Comme l'explique très bien ClashDoherty sur feu son blog, fermé en juin 2021 parce qu'il a eu le courage de reconnaitre que l'entretien de sa tribune en ligne lui avait fait perdre la raison et la maitrise de sa vie ("Vivre sans me casser le derche à essayer de maintenir ce blog, c'est une immense respiration pour moi, je ne me suis jamais senti aussi LIBRE que depuis que j'ai pris cette décision mûrement réfléchie"), les albums que Claude Nougaro sort dans les années 70 se vendaient beaucoup moins que ceux de Carlos Castaneda pendant la même période, et Récréation sans doute encore moins que les autres, puisqu'il est entièrement constitué de reprises (des décennies avant les audaces des disques entiers de covers d'Arno et de Florent Pagny) de chansons françaises souvent assez anciennes, qui font partie des préférées de Nougaro.
Les chansons elles-mêmes sont précédées de courts sonnets (qui valent mieux que les roupies de cent sonnets) à la gloire de chacun des auteurs d'origine, sonnets mis en musique par Jean-Claude Vannier, l'arrangeur dément de L'histoire de Melody Nelson, qui signe aussi quatre chansons sur l'album, et ça s'entend.
J'ai découvert ce disque à l'adolescence, et en restai longtemps comme deux ronds de flan, hagard devant tant de modernité langagière et d'inventivité orchestrale. A côté de ça, le "No Fun" des Stooges repris par les Sex Pistols me sembla d'une insondable ringardise, surtout qu'il n'était pas encore sorti, mais surtout aussi après m'être enfilé "Pistol", la série biopic des Sex Pistols par Danny Boyle, et ses indispensables compléments, l'échevelé et tragique documentaire "The Filth & the Fury" et le sordidement pathétique "The Great Rock'n'roll Swindle" du même Julian Temple, qui donne envie de verser du plomb fondu dans les narines (et d'autres orifices si affinités) de Malcolm McLaren, et pourtant c'est pas très chrétien.
Qu'ai-je renié mon humanité pour adorer de tels imprécateurs de carton-pâte, fabriqués par un vendeur de fringues ? Fallait-il que je sois en manque de repères. Quelle bande de tristes crétins, ivres de leur colère et de leur inconséquence (J. Rotten semble le moins stupide du lot, mais s'égare facilement dans des vertiges haineux, il faut dire qu'ils ont tous eu une enfance difficile, même si ça n'excuse pas tout, on comprend mieux leur besoin de revanche, et de vengeance de classe pour J. Rotten) Les chansons de l'album "Never mind the Bollocks" étaient très réussies, mais les personnes qui les ont créées étaient promises à l'échec et à la ténèbre, ontologiquement sinistrées au-delà de tout secours. C'est pourquoi je leur ai toujours préféré les Damned. Et qu'ai-je fait de leur rage soi-disant incandescente, à part m'abonner à Rock & Folk et me faire braquer par des dealers de mauvais shit, sur une petite route de campagne ?
Rien de tel chez Claude Nougaro : drame passionnel avec menaces de mort par lapidation (les petits pavés) sexisme ordinaire (le scaphandrier), chansonnette égrillarde de harcèlement digne de comiques troupiers (Pouêt-Pouêt), agonie silencieuse d'un vieillard dans l'indifférence de sa bonne femme partie courir le guilledou et ramasser de la psilo (Bonhomme), pas de doute, on est bien en France; et musicalement : bossa-nova, jazzifications élégantes et discrètes, versions orchestrales savamment déstructurées, javas martiennes, un peu de tout, mais rien qui fasse suffoquer de dégoût et vous laisse pantelant de négativité comme les Pistols ont pu le faire.
Je n'en dirai pas plus sans mon avocat, car presque cinquante ans après leur re-création, ces chansons respirent encore, Monsieur le Juge, et je n'en dirais pas autant de vous.
les infos :
les crédits de l'album :
le disque en paillettes à réhydrater dans une bonne bassine d'eau fraiche, comme les pifies :
Il y a deux ou trois inédits, parce que cette version de Récréation est issue d'une intégrale de Nougaro en 29 CD sortie en 2013 intitulée "l'Amour Sorcier".