L'immortelle ritournelle mexicaine sur le cartel de Sinaloa qu'on entend dans la saison 2 de Breaking Bad.
Le vrai Walter White
L'article dans
Courrier International qui m'a mis le feu aux poudres
ARGENTINE
Petites recettes de coke familiale
Le trafic de drogue s’intensifie dans le pays, où les laboratoires de transformation de cocaïne prolifèrent – jusque dans les cuisines.
Trois fois par mois, Delfín Zacarías montait dans son Audi et cherchait sur son GPS une destination déjà enregistrée : l’hôtel Conrad à Punta del Este [Uruguay].
Il y jouait au poker et, selon ses dires, réussissait toujours à battre ces“andouilles de Brésiliens”. Et il rentrait presque toujours à Rosario [Argentine] plus riche qu’il ne l’était au départ, sans jamais déclarer ses gains à la douane. Le poker était une échappatoire à sa routine quotidienne : non pas la monotonie d’un bureau en centre-ville, mais celle d’un laboratoire de cocaïne géré avec sa famille dans une maison d’un quartier résidentiel de Funes, une localité proche de Rosario, où se sont développés ces dix dernières années d’importants complexes immobiliers et des lotissements haut de gamme. C’est là que, début septembre, la police fédérale a saisi 300 kilos de cocaïne et de cocaïne-base [pâte de coca non raffinée]
Une modeste PME. Dans leur villa aux couleurs pastel, une propriété arborée avec piscine et cabanes pour les enfants, les Zacarías avaient tout l’équipement nécessaire pour produire une demi-tonne de cocaïne par mois. La marchandise était ensuite écoulée à travers des réseaux de trafic de drogue dans les “bunkers” – les dépôts de stupéfiants – de Rosario. La famille évoluait dans le milieu de la drogue sans posséder d’armes et sans faire usage de la violence. Cette situation était facilitée par les appuis politiques dont elle bénéficiait. Cette organisation avait tout d’une modeste PME, avec une répartition des fonctions et des tâches d’une redoutable efficacité. Delfín était le “cerveau” du groupe et s’occupait de l’approvisionnement en drogue ainsi que des précurseurs chimiques indispensables à l’élaboration du chlorhydrate de cocaïne.
Le temps fort de l’enquête, qui a mené à l’arrestation de 12 personnes le 5 septembre dernier, a été la filature de Zacarías, la veille de sa capture, alors qu’il venait d’acheter 2 000 litres d’acétone pour 340 000 dollars [252 000 euros].
Signes extérieurs de richesse. Zacarías est ensuite rentré à Rosario, où il a retrouvé sa femme, Sandra Marín, et son fils Joel sur le parking d’une station-service. Ils ont alors changé de véhicule pour se rendre chez eux. Après avoir déchargé les 40 bidons, la mère et le fils ont commencé leur “petite cuisine”. Joel reçoit alors un appel. “Attends, je suis en train de travailler avec ma mère”, a-t-il répondu selon le rapport.
Flavía, fille de Delfín Zacarías et de Sandra Marín, s’occupait de la partie administrative et comptable du laboratoire depuis son bureau situé en plein centre de Rosario. Cette jeune femme de 24 ans était “chargée de gérer les papiers de l’organisation et les comptes, la plupart des nombreux biens de la famille étant à leur nom”. En outre elle servait d’“intermédiaire” entre son père et l’“ingénieur”, un homme à l’accent bolivien ou du nord du pays qui, selon le rapport, était leur fournisseur en cocaïne-base. Cette organisation faisait travailler non seulement les enfants du couple Zacarías, mais aussi leurs conjoints. Lors des perquisitions chez Ruth Castra, ex-femme de Joel et mère de la petite-fille de Delfín, des sachets de cocaïne et des balances ont été retrouvés dans sa maison.
Deux policiers ont également été identifiés dans une conversation téléphonique, l’un appartenant à la police fédérale et l’autre à celle de Santa Fe.
Le laboratoire de cocaïne avait pour couverture une entreprise de transports dénommée Frecuancia Urbana. Mais Zacarías ne pouvait pas s’empêcher d’étaler l’argent qu’il gagnait. Il y a deux ans, il a lancé la construction d’une demeure en bordure du Rio de la Plata, à San Lorenzo, et d’un gymnase géant, censé faire plus de 6 500 mètres carrés. L’emplacement n’était guère discret : une zone semi-rurale, sans atout commercial réel, où ne pouvait qu’apparaître incongru un immeuble de six étages. C’est là que son style de vie a commencé à éveiller les soupçons.
Comme ces constructions ne coïncidaient pas avec le plan d’urbanisme de la ville, le conseil municipal lui a accordé un permis de construire à titre exceptionnel. En échange, Zacarías avait promis de “parrainer” la construction et le maintien d’une place et de financer l’éclairage public de neuf pâtés de maison, routes comprises. Il leur avait également promis d’entamer des démarches pour que viennent s’installer un McDonald’s et un complexe de cinéma international.
—Germán de los Santos
Publié le 20 octobre 2013
CONTEXTE
— De passeur à producteur
●●● Historiquement considéré comme un pays de passage des drogues vers les marchés européens et les Etats-Unis, l’Argentine est désormais aussi un laboratoire de production de cocaïne. “Alors qu’auparavant l’Argentine exportait des produits chimiques pour que les drogues soient entièrement produites dans leur pays d’origine, ces dix dernières années la drogue entre dans le pays sous forme de cocaïne-base et c’est ici que l’on élabore le produit fini, dans des laboratoires locaux. Nous sommes le pays avec le plus grand nombre de démantèlements de laboratoires, après les trois grands producteurs de coca [Pérou, Colombie, Bolivie]”, rapporte le quotidien argentin La Nación. “De plus en plus de leaders de cartels régionaux du Mexique ou de la Colombie s’installent à Puerto Madero [quartier huppé de Buenos Aires] ou dans d’importants quartiers huppés de la banlieue”, ajoute le journal. Le quotidien régional El Tribuno, qui dénonce depuis quelques années la croissante libéralisation des frontières et le manque de contrôle dans ces zones de passage du nord du pays, précise que cette année les ports argentins sont passés pour la première fois de leur histoire au troisième rang mondial des fournisseurs de cocaïne d’après une étude des Nations unies.
Selon le journal régional Diario Epoca, de la ville de Corrientes, il existe 1 500 passages clandestins entre l’Argentine et la Bolivie et 60 avec le Paraguay. “On connaît leur existence et pourtant ils sont toujours là. La gendarmerie ne protège pas ces passages. L’Argentine est devenue un paradis pour les trafiquants de drogue”, accuse Diario Epoca.