lundi 20 novembre 2017

Magazine - Secondhand Daylight (1979)






Quand j’étais petit, Howard Devoto chantait dans un groupe nommé les Couilles Vrombissantes (Buzzcocks). 
Ca me faisait sourire, mais en même temps je voyais très bien ce qu’il voulait dire, à l’âge où les filles sont si belles qu’elles affolent quiconque est doté d’un système nerveux, comme la miséricordieusement voilée Joelle van Dyne dans l’Infinie comédie de David Foster Wallace :


« ceux qui m’ont vue une fois ne peuvent plus penser à autre chose, ne veulent plus regarder autre chose, oublient leurs responsabilités quotidiennes et s’imaginent que, s’ils peuvent m’avoir à leurs côtés éternellement, tout ira bien. Tout. Comme si j’étais la solution à leur profond désir aliénant d’être joue contre joue avec la perfection. »

La méditation attentive et sincère de ce paragraphe aux implications nettement dévrombissantes m'aurait peut-être évité bien des tourments futurs, mais nous sommes alors en 1976, et Wallace étant né la même année que moi, il n'est guère en état de la rédiger, peut-être occupé à la vivre d'une façon moins misérable que la mienne.

Il était malaisé pour moi d’écouter la musique des Couilles Vrombissantes, qui ne passaient pas à la télé, ni à la radio, et encore moins chez le disquaire de Lannion. Avec un nom pareil, ça devait être assez hargneux, mais à l'époque la hargne était la figure obligée du punk dans la catégorie politesse du désespoir.

Plus tard, dès que le punk a été « post », Howard Devoto a fondé Magazine*. Rock & Folk disait grand bien de leur premier album, et à l'époque Rock & Folk c'était parole d'évangile, comme Télérama maintenant, sauf quand Philippe Manoeuvre y disait du mal de King Crimson.(plus tard, Philou se couvrira de ridicule en passant à la télé en présentant les Enfants du Rock, avant de devenir scénariste de bandes dessinées aussi outrancières que ses chroniques rock de jadis sous le malicieux pseudonyme de Warren Ellis)

Et donc, Devoto, avec son nom de manga japonais à deux balles, Devoto avec sa tête de veau mi-Brian Eno de dos par temps de brouillard, mi-Adrian Belew qui aurait pris feu quand il était petit et qu'on aurait sans précautions éteint à coups de pelle, Devoto et sa voix de Johnny Rotten scorbuté. 
Devoto et son étrange orchestre à la Bertold Brecht, qui annonce sans le savoir les juifs ashkénazes de Minimal Compact et leur cold wave existentialiste, Devoto comme un étrange écho perçu avant le son d'origine de Tuxedomoon, autres grands expérimentateurs San Franciscains, Devoto dont le premier album "Real Life" me transporte alors dans un au-delà chatoyant, lyrique et acidulé par rapport à toutes les merdes hargneuses des sous-doués du punk que je me tapais surtout pour faire chier mes parents, dans la nuit j'écris ton nom Devoto.

En 1979, comme Rock & Folk massacre le deuxième album de Magazine en disant que c'est une resucée du premier en moins bien, je passe mon chemin, mon pouvoir d'achat est moins grand que ma curiosité mais mon désir de consommer et d'investir sur des valeurs sûres se recentre sur d'autres galettes, à l'époque c'est pas les nouvelles vagues musicales qui manquent, c'est marée haute tous les jours dans la baie de Perros-Guirec. 
Et j'attends une bonne trentaine d'années pour braver l'anathème jeté sur Devoto et les siens. Quel dommage : sans atteindre les cimes du premier ralboum, elle est très audible, cette "Lumière du jour D'occasion". Y'a quelques morceaux vraiment spectaculaires. Les claviers rutilants de Dave Formula, la basse fretless de Barry Adamson et les guitares frippiennes de John McGeoch assurent une belle tenue aux compositions du groupe.
Je ne capte pas tout aux paroles, mais tiens, "Permafrost" par exemple :
"As the day stops dead
At the place where we're lost
I will drug you and fuck you
On the permafrost"
Aujourd'hui on ne pourrait plus écrire de chansons comme ça, la brigade anti-Weinstein nous sauterait dessus comme la vérole sur le bas-clergé breton, et Philippe Sollers aurait beau s'indigner sur France-Inter en bon crypto-gauchiste libidineux, on l'aurait dans le baba pour passer dans la Nouvelle Star, même présentée par Philippe "orchestral" Manœuvre in ze dark.



Hymne hargneux et distordu à la désorientation post-pubertaire et à la violence auto-sacrificielle qui en est l'insatisfaisante issue, Permafrost laisse un goût métallique dans la bouche, et sonne tel le mélodieux glas la fin d'un astre agonisant qui nous éclaire encore faiblement de sa lumière d'occasion pour me rappeler insidieusement que je viens d'oublier que c'était hier l'anniversaire de la mort de ma mère.
Reviens, maman, je ne te violerai pas sous le permafrost, c'était pour rire.

Bon, je voulais parler de mes couilles dans l'article, mais y'a plus la place.
Peut-être plus tard, sur mon blog secret, j'irai voir si elles sont vrombissantes, à moins que ce soit mes acouphènes qui récidivent, mais pas ici, pas à l'heure où les enfants regardent, Dieu me tripote.



"Effectively straddling the line between post-punk and new wave, Secondhand Daylight's synth-saturated, downcast but upbeat sound is, at times, reminiscent of a punk-er take on Low-era Bowie. And that should be all you need to know."

http://opiumhum.blogspot.fr/2014/05/magazine-secondhand-daylight-1979.html

* Devoto quit the Buzzcocks before their Spiral Scratch EP came out but was still writing with Shelley and "managing" the band. The split had been amicable and basically "Howard was at college," Shelley said later, "and he'd been told that if he didn't complete the work he'd be throwing the last three years away".

10 commentaires:

  1. C’est bien, je découvre ici les LP chroniqués de ma jeunesse et que je n’ai même pas eu la curiosité d’écouter.
    C’est méchant de mélanger Manœuvre et OMD - j’aime bien OMD.

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    1. Quand j'étais petit, Manœuvre me subjuguait, que ce soit dans Rock & Folk ou dans Métal. Ce n'est qu'en le découvrant en live dans les Enfants du Rock - sa voix de fausset et son attitude corporelle de paltoquet le trahissaient constamment - et plus tard en lisant "Métal Hurlant - la machine à rêver" que j'ai enfin capté son profil de Rastignac de la contre-culture. Poste que je brigue un peu tardivement au sein de la presse en ligne post-mortem, avec des contraintes éditoriales assez lourdes, qui n'allègent en rien le grotesque de la situation.

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    2. Ah ben moi, c’est la SF que je préférais dans MH alors les histoires de rock de Manœuvre, ça me gonflait un peu. Et ses critiques sous forme de déclarations péremptoires me laissaient un peu froid (il faut dire que je ne connaissais aucun des LP chroniqués à l’époque).

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    3. Je le tenais (sûrement injustement) responsable de la dérive pop culture/mode de la revue - que d’autres trouvent géniale soit dit en passant.

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    4. L'époque changea, MH aussi. C'est tout bien expliqué dans le Très Saint Livre.
      http://www.denoel.fr/Catalogue/DENOEL/Denoel-Graphic/Metal-Hurlant-1975-1987
      Heureusement, les BD de SF prépubliées étaient moins périssables que les outrances de Phil Manoeuvre ou de Joe Staline !

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  2. Parce que t'avais les moyens d'acheter des disques sans les écouter ? on n'est pas du même monde... un disque chez moi c'était un investissement à long terme. S'il ne me plaisait pas, je me forçais à l'écouter jusqu'à ce qu'il me plaise.

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  3. Je n’ai pas dit que j’avais l’argent pour les acheter. Je découvrais Lenoir et les copains avaient des disques. Je lisais surtout les chroniques de Manœuvres dans ma collection de Métal et les premiers albums achetés ont été des cassettes audio - une compil de Blondie. Je suis assez tardif comme acheteur de musique mais je n’ai croisé personne pour m’y initier et de toute manière je n’avais pas d’argent pour ça.

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  4. Quand je dis "curiosité d’écouter", je veux dire "depuis l’époque". Mais je ne suis guère nostalgique d’un point de vue musical.

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  5. Tu veux donc dire "de réécouter".
    Prendre ce risque, c'est de se retrouver avec des ressentis de l'époque collés au bonbon, qui parasitent la perception. Mais c'est aussi prendre le risque inverse : de se prendre le skeud avec de nouvelles oreilles, comme si on l'entendait pour la première fois.
    Il me semble qu'Aldous Huxley fait tout un baratin là dessus dans "les portes de la perception", comment les entretenir et les garder ouvertes sans choper de courants d'air, mais que c'est à l'occasion d'un trip sous mescaline.
    Pour Secondhand Daylight, j'ai de la chance, je ne l'ai pas écouté à l'époque. Je n'ai donc pas besoin d'alcaloïdes. En principe.

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  6. Ah non, je n’avais pas écouté à l’époque - et je pense que ça ne m’aurait pas plu.

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