dimanche 11 octobre 2015

"La Théorie de l'information", d'Aurélien Bellanger (2012)

Signalé par un ami, et lu dans le Monde :

A la fin de La Théorie de l'information, on trouve cette définition fort peu lyrique du roman et de la poésie : "Des tentatives savantes pour parvenir à encoder le maximum d'informations dans le minimum de mots." Cette description aux accents informatiques a évidemment valeur d'"art poétique", tant le premier livre d'Aurélien Bellanger semble s'y conformer, malgré son épaisseur. 500 pages serrées, c'est finalement peu, quand on ambitionne d'embrasser l'histoire des trente dernières années et les bouleversements qui s'y sont opérés - au point de nous faire entrer dans une nouvelle ère non seulement technologique mais aussi, selon l'auteur, religieuse.
Pour cela, Aurélien Bellanger, 32 ans, retrace le parcours de Pascal Ertanger, qui emprunte de nombreux traits et éléments biographiques au fondateur du groupe Iliad, la maison mère de Free, Xavier Niel (actionnaire à titre privé du Monde), sans que cette donnée dépasse le stade de l'anecdotique - l'auteur ne fait pas grand-chose de cet effet "calque".
L'histoire de Pascal Ertanger, aussi étranger à l'univers qui l'entoure que l'interversion des lettres dans son nom l'annonce, est celle d'un homme "indifférent" à la vie depuis qu'il a failli la perdre à 12 ans. Constatant alors que "le monde du dehors se déplaçait mieux sans lui", il va créer le sien, propre, à partir du langage de programmation Basic.
Tombé dans l'informatique, cet enfant des banlieues cossues abandonne ses études scientifiques pour se lancer dans le Minitel balbutiant, adossant l'empire rose qu'il se construit sur des sex-shops bien réels - ce qui lui vaudra, des années plus tard, d'être mis en examen pour proxénétisme aggravé et de faire de la prison. Millionnaire à 20 ans, il met sur pied Démon, le premier fournisseur d'accès Internet, à une époque où nul encore ne croit à ce marché. Ensuite, il y aura la création d'un boîtier unique proposant de réunir "toutes les techniques de communication du siècle passé : téléphone, radio, télévision et réseaux numériques", et l'ascension permanente de ce "baron du Web", que son génie de l'innovation isole à chaque étape un peu plus, au point de le transformer en pendant contemporain du milliardaire américain dément Howard Hugues (1905-1976). Les hommes ne retiennent pas la leçon d'Icare : ses prétentions démiurgiques finiront par tuer Pascal Ertanger.
Plus que le portrait d'un homme, plus qu'une mise en garde contre l'hubris humaine version Web 3.0, La Théorie de l'information est une épopée à l'ambition totalisante. Le propos de Bellanger se veut à la fois technologique, économique, philosophique, métaphysique, sociologique... Pour "encoder le maximum d'informations" à l'intérieur de son roman, l'ancien thésard en philosophie (sujet : "La métaphysique des mondes possibles") jalonne son récit principal, à l'écriture clinique, de documents réels ou inventés qui viennent éclairer (ou pas) les enjeux scientifiques de chaque époque, développer "la théorie de l'information" qui sert de nouvelle "théorie religieuse" à Ertanger, sans oublier des intermèdes de réflexion sur la philosophie de Leibniz ou sur la posthumanité.
Avouons-le, le lecteur non spécialiste ne saurait tout comprendre à La Théorie de l'information. S'il peut s'y égarer, l'utilisation d'un langage technique finit par produire de surprenants effets poétiques, dans sa collision avec la froideur de la trame principale, qui s'embarrasse (trop ?) peu de considérations esthétiques ("le minimum de mots"). Aurélien Bellanger, tout à ses ambitions et à son trop-plein de choses à dire, ne craint pas d'étouffer le lecteur sous le poids des informations et réflexions, ce qui affaiblit un peu le roman en l'alourdissant.
Mais il faut reconnaître à ce disciple littéraire de Michel Houellebecq (auquel il a consacré l'essai Houellebecq, écrivain romantique, Léo Scheer, 2010) d'avoir retenu plusieurs leçons de son maître. Il partage avec lui, outre une vision de la solitude humaine, un humour à froid, un don pour transformer des individus réels en personnages (on croise ainsi Nicolas Sarkozy ou Thierry Breton dans des passages savoureux). Surtout, il lui emprunte sa volonté de se saisir de pratiques considérées comme peu dignes d'intéresser la littérature. Ainsi, il aura fallu attendre 2012 pour voir paraître le premier roman hexagonal authentiquement geek. Mais Pascal Ertanger s'est toujours battu contre les retards français.

La Théorie de l'information, d'Aurélien Bellanger, Gallimard, 496 p., 22,50 €.

Un disciple doué de Houellebecq, à priori je ne suis pas enthousiaste, mais faut voir.
Je vais le lire, je vous dirai. 

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