Cher journal,
depuis quelques semaines, le sommeil me fuit.
Moi qui fus un dormeur paisible, qui avait besoin de ses 8 heures de coma quotidiennes, je suis passé sans pouvoir repérer d'autre facteur déclenchant qu'une avalanche de boulot en retard, à quatre ou cinq heures par nuit, sans vraiment de coup de pompe dans la journée (j'ai pas l'temps).
Privilège de l'âge ?
Dernier baroud de la conscience lucide avant l'Accident Vasculaire Cérébral qui viendra régler le lourd tribut au café et aux cigarettes, dont les quantités ingérées restent élevées ?
Je ne sais.
Mais tant que ça tient, pas de problème.
"Les cigarettes avaient d'abord provoqué en lui une douleur psychique particulière, puis elles étaient devenues le remède particulier de cette douleur.
S'il avait eu à sa disposition un médicament contre la douleur en général, une potion à large spectre éliminant l'agitation globale et le sentiment d'étrangeté dont il croyait souffrir à chaque moment de sa vie en dehors du sommeil, et si cette potion avait été programmée pour le tuer en un laps de temps encore plus court et plus précis que le tabac, Wade aurait sans nul doute eu recours à cette thérapeutique. Même si la mort en résulte, la dépendance consiste à effacer la douleur par ce qui la provoque, et comme la mort est quand même au bout du chemin, qu'est-ce que ça peut faire ?
Il n'existait cependant pas de remède global dont il eût connaissance, et bien qu'il ne fût pas toujours de cet avis, c'était sans doute une chance pour lui. A présent, seules les cigarettes le tuaient - c'était peut-être suffisant."
Russell Banks," AFFLICTION", Babel
C'est moi qui souligne : c'est la plus pertinente définition de la dépendance que j'aie jamais lue, et je l'avais gravée dans le bronze de mon vieux blog tout pourri depuis des lustres.
Russell Banks, dont j'ai lu dans une interview dans le Télérama de cette
semaine qu'il avait eu une enfance violente et un père alcoolique, et je te
jure qu'il n'a pas fait exprès de devenir ensuite un grand écrivain
contemporain dépeignant avec intelligence et subtilité les arcanes de la
condition humaine.
Comme quoi la prise de conscience est effective quand elle se traduit en actes, nom de d'là.
La résilience, c'est la bonne ambiance.