Lu dans le Monde :
Une hallucinante galerie de « mecs perdus » en Afghanistan
C’est écrit dans la courte notice biographique au bas de la quatrième de couverture de Pukhtu : « A l’ère du Big Brother planétaire, il aime qu’on n’en sache pas trop sur lui. » Pas de photos donc, et le minimum syndical sur ses vies passées – DOA fut pourtant parachutiste dans l’infanterie de marine puis créateur à succès de jeux vidéo, avant de devenir écrivain et scénariste. Rien d’autre, en somme, que les initiales qui lui tiennent lieu de pseudonyme depuis son premier polar, Les Fous d’avril (Fleuve noir, 2004) : DOA pour « Dead on Arrival », titre original d’un film américain de 1950.
Proprement monstrueux
A 46 ans, ce natif de Lyon, qui tient secret son patronyme, se plaît à évoluer dans une semi-pénombre. Ce qui ne l’empêche pas de parcourir les festivals à la rencontre de ses lecteurs : « Je n’ai rien à cacher, mais rien à montrer d’autre que mes livres », résume-t-il.
Quatre ans après L’Honorable Société (Gallimard, « Série noire », 2011, Grand Prix de la littérature policière), polar terrible et jubilatoire sur les mœurs politiques coécrit avec Dominique Manotti, DOA signe son grand retour avec une fresque fascinante sur la guerre en Afghanistan sous Obama. Un roman proprement monstrueux, dépeignant le chaos d’un monde en proie à de multiples conflits, de l’Asie centrale à l’Afrique en passant par l’Amérique et l’Europe. Depuis Citoyens clandestins (Gallimard, « Série noire », 2007, également Grand Prix de la littérature policière), on connaît les obsessions de DOA pour les magouilles d’Etat, les combines des officines privées et les barbouzeries en tout genre. Pukhtu, terme renvoyant au code d’honneur des Pachtouns, s’inscrit dans cette veine et amplifie le bouillonnement du récit. « Au départ, un seul livre était prévu. J’en avais écrit les deux tiers quand j’ai tout jeté pour refaire le plan. Je ne voulais pas me louper. »
Deux ans de retard et deux tomes de 700 pages (le second est prévu en 2016) auront donc été nécessaires pour dérouler les multiples trames d’une œuvre qui emprunte à James Ellroy sa démesure littéraire et à Apocalypse Now sa vision hallucinée de la guerre. On y croise une galerie de « mecs perdus » : un chef de clan pachtoune enrôlé, malgré lui, dans la bataille contre la Coalition, un journaliste indépendant bien décidé à prouver l’implication des services secrets dans le trafic d’héroïne, deux agents du contre-espionnage français envoyés en Afrique et toute une bande de paramilitaires qui ont transformé les zones de combat en terrains de jeu et d’enrichissement personnel… Quelques figures de Citoyens clandestins, récit qui a fait de DOA l’une des valeurs sûres de la « Série noire », avec Caryl Férey et Antoine Chainas, réapparaissent également dans ce maelström de poussière, de sang et d’explosions. Sans pour autant faire de Pukhtu une suite au sens strict.
« Un amateur éclairé »
Avec DOA, il faut parfois accepter de se perdre dans un luxe étourdissant de détails et de descriptions techniques. Le fruit d’une documentation quasi encyclopédique et de plusieurs voyages en Afghanistan sur lesquels, mi-intriguant, mi-rigolard, il reste mystérieux. L’écrivain confesse : « Je n’aime pas l’à-peu-près, mais cela ne fait pas de moi en expert. Juste un amateur éclairé. » Sa manière à lui de mettre à nu la complexité du monde, « cette vaste zone grise » restituée avec exactitude, et de donner à ses personnages la densité psychologique qui fait la richesse de ses romans. « Ce foisonnement d’informations correspond à ce que nous vivons chaque jour. J’essaie de ne pas faire de leçon de choses tout en fournissant de la matière à ceux qui veulent aller plus loin. » En cela, Pukhtu suit les traces des Cavaliers, de Joseph Kessel (1967), l’un de ces livres marquants que DOA a découverts « tardivement » après avoir exploré toutes les facettes de la science-fiction.
A la sortie de Citoyens clandestins, certains ont vu en DOA le tenant d’une nouvelle vague droitière dans le polar français. Il y évoquait un groupe islamiste radical, une mosquée du 20e arrondissement de Paris et un tueur sans pitié. « La polémique n’a pas été bien loin. Tout le monde a vu ce qu’il voulait voir dans ce livre, explique DOA : la dénonciation des complots forcément fascistes de l’Etat ou le chemin à suivre pour régler les problèmes. »
La position de Jean-Patrick Manchette, père du néopolar français, était celle du tireur couché. La sienne serait plutôt celle d’un pilote de drone survolant le champ de bataille. Là où ses aînés de la « Série noire » s’affichaient très politisés, DOA préfère qualifier ses livres de « politiques ». « Ils le sont parce que j’y expose des faits sous un angle que le public ne voit pas forcément. Mais je ne lui dis jamais ce qu’il doit penser. J’utilise le réel en toile de fond et, souvent, quand on procède de cette manière, certains pensent que vous le dénoncez. Ce n’est pas mon cas. »
La lecture de Pukhtu, peinture dantesque d’une guerre privatisée et menée par d’invisibles avions, n’en est pas moins glaçante.
Je l'ai tâté et reniflé dans une librairie hier : on sent le gars qui a réussi ce que Dantec a foiré. Mais il fait un bon kilo, et est écrit trop gros.
Je vais attendre qu'il sorte en poche.
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