Triées parmi une sélection de deux cent choses inintéressantes
dites à propos de The Shaolin Cowboy :
#1 - Futuropolis a publié tantôt un quatrième tome des aventures du Shaolin Cowboy de Geof Darrow, alors que les trois volumes de l'édition française parus en 2020 étaient clairement étiquetés 1/3, 2/3 et 3/3 : pour moi, l'affaire était implicitement close, et maintenant voilà qu'il faut la rouvrir.
J'aimerais pas être l'autiste fraction Asperger qui va se faire offrir Pour une poignée de beaufs et s'apercevoir qu'il n'est pas sous-titré 4/3.
Ca fait désordre, et Dieu sait que dans les livres de Geof Darrow le chaos n'est qu'apparent, et qu'en réalité, tout est bien rangé, même les cailloux dans le désert, si nets et précis, malgré leur multitude, qu'on peut les compter après les avoir lus.
Quand vous aurez fini le comptage de cailloux, vous pourrez compter les touffes d'herbe. |
#27 - Là où le cinéma exhibe, la littérature suggère. Ce en quoi elle lui est me semble-t-il supérieure, en incitant le lecteur à se fabriquer des images mentales à partir des mots déposés sur le papier par l'écrivain, puis se les projeter dans la cire vierge et molle de l'écran blanc de son cerveau rose, alors que le cinéma impose "sa" vision.
C'est pourquoi il est plus plaisant de découvrir un écrivain en remontant du film vers le livre qui a été adapté à l'écran que d'aller voir au cinéma la traduction d'une oeuvre littéraire en un film, mutation souvent décevante puisque les images produites n'ont aucune chance de coïncider avec celles qu'on s'est créées en lisant le livre.
Et voilà pourquoi votre fille est muette !
(expression employée au sujet d’un discours, d’un raisonnement obscur, peu rigoureux, et qui n’aboutit à rien.)
#28 - Et la bande dessinée, alors ? Elle est à cheval - chez Darrow, elle trottine plutôt à dos de mulet - entre l'écrit (figé) et l'image (animée).
A partir d'idées accueillies et retravaillées par des esprits consentants armés de pinceaux habiles, des images fixes sont réalisées, à charge du spectateur de recréer l'espace interstitiel et le mouvement effectué entre les cases, dont les bordures délimitent l'espace imaginé. J'ai l'air de vouloir réinventer le fil à couper le beurre n'aoûte, mais attendez voir. Et quand les illustrations sont pleine page, à bords perdus, et que le bord gauche de la page prolonge les traits du bord droit de la précédente, suggérant un lent mouvement panoramique + dézoom s'étendant sur cinq doubles pages, comme dans le tome 1 du Shaolin Cowboy, et que la BD mime dangereusement le cinéma ? On fait quoi, on appelle Netanyahou Retailleau ?
The Shaolin Cowboy, Tome 1 - Start treck pages 16 à 25. J'ai foutu en l'air deux exemplaires papier de mon illustré électronique favori pour vous faire montrer ce que je voulais dire. |
#14bis - Certains artistes mettent leur créativité au service de populations vilipendées, comme Jacques Audiard défendant récemment les narcotrafiquants colombiens désireux de changer de sexe. Geof Darrow poursuit une œuvre tout aussi spectaculaire mais beaucoup plus intransigeante, lui qui prend depuis plus de 20 ans la défense de minorités stigmatisées comme les lézards, les zombis, les requins, les tourteaux nazis, les mules trop bavardes à casquette transparente verte, les hors-la-loi déclassés, les Donald Trump bébés et les démons nazebroques qu'on jurerait sortis du désert B. cher à Moebius.
#37 - La lecture des livres de Geof Darrow est exigeante : chaque image fourmille de détails qui se battent entre eux pour pénétrer dans ton œil le premier, et dont la scrutation fragmente l'attention, au point qu'il arrive souvent qu'on se perde dans ses planches. Surtout dans les deux premiers tomes de Shaolin Cowboy où les différents plans de l'image ne sont pas du tout simulés par le sfumato ou la perspective atmosphérique, où ni les contours ni les couleurs ne sont adoucis par la distance.
#38 - Errance entre les pages qui vaut toujours mieux que la déshérence entre quatre planches, même si elle ne permet de l'éviter que temporairement, perte de soi et désorientation auxquelles on prend vite goût, et qu'on peine à éprouver en s'immergeant dans le dernier Métal hurlant Spécial Lovecraft, ça par exemple, et dans la bande dessinée contemporaine en général, pour persister dans le style de remarque acerbe (aux Croates) de boomer décliniste qui a fait le succès de ce blog.
#4 bis - D'ailleurs on peut lire n'importe quel album de la série Shaolin Cowboy en commençant par la case 3 de la page 28 puis sauter à l'illustration pleine page 74-75 avant de revenir lire la préface et poursuivre au hasard, ça ne nuit aucunement à la compréhension de l'histoire, et ça peut même la rendre plus évidente à suivre.
Surtout quand il n'y en a pas.
#52 - Le savais-tu ? Juan Jose Ryp est un dessinateur espagnol qui est parvenu au milieu des années 2000 à reproduire le graphisme de Geof Darrow d'assez près, y compris dans les œuvres avec gravier et/ou morts-vivants, et ça ne lui a pas porté chance; il fait aujourd'hui du Wolverine à tire-larigot, et semble retombé dans un relatif anonymat (encore pire que moi réuni)
Juan Jose Ryp : ni désert ni lézards, et encore moins de moine shaolin coboye : nous sommes bien en présence d'une contrefaçon. |
#36 - Geof Darrow a beau nous faire croire que ses histoires se déroulent dans un univers surréaliste peuplé de chimères échappées d'un tableau de Dali, on n'est pas dupe, et on voit bien qu'il se contente de repeindre habilement au rotoscope des photographies qu'il a prises en ouvrant à f/1.8 au 1/500eme, ce qui explique ce caractère figé dans ses scènes de baston souvent très gores dans lesquelles aucun mouvement n'est suggéré, et où les trainées de liquide (sang, lymphe et autres fluides vitaux tels la bière et le coca) sont figées dans l'ambre graphique et l'air vespéral.
des fois on regrette David Carradine dans Kung Fu, quand même. C'était un peu plus sobre, et moins violent. Mais les temps ont changé. |
#71 - Il faut se dépêcher d'envoyer le Shaolin Cowboy casser la figure aux patrons de Microsoft, car ceux-ci ont décidé de rallumer des centrales nucléaires éteintes pour faire tourner leurs IA génératives dont les besoins en électricité sont outrecuidants, tout ça pour leur faire fabriquer à bas cout (capitale de l'Azerbaïdjan) des copies dégriffées et peu inspirées des meilleurs dessins de Geof Darrow.
des dessins "à la Darrow" fabriqués par Midjourney version v6.1 je ne trouve ça pas très ressemblant, mais les geeks qui ont inventé l'I.A. générative, si. |
#8 - Il y aurait tant de choses à dire sur Darrow, et tant de questions à lui poser : qu'est-ce que c'est que ce moine Shaolin qui cède à l'ultraviolence, toujours à regret, comme le regretté Kwaï Chang Caine dans la série américaine Kung Fu (1973), ou comme l'ancien bourreau Ogami Itto dans la saga de films de poussettexploitation Baby Cart, l'enfant Massacre ? mais le mieux c'est de relire ses livres. Les réponses sont forcément dedans. Elles ont l'air quand même bien cachées.
#125 - La réalité c’est ce qui continue d’exister lorsqu’on cesse d’y croire, aurait dit Philip K Dick. Je ne crois plus trop à la BD, mais elle ne disparait pas pour autant, et c'est tant mieux pour elle. Selon mon libraire, ce sont surtout les albums de 54 planches qui sont moins édités, au profit des romans graphiques. Est-ce qu'on peut dire que The Shaolin Cowboy c'est du roman graphique ? chaque album fait autour de 200 pages.
Mais de quoi ça parle vraiment ? Du Bien. Du Mal. De l'éthique pour s'en prémunir. Des moyens de le combattre. De la décadence de la civilisation américaine.
Au-delà du médium qu'il utilise, Darrow reste un incroyable créateur de mondes.
#88 bis - Les tomes 1 et 2 ont pour cadre un désert de l'ouest des USA (Utah ou Nevada) les tomes 3 et 4 se déroulent dans un univers hyper-urbain ravagé par la violence, les gangs, les restaurants de fruits de mer, Donald Trump et la grève des poubelles.
Leur lecture est aussi malaisante et hallucinatoire que "The Filth" de Grant Morrison, et peut provoquer nausées, vomissements, règles douloureuses et saignements d'oreilles de porc confites.
Pour aller plus loin :
Pour aller moins loin :
Pour rester sur place :
Pas colombiens, les narcos, juste mexicains mais on s'en fout, c'était juste l'occase de saluer.
RépondreSupprimerSalut et merci ! Nos lecteurs sont épatants !
RépondreSupprimerComme les Pieds Nickelés ?
RépondreSupprimerToutafé. D'ailleurs, c'est à peine croyable, mais je viens de retrouver une aventure des Pieds Nickelés contre le Shaolin Cowboy, dessinée par Geoforton Darrow en 1927.
Supprimerhttps://www.bdparade.com/bande-dessinee-pieds-nickeles-en-amerique-l-epatant-1921-1927-eo-1969-jaquette
Nos lecteurs sont trop forts.
Je n’ai jamais su quoi penser du travail de Darrow. Alors que je suis attiré par le dessin en BD, je chercher l’histoire dans Darrow. Et je suis sûr qu’il pourrait faire quelque chose de plus élevé avec son travail.
RépondreSupprimerJe suis globalement d'accord, même si ton commentaire semble traduit de l'anglais par ChatGPT. Je pense que Darrow exploite les préceptes de son bon maitre Moebius, qu'il revendique comme tel, quand celui-ci disait «Il n' y aucune raison pour qu'une histoire soit comme une maison avec une porte, des fenêtres pour regarder les arbres et une cheminée pour la fumée...On peut très bien imaginer une histoire en forme d'éléphant, de champ de blé, ou de flamme d'allumette soufrée».
RépondreSupprimerEn même temps, dans les interviews que j'ai mises en lien au bas de l'article, il explique un peu comment le Shaolin Cowboy lui sert de défouloir quand il angoisse trop de voir la société américaine partir en sucette... il vit dans le Finistère avec une française rencontrée sur le tournage d'un film, c'est dire. Je me force à m'immerger dans ses albums, c'est intranquille, ça semble parfois au-delà du débile, mais ça raconte quelque chose.
Si tu multiplies les images, chacune faisant référence à la précédente, tu finis par raconter quelque chose. Mais Moebius disait aussi qu’il cherchait à ne plus raconter des histoires qui reflétait sa violence intérieure pour aller plus haut. Darrow pervertit complètement l’action du comics (et du cinéma US) mais il ne semble prendre aucun recul. Comme s’il en était resté à ses pulsions adolescentes - ce qui peut être aussi un compliment. Combien sont devenus chiants ?
SupprimerLe trait le plus saillant des comics US, c'est les superhéros, à propos desquels Michel Gondry disait récemment « L’idée qu’une personne va sauver les gens du chaos parce que la communauté n’est pas capable de s’occuper d’elle, c’est la définition du fascisme ! »
SupprimerSi Darrow pervertit un système pervers, ne le ramène-t'il pas vers la lumière, petit Scarabée ?
Je suis sans doute plus complaisant envers la violence graphique du Shaolin Cowboy (c'est dessiné, donc ça reste une représentation) qu'avec la violence filmique, parce qu'alors la simulation est plus réaliste, et plus ambigüe. Le film d'Oliver Stone "Natural Born Killers", malgré sa forme brillante, m'avait mis en pétard.
Mais plus j'avance dans les histoires du Shaolin, plus j'y vois un journal intime se déployer pour devenir une saga, comme le garage hermétique de Jerry Cornélius le fut pour Moebius. Ces propos n'engagent bien sûr que moi.
Moi aussi, j’ai vu le doc sur Gondry - et il a quelque peu raison (on retrouve ce même problème jusque dans les patrons de la high-tech qui sont révérés par un certain public, ce qui n’augure rien de bon pour la démocratie). J’allais dire que le film d’action ne me plaît pas et je me rends compte que j’ai un faible pour certains films asiatiques, pour Tarantino, etc… Je ne sais pas s’il ramène vers la lumière mais au moins il déconstruit.
SupprimerJ’avoue aussi que je n’ai jamais accroché à son travail même visuel. C’est la même réticence que j’ai eu pour le fameux dessinateur coréen virtuose qui nous a quitté. Probablement mon côté Pratt.
Merci pour la charade sur Kim Jung-GI, j'oublie parfois ton encyclopédisme. J'irai voir son travail, je n'ai pas l'impression que ce garçon ait fait beaucoup de BD, mais c'est vrai que son dessin relève de "l'excessif", qui a le don d'attirer mon œil.
SupprimerLes Coréens ont le don d'être excessifs en tout; leur cinéma et leurs séries sont "trop", tout le temps. Ils travaillent aussi 70 ans, 80 heures par semaine, avec 3 jours de vacances par an, selon un récent article du Monde Diplomatique.
Sinon, comme le relève Gemma Chatalaire, qui nous livre un commentaire client plus sérieux que son pseudo ne le laisse supputer,
"il n’y a quasiment pas de différence entre le tracé au crayon et l’œuvre encrée. Ce qui conduit Darrow à dessiner deux fois exactement la même image. Quand on connaît la somme de détails présents dans ses illustrations, on se dit qu’il doit être doué d’une patience et d’une énergie proprement inhumaines(...)son encrage, indigent car purement fonctionnel, n’apporte strictement rien à son dessin au crayon. Aucun plein ni délié dans le trait d’épaisseur constante, aucune hachure, aucun dynamisme, aucune aplat ni effets d’ombre ou de volume."
https://www.amazon.fr/gp/customer-reviews/R90G7Q5NDJWBZ/ref=cm_cr_dp_d_rvw_ttl?ie=UTF8&ASIN=150670364X
Je ne sais pas quoi en penser non plus.
Merci d’avoir fait la recherche à ma place. Il a un peu travaillé avec JD Morvan mais il est surtout connu pour ses fresques "à main levée" qu’il réalisait dans les festivals.
SupprimerPour ce qui est de M. Gemma, je subodore que ce n’est pas un dessinateur. Si Darrow travaille comme ça, c’est parce qu’il en a besoin. C’est une façon de se rassurer. Et le trait dénué de tout, Moebius expliquerait (avec quelques raisons) que c’est du dessin "magique" où le mouvement est complètement automatisé pour atteindre une autre conscience.
Le précédent commentaire était de moi. J’inaugure un nouveau navigateur de geek et je n’était pas enregistré.
RépondreSupprimerMerci de te dénoncer, je t'avais un peu reconnu; on n'est pas des masses à commenter sur le blog à Warsen, ça frise l'entre-soi. M. Gemma se trompe au moins sur un point " Aucun plein ni délié dans le trait d’épaisseur constante " c'est erroné concernant les albums de Shaolin Cowboy; elle parle d'un recueil que je n'ai pas lu : "Lead Poisoning: The Pencil Art of Geof Darrow" constitué apparemment de crayonnés, mais l'encrage au pinceau n'est pas "indigent car purement fonctionnel, n’apporte strictement rien à son dessin au crayon". Il a de l'épaisseur, bien que ça ne soit pas son trait le plus flagrant.
RépondreSupprimerCe qui m'épate chez Darrow, c'est la clarté d'esprit impliquée dans le fait de crayonner quasiment le résultat final sans aucun trait inutile; l'esprit qui traduit sa vision directement dans la main.
Ou alors d’IP possible.
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