jeudi 25 mai 2023

Eivind Aarset & Jan Bang - Snow Catches on Her Eyelashes (2020)

Ecouter le disque Snow Catches on Her Eyelashes, ça donne envie de savoir ce que ça veut dire, Snow Catches on Her Eyelashes. ChatGPT-3 me ronronne que ça veut dire "La neige s'accroche à ses cils".
Laisse donc Cécile en dehors de ça, s'te plait, mon GéPéTéounet.
A part ça, j'espère que c'est clair : on est dans le floconneux, au bord du grand silence ouaté en haut de la piste verte, et on n'y voit pas à 50 cm.
On a failli planter par mégarde son bâton dans le moniteur.
Heureusement que ça descend très doucement vers le Grand Rien, noyé dans le brouillard.
Cet album me revient et me hante jusqu'à ce que je le mette sur ma tombe, après ça j'espère qu'il me laissera tranquille, parce qu'il distille une ambiance furieusement discrète et sourdement mélancolique. Mention spéciale à "Before the Wedding", d'une grâce élégiaque, qui semble figée dans l'ambre mélodique qui sied plus aux enterrements qu'aux mariages, même si l'un ne va pas sans l'autre.
L'atmosphère atonale et peu propice à l'expression de la chaleur humaine s'insinue par le conduit auditif, puis répand son narcotique granité à l'intérieur de mes cellules osseuses, prétextant intervenir en tant qu'anti-inflammatoire plutôt que comme anxyolitique
On est bien dans la mouvance bruitiste (mais souvent violemment silencieuse) électro-cold et absentéiste de David Sylvian, en tout cas depuis qu'il est retourné vers l'informe et un anonymat qu'on lui souhaite bienheureux, Arve Henriksen et les joyeux lurons de jazz ambient norvégien, Nils Petter Molvær, Anders Engen, Audun Erlien, Erik Honoré, Sidsel Endresen, Georges Warsen et Hilde Norbakken, dont l'égrénage laborieux des patronymes dans votre conversation fera s'écarter les gens de vous lors d'un cocktail de vernissage de votre blog où vous aviez pourtant fourni tous les petits fours, et ils ne vous rappelleront jamais. 
Mais pour ceux qui aiment, le disque est bien, et ça valait le coup. Bien que ça n'ait kouaziman rien à vouar avec la madeleine de Proust qu'était pour moi le kouign amann de la mère Ty Coz devant l'église de Perros-Guirec, beaucoup plus chargé en beurre et en sucre, mais mes artères de jeune enfançeau pouvaient le supporter à l'époque, avant que les ligues de vertu ne contraignent la pâtissière bretonne à élaborer un kouign amann plus léger, écologiquement responsable et digestivement soutenable. 
Si Eivind Aarset & Jan Bang étaient des pâtisseries, on serait à la limite de l'impalpable, et alors adieu bourrelets disgracieux.

https://eivindaarsetjanbang.bandcamp.com/album/snow-catches-on-her-eyelashes

Le frère de Jan, c'est Big. Mais sa soeur ne s'appelle pas Gang. Ou alors, je n'y suis pour rien.

ce qu'on en pense dans le Landerneau du jazz ambient atonal moldoslovaque :

https://www.allaboutjazz.com/snow-catches-on-her-eyelashes-eivind-aarset-and-jan-bang-jazzland-recordings

D'une durée d'environ quarante-trois minutes, l'élan vers l'avant de l'album sera suffisant pour entraîner la plupart des auditeurs et les laisser rayonner de contentement à la fin. Les passionnés de la scène musicale norvégienne contemporaine trouveront ici de quoi renforcer leur dévotion et les inciter à revenir pour plus. Ceux qui sont curieux, mais qui n'ont pas encore vu la lumière, sont invités à consacrer du temps à écouter sérieusement Snow Catches on her Eyelashes; convertis sont renvoyés à la liste mentionnée précédemment. Aarset, Bang et compagnie vont de mieux en mieux, tout comme la scène norvégienne. En avant et vers le haut.

https://jazzlandrec.com/snow-catches-on-her-eyelashes-eivind-aarset-jan-bang

il existe d'autres oeuvres de Eivind Aarset chroniquées sur ce blog, il faut juste chercher un peu à sortir de sa zone de confort.

https://jesuisunetombe.blogspot.com/search?q=Eivind+Aarset+

il faut aussi que je prenne le temps d'écouter ce mystérieux Jan Bang, impliqué dans une jungle de projets irradiants de silences explosifs (pour que le Big Bang fasse du bruit, il eut fallu qu'il y ait de l'air pour le transmettre, et des oreilles pour l'ouïr)

https://punktstillefelt.bandcamp.com/album/modest-utopias

https://arjunamusic-records.bandcamp.com/album/walk-through-lightly

https://jpshilo.bandcamp.com/album/invisible-you

https://jesuisunetombe.blogspot.com/2022/03/jan-bang-erik-honore-david-sylvian.html

jeudi 18 mai 2023

Lovecraft Facts (18) : Minimal Compact - Peel Session (1985)

Incantations dérobées dans un Necronomicon mal traduit en hébreu par un rabbin défroqué et lu de traviole, rageusement récitées sur un tapis musical plombé et malaisant, préfigurant ce qu'on n'appelait pas encore le rock industriel, imprécations blasphématoires éructées à la face de divinités malveillantes et infiniment pue-du-cul, émanations sonores méphitiques, endommageant durablement le corps astral : 

comme un air de bon chien-chien andalou
qui va donner la papatte
à son papa nihiliste stagiaire
(on est en 1984, ne l'oublions pas)
je hais bien content de retrouver les marécages mentaux hantés et radioactifs du Deadly Weapons de Minimal Compact, un groupe post-punk d'Israéliens échappés de Tel-Aviv et en goguette en Europe dans les années 80, comme Tuxedomoon avait fui San Francisco parce que, de l'aveu de Peter Principle recueilli de sa bouche aux lèvres purpurines quand j'étais branleur montpelliérain et qu'ils étaient venus jouer dans le coin, les gens y étaient trop feignants et trop défoncés.
Quelle joie de découvrir que Peter jouait de la basse et co-produisait l'album de Minimal Compact.



Je ne m'en suis jamais vraiment remis, comme de BlasphémaTorah, mais en pire. 
Si vous n'avez jamais incarné une joyeuse et intransigeante morbidité en vous ruinant le futur sur Deadly Weapons et en envisageant la dépression comme un des Beaux-Arts, je ne sais pas si vous avez raté quelque chose mais je suis impuissant à vous l'apporter, ne pouvant retourner en 1984, au sein de cet Eden pour Lugubres. 
Et pourtant c'est pas faute d'essayer. 
J'ai néanmoins déniché une Peel Session de 1985, qui voit nos sinistres lurons entonner leurs hideuses mélopées soutenues des échos orientalisants de bouzoukis nucléaires et de clameurs issues du chaudron des damnés, avec de subtiles variations dans les arrangements par rapport au disque, et franchement j'ai l'impression d'être de retour chez moi. Comme dans les cauchemars sous Tramadol, analgésique en vogue au Proche-Orient et très utile pour vivre sans espoir.



Malheureusement, le groupe ne s'est pas auto-suicidé après cette oeuvre maitresse, ils ont remixé et réarrangé à peu près toutes les décades leurs brûlots fétiches indépassables, se sont sporadiquement reformés et lentement propulsés dans un en-deça (l'envers de l'au-delà) de leur splendeur mortifère où ils n'apparaissent plus que comme une bande de petits vieux juifs et chauves, comme un pauvre couillon de goy qui tenta jadis de percer dans le milieu de la compilation cosmopolite, et dont l'insuccès fut à la hauteur de son manque d'ambition artistique, et après ça personne n'avait plus la force de lui jeter le moindre caillou pendant la 4ème intifada.

et des nouvelles de Minimal Compact qu'on aurait préféré ne pas avoir :

https://www.benzinemag.net/2019/11/23/minimal-compact-creation-is-perfect-ou-comment-depasser-le-piege-de-la-nostalgie/

jeudi 11 mai 2023

Inédits Goossens 91

Route vers l'enfer de Daniel Goossens (1986) vient d'être réédité chez Fluide Glacial, en rescannant les planches pour obtenir un maximum de piqué sans risquer d'abîmer les boosters, et avec une nouvelle couverture, la voici.


et une histoire inédite en album, la voilà.

Si tu cliques sur les vignettes, tu les verras mieux. En principe.





Et une couverture de Fluide du temps de la prépublication dans la revue, tiens, prends ça, rascal. 


Et si tu tapes le tag Goossens dans mon métamoteur de recherche à la torbotubure, tu verras du pays, et peut-être même ce que nul mortel n'a contemplé avant toi.
En tout cas il n'est jamais venu s'en vanter par ici.

dimanche 7 mai 2023

La Théorie Des Cordes - 4U-9525 (2023)

" ... puis il a dit :
" maintenant je vais détruire
le monde entier ! "
- Qu'entendait-il par là ?
- C'est ce que disent toujours
les bokononistes avant de se suicider."

Kurt Vonnegut, "Le berceau du chat"


4U-9525 est un album de musiques improvisées, sur le thème du carnet de bord du copilote suicidaire Andreas Lubitz du vol 4U-9525 de Germanwings, qui a entrainé dans la mort les 150 personnes à bord de l'avion. Evidemment, même si je fais semblant d'être con et que c'est vachement bien imité, je ne puis m'empêcher de craindre la morbidité de l'entreprise. Et puis d'abord, comment ont-ils eu accès à ce journal intime du copilote dépressif ? Andreas Lubitz avait-il lu Houellebecq sans porter un masque protecteur ? Etait-il bokononiste ? 
Le disque donne-t-il envie d'en finir plus décemment, sans écourter la précieuse existence de 149 personnes embarquées dans la chute finale à l'insu de leur plein gré, en réécoutant l'épatant Suicide Chump de Frank Zappa ?

« Trouve-toi un pont et fais le grand saut
Arrange-toi juste pour réussir du premier coup
Car il n'y a rien de pire qu'un suicide raté »
Frank Zappa, « Suicide Chump »

Ou l'amusant "Mourir au Japon" de Babx ?

Et si Andreas Lubitz avait testé le microdosage des psychédéliques, plutôt que de se défoncer à la mirtazapine, réputée donner des idées suicidaires aux dépressifs et induire un virage maniaque sur l'aile gauche, la face du vol 4U-9525 en aurait-elle été changée et les passagers sauvés, et peut-être même deux ou trois fois, comme dans le roman furieusement priestien " l'Anomalie " de Hervé le Tellier ? 
Et la musique enregistrée ici se porte-t'elle caution morale de l'entreprise black et mortifère ?  Se repentir, est-ce se rependre ? ... et toutes ces sortes de choses. 
Quel mauvais karma pour ceux qui sont montés dans cet avion, avec l'aval des psychiatres et psychologues du travail de l'aéronautique. si j'étais théologien, j'y verrais une nouvelle preuve de l'absence de justice divine.
Par ailleurs, j'étais en pourparlers avec moi-même pour écrire un article sur le thème d'une actualité sans cesse renouvelée « nous sommes tous des otages dans l’avion conduit par les super-prédateurs de l’espèce humaine, sans savoir que c’est comme dans l’A320 "4U-9525" de Germanwings, et qu’il n’y aura pas de survivants au crash civilisationnel qui se profile », et puis j’ai découvert le disque, qui en est une métaphore musicale, hypothèse confirmée par un des musiciens du groupe dans les commentaires de l'article de mazik.info : 
"Nous sommes tous dans le même avion et il est plus courageux de regarder avec lucidité notre trajectoire que de prier ou de converser sur le mauvais temps."
Ce qui serait encore plus courageux et sympa envers nos éventuels enfants, c'est de tenter de dévier le cours de cette putain de trajectoire que bon nombre de commentateurs prennent maintenant pour un fait acquis, en tout cas ça réduit mon projet éditorial à pas grand chose. 

- Un peu comme quand l'amie prof de géopolitique à Sciences Po a ratatiné le "Manières d'être vivant" de Baptiste Morizot chez moi la semaine dernière, il lui a suffi de parcourir la quatrième de couverture pour décréter, avec toute l'assurance que lui donnent une personnalité sans concession revigorée par l'essor des mouvements d'émancipation néoféministes, en tout cas sur les réseaux sociaux plus que dans ma cuisine, que c'était encore un gars qui ne faisait que redécouvrir des pratiques anciennes en s'arrogeant le droit d'émettre un savoir dessus, en plus elle pariait que c'était très bien écrit, et comme elle avait raison sur toute la ligne, elle m'a tout pété mon Morizot et je n'ai même pas pu lui en citer une ligne, ni pour la contredire ni pour abonder dans son sens.
- Un peu comme quand on regarde la minisérie Chernobyl et que après, on ne peut plus regarder de fictions d'horreur, que ce soit en films, en séries ou en suppositoires, parce que la catastrophe nucléaire russe et ses conséquences humaines et environnementales rendent ridicule et dérisoire l'épouvante issue de l'imaginaire des scénaristes des films de trouille.

Le copilote soupçonné d'avoir provoqué délibérément le crash de l'Airbus A320 de Germanwings dans les Alpes françaises avait dit qu'il ferait un jour « quelque chose qui allait changer tout le système » et que « tout le monde connaîtrait [son] nom », a déclaré son ex-petite amie au quotidien allemand Bild, en kiosque samedi 28 mars. 
(…) Si Andreas Lubitz « a fait ça »« c'est parce qu'il a compris qu'à cause de ses problèmes de santé, son grand rêve d'un emploi à la Lufthansa, comme capitaine et comme pilote de long courrier, était pratiquement impossible », affirme-t-elle.



- Epilogue version happy end
l'écoute du disque n'a rien pour endommager le conduit auditif ou infliger des dommages cérébraux qui lui préexistaient sans doute, et on survit aisément au carnet de voyage musical, l'argument du crash aérien ne serait-il là que pour faire le buzz et m'inciter à écrire un article élogieux ?
j'aime bien le morceau "la mort du bouddhiste", par exemple. 
Puissance de la rythmique, et solo de guitare inspiré, comme seul le jazz-rock en procure.

- pour la version tragic story de l'Epilogue
revoyez un vieux David Lynch genre Lost Highway, ça vous permettra de saigner par les oreilles en mangeant du popcorn, un plaisir fin et délicat de gourmet cinéphile.

- Epilogue version prix spécial du jury :
Le sketch d'ouverture du film "Les nouveaux sauvages" sorti quelques mois avant la catastrophe aérienne en reprenait la trame dramatique, avec des similitudes éprouvantes pour l'entendement puisqu'il s'agissait d'une fiction beaucoup plus réussie que la version en Réalité Réelle Ratée qui allait la suivre au tombeau.

Annexe hâtivement aménagée au fond du jardin

jeudi 4 mai 2023

Babx - Mourir au Japon (2009)

Je n'ai plus trop de nouvelles de Babx. 
Et vous ?
Je comprends très bien pourquoi ça n'a pas marché pour lui, trop morbide, trop désespéré le poète, le temps n'est plus aux auteurs compositeurs interprètes qui cisèlent leurs chansons comme ce fils illégitime de Léo Ferré, Tom Waits et d'autres artistes qui se croyaient volontiers maudits jusqu'à ce que ça démarre, alors que Babx qui avait tous les atouts a dû se contenter d'un anonymat dont j'ignore tout puisque rien n'a fuité.
https://www.discogs.com/fr/artist/1408930-Babx
 par contre, des fans ont sorti une version illustrée de gais selfies de son inoxydable tube "Mourir au Japon" qui m'a bien fait marrer. J'en avais fait de même avec Tuxedomoon, il y a longtemps. Sous leur youtube, j'ai gravé dans la purée des commentaires, avec une fourchette cassée : "D'une chanson puissante mais mortifère, vous tirez une ode à la vie. Merci !" On ne pourra pas dire que je suis avare d'éloges, quand c'est mérité.


Entouré de collégiens
Et d'employés Susuki
Dans des vapeurs de jasmins
Avec mes nouveaux amis
Au son d'un Sayonara
J'allumerai la bombonne
Et dans mon âme dansera
Le monoxyde de carbone

Je veux mourir au japon
Dans un suicide collectif
Parce que c'est cool le Japon
C'est tellement cool le Japon

Quand je pense que pendant ce temps, ma fille qui finit cette année un bac + 5 anglais-coréen est actuellement en stage au département export Japon/ Corée de chez Tefal, et savez-vous pourquoi le département export Japon/ Corée de chez Tefal marche du feu de dieu ? 
parce que les Japonais n'ont pas de poêles. 
Les Coréens non plus.
(on entend brièvement des rires enregistrés, assez consternés quand même)