Hélas, elle succombe à un cancer du cerveau après s'être battue deux ans et demi, à l'âge de 46 ans. Thanatos met une bonne branlée à Eros, qui n'est pas prête à s'en relever.
Aujourd'hui, pas besoin de fictions pour se faire des vrais films d'horreur, en attendant Godot qui devrait se pointer au soir du second tour des élections législatives anticipées (ce billet a été écrit en mai, il faut bien que je le remaquille un peu avant de l'envoyer sous les sunlights).
Y'a qu'à lire l'article de Télérama consacré à l'épouvante des humanitaires à Gaza 
ou consulter l'insta du photographe qui illustre l'article
Aussi affreux que l'errance des photojournalistes de Civil war, film au demeurant assez creux, mais en vrai.

Pour aller plus loin :

https://www.lemonde.fr/economie/article/2018/06/17/avoriaz-vie-et-mort-d-un-festival_5316607_3234.html

https://fr.wikipedia.org/wiki/Roger_Corman

http://filmmaker.over-blog.com/article-le-festival-d-avoriaz-1973-1993-72234330.html

https://myduckisdead.org/the-howling-1981-joe-dante/