jeudi 14 septembre 2023

Gilles Servat - Les Prolétaires (1972)

La nocivité du capitalisme financier sur les humains qui en subissent les conséquences en attendant la mort n'a jamais été aussi bien décrite que dans cette chanson de Gilles Servat, qui a déjà cinquante ans. Je ne comprends pas que La France Insoumise, Thomas Piketty et David Graeber ne lui aient pas encore dédié un mémorial. Si l'interprétation incantatoire de l'imprécateur breton (dont le timbre de voix m'évoque à tort ou à raison feu Serge Reggiani) vous indispose, vous pouvez toujours vous contenter de lire les paroles et d'opiner du bonnet.
Respect, gast ar c’hast !
 
 

LES PROLÉTAIRES

Y’a des pétroliers super
Qui foutent le deuil sur l’onde.
Avec 10 hommes d’équipage,
On s’en va au bout du monde.
Avant, il en fallait 30,
C’était pas rentable,
En voilà 20 au chômage!
Les prix seront plus supportables.
Mais de tous ces matelots,
Qu’est-ce qu’on va en faire?
Mais de tous ces matelots,
Qu’est-ce qu’on va en faire?
Ils s’en iront à la ville a la la la lair
On les mettra à l’usine.
On manque toujours de prolétaires

Assez travaillé pour soi.
La petite exploitation
Maintient l'Europe en retard
Hors de la compétition.
Il y a trop d’agriculteurs.
C’est pas raisonnable.
Quelques millions au chômage
Et l’Europe verte sera viable.
Mais de tous ces paysans
Qu’est-ce qu’on va en faire?
Mais de tous ces paysans
Qu’est-ce qu’on va en faire?
Ils s’en iront à la ville tra la la la lair
On les mettra à l’usine.
On manque toujours de prolétaires !

Et toi, petit commerçant,
Tu mourras d’la TVA.
Mais si on aide ces gens-là,
La bombe, comment on la fera ?
Le petit commerce doit mourir,
Il est pas rentable.
Va t’en au supermarché,
Les prix seront plus supportables.
Mais de tous ces commerçants,
Qu’est-ce qu’on va en faire?
Mais de tous ces commerçants,
Qu’est-ce qu’on va en faire?
Ils s’en iront à la ville tra la la la lair
On les mettra à l’usine.
On manque toujours de prolétaires.

A Nantes, à Rennes ou à Brest,
Du travail, il n’y en a guère.
Ils voudraient rester chez eux.
Alors comment faire?
Déplacer toutes les usines?
C’est complètement con!
Eux! Qu’ils viennent dans la capitale.
Pour le patron, c’est plus valable.
Mais de tous ces immigrants,
Qu’est-ce qu’on va en faire?
Mais de tous ces immigrants,
Qu’est-ce qu’on va en faire?
S’ils viennent dans la capitale, tra la la la lair
Même en faisant plein de fonctionnaires,
Y’ aura toujours trop de prolétaires.

S’il y a trop de chômeurs,
Y’aura du désordre.
Il faudra des policiers
Pour maintenir l’ordre.
Hitler le disait déjà :
"Un chômeur c’est pas rentable.
Un soldat, ça coûte moins cher.
Et c’est bien plus raisonnable."
Mais de tous ces policiers,
Qu’est-ce qu’on va en faire?
Mais de tous ces policiers,
Qu’est-ce qu’on va en faire?
Ils s’en iront à la ville, tra la la la lair,
Taper sur les ouvriers,
Taper sur leurs frères.
Ils s’en iront à la ville, tra la la la lair,
Taper sur les ouvriers,
Taper sur leurs frères !

J'ai trouvé l'album original de 72 sur un des blogs de ymer, mais suis incapable de le géolocaliser à nouveau. Du coup je remets le lien vers mon blog, le fichier est rarissime. 
En dehors des Prolétaires, qui transcende le régionalisme exacerbé de monsieur Servat, plusieurs chansons y traitent de la douloureuse acculturation des Bretons par les Francs, pas mieux traités selon l'auteur que les amérindiens lors de la conquête du Phare Ouest par les Tuniques Bleues, et La Blanche Hermine l'enverrait aujourd'hui croupir dans les geôles du cardinal Darmanin, pour appel à l'insurrection armée. Heureusement, comme pour les frasques du cardinal Darmanin quand il était jeune homme, un bon avocat obtiendrait sans doute un non-lieu.

jeudi 7 septembre 2023

Asaf & Tomer Hanuka & Lavie Boaz - The Divine (2015)


Ca fait longtemps que je n'ai pas été étonné par une bédé (à part La Bibliomule de Cordoue de Lupano et Chemineau).
Voici donc un fac-similé cybernétique de "The Divine", récit fantastique et guerrier délivré par un trio d'auteurs israéliens qui a bénéficié d'une version française chez Dargaud, et pour ne pas leur faire d'ombre nous ne passerons que la version originale en américain.
Tout ce qu'on peut avoir à en savoir en cas d'interro-surprise et sans se faire divulgâcher la figure tient finalement en peu de lignes :

https://www.planetebd.com/bd/dargaud/le-divin/-/25196.html#fil





L'argument de base de l'œuvre est emprunté à l'édition française :

mais on peut noter que dans la version originale, 
la photo était en couleur et la mise en page un peu plus racée,
c'est ça la classe américaine, on l'a ou pas. 


Quelques illustrations des frères Tanuka, qui parsèment l'album.
Les frères Tanuka, c'est les jumeaux Bogdanov de la BD, 
en tout cas ceux qu'on croisait dans la Lucha Libre de Jerry Frissen,
mais en mieux, et surtout en moins morts.


et l'album en V.O., sans autre forme de procès :


Merci à un collègue amateur d'articles funéraires caverneux et oubliés pour la fourniture du fichier. Les frères Hanuka, qui se prononcent peut-être comme Hanoucca, la fête juive des lumières, ont chacun leur blog, bien qu'ils ne soient pas des Frères Ennemis, dont l'un des deux a mystérieusement disparu en 1984, je sais pas si c'était le Big Brother, mais on ne l'a jamais retrouvé. S'il est chez vous, merci de le ramener au journal, qui transmettra. 
Idem si vous retrouvez une émission de "Pas de panique" de Claude Villers incluant "les aventures d'Adolf, le petit peintre viennois" que votre grand-mère aurait enregistré par miracle en 1973 sur cassette ferrochrome.


et sinon, The Divine, c'est comment ?
ben c'est comme ça.

jeudi 31 août 2023

Le petit Steve Roach illustré : Une année 2022

ChatGPT_3 me soutient qu'il a déniché
un portrait de Steve Roach jeune.
Je vais lui couper les croquettes
et Internet pour le ramener à la raison. 


En 2022, ChatGPT_3, la célèbre interface conversationnelle mi-minérale, mi-végétale, mi-Jango Edwards et mi-un tiers supplémentaire de générateur de bullshit, issue des amours interdites d'une Intelligence Artificielle Anonymisée avec elle-même, mais on sait très bien qui est derrière, puisqu'il s'agit d'une entreprise dont l'objectif est de promouvoir et de développer un raisonnement artificiel à visage humain, ce qui n'est pas moins flippant que l'inverse, tombe en arrêt devant le site de vente en ligne de Steve Roach, qui se pose un peu là comme agrégateur d'artefacts, et décide spontanément de lui refaire la façade.
Depuis, je ne retrouve plus rien de la discographie passée de mon auteur favori de rondelles cosmiques.




la margarine astrale de Steve
me rentre comme dans du beurre
L'ancienne discographie reste figée sur début 2022, et il faut maintenant surfer sur le shop
sauf que y'a plus les dates, alors on se résout à aller trainer sur son bandcamp
mais tout y est en vrac, présenté en piles, à même les palettes par terre dans l'entrepôt, c'est la foire à l'empoigne du Black Friday des disques de musique ambiente à prix cassés, jusqu'à ce qu'on clique sur un album en particulier, auquel cas une sorte de discographie antéchronologique semble émerger dans la colonne de droite, mais c'est quand même le bazar, pour les thuriféraires collectionneurs obsessionnels toujours en quête de la dernière saillie de Stevie, l'expérimentateur incontinent des nappes sonores abstraites et astrales, comme la margarine éponyme.
Voici donc,  sous toutes réserves quant à la datation historique, la revue annuelle des disques de Steve sortis en 2022, à l'exclusion des rééditions, dont le suspect n'est pas avare.

Zones, Drones & Atmospheres (2022) 


Ce disque contient le florilège habituel de champs sonores aux contours flous et indéfinis, incluant des nuages de brume neurotoxique alternant (les lundis et vendredis des semaines impaires) avec des plages de sérénité scintillantes au soleil d'un vieux Moog modulaire sorti du placard, découvrant leurs courbes et leur bosses au détour d'écoutes curieuses, agacées, résilientes, induisant des sensations tantôt incarnées en présentiel, tantôt atones et désertées comme si Steve composait en télétravail.



Le chat n'a pas remarqué
que l'image de la télé
est inversée gauche-droite
par rapport à celle qui orne le livre.
Les chats, c'est rien que des branleurs.

Breathing Light et Shadow Realms me prennent par la main pour m'emmener vers des climats apaisés, d'autres comme Submerged ou Isolation Station sont appréhendées par mon système parasympathique comme anxiogènes, ennuyeuses, mornes, déplaisantes comme ces cassettes audio anti-tabac jadis testées et qui déroulaient, sur un tapis clouté de nappes synthétiques affreusement 
dissonantes, la dernière journée d'hôpital d'un cancéreux du poumon en phase terminale narrée par une voix off caverneuse et dépressive, en regrettant amèrement de n'avoir su s'arrêter de fumer à temps, comme certains bloggeurs de ma connaissance. 
Dans les abondantes notes de pochette, Steve évoque la lente gestation, s'étalant sur plusieurs décades, de certaines séquences, et c'est bien normal pour des pièces qui ont une texture et une ambition quasi géologiques, à laisser infuser en lisant le magnifique "Désert Solitaire" d'Edward Abbey avec un chat-pas-GPT_3 sur les genoux.
(3,5/5)

Nautical Twilight  (2022)

(en collaboration avec Frank Beissel)

Une ode assez sombre et assez nébuleuse au crépuscule nautique. Ca passe peut-être mieux en lisant un vieux Silverberg se déroulant sur un monde aquatique, ou encore l'Avaleur de Mondes de Walter Jon Williams, mais j'ai l'impression d'écouter la messe sous l'eau. L'écoute est peu exigeante, alterne clapotis, marigots et cathédrales englouties (sans Cthulhu dedans, et encore moins la momie immergée de Jacques-Yves Cousteau travesti en Bill Murrayne,  ce qui est quand même un petit plus).
(2,5/5)


What Remains (2022)

#01 Currents of Compassion : arpèges délicatement mineurs, calme, placidité : Currents of Compassion prouve à ceux qui n'avaient pas encore subi l'interminable Plaidoyer pour l'altruisme de frère Ricard que la compassion, c'est chiant. Un étrange vertige de déjà entendu s'empare de l'auditeur, quand il intuite que l'inspiration à l'origine du projet a généré aléatoirement une bonne moitié de l'œuvre de Steve R.
#2 Prometheus Passage : dans les limbes again, parmi les spectres défunts pendant l'écoute du morceau précédent, avançant à tâtons dans un brouillard de toiles arachnéennes agrémentés d'échos de beatbox et de quelques élans de sirènes aphasiques.
#3 The Gone place : tout pareil, avec des petites flûtes sud-américaines. Idéal pour hanter les couloirs de l'aile droite de votre vieux manoir que la Région a refusé de rénover, mais resucée de tant d'albums précédents, que je me demande bien pourquoi j'en parle. Je ne prendrai pas de psychédéliques en écoutant ça, ça c'est sûr, madame Chaussure.
#4 What Remains : sérénité retrouvée pour Steve, avec cet endormissement anémié en do majeur, pour neurasthéniques affirmés et raffermis dans leurs certitudes.
(1,5/5)

https://steveroach.bandcamp.com/album/what-remains

Church of the Heavenly Rest - New York City (2022)

Steve et ses fans adorent se retrouver dans des lieux sanctifiés - cavernes chantantes, la galerie commerciale du Super U de Machecoul, ici une église à New York, pour le traditionnel live de fin d'année, dont la playlist varie peu d'une année sur l'autre.
De mémoire, les captations de 2020
The Sky Opens et LiveStream 09 26 2020 chroniquées ici :
Il y avait plus de 1000 personnes au concert de New York, mais comme ils observaient un silence religieux...
(3/5)


jeudi 24 août 2023

The Cure - Pornography [Deluxe Edition] (2005)

" Selon mon expérience, la vie ne se classe pas par genre. 
La vie, c'est un roman d'aventures policières, d'épouvante, 
tragi-comique et romantique, avec des cow-boys et de la science-fiction. 
Et deux doigts de pornographie, si vous avez de la chance." 

Alan Moore.


J'ai re-réfléchi.
A quoi bon se contenter de Faith (même en Edition 
Deluxe) quand on peut aussi s'envoyer en l'air sous terre avec Pornography [Deluxe Edition] ?
le double CD, dans la joie d'une cold wave apportant un peu de fraicheur sous le dôme de chaleur :


jeudi 17 août 2023

The Cure - Faith [Deluxe Edition] (2005)

J'ai réfléchi.
A quoi bon se contenter de l'ersatz contemporain de la déprime 80's (Trentem😪ller) quand on peut s'envoyer en l'air sous terre avec l'original ?





















La Cold-wave lutte contre la Canicule ! 

jeudi 10 août 2023

Trentemøller : Memoria (2022)

Jadis prince de l'électro industrielle touffue, grouillante et musclée comme un légionnaire en permission ou un missionnaire en perdition, avec des albums comme The Last Resørt ou Intø the Great Wide Yønder, Trentemøller a pris depuis quelques années (Fixiøn, 2016, puis Øbverse, 2019) un courageux et vigoureux virage vers le passé et la dark synth pop des années 80, et c'est comme s'il avait exhumé de sa cave des albums du groupe de Robert Smith ou des Cocteau Twins restés inédits à ce jour, ces albums qu'on entend parfois en rêve, en sachant pertinemment qu'ils sont imaginaires, mais notre conscience onirique n'en a Cure.

 https://trentemoller.bandcamp.com/album/memoria

Trentemøller, en plus d'être l'ami des dentistes, est aussi un fin lettré, et un homme de goût.

https://latenighttales.bandcamp.com/album/late-night-tales-trentem-ller

La dictature numérique nous renseigne sans peine sur son parcours et ses antécédents musicaux.

https://www.trentemoller.com/

Les mots pour le dire ne sont pas les miens, mais ils sont bien quand même :

https://lesoreillescurieuses.com/2022/02/14/trentemoller-memoria/

De toute façon, on sait bien comment ça finira : on réécoutera Veil Of White (Track#1) en pensant à Slowdive et Like A Daydream (Track#13) en se demandant si Elisabeth Frazer dort aussi seule que Yoko Ono, et on fera l'impasse sur le reste. On sera devenu l'esclave de nos préférences. Heureusement, il y a des choses plus graves dans le monde. 

jeudi 3 août 2023

Lovecraft Facts (19) : The Lovecraft Sextet

Cela fait maintenant des mois que je suis alléché par la pochette du prochain album du Lovecraft Sextet "The Horror Cosmic".

La pochette est aboutie. La musique, je sais pas.
les tentacules, comme le cul, font vendre.
https://jesuisunetombe.blogspot.com/2015/11/tends-ta-kuhle-et-prends-la-mienne.html

Elle m'évoque le chaleureux souvenir de mon dernier apéro avec le capitaine Nemo devant la plancha du camping tenu par madame Kthülhü à Kraken-en-Born
(c'est dans les Landes)

Le mode portrait des smartphones équipés d'un appareil photo
réduit artificiellement la profondeur de champ
et transforme n'importe quel instantané en packshot publicitaire;

Mais la sortie du disque est sans cesse repoussée aux calendes.
Alors j'ai réécouté la discographie déjà surabondante du groupe de Jason Köhnen  qui multiplie les side-projets à l'instar des jazzmen
mais je n'y retrouve pas l'épouvante et la morbidité qui ont pu m'étreindre de leurs doigts glacés à l'écoute du Kilimanjaro Darkjazz Ensemble 
ou du Mount Fuji Doomjazz Corporation

et ce ne sont là que quelques-unes de ses précédentes incarnations maléfiques. Pour augmenter l'effet anxiogène, on peut néanmoins mettre en fond visuel les soirées suicide Théma sur Arte, sans le son. Et prendre quelques champignons psychédéliques, si madame Kthülhü n'a plus de scupions sauce piquante.

jeudi 27 juillet 2023

Orchestral Manoeuvres in the Dark - Statues (1980)

"Mais le passé n'a pas d'amis quand il vient lécher les Statues 
On m'a relégué dans la nuit au milieu d'un vieux tas d'invendus"
 (Ian Curtis revisité par Hubert-Félix Thiéfaine)
 
...c'est de cela dont parle "Statues"

https://omitd.fandom.com/wiki/Statues

"comme un vieux Cure pour lequel il n'y aurait pas de remède." (JW.org)

jeudi 20 juillet 2023

The White Lotus Saison 2 Soundtrack (2022)

Quand le bonheur apparaît, on le reconnaît ;
on se dit : « Ce n’est pas certain », 
et puis il passe.
Quand le malheur apparaît, on le reconnaît ;
on se dit : « Ce n’est pas certain », voilà tout.

Ajahn Chah. « Tout apparaît, tout disparaît :
Enseignements sur l'impermanence
et la fin de la souffrance. »

Salauds de riches. L'accumulation de leur capital, né de la spéculation boursière sur les fruits de la location à bas coût (capitale de l'Azerbaïdjan) de notre force de travail, nous prive de toute possibilité de nous épanouir dans l'hyper-luxe, et le minimum syndical de la décence, ça serait qu'ils soient heureux de dépenser leur argent spolié à la sueur de notre front. Mais penses-tu. Ils se meurent en frustrations et en déceptions, encore plus minablement que des pauvres qui seraient partis claquer intelligemment le pognon des riches.
Je me disais ça hier en revoyant dans ma ford intérieure la galerie de personnages de la saison 2 de The White Lotus, plus ambitieuse, et aussi plus réussie que la 1. C’est assez rare pour être surligné en rouge. Et pourtant, la saison 1 se suffisait à elle-même :

Un hôtel de luxe à Hawaï, parfait condensé des hypocrisies sociales et des injustices qui régissent le monde (...) en six épisodes inconfortables et hilarants, une impitoyable critique d’une certaine Amérique, de ses privilèges et de la façon dont elle écrase les minorités qui l’entourent. Un jeu de massacre pourtant étrangement attachant, porté par une distribution impeccable, dont Connie Britton, parfaite en femme d’affaires workaholic.

A l'époque, je m'en étais fait des gorges chaudes, mais peu profondes.
Problème rencontré et surmonté : qu’est-ce que j’en ai à faire des aigreurs et des déconvenues de ces riches Américains en vacances, avec qui je n’ai en commun que l’air que je respire? Bien sûr, si on remonte 80 000 ans en arrière, on est sans doute sortis du même vagin, l'occasion pour Baptiste Morizot de nous mégabassiner avec son lyrisme éditorial, comme quoi on fait tous partie de la grande tribu du vivant...
trop tard, si on a survécu à l'épisode 1, c'est comme dans Fleabag, la Grande Compassion s’installe, insidieuse... et on rempile pour la saison 2, qui se déroule en Sicile. Par rapport à la première saison, les scénaristes ont eu la bonne idée de sortir les personnages de l’hôtel. Il faut dire qu'elle avait été tournée pendant Confinement_1. Et le romantisme juvénile y est malmené. Ca m’a fait mal pour eux. D’un autre côté, c’est salubre de perdre ses illusions quand on est jeune; on peut encore corriger le tir.
Les effondrements de la masculinité toxique sous les cieux pisseux et confinés de ce complexe hôtelier d'Hawaï avaient quelque chose de cafardeux et de crépusculaire, alors que les débâcles intimes des privilégiés au soleil de la Sicile dégagent quelque chose de frais et de lumineux, soutenues qu’elles sont par la Beauté Rayonnante de Gloire des Siècles Passés des ruines de la civilisation romaine, ses pompes et ses ors, je pense au petit manoir Airb’n’b qu’ils vont visiter en milieu de saison.
La Réalité Réelle Ratée, ça serait mieux en film ?
Voici ce qu'en pense un journaliste du Monde :

Au bout de cinq épisodes (il en reste deux à découvrir), chaque personnage s’est enfoncé un peu plus avant dans son enfer personnel. Tout le plaisir, un peu pervers, que procure The White Lotus tient à la précision de l’écriture de Mike White. Chaque personnage est à la fois une création tragi-comique minutieusement détaillée et un rouage dans le mécanisme du récit. Pour ne prendre qu’un exemple, Bert Di Grasso, le patriarche lubrique que joue F. Murray Abraham, tient, comme tous ses congénères, la ligne de crête entre ridicule et pathétique. Incarnation d’une forme de patriarcat en apparence obsolète, il est aussi le révélateur de la permanence d’un système qui se transmet et se modifie de génération en génération, comme le démontrent le divorce de son fils Dominic (Michael Imperioli) et la fragilité de l’idéalisme de son petit-fils Albie (Adam DiMarco).
Symétriquement, la liberté affichée des jeunes Siciliennes qui hantent, moyennant finances, les nuits des hôtes mâles du White Lotus ne résiste pas longtemps à l’inégalité du rapport de force économique. 

 

Ne l'écoutez pas : les prostituées y sont de magnifiques filles de joie, faisant mentir Brassens, pleines de vie et d’enthousiasme, propres à susciter bien des vocations parmi les rares gourgandines qui verront la série. C’est du grand art sériel, Balzac, Zola, Dostoievski et Bergman se sont penchés sur le berceau du White Lotus, et il faut de plus une vraie convergence de talents et une conspiration de bonnes volontés, pour qu'elle soit aussi réussie sur tous les plans, tout en restant plaisante à regarder. Même le casting est somptueux. A côté de ça, le « Sans filtre » du suédois dément Ruben Östlund, sur le thème des hyper-riches confrontés au prolétariat lors d’une croisière de luxe fait pâle figure. C’est un peu la Grande Bouffe versus L’aventure Du Poséidon, aussi sinistre mais moins grotesque que je ne l'espérais. 
Un journaliste des Inrocks dit tout haut ce que je pense tout bas, dommage que j'aie résilié mon abonnement avant sa naissance.
https://www.lesinrocks.com/cinema/the-white-lotus-versus-sans-filtre-deux-poids-deux-mesures-514131-16-11-2022/
À vrai dire, c’est surtout une raison extérieure à la série de Mike White qui nous fait l’aimer inconditionnellement : la confrontation avec un film qui dans son principe à tout à voir avec The White Lotus, mais en est in fine l’absolu opposé, Sans filtre de Ruben Östlund. On retrouve dans la Palme d’or 2022 beaucoup des composantes de la série : l’isolement de personnages fortunés et puissants dans une situation de villégiature, la description satirique de leur égocentrisme autoritaire comme de leur culpabilité hypocrite, la violence de classe tapie sous la servilité marchande, toutes les lignes de force qui traversent le champ contemporain (problématiques de genre, discriminations sexistes, racisées…) condensées dans un creuset en ébullition…Mais avec une visée similaire, les deux œuvres optent pour des moyens contraires. La série de Mike White sait être fine plutôt que caricaturale, corrosive plutôt que nihiliste, élégante plutôt que grossière. Et surtout n’envisage pas le terrain de jeu de la fiction comme une partie de bowling où il s’agit de dégommer un par un des personnages considérés comme de simples quilles. Sous sa surface plaisamment sarcastique, The White Lotus est une série profondément humaniste. Elle est l’idéal remède à la misanthropie dérégulée et inflammatoire de Sans filtre. Car contrairement au film de Ruben Östlund, elle comporte un filtre. Et c’est un filtre d’amour.
C'est pas usurpé, et d'Östlund, je préfère de beaucoup son film précédent, « The Square », satire ambigüe du milieu de l’art contemporain. Tiens, je vais le reprendre au Shopi, ça devrait plaire à ma crypto-marxiste de femme, et ça sera peut-être votre prochain spectacle. Maintenant y’a plus qu’à attendre que la saison 3 de White Lotus soit tournée en Thaïlande.
Et la musique de la série, au fait ? 
C'est Cristobal Tapia de Veer, donc c'est fouillé et luxuriant.


 Il faudrait aussi vanter les charmes de la sélection de tubes italiens des années 60 entendus pendant la saison 2 de White Lotus, et les réunir en coffret.
Dès que je me casse l'autre pied, je m'y colle;

lundi 17 juillet 2023

Alexandre Desplat - Asteroid City Soundtrack (2023)

Quand je suis allé voir Asteroid City au cinéma, je n'ai pas compris de quoi ça parlait. 
J'ai cru que c'était une métaphore sur le deuil et la mélancolie, et aussi peut-être une parabole sur "le cinéma, art de l'hypnose", à partir de l'exposition brindezingue d'une séance d'hypnose volontairement ratée, parce que le cinéaste déguisé en conteur déguisé en metteur en scène de théatre déguisé en thérapeute dirige constamment notre attention lucide et consciente vers ses "trucs" d'hypnotiseur, ce qui nous interdit de nous laisser endormir - la chanson "You Can’t Wake Up If You Don’t Fall Asleep" qu'on entend au générique de fin est particulièrement explicite à ce sujet - et le film est excessivement stylisé, et démonstratif, et redondant envers ses propres tics, un peu comme si je mettais plein de virgules dans cette phrase, et que je les soulignais en rouge, et chaque début d'installation de narration ou de climat émotionnel est rapidement brisé par l'irruption d'éléments méta-fictionnels venant nous rappeler à quel point on n'est pas en train de nous raconter une histoire mais de nous tenir un discours sur la façon dont les histoires s'écrivent. 

C'est en rentrant chez moi une semaine plus tard que je l'ai regardé d'un autre oeil, en comprenant qu'il empruntait beaucoup à la logique onirique, de ces rêves dont les acteurs incarnent des fonctions psychologiques plutôt que des personnes, de ces rêves qui tournent un peu en rond avec une voix off délirante et un niveau technique surréaliste dont la mécanique se révèle constamment défaillante, comme un tour de Luna Park éreintant dans le cerveau de Wes Anderson ruminant ses clichés hypnagogiques sur le peuple nord-américain, dans le pépiement agaçant de grands acteurs sous-employés, dans un chatoiement fluo mais tirant déjà vers le sépia de légendes modernes esquissées puis avortées par l'irruption constante d'autres éléments tout aussi hétéroclites, névrotiques et absurdes. 


L'illustration résume bien le film :
Anderson dynamite toutes les histoires,
et vous allez me dire, il reste un cratère.