samedi 26 juin 2021

Caza - Scènes de la vie de Banlieue - Tome 2 (1978)

J'ignore pourquoi Caza n'a pas connu la même reconnaissance publique que Druillet, Bilal ou Moebius, au bon vieux temps de Métal Hurlant. Peut-être parce qu'il était surtout publié dans Pilote. Ils en venaient tous, mais lui y est resté plus longtemps que les autres. Il fallait bien qu'il y en ait un qui se dévoue pour garder Goscinny. Pourtant, les histoires d'anticipation écolo-gauchisto rassemblées dans les 3 tomes de Scènes de la vie de Banlieue n'étaient sans doute pas vraiment du goût de Goscinny, qui n'y survivra que jusqu'en 77. 
Quelques décennies plus tard, ces mauvaises blagues sonnent très Métal, dans l'esprit de la littérature de SF dépressive de la fin des années 70 qui avait pour mamelles la pollution, les brutalités policières de l'Etat-fasciste, et la médiocrité de la plupart des aspirations humaines. On ne peut pas dire qu'on ait vraiment changé de braquet, sauf sur le sexisme ordinaire. J'y vois même des connexions avec les comix underground de Zap Comix qui ont commencé à mettre le feu à la BD américaine dès 1968, mais ça doit être tous les médicaments que je ne prends pas qui me montent à la tête.

L'édition originale (et à couverture molle) de la trilogie.

Elles furent d'abord rassemblées sous forme d'albums souples, moches et pas chers, puis "en dur" chez Dargaud Fantastique, et finalement rachetées pour une poignée de brouzoufs par les Humanoïdes associés, avec de nouvelles couvertures qui n'ont plus grand chose à voir avec le style Caza Canal Historique, pop-art flamboyant, Caza aussi à l'aise graphiquement dans la caricature que dans l'hyper-réalisme verdâtre des banlieues rêvées, et surtout cauchemardées, pas très loin des novellistes anglo-saxons de l'époque, professionnels du désenchantement humaniste comme J.G. Ballard. Avec une petite touche d'humour crétin issu de la tradition française. Et des couleurs d'une violence psychédélique rarement revue dans la BD francophone. Il y a même une histoire de pirates à bord d'un pavillon en meulière qui pourrait être un préquel de The Crimson Permanent Assurance, le court métrage réalisé par Terry Gilliam en 1983 et diffusé en tant que prologue du film Le Sens de la vie. Je suspecte fortement Gilliam de l'avoir vu avant de construire son scénario, mais je n'ai pas de preuves. Je vais lui écrire.

Les liftings successifs des couvertures, fluctuantes selon les éditeurs.
Je ne sais pas si on gagne en lisibilité. 

Comme le dit l'auteur dans son auto-bio
, "dans ces chroniques, basées sur une satire acerbe de la vie moderne et sur l'intrusion du fantastique dans le quotidien, je me mets moi-même en scène comme personnage principal de mes histoires (déjà égocentrique), en éternelle opposition à mon voisin du dessous (ou du dessus, ça dépend), Marcel Miquelon, archétype de français (très) moyen."

une blague postcoloniale comme même
le Major Grubert ne peut plus en faire.

Reproduit ici à un format trop petit pour pouvoir prétendre au rang de la contrefaçon, le Tome 2 des Scènes de la vie de Banlieue conserve une saveur vintage, en même temps qu'il est un témoignage sur l'imaginaire de la concentration urbaine vu par un gauchiste qui était déjà parti vivre dans les Cévennes avec des fromages de chèvre, contrairement à ce que prétend son avatar auto-fictif qui apparait souvent dans les couloirs de ces HLM de papier sous les traits d'un géant roux aux traits harmonieux et sculpturaux. Mon oeil : quand on est vraiment un géant roux aux traits harmonieux et sculpturaux, on n'a pas besoin de faire de la BD pour épater la galerie. A part Geoff Darrow, dont il est difficile de savoir s'il était roux avant d'être fou chauve.
Caza abandonnera ensuite totalement cette veine humour noir pour se tourner vers une SF mysticoïde un peu fumeuse, avec toujours autant de moyens graphiques mais c'est là que je le perds de vue, préférant alors m'abimer dans la contemplation des tranches des volumes traitant du bouddhisme au rayon spiritualité de la FNAC, afin de progresser dans l'intention de le pratiquer.  

la French Touch du psychédélisme, c'est là qu'elle était.



Il existe une intégrale raisonnée parue aux Humanos en 2017, qui vaut vraiment le coup.

15 commentaires:

  1. Pourquoi Caza n’a pas percé comme ses petits copains ? Probablement parce qu’il ne faisait pas rêver. Son dessin très soigné n’a pas le côté coup de poing d’un dessin plus crade sur la banlieue (cf Jano et Tramber). Dans ces histoires, les fans de SF ne s’y retrouvent pas obligatoirement et les écolos-baba préfèrent les histoires post-apo où ils peuvent s’imaginer refaire le monde et lutter contre les CRS fachos. Ses persos ne sont pas des individus mais plus des symboles et on ne peut guère s’y attacher (Buzzelli dépassait le cadre purement symbolique de ses personnages).
    C’était une BD plus intello que Moebius ou Druillet mais sans le côté littéraire qui aurait pu lui permettre de toucher un autre public. Avec Caza en BD, on trouve toujours quelque chose de plus sexy chez ses collègues. C’est comme ça, il a choisi sa voie et l’a tenue sans compromis, on ne peut que saluer son honnêteté.

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  2. Le dessin de Tramber et Jano était si "ligne crade", comme disait Dionnet qu'il confortait mes préjugés de classe sur la banlieue.
    Caza fait de l'Habitation à loyer modéré un lieu interlope truffé de portes ouvrant sur le multivers. Mais on atterrit un coup chez Timothy Leary, un coup chez Richard Matheson, un coup chez René Dumont. Ses meilleurs scénarios (souvent écrits à quatre mains avec d'illustres inconnus issus de la frange gauchiste de la SF française qui eut son quart d'heure de gloire à la fin des années 70) rivalisent avec la série Black Mirror. C'est dire si cette inspiration est intemporelle.
    Alors que Druillet et Bilal sont irrémédiablement datés. Je botte en touche pour Moebius, dont je viens de lire "le chasseur déprime", sorte de testament malade que tu as certainement chroniqué sur ton blog.

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    1. Tu as peut-être raison, il faudra que je relise ça. Mais à l’époque je n’accrochais vraiment pas. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec le comparatif Black Mirror : c’est une série qui réussit à nous faire sentir les dérives possibles par ses personnages très incarnés. Je ne me rappelle pas d’une telle chose chez Caza dont les personnages sont très hiératiques - son dessin accentuant probablement cette impression.
      Je ne crois pas que Druillet soit daté - il est hors norme. Quant à Bilal, je n’ai pas d’avis. Je n’ai qu’un souvenir flou de ses propres histoires (hors les trucs rigolos Pilote).

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    2. Ah ben, j’ai relu et finalement ça corrobore mes souvenirs. C’est dessiné super soigné qui tranche quelque peu avec le graphisme de l’époque (Caza n’avait pas de série avec des délais serrés, ça aide) mais les gags sont purement défoulatoires sans véritable accroche sociale - on est loin du HLM de Renaud. Le gag de la destruction par explosif d’un immeuble fait beaucoup moins rire depuis un onze septembre. Globalement, ça donne quand même l’impression qu’il n’a jamais mis les pieds dans un HLM et qu’il développe ses fantasmes persos.

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    3. Oui, c'est tout à fait ça. Putain de gauchistes. Je te rembourse donc mon article, sur présentation du ticket de caisse que tu as jeté la semaine dernière. De mon côté, j'ai regardé Black Mirror S05E01, pour faire avancer le débat, et j'ai encore pris une bonne claque. Avec un humour très élaboré.

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    4. Par Saint Andrevon, il y a quand même l'histoire de l'A.N.P.E.M.O.U. au début du tome 2, qui reste éprouvante 40 ans + tard. Mais elle n'est pas de lui, c'est l'adaptation d'une nouvelle. Et la détérioration future de l'orthographe usuelle y provoque le même malaise que dans la partie "51ème siècle" du "Piège Diabolique" de Black et Mortimer.

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    5. Ah oui, tellement éprouvante que je ne l’ai pas relue, effrayé par la tonne de textes qui tombent sur le lecteur comme la brique sur la tête de la chatte. Mais je n’ai pas eu accès aux dernières saisons de Black Mirror, une des rares références que je regrette de ne pas avoir.

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    6. Moi c'est la référence de la brique sur la tête de la chatte que je n'ai pas, sauf si ça vient du Kray Kat de Herrimann, mais il me semble que le greffier est de sexe mâle et que c'est lui qui les lance. Dans une culture de plus en plus exacerbée vers l'insatiabilité, il va falloir s'habituer à ce qu'il nous manque toujours cent sous pour faire un franc.

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    7. C’est la souris qui lance et, à ce qu’il me semble, c’est une chatte qui la reçoit.

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    8. Ah, j'avais bon, alors ? Je suis nul en vieilles bédés, surtout celles que je n'ai lues qu'à travers des scans fatigués dans des .cbr de Charlie Mensuel. J'ai même pas parviendu à orthographier Krazy Kat corerectement. L'influence de Caza, et du piège diabloguique de Back et Mortifère, assurément.
      Faut dire aussi que la chatte, qui vient de se faire enlever la nursery, la salle des fêtes et 5 chatons dedans, essaye désespérément de se lécher la cicatrice à travers sa collerette en plastique, et n'a guère l'humeur à la gaudriole ou à se prendre des briques sur la tête.

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    9. Tu la salueras de ma part.

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  3. que toi, tu ne connaisses pas cela, me parait improbable.
    Sauf à faire de la figuration dans la blague "si vous vous rappelez ce que vous avez fait dans les années 70, c'est que vous n'étiez pas dans le coup".

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  4. 50/60/70 j'étais plutôt spirou , tintin , et d'un genre bd plus classique

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  5. oui mais maintenant, c'est Caza le classique de la BD de l'époque !
    https://bdoubliees.com/journalpilote/auteurs1/caza.htm

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