jeudi 25 septembre 2025

Joris & Marieke - Quota (2024)

Cet été j'ai eu une discussion un peu acerbe avec des amis retraités qui font plusieurs voyages de tourisme par an à l'étranger, de préférence loin, ils s'y rendent donc en avion. Je leur ai parlé d'empreinte carbone, ce qui est le moyen le plus sûr d'animer les soirées quand on arrive à l'âge où elles tendent à mollir. Comme ils m'opposaient des arguments douteux sur les Chinois et leurs centrales à charbon qui polluent bien plus que nous réunis, j'ai surenchéri sur le fait que mes amis hypothéquaient gravement l'avenir de leurs propres enfants, voire qu'ils les condamnaient à court terme, par leur comportement de bourgeois humanistes à l'abri du besoin, soi-disant lucides et conscients grâce à la lecture assidue de télérama, et encore assez valides pour remplir les charters de Ryan Air. J'ai bien senti qu'en les accusant de tuer leurs gosses, je touchais un point sensible, mais j'ai supposé qu'ils me connaissaient assez pour savoir qu'on ne peut jamais savoir si je suis sérieux quand je ne le suis pas, vu que je fais souvent semblant de l'être. J'ai appris plus tard que depuis cette soirée, ils ne voulaient plus me voir. il parait que j'ai été odieux. Odieux ? MOI ? C'est l'idée même de leur présenter des excuses qui m'apparait odieuse. Des excuses pour avoir énoncé des faits ? Qu'ils restent fâchés, avec leur bonne conscience blessée et leur posture victimaire de boomers outrés. Ouat ze phoque ?

Mes potes âgés en Bolivie. Une métaphore du surtourisme à eux tout seuls.

Plus tard dans l'été, on a commencé à s'invectiver par WhatsApp avec mon frère et ma soeur sur celui qui avait la plus grosse (empreinte carbone) et j'ai désamorcé la brouille fratricide et soeuricide en leur faisant observer que jusqu'ici, les industriels sont parvenus à culpabiliser les citoyens-consommateurs sur leurs émissions de gaz à effet de serre et à détourner leur attention des vrais responsables de notre prochaine extinction en tant qu'espèce, au lieu de prendre les décisions collectives qui s'imposaient. Car en définitive, l'espèce humaine est-elle un collectif, ou un empilement d'individus aux intérêts divergents, voire antagonistes ? hein ? hein ? Tant qu'il n'y a pas de gouvernement mondial, au moins pour réguler les émissions de GES, on n'arrivera pas à grand-chose, et ça n'en prend pas le chemin.
Y'a qu'à lire Le déluge, fiction d'anticipation climatique plus réaliste que la Réalité Réelle Ratée. Désormais, que nous allions à Zanzibar en pédalo ou à Tokyo en vélo, notre futur climatique est compromis. Mes mauvaises blagues d'éco-terroriste sur l'empreinte carbone de mes voisins ne nous mènent nulle part. Et ma télé 55 pouces sur laquelle je peux regarder Jancovisqueux consomme sans doute trois fois plus de terres rares que celle d'avant. Heureusement que notre civilisation va s'effondrer, et bon courage aux survivants. Il fait chaud ce soir hein ?
Et puis il y avait cet article, dans Telerama 3922, qui datait au moins du mois de mars et que je relisais aux cabinets du bas, des fois que quelque chose m'ait échappé après l'avoir parcouru quelques temps plus tôt dans ceux du haut.



Il nous faut donc un changement systémique : ce n'est pas une poignée d'activistes hypersensibles aux exigences de l'avenir mais aussi sexy que Greta Thunberg et Jancovici réunis dans une soirée échangiste qui peuvent inciter les masses à changer leurs comportements, et encore moins à empêcher les ultra-riches de foutre en l'air le peu d'humanité qu'il nous reste et les minces chances de la transmettre à des générations futures qui relèvent de la science-fiction la plus échevelée. Mes ex-potes ont beaucoup de mal à admettre leur responsabilité et à renoncer à leur droit à polluer, alors qu'ils estiment leur désir d'évasion légitime, après avoir trimé toute leur vie, ils ne voient pas au nom de quoi et de qui ils sacrifieraient leur soif de découverte et de voyages. Et quand je serai en retraite, le même dilemne s'imposera à moi.
J'en étais là dans mes impasses cognitives quand soudain j'ai découvert Quota sur Arte. Ce court métrage propose des solutions innovantes, et me venge de tous mes atermoiements, car l'empreinte carbone de ce blog n'est pas nulle, et si je fermais ma cyber-gueule, ça ferait du bien à la planète.

Annexe
Jancovici présente ici le graphique le plus limpide sur les émissions de gaz à effet de serre. Enjoy, or die trying !

[EDIT]

Les techno-solutionnistes pensent qu'on peut tout résoudre 
en bricolant un peu la biosphère. Mon oeil !
©Emilie Möri, Global warming

Certains d'entre vous, à la lecture de cet article pas très jouasse, seraient tentés d'éprouver un désir bureaucratique d'extraction extracapsulaire.
Dites-vous bien que ça serait faire le jeu de la droite, et dérouler le tapis rouge pour nos amis racistes aux prochaines élections.

jeudi 18 septembre 2025

Le Rock D'Ici - Volume 5 (2015)

De jeunes lecteurs m'ont signalé au cours de l'épisode précédent que l'anthologie réalisée pour le compte de la concurrence "ARTISTES DIVERS ~ Le Rock D'Ici - Volume 5 " n'était plus disponible dans le commerce illicite. Le rédactionnel de l'article restant valable, je ne vous le remets pas ici. Je remets juste les chansons avant de filer à la manif, où je compte bien m'emparer de la sono de la CGT pour substituer ma compile à l'incontournable "Motivés" par Zebda qu'on entend depuis le stand Merguez jusqu'à la station de bus en grêve.


https://www.mediafire.com/file/0msqmn01nfmjnc2/Le+Rock+D'Ici+-+Volume+5.zip/file


01 - STILETTOS - Le Dernier Rock Avant La Crise

02 - ARTHUR H - L'Abondance

03 - DEDE ET MIREILLE - Pour Coiffeur

04 - SAPHO - Mécanique

05 - MANSET - Manteau Rouge

06 - HUBERT-FELIX THIEFAINE - Narcisse 81

07 - RAOUL PETITE - Georges Cloné

08 - BERNARD LAVILLIERS - Lettre Ouverte

09 - EMMANUEL BOOZ - Les Morts

10 - HELDON - Ouais, Marchais, Mieux Qu'En 68 (Le Voyageur)

11 - SAX PUSTULS - Emmène-Moi

12 - HONEYMOON KILLERS - Fonce A Mort

13 - LUTIN BLEU - Martine

14 - BABX - Mourir Au Japon

15 - LES FATALS PICARDS - Seul Et Célibataire

16 - LES SATELLITES - Les Américains

17 - NINO FERRER - Ma Vie Pour Rien

18 - RODOLPHE BURGER - L'Homme Usé

19 - AU BONHEUR DES DAMES - Ça M'Enerve

20 - FRENCH COWBOYS - Happy As Can Be

21 - ARLT - Tu M'As Encore Crevé Un Cheval

22 - BULLDOZER - Il Etait Une Tranche De Foie Dans L'Ouest

23 - JOHNNY HALLYDAY - Jesus-Christ

jeudi 11 septembre 2025

Knower : The Government Knows (2016)

En France, le rock rigolo, à vocation parodique ou abrasive, est une tradition vivace, et dispose de racines vigoureuses bien implantées dans le fécond terreau du "bête et méchant" né avec Hara-Kiri dans les années 60, je dis ça comme si j'avais avalé un critique de rock genre Phil Manœuvre quand il était petit, mais j'ai un peu étudié le sujet, bien qu'à ma connaissance, Ramon Pipin (qui en est le parrain encore bien vivant, même s'il n'est que 12h23, sauf à vouloir remonter à Henri Salvador puis par son truchement à Ray Ventura, et ensuite à Rabelais) reste bientôt le seul représentant encore en activité de cette tendance à mélanger humour et musique musclée.
Et je ne vois pas beaucoup d'artistes américains s'aventurer sur le terrain de la critique sociale par le biais d'une ironie décapante, à part Frank Zappa, mais ses blagues sont souvent difficiles à décoder pour nous, les mangeurs de grenouilles, et puis il est mort en 1993, et il persiste à le rester, ce qui est une blague d'assez mauvais goût, mais il faut faire avec, c'est à dire sans. 
Je suis donc ravi de découvrir le groupe Knower, une des émanations de Louis Cole, un musicien polymorphe qui s'épanouit tous azimuts, pour le dire proprement.
The Government Knows est un scopitone qui s'amuse à détourner joyeusement les codes de l'electro funk pop technoïde (les joyeux lurons semblent sortir du Suicide Squad de James Gunn, que je te conseille fortement) pour délivrer un message libertaire et éveiller les consciences. Ils parviennent à se moquer simultanément du folklore rock, des conspirationnistes, des masturbateurs, et de sans doute pas mal d'autres trucs dont je n'ai pas les filtres culturels pour les décoder tout de suite, mais le gouvernement y travaillera dès qu'il sera constitué. Et quel tintamarre !


Le gouvernement sait
Le gouvernement sait quand tu te masturbes
Le gouvernement sait quand tu te sens seul
Et il se fait tard, et tu es assis à la maison
Regardant droit dans ta webcam
L'Oncle Sam te regarde
Regarde-le dans les yeux, les couilles à la main
Et mets-la lui, à ce connard
Fixe l'écran en envoyant la purée
Le gouvernement te regarde en retour
C'est comme ça qu'ils te connaissent le mieux
Avec une bite dans la main droite et une souris dans la main gauche
(..)
La taille n'a pas d'importance pour la CIA
Ils peuvent voir ta bite depuis l'espace
(..)
Ils sont partout, ils sont omniscients
La seule bite qu'ils n'ont pas vue est celle d'Edward Snowden

En France, cette chanson marcherait moins bien, car si tu remplaces "Oncle Sam" par "François Bayrou", ça fait quand même beaucoup moins peur... ou alors faut impliquer Retailleau, mais difficile de se masturber en évoquant sa figure tutélaire...

Un avis très pertinent, et en français :
"Un peu comme une réincarnation californienne de Areski et Fontaine 50 ans plus tard."
https://rateyourmusic.com/release/album/knower/louis-cole-and-genevieve-artadi/

Le wiki (en anglais) de Clown Core, une autre incarnation de Louis Cole, est absolument hilarant, tout autant que leurs vidéos maléfiques

mardi 2 septembre 2025

Le foreverisme, pour toujours et à jamais (2) : le reboot du spin-off du prequel

L’avenir n’est plus dans le progrès ? 
Très bien, rapportons le passé dans le présent 
et faisons en sorte qu’il ne nous échappe plus jamais. 

Donald Trump (raconté par Grafton Tanner)

Mais le passé n'a pas d'amis
Quand il vient lécher les statues
On m'a reléguée dans la nuit
Au milieu des vieux tas d'invendus

Hubert-Félix Thiéfaine

les gars du marketing, c'est que de la racaille.
J'ai du mal à me remettre de ma rencontre récente avec le foreverisme, ce concept marketing forgé par des industriels soucieux de prolonger la vie commerciale de produits ayant dépassé leur date de péremption y’a déjà un bail, concept dont j'ai immédiatement élargi le spectre pour découvrir qu'il gangrénait les fondements de mon existence depuis son origine. Et question gangrène dans le fondement, j'en connais désormais un rayon de radiothérapie.
J'ai déjà copieusement grabouillé, raclé et regrifougné l'article précédent comme un putain de palimpseste pendant que vous dormiez, j'en attaque donc un nouveau. J'ai découvert que le foreverisme ne concernait pas que les films de superhéros tentant d'endiguer le déclin de l'empire américain, les clones australiens en simili Pink Floyd ou les disques posthumes de Jimi Hendrix enregistrés sous la pluie à travers un sac de couchage... 

Je vois bien que les tentatives périodiques de Métal Hurlant de ressusciter l'héritage de Dionnet ou celles de LFI pour ressusciter celui de Staline, les relances constantes du Centre des Impôts et celles d'anciennes meufs égéries soi-disant retirées du marché voire de la galaxie, le succès grandissant des franchises évangéliques pour rebooter le christianisme, tous ces phénomènes rentrent dans la même catégorie des produits culturels obsolètes qu'on ressort sur les présentoirs au cas où le consommateur prisonnier de ses pulsions ne fasse plus la différence entre l'original et la contrefaçon. 
C'est lui accorder bien peu de jugeote, en attendant que l'IA finisse son travail de décervelage. Disant cela, je confonds malicieusement comme un imbécile heureux le concept de "produit culturel" à décliner ad libitum avec la tendance de mon esprit à croire éternelles des choses disparues, à mélanger comme un imbécile malheureux le passé et le présent, au risque de trouver à mon futur un petit goût de déjà vu, de déjà vécu, mais en moins bien, l'âge venant diminuer les plaisirs quand il ne les abolit pas tout court, comme en atteste mon état un peu prématuré à mon goût de retraité sexuel. On ne choisit pas ce qui nous arrive, on peut juste moduler notre façon d'y réagir.

L'astuce ultime du foreverisme, c'est la zombification.
Seuls les morts étant immortels, 
ils sont aussi corvéables à merci et déclinables à l'infini.
Le reboot de Bambi mort-vivant, je le sens moyen.
Je vais y envoyer mes petits-enfants
en éclaireurs avec mon pass Culture.
Non seulement je combats le foreverisme culturel mais je dois aussi le traquer en tant que croyance erronée en la permanence des choses et des êtres. Heureusement que je n'écris plus sur mon blog de slips sales, ça serait un bon prétexte pour m'y lamenter de ce biais cognitif, une fois franchie la limite au-delà de laquelle mon ticket n'est plus valable. Comme George R.R. Martin, qui n’a selon Télérama que deux passions : ne pas écrire la suite de Game of Thrones, et se plaindre dans la presse de ne pas y arriver. 
Dans le temps je me disais "si le sentiment survit à la personne qui l'a suscité, c'est que c'était pas une hallu", formule-choc dont le sens s'est un peu perdu. Enfin, je vois bien pourquoi je disais ça, et je comprends aussi pourquoi je ne le prétends plus : l'autre jour, au bureau, j’ai fait pleurer une fille. Il m'a suffi d'évoquer un certain incident, elle est remontée dans son souvenir et crac ! elle l'a revécu, c'était très douloureux, et ça a tout de suite débordé. Mes gros pieds dans ses petits plats. Quel con. C'était sans intention malveillante au départ, et quand je lui ai expliqué en sus, aussi déconfit qu’un fruit périmé, que ça faisait longtemps que je n'avais pas fait pleurer une femme, vu que je n'ai plus de prostate, elle a réussi à pleurer de rire en même temps ! et elle est repartie vers son bureau dans ce triste état, j'espère qu'elle avait une culotte de rechange ! Ca m'a appris à distinguer l’hypermnésie émotionnelle de l’hypermnésie autobiographique qu'on trouve parfois sur des blogues de vioques, même s'ils inventent la plupart des détails comme ça leur chante.
Pour l'esprit, les barrières temporelles sont plus perméables que les spatiales. On les franchit par la pensée, et ça peut aller assez vite. Une photo de facture donne le mal du pays, et très peu de choses séparent la nostalgie (l'acceptation du manque né de la perte, acceptation qui peut être elle-même joyeuse) du foreverisme, le désir forcené de permanence, qui en est l'antithèse et le déni.


Cette planche de Goossens illustre bien
les inconvénients de revivre un traumatisme rien qu'en l'évoquant...

L'identité, c'est la mémoire, donc c'est normal que mon esprit fasse souvent des "accès disque" vers des évènements passés, c'est la façon qu'il a de se renseigner sur la légitimité de la tache qu'il est en train d'effectuer. Que ma conscience passe une partie de ma vie diurne à revivre des choses en esprit dans l'espoir d'y changer quelque chose ou de les revivre en mieux, ça aussi, c'est humain. Tant que je reste conscient de ce bruit de fond (faudrait que je creuse la question du Réseau du mode par défaut) et que je ne le laisse pas me submerger, je pense que ça va. C'est gérable. Je ne suis pas comme Robert Fripp, dont le projet, depuis ces dix vingt dernières années, est sans ambiguïté : retourner en 1973, y établir un campement provisoire, puis une colonie de peuplement.
Il cumule ainsi une approche marketing et le handicap psychologique du foreverisme.
Mais tout ça ne nous rendra pas Frank Zappa, que j'ai revu l'autre soir jouer Chunga's Revenge dans feu l'émission Chorus d'Antoine de Caunes qu'on regardait à la télé le dimanche midi en se demandant ce qu'on ferait quand on serait grands, sans savoir qu'on serait alors pris dans une boucle temporelle à rechercher les émissions télé de quand on était petits.
https://jesuisunetombe.blogspot.com/2010/01/what-ever-happened-to-all-fun-in-world.html