A part ça, je suis en train de lire le Jérusalem d’Alan Moore.
J'en vois pas le bout, mais j’ai trouvé un extrait sympa :
c’est un démon qui explique la vie à un jeune bambin récemment décédé, vers la page 450.
« Seule la vie existe, en fait. La mort est une illusion de perspective qui afflige la troisième dimension. Ce n’est que dans le monde mortel à trois côtés qu’on considère le temps comme quelque chose qui passe et disparaît derrière toi dans le néant. Tu penses au temps comme à quelque chose qui sera un jour dépassé, fini. Mais vu depuis un plan supérieur, le temps n’est rien de plus qu’une autre distance, de même que la hauteur, la largeur ou la profondeur. Tout dans l’univers de l’espace et du temps se produit en même temps, tout arrive en un glorieux super-instant avec l’aube des temps d’un côté et la fin des temps de l’autre. Toutes les minutes dans l’intervalle, y compris celles qui marquent les décennies de ta durée de vie, sont suspendues dans la grande bulle immuable de l’existence pour l’éternité.
« Imagine ta vie comme un livre, une chose solide dont la dernière ligne est déjà écrite depuis que tu l’as ouvert à la première page. Ta conscience progresse tout au long du récit depuis le début jusqu’à la fin, et tu es de plus en plus absorbé dans l’illusion des événements qui se déroulent et du temps qui passe à mesure que ces choses sont vécues par les personnages du drame. En réalité, toutefois, tous les mots qui composent le texte sont fixés sur la page, et les pages reliées dans leur ordre immuable. Rien dans le livre ne change ni ne se développe. Rien dans le livre ne bouge à part l’esprit du lecteur qui se déplace de chapitre en chapitre. Quand l’histoire est finie et que le livre est refermé, il ne prend pas feu aussitôt. Les personnages de l’histoire et leurs revers de fortune ne disparaissent pas sans laisser de trace comme s’ils n’avaient pas été écrits. Toutes les phrases qui les décrivent sont encore là dans le volume solide et inchangé, et tu as tout loisir de relire l’ouvrage aussi souvent que ça te plaît.
« Il en va de même pour la vie. Ma foi, chaque seconde de vie est un paragraphe que tu reliras un nombre incalculable de fois et dans lequel tu trouveras de nouvelles significations, même si la formulation reste la même. Chaque épisode demeure inchangé à sa place fixe dans le texte, et chaque moment dure donc éternellement. Des moments de béatitude extrême et des moments de profond désarroi, suspendus dans l’ambre infini du temps, tout le paradis ou l’enfer dont le premier prédicateur venu peut rêver. Chaque jour et chaque acte est éternel, petit. Vis-les de façon à pouvoir vivre avec eux éternellement. »
Moore, on s'en doute, est adepte de l’éternalisme.
" Depuis que j’ai eu 50 ans, je me suis beaucoup questionné sur ce que pourrait être la vie après la mort. Évidemment, s’il y a juste la mort, c’est la même chose pour tout le monde, et il n’y a pas grand-chose à en dire. Mais s’il y a une possibilité d’une vie après la mort… quel genre de vie cela pourrait-il être ? Comme tout ce qui ressemble à du marbre ou à de l’or me fait penser à une salle de bains des années 1980, j’ai d’emblée exclu toutes les notions traditionnelles de paradis. Quant à la possibilité de réincarnation avec un autre moi-même qui renaîtrait de l’autre côté du monde, sans avoir gardé mes souvenirs, qui ne me ressemblerait ni physiquement, ni intellectuellement, ni même émotionnellement… cela ne m’intéresse pas davantage.
J’ai donc commencé à imaginer une solution qui pourrait me satisfaire. J’ai décidé que ce que j’aimerais vraiment serait tout simplement de retrouver ma belle petite maison, ma femme, mes amis, mes enfants, mes petits-enfants… fondamentalement, ma vie, avec tous mes livres, toutes les expériences, bonnes et mauvaises, que j’ai traversées. J’ai ensuite étudié la nature du temps telle que la définissent Einstein ou Stephen Hawking. Ils l’envisagent tous les deux comme une sorte de solide, ce que l’on appelle un univers-bloc. Or, si nous vivons dans un bloc solide, éternel, inamovible, au moment de notre disparition physique, notre conscience ne peut sans doute aller nulle part ailleurs, sauf à retourner à son commencement pour tout recommencer.
- Vous voulez dire que tout ce qui existe, existera toujours ?
- Exactement. Et je ne suis même pas sûr que les notions du passé et du futur aient le moindre sens. Nous sommes dans un continuum où tout est simultané, et chaque fois que l’expérience de nos vies se répétera, il se produira exactement la même chose. Pourtant, nous avons toujours la sensation que c’est la première fois.
Cette théorie n’est-elle pas une manière de vous réconforter, de ménager votre pression artérielle ou quelque chose de ce genre ?
- Peut-être. Mais je voulais surtout proposer un autre choix que le néant, un autre scénario que ceux proposés par les courants religieux. L’éternalisme me semble être un très bon système de croyance parce qu’il ne se concentre pas sur un au-delà probablement imaginaire, mais sur la vie que l’on mène, le « ici et maintenant ». Penser que la vie que tu vas mener sera la même pour toujours t’oblige à la rendre la plus heureuse et la plus accomplie possible. Cela évite les pièges dans lesquels sont tombées les générations précédentes. Je pense à ma grand-mère qui a toléré une pauvreté insupportable toute sa vie parce qu’elle croyait qu’après sa mort, elle irait au paradis. Je comprends que ça ait pu la réconforter, et je crois que c’est pour cela que beaucoup de pauvres ont cru en la pensée chrétienne. C’était une sorte de palliatif qui rendait leur existence plus supportable. Mais cela les a aussi empêchés de faire quoi que ce soit pour changer leur situation.
Si ces religions ont des aspects libérateurs, elles sont aussi « des menottes forgées par l’esprit », comme le disait William Blake. Je voulais créer une autre alternative, plus rationnelle. Cette théorie est effectivement assez proche de ce qu’Einstein a fini par croire, et qui résultait de ses recherches. Le Troisième Livre de Jérusalem s’ouvre sur une citation de lui qui dit que la mort n’est qu’une « illusion persistante de l’éphémère ». Trois mots qui résument parfaitement ce que j’essaie de dire. Si l’on n’a qu’une seule vie, la passer à avoir peur de la fin serait juste un énorme gâchis. Alors que la version que je propose, qui n’exige pas un Dieu, mais n’empêche pas un Dieu non plus, me semble être l’idée la plus saine que j’ai entendue. Nietzsche avait d’ailleurs proposé une idée tout à fait similaire…
Est-ce vrai ou non ? Cela n’a aucune importance. Mais si vous vivez en croyant que c’est vrai, vous aurez sans doute une vie meilleure."
http://www.ladn.eu/tech-a-suivre/homme-augmente/alan-moore-publie-son-roman-jerusalem-interview/
Sur le plan psychologique, c’est une bonne affaire.
Sur le plan financier, son Jérusalem est à 28,80 €.
Un million de mots (j’ai compté).
C’est donné.