dimanche 8 août 2021

Le petit Steve Roach illustré : Une année 2016

Live in Tucson: Pinnacle Moments (2016)

Les meilleurs moments du concert donné au Centre Galactique de Culture Solaire de Tucson en février 2015. Si vous le visitez un jour, dites que vous venez de ma part et ils vous feront 15% de ristourne sur le cocktail vénusien aux algues. Demandez-vous pourquoi je reconnais pour la première fois dans une prestation publique des vrais bouts de morceaux de disques studio, comme ici Desert Solitaire (1989) ou le Skeleton Passage de Skeleton Keys (2015), ou encore la boucle de gargouillis cosmique qui rend fou même l'arabe dément Abdul Al-Hazred dans « Going Gone » dont le titre m’évoque la célèbre blague de Christopher Priest « ce fut moi qui restai à l’atelier tandis que je retournais à l’appartement » dans Le Prestige, page 125, et que seul l'arabe dément Abdul Al-Hazred peut comprendre...
Mais que voulez-vous, quand on aime, on ne compte pas ses sous, ou alors c’est qu’on n’est pas vraiment amoureux, tout cela est sans doute reboutiqué avec de subtiles variations & modifications, et c’est si plaisant que je pourrais sans doute me lancer dans la confection d’une anthologie rétrospective de morceaux contenant le passage neurotoxique, tout comme on peut élaborer un très chouette album posthume de Frank Zappa en boutaboutant toutes les versions de « Torture never stops » au fil des âges. Avec Steve ça serait un peu plus compliqué car même ses patterns austères reçoivent des patronymes randomisés qui rendent malaisé l’identification des motifs.
Skeleton Passage et Spiral Passage closent la performance par un numéro de voltige de séquenceurs aériens, une Battlestar Galactica d'arpèges delayés dans la stricte application des règles apprises à l’école de Berlin.


(4/5)

https://steveroach.bandcamp.com/album/live-in-tucson-79-min-version


Second Nature (2016)
avec Robert Logan

Robert est un vieux fan de Steve encore très jeune qui s’est entiché de son idole malgré leur différence d’âge, mais leur amourette est compromise, car il est de trente-trois ans son cadet. Alors ils font de la musique ensemble, ce qui est une façon émotionnellement moins violente de prendre du bon temps. Encore que. Le problème c’est qu’après il faut trouver des couillons pour les acheter. C’est le père de Robert qui l’a initié à Steve Roach quand il était petit, et il y a pris goût, alors que moi, quand j’ai voulu faire découvrir The Magnificent Void à mes enfants, ils m’ont ensuite interdit d’approcher le tourne-disque à moins de cinquante mètres, et encore, sans faire de gestes brusques.
Vous souvenez-vous du Thursday Afternoon de Brian Eno ? il était constitué de circonvolutions mélodiques inlassablement répétitives et répétitées autour d’un accord majeur dont les notes étaient égrenées au piano (en agriculture, l'égrenage est la dispersion spontanée des graines d'une plante cultivée arrivées à maturité), égrenage sous-tendu par un tapis d’ambiance à gueule d’atmosphère et traversé de loin en loin par quelques zigouigouis cosmiques. On est bien ici dans ce type de proposition sonore, bien qu’à l’accord majeur ait été substitué une immensité atonale mollement inquiète et quinze tonnes d’écho supplémentaire pour faire genre. Nos deux compères redonnent ainsi leurs lettres de noblesse à la peinture tonale de la neurasthénie, sous prétexte de minimalisme romantique (sic). On ne doute pas qu’ils arpentent les territoires de l’invisible les yeux fermés comme qui rigole, main dans la main dans le piano accordé en fa dièze, sans doute aussi qu’à faire tourner ce disque en boucle on induit des transes corps-esprit subtils, mais ça fait déjà trois fois que je le remets au début et tout ce que je vois de ce que j’entends c’est Ryan Gosling tapotant les touches du piano qu’il découvre dans la luxueuse planque de Harrison Ford (baignant dans une lumière orangée permanente prompte à lui déclencher une dépression nerveuse de cyborg) dans Blade Runner 2049.

(2/5)

https://projektrecords.bandcamp.com/album/second-nature


Biosonic (2016)
avec Robert Logan

Surprise : sur Biosonic, ça stridule, ça warpe, ça craquette, ça pulse, ça breake et ça croustille (un peu comme chez Warp Records, justement) avec des éléments de noisy industriel inattendus sous ces latitudes; le projet est né d’une correspondance entre Robert et Steve au cours des ans, sous forme d’échanges de fichiers sons, avec des sessions téléphoniques régulières et des e-mails décrivant la vision et les pièces qui finiraient par donner corps à l’étonnant album, sombre mais extatique, finalisé lors des vacances d’été longtemps fantasmées du petit Robert dans le Timeroom Studio de son tonton Steve, oncle incarné de la modernité futuristique de la phrase qui ne veut rien dire (celle-ci en est un bon exemple) pour un résultat à mon avis dix fois meilleur que toutes les bouineries limbiques funèbro-constipées produites avec Vidna Obmana au début des années 2000. Le traditionnel bestiaire sonore d'insectes parasites hantant des jungles numériques ne s’accompagne pas, pour une fois, de râles chamaniques, et Byron Metcalf n’a pas été convié pour battre le rappel des troupes avec son petit tambourin un rien relou; la dimension chamanique de la transe n’est pas convoquée. On est plutôt dans les songes obscurs et tourmentés de racks de serveurs informatiques enterrés dans les infinis sous-sols de la basse-Californie et refroidis par des centrales nucléaires bioélectriques. Mais le labyrinthe est bourré de trouvailles biomécaniques.
Il y a des titres explicites «The Biomechanoid Lifecycle Revealed» qui évoque bien l’existence des termites numériques sans pour autant s’accompagner d’un tuto youtube donnant la solution pour vermifuger sa baraque une fois qu’on les a laissées s’installer dans le buffet de tante Henriette parce qu'on les trouvait trop mignons.


(4/5)

https://projektrecords.bandcamp.com/album/biosonic


This Place To Be (2016)


Après toutes ces bamboches & javas biosoniques riches en émotions fortes et ces parcours accidentés en auto-tamponneuses à la Foire du Trône des Vortex, c’est le retour à la maison, où après s’être confectionné un sandwich roboratif, Steve ressent le besoin de rejoindre la Paix Immersive Des Grands Fonds, là où il se sent chez lui, nulle part ailleurs qu'ici, et je vous souhaite vous aussi de trouver dans votre coeur ce lieu de sérénité où ressentir un sentiment d'apesanteur et de contentement parfaits. Et sans faire usage de Google Street View, sinon ça vaut pas.
Pour le seul membre d'équipage du sous-marin de poche Le Vigilant, un long huis clos commence. D'ultimes tests en surface, puis claque l'affirmation : « Bâtiment paré à plonger ! » La concentration est maximale. Le barreur appuie sur son manche, l'écume de la mer s’épuise en ultimes clapotis sur la coque. Le submersible s’enfonce dans les profondeurs où le soleil n’est plus que l’ancien dieu d’une religion agonisante.
Pourquoi cette appétence pour les insondables fosses sous-marines ? Il est vrai qu’on y croise sans doute moins de cons qu’ailleurs, hormis les équipages malchanceux car engloutis des sous-marins indonésiens, russes, français, chinois qui en jonchent le fond,
https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_d%27accidents_impliquant_des_sous-marins_depuis_2000
dont le compostage prend de très nombreuses années du fait qu’il se déroule dans un milieu anaérobie.
La pochette du disque induit l’idée du Grand Bleu, ce paysage sonore est plus hospitalier (dans tous les sens du terme) que beaucoup d’autres générés par Steve.


(4/5)

https://steveroach.bandcamp.com/album/this-place-to-be

Shadow of Time (2016)

Encore une de ces immenses pièces atonales entièrement vidées de leurs meubles et emplies de suites d’accords pianotés se succédant au ralenti avec beaucoup de résonances réverbérées, suggérant un recueillement compassé, en essayant de faire croire que le silence entre les notes est aussi de Steve Roach. Soit vous êtes friand de ces albums de guérison texturale qui sont pour vous autant de sanctuaires introspectifs, soit vous trouvez ça pompier, répétitif et un peu barbant. Quitte à penser que vous feriez à peu près pareil, voire carrément moins pire, en empruntant l’orgue Bontempi de votre petit-neveu hyperactif. Erreur à ne pas commettre : vous mettriez alors le doigt dans un engrenage fatal, qui vous mènerait à produire votre propre médecine sonore. Et vous cesseriez d’écouter Steve, pour vous écouter vous. Le risque étant de sombrer dans ce que Castaneda appelle l’auto-contemplation : « On est vide, et on ne peut pas se remplir avec de l’auto-satisfaction. Surtout pas, en fait. Car l’auto-contemplation est précisément ce qui empêche Dieu (l’état naturel) d’être présent. On essaie de se remplir de la pensée de soi, ce qui est impossible puisque la pensée est vide, comme le soi, mais le problème c’est qu’en attendant la place est prise, même si c’est par un fantôme. » (Flopinette de la Croisette, in « L'espoir n’est pas un steak » circa 2006)
On a largement le temps d’épuiser ces concepts pendant l’exécution, capitale, de Night Ascends, la seconde oeuvre du disque, qui fait 01:18:25 à elle toute seule, et qui ressemble bigrement à d’autres pièces profondément neurasthéniques de Steve comme « A Deeper Silence », ou « Darkest Before Dawn », ou encore « Throw this dark ambient CD away or my mother will shoot » mais je ne les connais pas tous par coeur, les ayant enclos dans un petit cabinet dont j’ai jeté la clé.


(1/5)

https://steveroach.bandcamp.com/album/shadow-of-time

Painting in the Dark (2016)


Encore une longue pièce atmosphérique aux horizons infinis comme on en a déjà beaucoup entendu chez Steve, période Landmass, Dynamic Stillness, la série des Immersions, Etheric Imprints, Soul Tones, The Hermetic Submarine Garage, n’en jetez plus, c’est pas avec mon écope que je vais vider son océan.
Ni pire ni meilleur qu’un autre parmi les éthérés immersifs.


(2,5/5)

https://steveroach.bandcamp.com/album/painting-in-the-dark



Fade to Gray (2016)


Cette année 2016 s’avère abondante en flux de magma ambiants sombres d'immersion harmonique ultra profonde. C’est ce que disent les gars du marketing, et ils n’ont pas tort, tant mieux, parce que moi, à partir d’ici, les mots me manquent, et les bras m’en tombent. Le Cinquante nuances de Gris de Steve. Sans présumer de l’impact du boniment des télévendeurs, je ne pense pas qu’il en vende autant que l’autre, le roman cochon proute-proute. Bien sûr, je pourrais faire des blagues, pour meubler, le temps que le disque finisse de s’écouler / s’évanouir, mi-liquide, mi-gazeux mais 100% plombant. « A faible volume et en lecture infinie, Fade To Grey est très efficace pour les voyages et le sommeil hypnogiques 
» . J’ai hâte de rêver que je pilote un drone dans un parking souterrain. « À un volume plus élevé, sur un système sonore qui prenne en charge l'impact émotionnel de la lecture en pleine résolution, la sensation d'un mouvement symphonique surréaliste amplifie et exprime la texture, l'humeur et l'émotion au niveau cellulaire. » Je ressens bien quelque chose de l’ordre du voyage intérieur dans un micro-ondes en mode décongélation, c’est certain. Mais est-ce bon pour ma santé ?

(2/5)

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