Encore plus flippant que Le complot contre l'Amérique de Philip Roth : et si la vague rock n'avait jamais traversé l'Atlantique ? Si Vian et Salvador avaient durablement discrédité cette musique de posture, empruntée aux Noirs et customisée par des petits Blancs que la taille de leur organe a rendu hargneux ? Et si le gouvernement de Guy Mollet avait pris des mesures radicales pour préserver l'exception culturelle et la flore locale, Gréco, Brassens, Brel et Patachou ? Je vous laisse imaginer la dystopie de guitares en bois d'arbre découlant de ce non-évènement. Seuls les Quatre Barbus, Maxime Le Forestier, Yves Duteil, Camille et Arlt auraient émergé. Car 65 ans après l'invasion du rock'n'roll en France, il est temps de tirer un premier bilan de l'acclimatation de cette musique de sauvages sur le territoire, ce folklore truffé d'injonctions grotesques à la jeunesse de fumer la chandelle hédonique par les deux trous, qui a bien contaminé l'imaginaire national, et pour quel résultat ? A Valeurs Actuelles, nous n'avons pas peur des vraies questions, quitte à fâcher.
Si l'importation du rock'n'roll avait foiré, suite au sabotage de Salvador et Vian en 1956, ni les poses d'Elvis, ni les gémissements phéromonés des Rolling Stones ne me manqueraient. Le deuxième album de Cure, le premier des Damned, des Clash, des Ruts et des Sex Pistols, un peu plus. Et le Wish You were here de Pink Floyd, parce que c'est triste et beau. C'est eux les vrais enfants du rock. Pas Manoeuvre et Dionnet.
Mais sans le rock, on n'aurait pas connu non plus le métal progressif instrumental, et ça, ça serait quand même une grosse perte, même si quand on est embarqué dans une dystopie, on voit pas trop ce qu'on a perdu à ne pas suivre l'autre embranchement, vu qu'il n'a jamais existé. Sauf si on s'amuse à tirer le Yi King dans le Maitre du Haut Chateau de Philip K. Dick, et qu'on en vient à la conclusion que c'est la réalité qui se trompe.
Au commencement des temps métalliques progressifs instrumentaux, il y a King Crimson, qui après avoir navigué sur d'indistincts océans psychédéliques non encore cartographiés, découvre à bord d'un frêle esquif le continent noir du métal progressif instrumental dès 1974 avec son album Red, et y établit une colonie de peuplement.
C'était raide, Red, mais en 74, on l'était tous. Enfin, moi j'avais 11 ans, mais je me suis rattrapé quand j'ai atterri à la fac et découvert l'album et les pétards pour manger avec, un septennat plus tard. Nous grimpâmes au rideau, dont jamais je ne redescendimes vraiment. La preuve.
Puis en 81 advint Mitterrand et l'incarnation suivante de la PME King Crimson aka Robert Fripp & Associate Slaves, en quatuor à pétrole thermonucléaire, avec des tempi inhumains et un stakhanovisme auriculaire qui déboite des deux mains, pour interpréter des harmonies profilées comme des théorèmes concourant au Prix Nobel des Mathématiques.
Tony Levin était à la basse, ou plutôt au Chapman Stick, pour les 3 albums rouge/bleu/jaune, de moins en moins inspirés mais impeccablement exécutés par nos fines lames. A l'époque, Tony, qui ressemble déjà à un Tarass Boulba mâtiné de Gurdjeff, dira de son propriétaire/employeur que c'est un mélange de Gandhi, de Staline et du Marquis de Sade.
Le stagiaire de France 3 commence à accorder le Chapman Stick, au moins 8 heures avant le concert |
Nous à l'époque, quand on joue du stick, des deux mains on le roule, puis de l'une on le porte à la bouche, de l'autre on l'allume, et après, en général, on s'éteint. C'est stupéfiant. Alors que Tony, lui, ne chôme pas : quand ça le saoule, les purges staliniennes chez Robert Fripp & Associate Slaves, il a de la ressource. et il va cachetonner chez Paul Simon, David Bowie et Peter Gabriel, la liberté consiste à faire tout ce que permet la longueur de la chaine, y'a pas de souci.
Baygon rouge, bleu et jaune, les trois font la paire (de 1981 à 1984) mais déchainent l'enthousiasme plus au début qu'à la fin. Comme moi avec ma femme. |
Dix ans plus tard, et n'ayant rien fichu de leur quarante doigts pleins de phalanges entretemps, si l'on passe sous silence les doigts de pied, sinon ça monte à quatre-vingt, nos amis métalliquement et progressivement expérimentaux de King Crimson partent en tournée au Japon, et en mettent plein la vue aux Nippons. (je viens de retrouver mon rip déjà ancien du DVD Deja-VROOOM enregistré à Tokyo en Octobre 1995, et il faut bien que je l'amortisse.)
Tony Levin et son Chapman Stick.
N'aie pas peur de cliquer, ce n'est pas sale.
Comme le remarque un consommateur éclairé de chez Ah ! ma zone, c'est un grand concert. Super musique etc... Cependant la qualité de la sortie est de la merde. Mauvaise qualité du son, qualité fatale de l'image. Je ne sais pas comment un si grand groupe sort si mal. Il n'a pas tort. Il n'a jamais entendu parles du syndrome des cordonniers mal chaussés. Mais qu'importe le flacon ?
ben finalement, si, quand même, un peu.
Je ne regarderai pas la saison 2, parce que les humains y sont beaucoup plus cons que les robots, et c'est un peu déprimant. En plus ceux qui jouent le mieux sont ceux qui jouent les plus cons. |
Les Nippons se vengeront en pilonnant tous les albums de Buck Danny et ses Frippertronics, et en renvoyant J.G. Ballard en Angleterre (alors qu'il avait été emprisonné dès 1942 dans un camp de détention pour civils jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale de façon à pouvoir y écrire Empire du Soleil et le vendre ensuite à Spielberg).
Ils renvoient aussi Lisette Pagler en Suède, elle qui était pourtant née en Corée du Sud, et qui fut abandonnée par ses parents lorsqu'elle avait 2 ans.
Quand elle sera grande, elle sera chanteuse suédoise, et elle jouera le rôle du robot Mimi/Anita dans la série Real Humans, et même Jean-Pierre Dionnet tombera amoureux d'elle, et ça sera bien fait pour lui.
Pendant ce temps, Tony Levin qui attendait son heure, profite de cette habile diversion pour former en 1998 le super-groupe Liquid Tension Experiment, avec des transfuges de Dream Theater. Un super-groupe désigne un groupe formé de membres déjà connus et reconnus dans d'autres groupes, tout comme un super-blog désigne une plate-forme collaborative où se succèdent à la rédaction mes quarante-deux sous-personnalités, comme le maire de New York dans le Promethea d'Alan Moore.
Levin me semble mieux inspiré sur un autre side-project avec son compère Bill Bruford, lui aussi débarqué de Crimson à la fin des années 90 : le Bruford Levin Upper Extremities
https://jesuisunetombe.blogspot.com/2013/10/bruford-levin-upper-extremities-blue.html malheureusement sombré dans l'abîme des fichiers perdus. Ce sont les meilleurs disques : ceux qu'on ne peut pas réécouter.
Tony Levin cessera dès lors de participer aux reformations, épurations et refondations de King Crimson, s'épargnant des purges de métal progressif expérimental dont même les chirurgiens dentistes ne rêvaient pas pour couvrir les hurlements de leurs patients les plus chochottes.
Epilogue : que sont-ils devenus ?
Warsen ne découvre l'existence du groupe qu'en 2021 alors que les fichiers trainaient sur son disque dur depuis 2015, puis se repent amèrement d'avoir consacré sa vie diurne à des âneries, et espère voir le groupe en concert au festival des vieilles charognes l'été dernier à Marienbad Landerneau, puisque le super-groupe vient de se reformer après vingt ans de sieste, pour un troisième opus dont on se demande bien qui va se risquer à l'écouter. Tony Levin a presque 75 ans, si il carbure à ce que je pense, il faut tout de suite appeler la Préfecture pour tester ses urines.
Le métal progressif instrumental connaitra de très riches heures circa 2015 avec Guillaume Perret & The Electric Epic, autour de l'album Open Me, mais ce sera une autre histoire.