Ca y est.
Nous voici entrés dans l'an 2 du Covid Intersidéréal.
Intersidéréal ?
Oui. Nous sommes sidérés, mais c'est réel. Pour complaire à la licence poétique d'Alain Damasio quand il essaye sa perçeuse à mots en rentrant de chez Leroy Merlin, juste avant d'attaquer un nouveau bouquin, pour envoyer un message fort au gouvernement.
L'année dernière, à la même heure, on ne pouvait pas aller à la mer.
C'était interdit.
Sauf en Nouvelle-Calédonie, où nos lointains cousins (les deux fils du frère de maman) ne furent confinés que du 23 mars au 20 avril 2020, tandis que nous étions assignés à résidence du 17 mars au 10 mai. Je n'ai jamais eu autant l'envie d'aller à la mer. Mais ça, c'était l'an dernier. La roue tourne. En Nouvelle-Calédonie, aujourd'hui « on attend l’astéroïde », plaisante un internaute. En une semaine, les habitants ont vécu une attaque mortelle de requin, une alerte au tsunami, un cyclone, et, pour parachever le tout, l’annonce, dimanche 7 mars, d’un confinement strict de deux semaines, à la suite du dépistage de neuf premiers cas de Covid-19. Sans parler de la chute du gouvernement collégial le 2 février, de l’incapacité de la nouvelle équipe élue à désigner un président, sur fond de querelle entre indépendantistes. Ni des risques de récidive du cancer de la prostate, ou de l'éventualité de la sortie d'un nouvel ouvrage de Houellebecq.
C'est pourquoi nous, Calédoniens de coeur qui refusons d'aller à la mer par solidarité avec les vrais Calédoniens organiques et reconfinés, et aussi parce que pour l'instant ça caille encore trop alors que chez ces enfoirés elle est à 28°, nous qui attendons donc mi-avril et la troisième vague pour un pique-nique tout nus dans les dunes, pour peu qu'on soit pas reconfinés nous aussi, sinon ça nous fera un prétexte pour gueuler contre la privation des libertés, en attendant nous trouvons un grand réconfort spirituel dans ce nouvel album de Juliana Barwick, dont nous ignorions tout, sots que nous étions.
Ce disque, c'est vraiment la mer qui vient à nous.
Presque en nous.
(Prévoyez vos bottes en cas de coefficient de marée émotionnelle supérieur à 104.)
J'ai lu dans la presse spécialisée que l'album "ne pourrait pas être plus en contradiction avec le paysage blêmissant dans lequel il débarque, et qu'il est pourtant difficile de l’imaginer émergeant à un autre moment. Sa musique promet un refuge - à condition de croire au pouvoir réparateur de ces voix de sylphes imprégnées de réverbération et bouclées à l'infini"...
Si le mystère des musiques autoproclamées "thérapeutiques" suscite spontanément notre méfiance, c'est bien parce que nous avons un bout de verre cassé dans le coeur. Essayons encore.
En ce moment, pour les néo-Calédoniens brusquement privés de façade maritime, aller à la mer demande beaucoup d'imagination, en louchant sur la pochette, et en écoutant le disque à donf, et en priant pour qu'il suscite le sentiment océanique qu'il éveille. Ou pas. Ce qui surprend, à marée montante, c'est la familiarité spontanée de cette musique inconnue à base de sirènes en boite. Si on entend la mer, on entend quand même aussi beaucoup la boite, et la frugalité de la production. Il est vrai que ça sort chez Ninja Tune et pas chez Deutsche Gramofon. Mais j'adore Le Mystère des Voix Bulgares, alors je n'ai pas beaucoup tergiversé avant de l'acheter.
En parcourant la critique unanime, on découvre les ombres tutélaires de Jónsi, le chanteur de Sigur Rós, ou de Mary Lattimore, la harpiste inconcevable; ce qu'on peut en apprendre est instructif mais ne remplace pas l'écoute, tant il est vrai que parler ne fait pas cuire le riz.
https://www.liberation.fr/musique/2020/07/09/julianna-barwick-guerison-en-bonnes-voix_1793835/
Le webzine unanime :
https://pitchfork.com/reviews/albums/julianna-barwick-healing-is-a-miracle/
Le webzine unanime :
https://pitchfork.com/reviews/albums/julianna-barwick-healing-is-a-miracle/
L'album en prêt à écouter :
Le clip m'a fait sourire, parce qu'il réhabilite des effets vidéo tombés en désuétude depuis une bonne trentaine d'années.
En Nouvelle-Calédonie, on pouvait jadis conjuguer la pêche sportive, le tourisme sexuel et la gastronomie.
C'était le bon temps.
Qui reviendra peut-être, mais pour l'instant, rien de mieux pour se consoler d'être reconfinés qu'une bonne salade de poulpe en boite avec le dernier Julianna Barwick, qui nous demande d’imaginer la guérison à un moment où la tâche semble impossible.