J'ignore pourquoi Caza n'a pas connu la même reconnaissance publique que Druillet, Bilal ou Moebius, au bon vieux temps de Métal Hurlant. Peut-être parce qu'il était surtout publié dans Pilote. Ils en venaient tous, mais lui y est resté plus longtemps que les autres. Il fallait bien qu'il y en ait un qui se dévoue pour garder Goscinny. Pourtant, les histoires d'anticipation écolo-gauchisto-grinçantes rassemblées dans les 3 tomes de Scènes de la vie de Banlieue n'étaient sans doute pas vraiment du goût de Goscinny; qui n'y survivra que jusqu'en 77. Quelques décennies plus tard, ces mauvaises blagues sonnent très Métal, dans l'esprit de la littérature de SF dépressive de la fin des années 70 qui avait pour mamelles la pollution, les brutalités policières de l'Etat-fasciste, et la médiocrité de la plupart des aspirations humaines. On ne peut pas dire qu'on ait vraiment changé de braquet, sauf sur le sexisme ordinaire. J'y vois même des connexions avec les comix underground de Zap Comix qui ont commencé à mettre le feu à la BD américaine dès 1968, mais ça doit être tous les médicaments que je ne prends pas qui me montent à la tête.
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L'édition originale (et à couverture molle) de la trilogie.
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Elles furent d'abord rassemblées sous forme d'albums souples, moches et pas chers, puis "en dur" chez Dargaud Fantastique, et finalement rachetées pour une poignée de brouzoufs par les Humanoïdes associés, avec de nouvelles couvertures qui n'ont plus grand chose à voir avec le style Caza Canal Historique, pop-art flamboyant, Caza aussi à l'aise graphiquement dans la caricature que dans l'hyper-réalisme verdâtre des banlieues rêvées, et surtout cauchemardées, pas très loin des novellistes anglo-saxons de l'époque, professionnels du désenchantement humaniste comme J.G. Ballard. Avec une petite touche d'humour crétin issu de la tradition française. Et des couleurs d'une violence psychédélique rarement revue dans la BD francophone. Il y a même une histoire de pirates à bord d'un pavillon en meulière qui pourrait être un préquel de The Crimson Permanent Assurance, le court métrage réalisé par Terry Gilliam en 1983 et diffusé en tant que prologue du film Le Sens de la vie. Je suspecte fortement Gilliam de l'avoir vu avant de construire son scénario, mais je n'ai pas de preuves. Je vais lui écrire.
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Les liftings successifs des couvertures, fluctuantes selon les éditeurs. Je ne sais pas si on gagne en lisibilité. |
Comme le dit l'auteur dans son auto-bio,
"dans ces chroniques, basées sur une satire acerbe de la vie moderne et sur l'intrusion du fantastique dans le quotidien, je me mets moi-même en scène comme personnage principal de mes histoires (déjà égocentrique), en éternelle opposition à mon voisin du dessous (ou du dessus, ça dépend), Marcel Miquelon, archétype de français (très) moyen."
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une blague postcoloniale comme même le Major Grubert ne peut plus en faire. |
Reproduit ici à un format trop petit pour pouvoir prétendre au rang de la contrefaçon, le Tome 2 des Scènes de la vie de Banlieue conserve une saveur vintage, en même temps qu'il est un témoignage sur l'imaginaire de la concentration urbaine vu par un gauchiste qui était déjà parti vivre dans les Cévennes avec des fromages de chèvre, contrairement à ce que prétend son avatar auto-fictif qui apparait souvent dans les couloirs de ces HLM de papier sous les traits d'un géant roux aux traits harmonieux et sculpturaux. Mon oeil : quand on est vraiment un géant roux aux traits harmonieux et sculpturaux, on n'a pas besoin de faire de la BD pour épater la galerie. A part Geoff Darrow, dont il est difficile de savoir s'il était roux avant d'être fou chauve.
Caza abandonnera ensuite totalement cette veine humour noir pour se tourner vers une SF mysticoïde un peu fumeuse, avec toujours autant de moyens graphiques mais c'est là que je le perds de vue, préférant alors m'abimer dans la contemplation des tranches des volumes traitant du bouddhisme au rayon spiritualité de la FNAC, afin de progresser dans l'intention de le pratiquer.
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la French Touch du psychédélisme, c'est là qu'elle était. |
Il existe une intégrale raisonnée parue aux Humanos en 2017, qui vaut vraiment le coup.