Quand j’étais petit, Howard Devoto chantait dans un groupe nommé les Couilles Vrombissantes (Buzzcocks).
Ca me faisait sourire, mais en même temps je voyais très bien ce qu’il voulait dire, à l’âge où les filles sont si belles qu’elles affolent quiconque est doté d’un système nerveux, comme la miséricordieusement voilée Joelle van Dyne dans l’Infinie comédie de David Foster Wallace :
« ceux qui m’ont vue une fois ne peuvent plus penser à autre chose, ne veulent plus regarder autre chose, oublient leurs responsabilités quotidiennes et s’imaginent que, s’ils peuvent m’avoir à leurs côtés éternellement, tout ira bien. Tout. Comme si j’étais la solution à leur profond désir aliénant d’être joue contre joue avec la perfection. »
La méditation attentive et sincère de ce paragraphe aux implications nettement dévrombissantes m'aurait peut-être évité bien des tourments futurs, mais nous sommes alors en 1976, et Wallace étant né la même année que moi, il n'est guère en état de la rédiger, peut-être occupé à la vivre d'une façon moins misérable que la mienne.
Il était malaisé pour moi d’écouter la musique des Couilles Vrombissantes, qui ne passaient pas à la télé, ni à la radio, et encore moins chez le disquaire de Lannion. Avec un nom pareil, ça devait être assez hargneux, mais à l'époque la hargne était la figure obligée du punk dans la catégorie politesse du désespoir.
Plus tard, dès que le punk a été « post », Howard Devoto a fondé Magazine*. Rock & Folk disait grand bien de leur premier album, et à l'époque Rock & Folk c'était parole d'évangile, comme Télérama maintenant, sauf quand Philippe Manoeuvre y disait du mal de King Crimson.(plus tard, Philou se couvrira de ridicule en passant à la télé en présentant les Enfants du Rock, avant de devenir scénariste de bandes dessinées aussi outrancières que ses chroniques rock de jadis sous le malicieux pseudonyme de Warren Ellis)
Et donc, Devoto, avec son nom de manga japonais à deux balles, Devoto avec sa tête de veau mi-Brian Eno de dos par temps de brouillard, mi-Adrian Belew qui aurait pris feu quand il était petit et qu'on aurait sans précautions éteint à coups de pelle, Devoto et sa voix de Johnny Rotten scorbuté.
Devoto et son étrange orchestre à la Bertold Brecht, qui annonce sans le savoir les juifs ashkénazes de Minimal Compact et leur cold wave existentialiste, Devoto comme un étrange écho perçu avant le son d'origine de Tuxedomoon, autres grands expérimentateurs San Franciscains, Devoto dont le premier album "Real Life" me transporte alors dans un au-delà chatoyant, lyrique et acidulé par rapport à toutes les merdes hargneuses des sous-doués du punk que je me tapais surtout pour faire chier mes parents, dans la nuit j'écris ton nom Devoto.
En 1979, comme Rock & Folk massacre le deuxième album de Magazine en disant que c'est une resucée du premier en moins bien, je passe mon chemin, mon pouvoir d'achat est moins grand que ma curiosité mais mon désir de consommer et d'investir sur des valeurs sûres se recentre sur d'autres galettes, à l'époque c'est pas les nouvelles vagues musicales qui manquent, c'est marée haute tous les jours dans la baie de Perros-Guirec.
Et j'attends une bonne trentaine d'années pour braver l'anathème jeté sur Devoto et les siens. Quel dommage : sans atteindre les cimes du premier ralboum, elle est très audible, cette "Lumière du jour D'occasion". Y'a quelques morceaux vraiment spectaculaires. Les claviers rutilants de Dave Formula, la basse fretless de Barry Adamson et les guitares frippiennes de John McGeoch assurent une belle tenue aux compositions du groupe.
Je ne capte pas tout aux paroles, mais tiens, "Permafrost" par exemple :
"As the day stops dead
At the place where we're lostI will drug you and fuck you
On the permafrost"
Aujourd'hui on ne pourrait plus écrire de chansons comme ça, la brigade anti-Weinstein nous sauterait dessus comme la vérole sur le bas-clergé breton, et Philippe Sollers aurait beau s'indigner sur France-Inter en bon crypto-gauchiste libidineux, on l'aurait dans le baba pour passer dans la Nouvelle Star, même présentée par Philippe "orchestral" Manœuvre in ze dark.
Hymne hargneux et distordu à la désorientation post-pubertaire et à la violence auto-sacrificielle qui en est l'insatisfaisante issue, Permafrost laisse un goût métallique dans la bouche, et sonne tel le mélodieux glas la fin d'un astre agonisant qui nous éclaire encore faiblement de sa lumière d'occasion pour me rappeler insidieusement que je viens d'oublier que c'était hier l'anniversaire de la mort de ma mère.
Reviens, maman, je ne te violerai pas sous le permafrost, c'était pour rire.
Bon, je voulais parler de mes couilles dans l'article, mais y'a plus la place.
Peut-être plus tard, sur mon blog secret, j'irai voir si elles sont vrombissantes, à moins que ce soit mes acouphènes qui récidivent, mais pas ici, pas à l'heure où les enfants regardent, Dieu me tripote.
"Effectively straddling the line between post-punk and new wave, Secondhand Daylight's synth-saturated, downcast but upbeat sound is, at times, reminiscent of a punk-er take on Low-era Bowie. And that should be all you need to know."
http://opiumhum.blogspot.fr/2014/05/magazine-secondhand-daylight-1979.html* Devoto quit the Buzzcocks before their Spiral Scratch EP came out but was still writing with Shelley and "managing" the band. The split had been amicable and basically "Howard was at college," Shelley said later, "and he'd been told that if he didn't complete the work he'd be throwing the last three years away".