Mon Dieu qu'elles étaient moches, ces affiches. On en venait à regretter celles de Siudmak pour le festival concurrent. |
Quand j'étais petit, j'ai beaucoup bavé (malgré mon bavoir) devant les émissions télévisées consacrées à la promotion du festival d'Avoriaz, qui diffusaient des extraits plus qu'inquiétants des films sélectionnés, propres à enflammer l'imagination de nos chères têtes blondes, que j'avais brune; j'étais loin d'imaginer que ce festival du film fantastique avait été créé par un promoteur immobilier pour servir de publicité à la station de sports d'hiver.
Lui-même était encore plus loin d'imaginer que cinquante ans plus tard, le réchauffement climatique ferait du ski de piste un loisir coupable, parce que hideusement coûteux en carbone.
Etant légèrement obsolète moi-même, j'y suis allé en janvier dernier, car ma géographie approximative situait Avoriaz dans les Hautes-Pyrénées, et j'ignorais que le festival avait disparu trente ans plus tôt du fait du déclin tragique du cinéma de genre qui lui avait donné un prétexte pour naitre.
Les affiches de Siudmak n'avaient peut-être pas de stouquette, mais elles avaient de la gueule. |
Le peu de neige tombée était artificielle et de glissabilité médiocre. Seul le bas de la station était ensemencé par les canons, alors après deux jours sur les pistes vertes, j'ai préféré grimper à pied vers le col des chamois, mais le silence de la montagne y était sali, violé, reviolé puis assassiné par les chuintements industriels des canons à neige et le grincement des télésièges, qui tournaient à vide, toute la journée, pour amortir les forfaits. Bravo aux gros bras et aux petites mains du technocapitalisme, qui nous impose un monde inhumain où la géo-ingénierie résoudra tout, au profit de milliardaires visant l’immortalité.
En percevant par mes sens (aiguisés par l'obscénité de mon forfait remontées mécaniques) les blessures secrètes de la montagne, je prenais conscience du fait qu'"Ils" avaient réussi à dénaturer la Nature, et à en faire une zone industrielle et commerciale, avec sa bande-son à la David Lynch et ses parkings déserts.
Un soir, après un bon grog tilleul-mescaline, l’animateur du centre de vacances ORTF nous a présenté un très beau film de montagne qui a gagné plein de prix dans les festivals, et que j'ai retrouvé en ligne, mais ce n'était ni de la SF ni un film de chtrouille.
Car le film de montagne est lui aussi un film de genre, en tout cas un genre de films, avec ses fans, et ses festivals. Je me demande bien comment le cinéaste a pu financer son projet, qui dépasse de beaucoup le budget des petites blagues de Roger Corman (le Jean-Pierre Mocky américain du film de trouille d'exploitation) et de ses disciples, diffusées jadis à Avoriaz.
Moi aussi je peux tourner des survivals à petit budget avec mon smartphone. Quand je n'ai plus entendu les canons à neige, je me suis perdu. |
L'éventualité d'un hiver nucléaire, provoqué par Poutine ou par un de ses enthousiastes outsiders ne constituerait sans doute pas la réponse la plus écologique au changement climatique, qui accélère la fonte du support des sports de glisse, mais si elle me permet de skier en combinaison antiradiations sur une neige faite des cendres de notre civilisation retombant en doux flocons sur les pentes de la station, après tout, pourquoi pas ?
ça ferait un petit film de vacances post-apo qui nous changerait des sempiternels retours et préquels de Mad Marx dans le désert australien. Et ça relancerait le festival d'Avoriaz !
Aujourd'hui, grâce à la puissance de l'outil télématique (bien qu'on puisse regretter la concision du bon vieux minitel, face à l'inflation d'informations disponibles sur Tout) j'ai accès à la base de données ultime : l'ensemble des films de la sélection d'Avoriaz, pendant les 20 ans qu'a duré le festival.
Il me semble que celui-ci (de 1974) m'avait particulièrement impressionné. On y contait l'enfance de Abdul Ger'al-Darmalin. |
A condition de me rappeler quel film m'avait fait frissonner vers 14 ans. Mais au vu des bandes-annonces de l'époque, je ne sais pas si c'est les films qui ont pris aussi cher que moi, mais la rencontre aura du mal à se faire entre le consommateur et le produit. Nous ne sommes plus les mêmes. Voir un film d’épouvante 50 ans après l’avoir ardemment désiré, c’est miser sur la déception. Parce qu'on a changé, qu'on a grandi, et que rien n'est plus irrémédiable que la maturité.
Même en sacrifiant au vieux rituel hypnotique, en tamisant la lumière, en enfilant sa nuisette comme pour un rendez-vous intime avec soi-même, on pose le Rip du Bluray sur la platine, mais dès les premiers flonflons, on sent un grand froid, et qu'on s'était tout à fait trompé, les endorphines restent aux abonnés absents, la fête est finie avant d'avoir commencé.
Il y a quand même le risque de se confronter à une civilisation disparue, rencontre pleine de charme ; Enfer mécanique (The Car, 1977) m'a récemment ému, en me parlant d'une version de l'Ouest profond des Etats-Unis qui a totalement disparu depuis. Dans l'Utah de 1977 décrit ici, la petite communauté rurale est soudée autour de l’idéal républicain et des valeurs chrétiennes, les institutrices risquent leur vie pour protéger les enfants, les forces de l’ordre sont profondément respectueuses de la population, d’ailleurs il y a une fliquette d’origine autochtone qui n’est absolument pas racisée par ses collègues, l’autostoppeur hippie de passage est propret, et au lieu de prendre du LSD, les jeunes du coin vont faire du vélo dans les canyons.
Le véhicule diabolique, vague avatar du poids lourd vu dans Duel de Spielberg, est lui-même tenu en respect par le divin et ne peut pénétrer dans le cimetière, qui est un « espace consacré ».
A mon avis, cet engin du diable est une métaphore de la modernité, dont personne ne veut entendre parler dans le coin, et qui va néanmoins déferler sur le pays.
En le découvrant 50 ans après sa sortie, j’y découvre une vision formidablement naïve et touchante du Mal, très éloignée de la malignité cinématographique telle qu’elle a pu se déployer depuis (je ne donne pas de nom, ça lui ferait trop plaisir).
Ne vaudrait-il pas mieux relire La maison des damnés, de Richard Matheson ? je me souviens avoir vomi d'horreur lorsque je dévorai l'ouvrage, vers 13 ans et demi. Vomir en dévorant, c'était pas évident. Et comment retrouver l'émotion qui me saisit quand je parvins à trainer mes parents à la séance de Phantom of the Paradise, qui fut le grand prix d'Avoriaz en 1975 ?
L'autre jour, j'ai revu par erreur Hurlements, Prix de la Critique du Festival d'Avoriaz en 1981. Au départ, je voulais voir un autre film de Joe Dante, "The Second Civil War", un téléfilm réalisé en 1997, pour pouvoir le comparer au Civil War dystopique d'Alex Garland en 2024, et puis je me suis dit que tant que j'y étais, je pouvais réévaluer toute son œuvre. Joe Dante est réputé avoir mauvais esprit, et avoir eu beaucoup de difficultés à monter ses projets, en seconde partie de carrière. L'amertume avait pris le pas sur les ricanements.
Après avoir revu Hurlements, je me disais que les Américains restaient de grands enfants, ça faisait film d'horreur pour ados, mais après avoir lu la critique de DVD classik, j'y trouve une thématique plus adulte.
l'état de loup-garou est libérateur, le seul qui soit finalement normal pour les concernés, celui où s'épanouissent le plaisir et le goût de la chair, qu'elle soit à dévorer ou dans laquelle on peut s'ébattre. La civilisation et l'humanité (et par extension la psychanalyse, comme on l'apprendra à la fin) sont une entrave à l'expression d'une animalité qui constitue le seul état qui vaille d'être vécu.
Emoustillé par la performance d'animalité pure proposée par Elisabeth Brooks - l'argument-choc du film pour soutenir cette thèse, avec une scène de nu intégral évoquant une époque où les femmes à poil l'étaient vraiment.
Et à part ça ? Un personnage du film contaminé par la lycanthropie comprend que l'animalité n'est pas un chemin praticable vers l'humanité (pas le journal, le concept) qui est en nous, et atteint au sublime en se sacrifiant pour alerter le monde du danger de la morsure du loup garou. C'est pas mal, comme idée, dans un film de genre de ce genre.
Encore faudrait-il faire le distinguo entre animalité et bestialité, et regarder si Jean-Baptiste Morizot n'a pas dit quelque chose d'extrêmement chiadé sur le sujet du loup pas garou, qu'on pourrait replacer à l'occasion. Au moins comme ça on ne pourrait pas dire que comme nous, la culture ne sait plus où elle habite.
Elisabeth Brooks. C'est le rôle de sa vie. |
Quand même, on cherche les autres apparitions d' Elisabeth Brooks à l'écran. Hélas, elle succombe à un cancer du cerveau après s'être battue deux ans et demi, à l'âge de 46 ans. Thanatos met une bonne branlée à Eros, qui n'est pas prête à s'en relever.
Aujourd'hui, pas besoin de fictions pour se faire des vrais films d'horreur, en attendant Godot qui devrait se pointer au soir du second tour des élections législatives anticipées (ce billet a été écrit en mai, il faut bien que je le remaquille un peu avant de l'envoyer sous les sunlights).
Y'a qu'à lire l'article de Télérama consacré à l'épouvante des humanitaires à Gaza
ou consulter l'insta du photographe qui illustre l'article
Aussi affreux que l'errance des photojournalistes de Civil war, film au demeurant assez creux, mais en vrai.
Pour aller plus loin :
https://www.lemonde.fr/economie/article/2018/06/17/avoriaz-vie-et-mort-d-un-festival_5316607_3234.html
https://fr.wikipedia.org/wiki/Roger_Corman
http://filmmaker.over-blog.com/article-le-festival-d-avoriaz-1973-1993-72234330.html
https://myduckisdead.org/the-howling-1981-joe-dante/