Lovecraft Fact #1
En relisant sa biographie, je mesure combien Lovecraft a eu une existence pathétique, qu'on ne souhaiterait à personne, bien que du coup il ait pu la dédier entièrement à la poursuite de ses cauchemars, quelle chance, cauchemars qui in fine le dévorèrent vivant, et de l'intérieur, aussi trivialement qu'ils le firent du pauvre docteur Le Scouarnec, qui avait
un autre type de cauchemar (et prétendait que c'était un rêve éveillé) mais qui devait quand même vivre dans un univers sourdement contaminé par une inquiétude lovecraftienne, au moins en ce qui concerne le risque croissant d'être un jour prochain soumis à la Question par des Grands Anciens déguisés en agents de la maréchaussée.
Mais que voulez-vous, chez ces gens-là le sentiment d'impunité est renforcé par l'illusion de toute-puissance, un peu comme chez les blagueurs blogguistes, mais on ne peut pas tromper tout le monde tout le temps, et déjà tromper ma femme un quart d'heure s’avérerait le cas échéant une gageure, un challenge voire une performance sportive, parce que les réveillons ne m'ont pas fait que du bien par où ça passe, cf les articles précédents depuis que j'ai recommencé à écrire.
De toutes façons, cinquante ans, c’est le bel âge pour un homme : quand une femme lui dit oui, il est flatté, et quand elle lui dit non, il est soulagé. (David Lodge)
Lovecraft a eu une femme quelques temps, quand on lit ce qu'elle dit de lui on se dit que c'était vraiment gâcher la marchandise, quant à la tromper il eut d'abord fallu qu'il l'honore.
Bon, à la relecture, il n'y a aucun Lovecraft fact dans ce paragraphe, il va falloir travailler plus dur.
Je recommence.
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Le docteur Le Scouarnec à 25 ans,
tenté par le démon de l'écriture
(allégorie) |
Le journal intime du médecin, accusé d’agressions sexuelles et de viols sur mineurs et incarcéré depuis mai 2017, révèle un homme pervers et méthodique. De 1989 à 2017, il y détaille, jour après jour, les abus sur plus de 300 enfants.)
Et les enfants continuent de peupler les « carnets noirs », toujours plus, une addiction, effrayante sarabande de noms, d’adresses, ou juste une initiale, une silhouette, un fantasme, comme cette gamine qu’il n’a pas « réussi à coincer dans les toilettes » pendant une réception, cette petite invitée qu’il observe par le trou de la serrure au moment du coucher ou une gosse à la clinique dont la mère au bord du lit l’a empêché d’agir. Les odeurs corporelles, les sécrétions, les excréments − les siens comme ceux des autres − ont peu à peu envahi les pages. Il s’en délecte.
(...) A l’hôpital de Jonzac, le chirurgien ambitieux et fou de travail s’est mué en médecin effacé, courant derrière les vacations pour faire sortir du rouge le compte commun qu’il a gardé avec sa femme. « Il était un peu le sage de l’équipe, présent mais pas intégré », raconte un collègue. Le midi, Joël Le Scouarnec ne déjeune pas au self de l’établissement. Il préfère rentrer chez lui. Là, il se met nu, sa nouvelle façon d’être. Avale une boîte de conserve, penché au-dessus de l’évier. Puis télécharge des images pédopornographiques, une addiction, ses nuits y passent aussi, tant pis pour le retard à ses consultations. Ou alors, il se photographie, inlassablement, en tutu, avec une perruque à frange ou une culotte d’enfant volée au gré des occasions. Des mois durant, il ne se lave pas et s’en réjouit. Le whisky l’empêche parfois de tenir sur ses jambes.
Aaah ben voilà, tu vois quand tu veux : ces horreurs me semblent plus innommables, bien que les journalistes du Monde aient su les nommer, que celles imaginées par Lovecraft (bien que les siennes fussent quand même pittoresques, sans toutefois impliquer d'extra-terrestres qui ne se lavent pas, y'a quand même des limites). Moralité : quand il s'agit d'évoquer le bonheur, la littérature nous élève toujours plus haut que le réel (dans le réel, pas de Nirvana sans addiction) cf "
Pandore au Congo", le meilleur roman que j'aie lu l'an dernier sur notre rapport intime à la fiction. Alors que question malheur, le réel l'emporte toujours, comme le docteur vient de le rappeler. C'est pourquoi les bouddhistes nomment l'univers phénoménal
"Samsara", l'océan de souffrances.
"Le désir de Nirvana, c'est le Samsara", ajoutent-ils souvent d'un air goguenard. On les comprend.