mercredi 13 décembre 2017

Dans l'enfer d'une terrifiante addiction à la connerie (2017)

Tout se passait si bien, comme dans un de ces rêves éveillés où l'on s'entraine consciemment à se retenir de faire pipi parce qu'on n'est pas certain d'être endormi dans son lit, au bureau dans le pyjama d'FCP Xxx, ou alors aux toilettes  en combinaison de plongée, en train de feuilleter l’exégèse de Philip K. Dick tome 2, le cadeau de Noël idéal pour provoquer une rupture d'anévrisme chez une belle-soeur déjà bien abimée par la vie. Mais restons lucides cinq minutes, le désir de paradis suscite l'enfer, et ça ne pouvait pas durer éternellement. Ma levée de fonds pour écrire la 2ème partie de l'article sur San Pellegrino, qui réclame des moyens intellectuels et financiers bien au-delà de mes capacités actuelles, déjà bien parti pour faire tache (1) date dans les anales et exploser les stats de fréquentation de ce blog  ( humainement inquantifiables par les robots de Google Analytics), avait suscité l’intérêt de nouveaux investisseurs, attirés par l'odeur de croissance à trois chiffres qui émanait de ma start-up tombale, et séduits par l'incohérence de ma ligne éditoriale.


mais l'art du pléonasme
en sort grandi.
Mais j'ai eu une mauvaise surprise en n'ouvrant pas le journal ce matin : parmi mes cinq lecteurs déclarés, de ceux qui flattent mon ego boursouflé au point de prendre soin de ma tombe en mon absence et d'y déposer, qui une fleur, qui un mot gentil, qui un tas d'ordures en prêt-à-déspammer, et qui étaient prêts à mettre la main à la poche pour que perdure mon entreprise indépendante de cyber-presse à scandales sans collusion avec les pouvoirs en place, j'ai appris que deux d'entre eux avaient pris mes récents articles un peu trop au premier degré du pied de la lettre, et s'étaient mis dans une situation délicate vis-à-vis des autorités.


l'espoir renait
"Il dénonce un faux djihadiste"
ce titre de la presse locale effrontément placardé devant la modeste échoppe du buraliste où je venais me ravitailler en fumigènes a attiré mon attention, je me suis retenu d'acheter la gazette qui déclenchait en moi l'irruption du sentiment océanique, (à la place j'ai acheté "America", un somptueux bimestriel propulsé par François Busnel, incluant une interview incandescente de James Ellroy, grand ravagé du polar et de l'ultra-droite), mais je me suis dépêché de rentrer chez moi pour dévorer gratuitement l'article on-line, comme disent les jeunes, le plus souvent sans savoir de quoi ils parlent; nonobstant, une fois atteint le site web du journal local, je me suis heurté à un mur de protection érigé par les terrifiants cyber-cerbères que sont les webmestres de Presse Océan, désireux de me faire débourser 0.19 euros pour accéder à l'article convoité; c'était la Big Looze, comme disent les vieux quand ils rentrent de l'ANPE sans avoir trouvé de travail, et on ne me verra pas mettre trois sous dans la Presse Quotidienne Régionale, ça me ferait mal de prolonger son agonie. 
Je préfère de beaucoup acheter des clopes pour attraper le cancer et pouvoir ensuite regretter amèrement d'apprendre quelques vérités sur le mensonge de l'addiction genre "la cigarette provoque le manque qu'elle prétend combler", phrase bien plus utile à ma santé quand il est bien trop tard et que le pronostic vital est engagé, merci bien et bonsoir messieurs les censeurs de Presse Océan, et chez Ouest-France la situation n'est guère plus brillante.


Les contrats en alternance,
c'est la plaie des rédactions.
Ils sont futés, quand même, les éditorialistes de la PQR, ils rédigent le titre de l'article en une phrase sibylline pour te donner envie d'en savoir plus, et puis toi t'es là, tout émoustillé, t'achètes ton quotidien régional la bave aux lèvres et les doigts tremblants, à tel point que tu fous toute ta monnaie par terre quand l'autre tocard d'emploi aidé te la rend en vrac sur ton billet de 500, ça commence à toussoter discrètement dans la queue file d'attente qui s'est formée derrière toi, maintenant tu sues à grosses gouttes, vite, sortir du tabac et trouver un endroit discret pour assouvir ton insatiable et illégitime curiosité envers le malheur d'autrui, et puis au final, c'était rien que de la réclame, l'article ne contient qu'une histoire navrante de plus, des gens ont laissé la misère intellectuelle et la bêtise dicter leurs lois dans leur chair malchanceuse, comme Tony Meilhon qui jaunit halliday d'avoir tronçonné sa Laetitia, ou Xavier de Ligonnes, ses envolées mystiques chrétiennes, sa famille terrassée et sa fuite au désert de l'Atacama, premier gisement mondial de lithium mais quand on le traverse en 4x4 avec tous les flics de Google Maps et d'Interpol au derche, on a peine à entrevoir les richesses du sous-sol, et puis finalement on n'a jamais su qui avait fait le coup, et tu te retrouves aussi con devant un tel fatras d'absurdités et ta collection de Ouest France que Louis Calaferte devant sa boite à papillons.


"Quelle n’est pas notre déception lorsque nous croyons avoir capturé un spécimen unique de l’espèce et qu’ensuite, avec la connaissance approfondie que nous avons de lui, nous nous apercevons qu’en réalité nous avons bel et bien affaire à ce qu’il y a de plus commun dans le genre.
Pouvons-nous nous expliquer ce qui a provoqué pareille erreur ? Serait-ce par exemple, le charme envoûtant d’un sourire, des lèvres doucement sensuelles écartées sur deux belles rangées de dents joliment plantées, ou l’innocence du regard, sa transparence liquide qui nous portait sans autre question au ravissement chaque fois qu’il se posait sur nous ou, peut-être, l’expression enfantine émanant de cette présence désirable que depuis nombre d’années on se languissait de s’approprier, promesse d’une félicité dont nous espérions les plus délicats émois, les épanchements les plus raffinés, quelque chose d’une indéfinissable séduction qui eût avec bonheur agrémenté nos derniers jours.
Enfin, la pièce a pris place dans nos boites de collectionneur, celles réservées aux trouvailles secondaires, de la catégorie vulgaire dans l’ordre qui est le sien. Pour mille raisons, nous préférons bien souvent même n’en pas faire état auprès des amis que nous avions naguère entretenus de nos recherches ou auxquels, dans notre enthousiasme passionné, nous avions eu la légèreté d’annoncer que nous avions réussi à mettre la main sur un exemplaire de choix.
Sans doute notre aspiration à un ultime bouleversement que nous eût causé une rencontre exceptionnelle est-elle à incriminer ; nous avons cru de bonne foi que l’émotion qu’il nous a été donné d’éprouver à une ou deux occasions dans le passé pouvait miraculeusement se reproduire au terme d’une existence d’une certaine manière vouée aux éblouissements de la rareté.
Contentons-nous des richesses que le hasard nous a allouées et, pour le reste, faisons en sorte d’oublier."
Louis Calaferte, Memento Morilles, et puis ramène du pain aussi, pendant que tu y es.

Bref. 
Tout ça pour dire que deux de mes plus fidèles thuriféraires, membres d'honneur de ma garde rapprochée et correcteurs attitrés de mes fautes de frappe chirurgicales, gardant les yeux ouverts et le doigt sur le smartphone, toujours partants pour me dénoncer à la Kommandantur des Grammar Nazis dans mes pires moments de harcèlements textuels sur mineur.e.es, comme si j'étais le Weinstein de l'écriture inclusive, deux lecteurs géolocalisés sur la commune de Blain (Loire-Atlantique) par Google Keufs et Ouest France, se sont récemment singularisés aux yeux de leurs voisins qui ne se doutaient de rien et des forces de police qui étaient occupées ailleurs, par des comportements inappropriés et pour tout dire déviants et de nature à semer le trouble dans l'ordre public d'une bourgade où il ne se passe en général pas grand chose après 20 h 30, et avant c'est pas très animé non plus, à tel point qu'ils ont fini dans le journal, et tout ça pour quoi ? pour un instant fugace de gloire médiatique qui redore temporairement le blason de la connerie IRL, au prix d'un retour à la case prison pour l'un et hôpital psy pour l'autre, et que je crois les avoir perdus pour un moment;  franchement, ça jette une ombre funeste sur mes opportunités de  refinancement, et ça risque d'hypothéquer mes rapports jusque-là cordiaux avec mes investisseurs potentiels.

En effet, je vous rappelle que la santé économique de mes organes de presse est encore très fragile, et que je ne vis que d'offrandes rituelles psalmodiées sous la lune quand elle est pleine comme une barrique de muscadet, mes annonceurs Google Ads s'étant tous défilés les uns après les autres, même Roc-Eclerc, l'entreprise de pompes funèbres discount qui refacture la mort à prix coutant.

Mais trêve de clavardages, place aux faits, dans leur implacable crudité non cuite :

Comment peut-on en arriver à faire ça ?
hé bien, à une seule condition :
c'est de le faire.

Et d'un.
J'avoue que moi-même, quand je parcours d'un pas pressé mais élégant les couloirs souterrains de la gare SNCF qui me mène à deux pas de mon lieu de travail d'un simple clic sur mon appli mobile, et que j'y croise de jeunes et jolis militaires dans leurs affriolants treillis kaki garants de ma sécurité passagère dans l'enceinte de la station, fusils Famas frétillants d'inaction en bandoulière, bientôt supplantés par leur rival mortel le HK 416 de fabrication allemande, je suis parfois tenté de m'exclamer "Houellebecq Akbar" à la cantonade, histoire d'amuser la galerie marchande et de pimenter mon quotidien morose en me prenant une bonne rafale dans le bide, mais ça risquerait de me mettre en retard au bureau, et j'ai pas mal de dossiers urgents à traiter pour hier au plus tard, alors je me contiens douloureusement, comme dans un de ces rêves éveillés où l'on s’entraîne consciemment, avec le peu de lucidité onirique qui nous reste, à écrire un article encore plus long que les interminables pensums de l'odieux connard sur d'ineptes blackbusters, et je passe mon chemin.

"La différence entre un fou et moi,
c'est que je ne finis pas dans le journal"
(Salvador Dali)



Et de deux. 

Dans le quotidien concurrent, en plus, comme si l'équilibre économique de la PQR n'était pas déjà menacé par le vieillissement du lectorat et la raréfaction des ressources publicitaires au profit des nouveaux supports (tablettes, iPhones, tickets de caisse Super U)
A mon avis, il doit y avoir un manque chronique de lithium dans la nappe d'eau potable de Blain (Loire-Atlantique), que les édiles locaux devraient inscrire urgemment à l'ordre du jour du prochain conseil municipal, au lieu de s'y auto-congratuler sur la splendeur éphémère des Illuminations de Noël qu'ils ont voté à l'unanimité pour en mettre plein la vue dans le noir de leurs concitoyens qui ainsi aveuglés ne risquent pas de remarquer le déficit abyssal des comptes publics de la Communauté de Communes.
Ou alors ça frise au contraire l'accident de surdosage, comme dans cette autre ténébreuse affaire, toujours à Blain (Loire-Atlantique).
Ou alors, la ville entière est construite sur un ancien cimetière indien.
Se faire mettre enceinte
pendant la lecture de cet article
peut nuire grave à votre enfant.

En tout cas, le carbonate de lithium, présent en quantités infinitésimales dans l'eau potable, est prescrit tantôt contre les dépressions, tantôt contre les crises maniaques
Les psys responsables de cette prescription aléatoire en décident toutes les années bissextiles par vote secret à main levée, au cours d'un congrès sur Snapchat dont ils évitent d'ébruiter la date, bien que le port de l'angoisse y soit obligatoire. J'vais vous dire, moi j'en prends du lithium, et ça m'a bien flingué mon versant dépressif, merci les gars, par contre c'est assez peu efficace, as far as I am concerned, contre les petits agacements qui taraudent parfois le bipolaire en culottes longues, sans compter que la notice d'emploi du médicament était truffée de sous-entendus croustillants sur de soi-disant troubles hyper-sexuels, actes de délinquance malveillante et autres accès de dépenses inconsidérées... moi je me contente d'y perdre mes lecteurs, les uns après les autres ils tombent comme des mouches, c'est consternant et pour tout dire un peu décevant, comme Deauville sans Trintignant...

Bref. 
Tout ça pour dire que je ne pourrais pas être journaliste, il faut coller au cul ventre à terre d'une
actualité débilitante dont un pion chasse l'autre, encensé aujourd'hui honni demain, et en plus on est sans cesse soumis à la pression constante des collègues qui furent autrefois de bons camarades mais qui veulent maintenant monter en grade dans la hiérarchie de l'autoroute de l'information le long du panier de crabes de la rédaction mise en surchauffe par les restrictions budgétaires et les coupes sombres dans la rubrique culturelle au profit d'un débat politique à fleurets mouchetés qui ne trompe plus grand monde.


De plus, soyons honnêtes avec nous-mêmes, je serais constamment tenté par la production de billets d'humeur hérités de mon vieux maître Jacques Boudinot, et mon rédacteur en chef, vendu à ses actionnaires et soumis comme un valet du patronat aux annonceurs des régies publicitaires, ces chacals des temps modernes, me tancerait vertement, tant mes articles violeraient allègrement et par tous les orifices les règles de l'objectivité et de la déontologie journalistiques les plus alimentaires, et ma carrière naissante serait alors compromise. Je n'aurais alors guère d'autre choix que de devenir alcoolique, comme tant d'autres de mes confrères en déshérence, camarades d'infortune auprès desquels on a trop souvent tendance à chercher un illusoire réconfort autour d'un fernet-branca de trop après le bouclage de l'édition du soir, et c'en serait fini de mon rêve de devenir Philippe Manoeuvre dans le Métal Hurlant de la grande époque (1975/1981).

Je trouve un peu de réconfort dans la méthode d'Eva Bester, la Madone du Spleen qui n'a pas une tête à faire de la radio, et qui suggère comme remède à la mélancolie de s'engager dans l’action ou l’absurde. 
C'est sans doute ce double conseil que mes malheureux fans ont suivi sans songer aux conséquences, mais ne comptez pas pour moi pour payer les pots cassés.


En panne d'inspiration,
la PQR n'hésite pas à repomper Internet
dans ses pires travers.

P.S. : François-Régis Hutin, fondateur de Ouest-France aux légendaires éditoriaux démocrates-chrétiens auprès desquels Bernard Guetta n'est un pâle ectoplasme, est mort il y a trois jours, pendant la laborieuse rédaction de cet article.
Je veux bien croire qu'il n'a pas fait exprès.
Moi non plus.


Ouest France reprend la main
sur son concurrent en spoilant grave :
l'espoir remeurt,
et en plus il n'était pas un steak !

(1) pour faire tache, contactez Matt Brilland, et sa célèbre peinture qui respire dans le mur.

6 commentaires:

  1. J’ai lu un mot sur cinq pour aller plus vite et je crois que je n’ai rien loupé.

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  2. En ce qui me concerne, un sur trois mais je ne suis pas sûr d'avoir tout compris.

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  3. c’est le principe même de la PQR : personne ne l’achète, on la lit en diagonale, et un jour on s’étonne qu’il n’y ait plus de journaux papier et qu’internet devienne la seule source d’informations, avec la fiabilité que l’on sait.
    Bravo les mecs.
    Faudra pas venir pleurer.

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    1. Je m’informe sur France Culture et c’est plus facile à lire.

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    2. Toi, je sens bien que tu préfères quand je rippe des disques et que je ferme ma gueule.
      Je suis à deux doigts de te dénoncer au ministère du P2P.

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  4. Je l'ai lu en écoutant l'Andante Moderato de ça https://www.youtube.com/watch?v=mdMgLdaxos8 et c'était très bien.

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