mardi 25 mai 2021

La raison du plus fou - François Reichenbach (1973)

Sur l'infini territoire de chasse de nos ancêtres qu'est Internet, j'aime bien traquer les films un peu atypiques des Fils de Craô, dans l'espoir d'être surpris  et diverti. "La raison du plus fou" est un film écrit par Raymond Devos et tourné par François Reichenbach en 1973. C'est une sorte de road movie à la française, tourné à la campagne par un cinéaste beaucoup plus à l'aise dans le documentaire que dans la fiction. 
Ca se veut sans doute un dynamitage des rêgles du jeu social par la subversion poétique, en réalité c'est très très mou du genou, mais c'est l'occasion de voir Raymond Devos jeune, bien que son personnage soit aussi insupportable que dans ses one-man-shows vieux, enfin il n'a pas encore le ton geignard dont l'âge l'affligera, de revoir aussi Jean Carmet, Alice Sapritch, Paul Préboist, tous ces seconds couteaux sympathiques des années 70, ici en roue libre, ou disons menés par un scénario très très lâche. Monsieur Devos a mieux écrit son rôle que celui des autres. Il n'y peut rien, il est comme ça, on l'invite et il prend tout le lit. Sa corpulence existentielle est irréductible. 
Si on veut savoir quoi en penser dans le monde d'après, il existe une critique correcte, à l'occasion de la sortie du BluRay.
Il y a une scène du film, avec Jean Carmet et Alice Sapritch, qui est immense. C'est cette scène que nous diffusons aujourd'hui dans la séquence du spectateur.

lundi 24 mai 2021

Jorja Smith - Addicted (2021)

 

Que Dieu me préserve des clips licencieux faits main maison de Jorja Smith, en ce lundi de Pentecôte qui nous voit célèbrer l'effusion du Saint-Esprit le cinquantième jour à partir de Pâques sur un groupe de disciples de Jésus de Nazareth, dont les Douze Apôtres, mais pas les Quatre Barbus. Pour ceux que ça intéresse, cet épisode est relaté dans les Actes des Apôtres, et je tiens à leur disposition un assortiment de brochures pédagogiques sur la question.
Que Dieu m'en préserve, mais comme je sais qu'il n'est pas là pour ça, et que l'album de Jorja Smith est plébiscité dans Télérama (ancienne annexe du Vatican, du temps où chaque critique de film s'accompagnait de l'avis de l'Office Catholique), je m'en remets un petit coup pour la route.
Pour me mortifier, j'uploaderai à nouveau des vieux trucs sympas morts ayant existé jadis dans l'instant présent prochainement.
En tout cas elle a une jolie voix, Jorja Smith, et elle est plus facile à écouter sans les images.
Comme Awa Ly, quoi.
Awa qui ?


dimanche 23 mai 2021

Henri Salvador - Intégrale 1951-1962, vol. 1 (2018)

Et pourquoi le volume 1 après le volume 2 ?
Et pourquoi pas ?

Il est plus jazzy.
Il faut dire qu'Henri avait été accompagnateur de Django Reinhardt dans les années 30.
Nous sommes maintenant au début des années 50, les arrangements orchestraux évoquent irrésistiblement le jazz hot, les chansons de Boris Vian, les films avec Martine Carol, les téléphones en bakélite, Les cars de poulice Citroën H1 "le Panier à Salade" . La voix est langoureuse, les thèmes des chansons de Henri sont l'amour toujours, et sinon aussi l'amour toujours, parce qu'on ne s'en lasse pas, elles se veulent légères et inconséquentes. Il évoque aussi les paradis de l'enfance, et ses racines créoles. Un grand nombre d'entre elles m'étaient inconnues, et ce qu'il y a d'incroyable, c'est le côté "Docteur Jerry et Mister Love" de Salvador : il peut passer du french lover au nigaud dégénéré dans le même couplet; et ça, commercialement, je ne sais pas comment ça pouvait passer. 
Fox-trot, mambo, cha-cha : on va salement se déboiter les fémurs à l'Ehpad.

Henri Salvador adorait faire l'andouille en photo (ici au studio Harcourt, 1946)

samedi 22 mai 2021

Henri Salvador - Intégrale 1951-1962, vol. 2 (2018)

La mystérieuse pochette moche designée par chaipaqui.
Cette semaine, j'ai croisé un copain imaginaire, dans une discothèque de prêt à très très long terme, et il m'a montré sa collection de 63 disques de Henri Salvador ! Il en a une presque aussi grosse longue importante que ma collection de Steve Roach ! J'ignorais l'existence d'une telle intégrale Henri Salvador 1951-1962. 
Plus ça va, plus je découvre l'emplacement exact des bornes de mon ignorance, tellement qu'elles étaient enterrées profond. 
D'ailleurs cette intégrale est inconnue chez discogs, mais reconnue chez Amazon.
Et je désespérais de réentendre un jour "Dracula cha-cha-cha" (1959-1961) ou "Gondolier" (1958) que je n'avais plus que sur de vieilles cassettes ferrochrome sans dolby. J'ignorais aussi que "Gondolier" c'était une parodie de Dalida, quand c'est paru j'étais pas né, comme le poisson, mais c'était déjà drôle comme ça, tout seul. C'est rare, une chanson parodique qui reste drôle quand son sujet d'hilarité est sorti des mémoires. Faut qu'elle ait un potentiel intrinsèque. Mais peut-être que d'autres vieillards maniaques se rappellent de la version de "Gondolier" de Dalida comme je me rappelle de celle de Salvador.
https://www.youtube.com/watch?v=12L_HekmkMU
En fait, il y a déjà eu le début d'une intégrale de cette période, publiée chez Frémeaux et Associés, mais qui pour l'instant part de 1942 et s'arrête en 1958 depuis plusieurs années. J'y butine au passage le texte des livrets de ces doubles CD, c'est la première fois que je vois un biographe démonter la gueule de son héros, et ça semble mérité.
On apprend tout sur son frêre maudit et occulté comme dans un roman de Christopher Priest, et sur son révisionnisme autobiographique.
Apparemment d'énormes projets de réédition digitale sont en cours. (Le support physique semble avoir vécu, même chez les bloggueurs nécrophages)
Ma femme me dit qu'elle en a ras le bol d'entendre toujours les mêmes rengaines, que Salvador c'est le comble de la grossièreté et du j'm'enfoutisme. Mais elle dit ça aussi de Steve Roach, et nos amis un peu inquiets se demandent ce qu'on fait ensemble depuis plus de trente ans, avec des goûts si différents. Quand je pense qu'il y a beaucoup d'autres gens qu'elle qui se fichent autant de l'intégrale d'Henri Salvador que de celle de Steve Roach, ça me donne envie de pleurer de joie, quand je m'aperçois de toute cette connaissance que j'apporte à leurs âmes déshéritées. 
En tout cas, là, la science avance. Un grand coup.
J'ai encodé ça en vbr avec XLD, mon fidèle grognard qui détermine lui-même la compression mp3 en fonction de la dynamique des plages musicales. De façon à ce que ça soit un peu dégradé par rapport à l'original, et qu'on vienne pas me dire que mes chansons tombées du camion, c'est du vol. A ce propos, Tchouang-tseu avait coutume de dire : "si ton meilleur ami te baise downgrade en vbr, ne bouge pas : il pourrait jouir".
Bon courage pour trouver un disquaire ouvert qui l'ait en rayon, par contre.
Voici la liste des titres.




Je mets le CD 1, après on verra.


On verra le CD 2


Ou alors c'était le 3


L'important c'est qu'ils y soient tous


En tout y'en a 5.


Pour la connaissance intégrale d'époque avec les pochettes originales mais sans les musiques, on se reportera à l'épatant site :

vendredi 21 mai 2021

Henri Salvador - Homme Studio -1970​/​1975 (2021)

/////////////// Chronique de Francois Branchon sur l'excellent blog musical Sefronia :
Henri Salvador n'est connu du très grand public que pour deux périodes bien identifiées : celle rigolarde des années 60, quand il fait le con avec des chansons rigolotes ("Zorro est arrivé", "Le travail c'est la santé"...), profitant à fond des débuts de la télé, de la vague yéyé et de l'invention du Scopitone (juke-boxe à vidéos qui trônait dans les bars) qui lui permet des festivals de grimaces, et puis celle en 2000 de sa renaissance en crooner impeccable sous l'égide de la chanteuse Keren Ann ("Chambre avec vue"), une dernière vie en guide de révérence-référence.
Mais Salvador était beaucoup plus que cela, avec une vie musicale avant et pendant. Auteur-compositeur et bon guitariste dès les années cinquante (standards de la classe de "Syracuse", "Count Basie"...) et aussi - ce que révèle avec bonheur cette réédition-compilation du label Born Bad - tout au long des 70's, quand, en complet autodidacte (il était déjà son propre producteur dès les 60's, avec son label Rigolo), il s'installe un studio à domicile, empli de guitares, synthétiseurs, boîtes à rythmes, chambres d'écho, qu'il va utiliser seul. Une sorte de précurseur, qui produira là pendant une douzaine d'années en marge des morceaux destinés à Disney avec qui il est sous contrat, des chansons personnelles, bidouillées, expérimentales, publiées sur des singles-bides commerciaux dans un total anonymat. Des chansons qui sonnent aujourd'hui étonnamment modernes(...)

Pour une pochette faite à la main,
c'est une pochette faite à la main.
////////////////////// extrait du rédactionnel comme toujours incroyablement précis, intelligent et érudit sans être chiant, c'est pas comme moi, de chez Born bad Records, accompagnant la sortie de l'album //////////////////////
«Ma femme m'a tellement bien compris qu'à présent elle peut penser pour moi. Quand elle a une idée, pour ainsi dire, c'est une idée de moi!» 
(Télé Magazine, 1972)
Jacqueline va le façonner et l'émanciper. Quand il l'épouse en 1950, c'est une jeune femme discrète et érudite qui prendra peu à peu en main sa carrière. Elle imposera ses vues et son tempo frénétique. Témoin du showbiz, Jacqueline constate que les artistes, écartés des discussions professionnelles, sont souvent spoliés. Henri brise tour à tour les chaînes qui l'unissent à Philips, Vogue, Barclay, son éditeur, son manager, son impresario, et devient autonome. Les Salvador se familiarisent avec les ficelles de la production, de l'édition, du pressage, de la distribution et de la promotion. Il y aura toujours chez eux de quoi enregistrer une maquette. L'appartement est truffé de magnétos. Un au pied de son lit pour la guitare. Un autre dans son bureau pour le Steinway. Sur tous les fronts il collectionne les hits, invente, parodie, adapte, produit."
(..) Avec sa console et ses bobines, Henri multiplie sa voix et harmonise à l'infini. Tout est fait à l'arrache mais non sans application. Il s'amuse avec les sons décalés des synthés, s'éclate avec les boîtes à rythmes. Il utilise tous les beats préenregistrés, teste les 'fill' en boucle pour générer des beats alternatifs, joue avec les vitesses, programme ses propres rythmiques parfois loufoques. Musicalement, ce virage artistique change le groove. Salvador s'est inventé un jazz mécanique qui prend son swing dans les guitares et son tonus dans les vocals. Peu doué à la basse, il se débrouille avec ses cordes et son clavier Moog. Pour habituer les auditeurs à ce nouveau style, la PAM produit d'abord quelques face B de 45tours – On n'est plus chez nous, ou l'histoire de deux scat-men interrompus par un passant qui cherche la place de l'Opéra. Puis une face A: Ah ce qu'on est bien quand on est dans son bain enregistrée dans la salle de bain, le hit de Noël 1970. Et enfin le premier album autoproduit : Les Aristochats, distingué par l'Académie Charles Cros en 1971. Jacqueline tient les rênes, la calculette et… les clés du studio où elle enferme parfois Henri pour qu'il compose. Il ne sort que pour travailler ses shows télé.



/////////// Pensées ultimes de John Warsen, tome XVI, p.396 et suivantes : 

On n'est plus ici dans la veine du crooner jazzy, ni dans les délires franchouillards du label Rigolo, mais on n'en est jamais très loin non plus; il y a une prise de risque, un fourbi, des trouvailles, des trucs ratés, aussi, parce que ça s'entend qu'il est tout seul, un mec qui n'a peur de rien expérimenter, à plus de cinquante ans; bien sûr, il y a la disneyification rampante sur quelques titres, et les blagues populo, pas toujours très recherchées... Fallait bien bouffer... "La vie, c'est comme jouer du piano, c'est dégueulasse si tu joues faux" (in "Le bilan")
...du coup je trouve un bon article sur cet aspect peu reluisant de sa carrière
bien que ça soit sans doute moins pire que son soutien à Sarkozy en 2007... mais bon, qui me fera encore politiquement bander quand j'aurai 90 ans ? difficile de le savoir à l'avance. Surtout si d'ici là, les élections sont abrogées par décret.

jeudi 20 mai 2021

Sur une peinture de Manchu (2019)

Je me faisais tellement suer à la maison que j'ai commencé à écrire des articles sur Joost Swarte. Mais au bout d'un moment, je me faisais tellement suer à écrire des articles sur Joost Swarte que j'ai essayé de lire tout Christopher Priest. Mais il y en a vraiment beaucoup.


Et la mécanique est toujours un peu la même : dans une langue faussement limpide, un récit relaté par plusieurs potes à Goniste (lui-même tellement bête qu'on l'appelle le neunoeud de l'intrigue) diverge tellement de lui-même ainsi que les huns des z'autres, qu'ils finissent tous par se décaler vers le rouge, comme dans les nouvelles de Peter Watts, (en astronomie, le décalage vers le rouge (ou redshift) est une augmentation de la longueur d'onde de la lumière causée par le mouvement de la source lumineuse qui s'éloigne de l'observateur, par effet Doppler ou du fait de l'expansion de l'univers en cosmologie. Dans les romans de Christopher Priest, ça tient plus de la logique des rêves et veillées, où l'onirisme finit toujours par l'emporter) et alors qui croire, in fine, parmi les narrateurs successifs, alors on finit sans finir, les bras ballants mais un peu en croix, comme un Robbe-Grillet de bazar. On m'avait vanté Le Glamour et l'Adjacent, j'au aussi relu le Prestige, là c'est bon, j'ai ma dose. Je vais attendre un peu pour l'Eté de l'infini, le recueil de nouvelles testamentaire.
J'ai rallumé la cheminée dans mon nouveau bureau tellement le moche mars et le joli mai ont permuté. Ce faisant, j'ai oublié le chat, à l'étage. Mais comme il passe son temps à se suicider du balcon, surtout quand je l’enferme sur la terrasse et que c’est la seule issue pour lui pour me rejoindre, je vois une masse blanche passer verticalement par la fenètre, je sais tout de suite ce que c'est. 


Il déteste la solitude. 
Y'a que deux mêtres vingt de chute pour retomber dans le massif de peyotl acheté à la Redoute.
Il a vite pris le coup. 
Ca picote un peu à l'atterrissage, mais après on comprend tout quand on relit Henri Michaux. Et Christopher Priest, qu'il faut de toute façon lire deux fois pour comprendre où on s'est fait rouler. Et Peter Watts. Qui est exigeant, mais dans un autre style. Il part du principe que votre culture scientifique est énorme, et acquise, et tout l'environnement technologique de ses romans et nouvelles est suggéré par allusions et acronymes, contraignant le lecteur à refocaliser en permanence sur le contenu.
Donc après quelques Priests, je me suis dit c'est bon je peux retenter Watts.
La couverture de Eriophora me faisait de l'oeil.

Le bleu qu'il y a derrière le "RA" de "ERIOPHORA".
Je peux pas être plus clair.

Surtout l'effet de lumière sur le bleu - entre cobalt et céruléen - sur ce qu'on suppose être la représentation d'un "Portail" (bien sûr construit à l’aide de machines de Von Neuman) utilisant des trous de vers pour permettre aux humains qui les trouveront un jour de voyager beaucoup plus rapidement. Dès que les extra-terrestres auront reçu leurs deux injections et pourront présenter un passeport vaccinal en rêgle.

Connaissez-vous vos bleus ?

Ils ont parfois d'autres noms. Comme dans les romans de Christopher Priest.

Le savais-tu ?
En fonction du domaine d’activité, le décor, les beaux-arts, la mode, la physique-chimie etc., les différentes nuances de bleus peuvent changer de nom. Le terme “bleu pétrole” est par exemple issu du monde de la mode. 
Pour une même couleur, il existe aussi plusieurs appellations, qui proviennent de plusieurs horizons : du matériau d’origine, de son histoire, du nom de l’inventeur, du fabricant de couleurs, de l’usage qu’on en fait etc.
Une même couleur peut comporter plusieurs nuances possédant chacune une appellation spécifique… Cette nuance peut être appelée par le nom de la teinte ou celui de la nuance. 


Ce Portail peint en bleu m'impressionne. 
Emotionnellement.
D'autant plus que j'ai complètement raté la peinture du mien, l'autre jour, en gris taupe. 
Les oiseaux du jardin en sont encore bien malades, bien que quelques-uns commencent à revenir, surtout pour vomir sur ma voiture, garée devant.
Ou la conchier, tapis dans les chênes qui la surplombent.
Au point que je néglige de m'informer sur l'image globale (je lis une édition électronique du livre avec juste le devant de la couverture scotché sur l'écran tactile). 
Je me renseigne.


Bon, c'est mieux. Ce n'est pas un accident de la circulation entre un météore et un vaisseau spatial, avec les spationautes en train d'appeler la MACIF pour faire le constat.
Mais si je cherche un peu plus loin, je trouve le tableau original de Manchu sur son blog.
Avec la mention Acrylic, 120x80 cm.
Ca doit avoir une certaine gueule, en taille réelle, dans le genre Chris Foss contemporain.


Avec les spationautes de la MACIF qui ont disparu de la couverture du livre ! Hahaa ! Encore un complot facile démasqué. Il est vrai qu'ils ne sont pas tellement dans le livre non plus, à la limite sur la surface externe du météore ça passait, mais sinon ils relèvent plus d'une vue d'artiste.


Mais au moins, la couverture est attractive, pour amener l'innocent amateur de space opera (souvent réactionnaire et amateur de vieux disques de Henri Salvador) vers la lecture de ce mindfuck de l'espace.
Manchu est un français qui rend bien service et fait pour tout dire honneur à un auteur canadien de foutaises galactiques échevelées.

C'était grave.
Ca le reste.
C'est pas comme quand on avait imprudemment prêté Métal Hurlant (le classieux magazine de BD de SF) aux Américains, et qu'ils nous avaient pondu Métal Hurlant, LE FILM : c'est comme si on leur avait proposé une recette de cuisine gastronomique, et qu'ils nous avaient renvoyé un hamburger à la merde. J'ai eu un peu la même impression en voyant la première saison de Love, Death & Robots, en 2019 : la "American touch" de Métal Hurlant, LE FILM, remise au dégoût du jour, malgré des traitements graphiques spectaculaires, mais aussi parfois très réussis. De la saison 2, je n'ai vu pour l'instant que le dernier et huitième segment, "le Géant Noyé", d'après... J.G. Ballard !!! Belle mise en images. Si ils vont chercher des vieilles histoires de SF, peut-être que tout n'est pas foutu, n'en déplaise aux déclinistes !
En attendant, j'ai pris l'intégrale des nouvelles de Ballard, ça manque à ma culture.






mercredi 19 mai 2021

Joost Swarte : Total Swarte (2012)

Le déconfinement ! Enfin ! Pour les vieux geeks, c'est la certitude de pouvoir pianoter sur un MacBookPro flambant neuf (acquis à vil prix avec les indemnités chômage intermittent du spectacle) des articles de blog inutilement bardés de références et surchargés de liens hypertexte jusqu'au bout de la nuit du couvre-feu, reculé ce soir-là vers 21 heures (heure tardive à laquelle je suis d'habitude en train d'appeler les gendarmes pour dénoncer les incivilités de mes voisins, juste avant d'aller dormir du sommeil du juste) attablé en terrasse d'un troquet après avoir soudoyé le loufiat, en fumant clope sur clope, aussi gai que tous les tondus de la Libération, c'est-à-dire sans saluer personne, ne participant à aucune tournée générale ni libation imbécile se réjouissant avec une amnésie miséricordieuse de retrouver une liberté bien éphémère, fragile et surtout dérisoire, n'oublions pas, c'est important la dérision même s'il ne faut pas en foutre partout (de toutes façons vous êtes comme moi : votre prison n'a qu'un barreau, et vous tournez autour). 

"Quand j'ai publié "Esclaves de la seringue !" avec Willem,
dans Charlie Mensuel, j'avais trouvé mon style définitif
entre l'underground américain de Robert Crumb,
Vaughn Bodé ou Gilbert Shelton et mes lectures de jeunesse
- Hergé ou Brunhoff (auteur de Babar)."

Concernant Joost Swarte, j'avais tout oublié, et je me contentais très bien jusqu'ici de posséder charnellement mon recueil d'histoires brindezingues "L'art moderne" paru jadis chez Futuropolis, dans la traduction pleine de tournures étranges de son compatriote Willem, à qui les histoires de gandins timorés de Swarte font souvent songer, et d'ailleurs Willem en signe une au scénario. Autant je vénère Willem comme illustrateur et dessinateur politique, autant je n'ai jamais compris grand chose à ses albums de bande dessinée, à part les babioles cruelles qu'il ciselait pour la première série du Petit Psikopat Illustré. "L'art moderne" , donc : dos toilé, payé soixante et onze nouveaux francs cinquante à la Fnac en 1989, d'après l'étiquette adhésive qui a fusionné avec sa proie, alors qu'aller à la Fnac n'était déjà plus un geste politique aussi fort que d'acheter Charlie Hebdo, qui de toute évidence a cessé de paraitre entre 1982 et 1992.
Et la Fnac s'en était aussi pris une grosse dans les miches lors de l'attentat de la rue de Rennes en 1986; et dans "Esclaves de la Seringue", Willem et Swarte avaient quand même mis en scène un sosie de Moshe Dayan, ce qui revenait un peu à chercher la merde avec le Mossad; heureusement, à l'époque Francis Lalanne n'était pas encore complotiste, et n'avait pas fait de chanson pour donner du liant genre béchamel à ces évènements tragiques. "L'art moderne"  re-donc, recueil malicieux et acidulé d'histoires branquignoles, pataphysiques et sanglantes, légèrement nihilistes, aussi, mais sans poids réel, pas un truc réaliste et lourdingue comme Michel Fourniret en BD, juste quelque chose pour s'amuser en inventant le "trash clean®au passage, comme un improbable remède à la mélancolie, trait ligne claire impeccable, pantalons frais repassés, seul Ted Benoit se hissa un peu plus tard à ce niveau d'hergéification picturale, avec des scénarios moins destroys et plus ambitieux. 

Dans Total Swarte, on trouve les exercices de style de Raymond Queneau en BD (2008) :
un pas de plus vers la ligne Clerc.

Mais hélas, j'entendis récemment parler sur un blog concurrent, animé par un autre magicien de la plume et du pinceau (comme si nous fussions acculés par une antique malédiction à un duel fratricide d'illusionnistes du XXIème siècle dans un remake reboot-iké du Prestige de Christopher Priest) par un type qui avait visiblement usurpé mon avatar identitaire, d'autres ouvrages de bande dessinée bien plus récents de 
Swarte, qui choisit de faire de sa technique autre chose que du sous-Tintin parodique ou du Blake et Mortimer de salaison industrielle et d'essence réactionnaire. Je me penchai alors sur l'itinéraire créatif de Swarte, que je trouvai remarquablement retracé ici :
C'est ainsi que j'appris ce que nul n'est censé ignorer : que Joost Swarte inventa l'expression "ligne claire" lui-même en personne. Il y a des gens, ça leur aurait suffi. Lui, on l'avait repéré jeune, dans Charlie Mensuel, passant aussi inaperçu que si Hergé avait dessiné Tintin bourré en train de gerber, comme le chantèrent plus tard les SatellitesUn trublion de la BD comme elle en produisait alors beaucoup, issu de l'underground hollandais et de la bande à Tante Leny, que je salue au passage, bonjour tata. 
Aucun dessin de Crumb 
n'a mieux vieilli que les autres.
Sauf peut-être son biopic sur
l'expérience religieuse de Dick.
45 ans plus tard, on pourrait se dire que les blagues de Willem et Swarte à base de trafiquants concons et cupides dans un univers tintinoïde étaient punk, outrées et sans avenir, mais on aurait tort : ils eurent bien des descendants, légitimes ou naturels, tout aussi décalés qu'eux, chez Ferraille Illustré ou Aaarg !
On peut aussi les penser terriblement datés, puisqu'issus du mouvement Provo, et que la provocation, d'où qu'elle émane, vieillit encore plus vite et souvent plus mal que l'objet de son ressentiment, mais on se rappelle alors que Zap Comix, la légende du comix underground américain des années 60 et 70 n'est paru en français que l'an dernier, dans une édition luxueuse, donc laide et dévoyée, et surtout 50 ans trop tard, mais ne boudons pas notre indifférence, car l'underground peut encore susciter des vocations, étant donné que quand on se révolte contre cette société de merde on a toujours 20 ans, que les grands penseurs et contre-penseurs de la société de consommation, les Barthes, Baudrillard et consorts situationnistes ont énoncé des évidences dans lesquelles nous sommes toujours englués depuis les années 60, et notre perception de l'underground hollandais que nous méconnaissions jusqu'à tout à l'heure brille soudain de mille feux, surtout que Swarte a quitté la BD à peine après y avoir connu son heure de gloire, comme s'il avait été déçu par le potentiel du médium, cf son manifeste "Misère de la bande dessinée" (1985)

l'oeil de Willem dans Libération
Et si on se dit que quand même, les dessins politiques de Willem parus dans Libération ces 30 dernières années vieilliront mieux avec leur méchanceté vitriolée que les petits mickeys rétros de Swarte, on découvre juste après un article du blog que Jean-Pierre Filiu anime sur le Proche Orient, dans lequel Hassan Dekko, un trafiquant syrien déjà arrêté après la découverte en Malaisie d’un chargement de 16 tonnes de captagon, une amphétamine particulièrement puissante, est soupçonné d'avoir truffé un chargement de fruits (des grenades, en plus) de comprimés de sa chnouffe, en provenance du Liban et à destination de l’Arabie saoudite. 
Les cigares du Pharaon de Tintin sont enfoncés, défoncés, et on se prend à rêver d'un retour aux affaires de Willem (qui a récemment pris sa retraite de dessinateur politique) et de Swarte, qui a quitté la BD depuis belle lurette, après lui avoir reproché de n'être pas à la hauteur de ce à quoi elle pouvait potentiellement prétendre. 
Et Total Swarte devient un témoignage de plus sur le quart d'heure de la BD underground hollandaise, ultime avatar en date de la peinture flamande du XVIIeme siècle.


On peut aussi méditer sur la mauvaise humeur d'un lecteur de Swarte, dont les arguments sont plus ou moins fondés, mais qui écrit mieux qu'il ne dessine :
Un compte-rendu lors de la sortie de l'album :
Une interview de Swarte, bien après que la poussière soit retombée sur le champ de bataille :
Un blog épatant sur la ligne claire et sur Swarte 


Résumé : Joost Swarte a inventé le terme "ligne claire" mais aussi sa version le "trash clean®. Il a expérimenté le medium bande dessinée, puis il est parti voir là-bas s'il y était. Et en vérité, il y était.

Et en plus, comme ils le disent bien 
chez planète bd et sur le site d'amazon, 
l'album est tout petit ! 
Quelle bande de gougnafiers, chez Denoël !!!


mardi 18 mai 2021

Le petit Steve Roach illustré : Une année 2010

Live At Grace Cathedral (2010)

La Grace Cathedral est une église épiscopalienne de San Francisco, qui accueille toute l'année les confessions et traditions musicales issues de la diversité du terreau fécond de la spiritualité locale, du moment qu'on n'égorge pas le bedeau backstage et qu’on n’exécute pas les spectateurs sur les prie-dieu des premiers rangs pendant le concert, parce qu’on n’est pas chez les Frenchies.
Sans doute inspiré par le lieu, Steve livre une performance quasi-stratosphérique, et se montre aérien sans affectation, ce qui peut se dire d'un pilote de ligne au chômage technique, ou comme ici d'une honnête performance de « musique planante », car il faut bien finir par appeler un chat un chat. Les nappes se succèdent et se fondent les unes dans les autres sans se chevaucher (on est dans une église, quand même) dans une ambiance apaisée où l'on tutoierait les anges si on les connaissait par leurs petits noms - rien d'anxiogène ici, et puis chez Roach les anges sont laïcs, et souvent asexués, ou appartiennent à une tradition innomée, comme on l’a souvent reproché à la musique new age, tout comme à l’autre bout du spectre audiophile, on peut grommeler que le doom metal ruisselle d’un peu trop de testosterone et accorde un crédit d’estime à Belzébuth sans savoir vraiment de quoi il est capable.
Et pendant le temps qu’on perd à rouméguer, des traits de lumière sonique semblent jaillir de la flèche de la cathédrale pour venir éventrer les nappes de brouillard qui se forment au dessus de la baie de San Francisco à la fin de l'été, quand les masses d'air chaud déboulant de la Californie en flammes viennent se mêler aux courants d'air froid générés par les flux glacés d’eau salée pacifique remontant par la faille de San Andreas. Steve bâtit ici une cathédrale de grâce qui fera fuir les scotophobes (= ceux qui craignent la lumière)qui préfèrent se planquer dans les coins sombres et écouter Vidna Obmana casser la Barrack.
Idéal pour rater votre session quotidienne de méditation vipassana en projetant dessus des contenus émotionnels non-pertinents. La première pièce de 43 minutes est magnifique. La seconde un peu moins intense, mais plus longue, car il faut savoir durer. Il a dû s’en passer des choses, dans les chakras des spectateurs présent au concert.
« plus ça va plus j'aime le Grace Cathedral. ça a dû être assez génial là-bas dedans. » (une usagère réjouie)

(4/5)
https://steveroach.bandcamp.com/album/live-at-grace-cathedral



Truth & Beauty (2010)


rediffusion de (Cosmos) 1999
voir avec mon collègue :





Dream tracker (2010)
avec Byron Metcalf et Dashmesh Khalsa

Encore un beau rôti de veau sonique pour les gogos du C.A.O. (Chamanisme Assisté par Ordinateur) : le fidèle second couteau Byron Metcalf aux percus, et Dashmesh Khalsa au didgeridoo déguisé en trou d’évier cosmique.
Byron Metcalf, dont le patronyme apparait tout d’abord comme celui de l’avocat d’Hannibal Lecter dans les romans de Thomas Harris, sans que son avatar dans la Réalité Réelle ait pu justifier pourquoi son homonyme hante ces fictions outrancièrement dark ambientes.
Il se la joue un peu tambours marocains, tout au long d’une trance un peu platounette. Le minimum syndical. 
Décevant comme Deauville sans Trintignant; sans relief et sans vie. Peu d’idées, et beaucoup de remplissage. Où sont passés les gars qui nous ont jadis transportés sur The Serpent’s lair ? Les voici désormais en pilote automatique, avec de la moumoute synthétique sur le volant. Le new age tel qu’on aime le mépriser, quand on entend ses flonflons aseptisés dans les rayons de la supérette bio. C’est même un peu pompier et grand-guignol sur « Thunder Walk ».

(1/5)

https://steveroach.bandcamp.com/album/dream-tracker




Sigh of Ages (2010)


Sérénité. Gravité. Majesté. Mélancolie. Le retour des notes, et bientôt des mélodies; enfin ! Puis un peu de séquenceur schultzien, sans surcharge. Une Immobilité dynamique® qui n’est pas ici usurpée, dans, le doux ronron des synthétiseurs analogiques, distillant des arpèges dans des tonalités chaudes et apaisantes.
Et « Return of the Majestic » est effectivement… majestueux, et très réussi.


(4/5)

https://steveroach.bandcamp.com/album/sigh-of-ages


Nightbloom (2010)
avec Mark Seelig

Steve étend des nappes imitant un bourdon oriental (le bourdon ne désigne pas ici un insecte aux yeux bridés mais une cloche ou jeu d’orgue au son particulièrement grave, dont on dit fort à propos qu’elle peut coller le bourdon). 
On pourrait aussi parler de drone harmonique continu, une astuce répandue chez Stevie quand il manque de wonder, qui lui permet de mimer sa présence au clavier même quand il dort debout devant, voire allongé dedans. Mark Seelig émet un chant diphonique (technique vocale permettant à une personne de produire simultanément deux notes de fréquences différentes) de style mongol.
Ca ne m’évoque que de très loin le bouleversant Hearing Solar Winds de David Hykes (pas le reptilien illuminati, l’autre). 
Mais qu’il y parvienne avec sa bouche, ou à l’aide d’une astuce technologique n’y change rien : ces longues plages harmoniques ponctuées de quelques tambours lointains conspirent pour me plonger dans un état de bienveillance par rapport à nos deux larrons; ce n’est pas la première fois que le travail de Mark Seelig retient mon attention; avant d’être musicien, il fut psychothérapeute. Je devrais peut-être consulter. Si vous aussi il ne vous laisse pas insensible, vous pouvez le joindre ici :
Je vous déconseille quand même de prétendre que vous venez de ma part.
(4/5)

dimanche 16 mai 2021

Jak Belghit - Le rêve d'un caillou (2020)

Manufrance, c'est vraiment la French Touch
de la bonne dérouillée que les Boches n'auront pas. 
Au lieu de faire chauffer ma machine à auto-flagellation que j'ai commandée à Manufrance pour Noël afin de me punir d'avoir uppé ici des disques qu'on ne trouvait plus dans le commerce mais des fois quand même, si, je me suis mis à en acheter sur Bandcamp. 
Des disques. Bien sûr, si on doit $100 000 à la Mafia, on ne s'acquitte pas de sa dette en achetant une pizza à la pizzeria Cosa Nostra du coin ! Mais il faut bien commencer quelque part.
Bandcamp rémunère les auteurs de façon plus satisfaisante que bien des sites de streaming. En tout cas c'est ce que j'en pensais avant d'oser poser la question à Jak : 
" Si j’achète ton disque virtuel sur bandcamp pour 10 €, le minimum syndical suggéré, combien tu touches ?
- Ils m'en prennent un peu mais je garde 82%, et pour aider durant la pandémie ils ne prennent pas de charge le premier vendredi de chaque mois..."
Alors maintenant, chaque premier vendredi de chaque mois, je parcours les immenses rayonnages de cette audiothèque virtuelle qu'est Bandcamp, et j'achète des disques. 
Je redécouvre le bon usage d'internet, loin de DarkSide et des ransomwares ukrainiens. Bien sûr, c'est fragile, surtout quand je retombe sur des blogs, des forums ou des trackers bittorrent en open bar, avec des sous-catégories plus affriolantes les unes que les autres, comme du porno lituanien LGBTQAI+ avec des oursons nains. 

Li-An est un génie.
Ou carrément ce site, véritable machine à tuer les libraires, sur lequel je déniche même des vieux bouquins de psycho comme l'Oeuvre complète Psychanalyse IV by Sandor Ferenczy pour aider ma femme à finir son mémoire sur l'inceste dans les temps, avec tout le linge qu'il lui reste à repasser, la pauvre.
Mais le disque de Jak Belghit, je l'ai acheté. Autant Ferenczy n'a pas besoin de moi pour vivre puisqu'il est mort, autant Jak Belghit, dont le génie est aussi peu reconnu que celui de Li-An ou de Francis Masse, je sais que pour lui, chaque euro compte.
Et je sais que c'est un artiste total : quand il vient manger à la maison et que pour faciliter sa digestion je lui propose de m'aider à scarifier la pelouse, quitte à lui faire l'honneur de lui prêter mon râteau Wolf Multi Star - UGM30, il est capable de passer 4 heures à jouer tout Gershwin sur les verres à moutarde en faisant semblant de ne pas m'avoir entendu.
Par rapport à l'album précédent de Jak, celui-ci est tout grésillant d'électricité, presque autant que quand Jeff Beck s'entoure d'un aéropage de jeunes femmes punkoïdes. 
D'ailleurs les deux disques commencent pareil, par des crépitements de cordes frottées pour faire se lever les orages désirés.
Le rêve d'un caillou, d'abord j'ai cru que c'était un hommage à Steve Roach, la personnalité de l'année selon certains influenceurs dont surtout moi, parce qu'il y a du didgeridoo dedans, mais après je me suis dit , ce disque, est-ce que c'est jak qui rêve d'un caillou ou le caillou qui rêve de musique, ou même de jak ? ce qui expliquerait sa résistance quasi minérale face à certains phénomènes apparus dans sa vie devant lesquels il ne rompt ni ne plie, et le disque est surtout plein d'expérimentations électro-acoustiques à base de samples, de percussions trafiquées, de couinements samplés et distordus mais faut pas le dire passque sinon ça fait trop peur et après on peut plus s'empêcher de penser à la séquence de la douche dans scarface avec la tronçonneuse, mais enfin tout un bestiaire  s'exalte ici, qui évoque les psychédélices à la fraise, les dragées au poivre, les acides à l'huile motul, et puis on ne sait jamais si c'est Jak qui rêve d'un caillou qui jouerait de la guitare ou l'inverse, mais je crois avoir déjà évoqué ce problème, et nos ingénieurs doivent déjà être sur le coup pour rectifier ça au prochain tir. Aucun titre ne nous guide vraiment vers la solution, ni "chronofer", onirico-concassant, ni "sirènes et cyclopes" , ni les autres.

Elle, si elle faisait des disques sur Bandcamp, 
je les achèterais pas.
J'irais plutôt la voir en concert. 
Ils sont bien, globalement, ces morceaux de rêves de cailloux, mais faut reconnaitre que dans cette vaste carrière de pierre à ciel ouvert y'a pas beaucoup de silences entre les sons, alors que chez Steve Roach, par exemple, on a le temps d'aller au frigo recharger en boisson aromatisée à l'ayahuesca entre deux déchaînements d'orgone ferrugineuse.
Force est toutefois de constater que même confiné aux heures sombres dans sa tour d'ivoire de Babybel, uniquement entouré de ses outils informatiques et ses guitares pendant que la femme qui l'aime lui fait à bouffer, l'homme de talent peut accomplir de fantastiques voyages d'Electro Rock Instrumental assis immobile dans son studio sans ressentir à tout bout de champ le besoin compulsif et stérile d'aller consulter sa messagerie gmail. En tout cas c'est vrai que j'étais là tout à l'heure à m'extasier mollement comme une quiche au jambon pas très cuite devant la carrière solo de Robert Plant, qui n'est pas resté les deux pieds dans le même plat de nouilles depuis la fin de Led Zeppelin, alors que Jak Belghit joue quand même beaucoup mieux de la guitare sèche, à condition de se produire sous une bâche pendant les giboulées saisonnières dans cette région quand même humide pour laquelle il a quitté la lésion parigienne depuis un an déjà.

samedi 15 mai 2021

Le petit Steve Roach illustré : Une année 2009

Spirit Dome - Live Archive (2009)


Rediffusion de l'album de 2004, de sinistre mémoire, jumelé avec son dark companion de 2000. 
Ils ont fait beaucoup de mal, mais qui serions-nous pour leur refuser le pardon ?
Qu’ils reposent en paix.
Sans être écoutés.




Dynamic Stillness (2009)

Le double album le plus intéressant, ou le moins décevant dans la veine spatiale et atmosphérique de ces années-là. Des nappes, certes, glissent les unes sur les autres, on a déjà entendu ça, mais dès l’ouverture de Birth Of Still Places, elles sont texturées, finement nervurées, leurs longueurs d’ondes sont comme des vagues qui avanceraient loin sur le rivage de la perception, et elles ne se retirent pas, d’autres viennent les recouvrir, les plaques tectoniques glissent harmonieusement sans faire de grands bruits qui font peur, et la magie opère enfin. Un certain nombre de concepts sonores ébauchés dans de précédents disques trouvent ici un épanouissement à leur mesure.
L’idée d’Immobilité dynamique®, qui fait ricaner le roachien sur tant de galettes frelatées, est révélée dans son immanente plénitude auto-satisfaisante pendant les 40 minutes du premier morceau. L’acédie, cette affection spirituelle qui se manifeste par l'ennui, le dégoût de la prière et le découragement, et qui atteint principalement les moines et les fans transis de Steve Roach, disparait soudain. Pas de traitre et angoissant vortex (tourbillon creux créé par un écoulement de fluide) nécessitant de se crisper sur les accoudoirs du fauteuil de peur de basculer dans la crevasse soudain apparue dans le plancher du salon. Tout n'est que calme et volupté.
Le reste du double CD est vaste et ample, quoi que moins chaleureusement habité. Eclats de soleil reflétés sur un lac d’altitude, caressé par la brise. Ondes gravitationnelles ascendantes. Sérénité scintillante du plateau roacheux peu inquiété par l’érosion tant qu’il fait sec et que le vent ne se lève pas.


(4/5)

https://projektrecords.bandcamp.com/album/dynamic-stillness

Immersion IV (2009)

Je flotte. Certes. Mais le minimalisme des moyens mis en oeuvre m’évoque plus la blancheur clinique et chlorée d’une piscine de laboratoire plutôt que l’abyssal océan. Plus neuroleptique qu’hypnagogique, destiné à ceux qui croivent que les disques de Roach peuvent leur « faire » quelque chose d’agréable à l’insu de leur plein gré s’ils les passent en boucle et à bas volume toute la sainte journée, illusion engendrée par les gars du marketing, puis auto-entretenue par les auditeurs, grâce à l’abondante documentation qui encadre les sorties.
Je ne vais pas ricaner, j’ai fait partie du coeur de cible. Si ce disque me « fait » quelque chose ? oui, il est tellement ouaté et cellulosique qu’il me « fait » penser à racheter du papier toilette. 
Que voulez-vous, dans hypnagogue, y’a gogue.

(1/5)


Afterlight (2009)

Joute d’harmoniums désaccordés dans la cathédrale désertée (et pour cause). Derrière les vitraux, on devine de gros nuages qui zèbrent l’azur et assombrissent la nef et les visages émaciés des derniers fidèles qui s’y sont réfugiés, et qui rêvent encore de retrouver « leur » Steve, qui semble ici perdu pour toujours dans ses rêveries atmosphériques, même si ça ne dure que 74 minutes et que personne ne m’a obligé à l’acheter, moi qui rêve de voir le bedeau jaillir de derrière la sacristie avec son air de ne pas y toucher, et de m’asséner sa désopilante devinette sans doute empruntée au prêtre dans la saison 2 de Fleabag « qu’est-ce qu’un trou ? » avant de me murmurer d’un air égrillard, et sans attendre ma réponse « Un trou, c’est une absence, entouré de présence ». Puis il s’enfuirait en ricanant de sa trouvaille, sans savoir qu’il a ainsi évoqué un certain nombre d’oeuvres de Steve, sans parler du Magnificent Void. Mais ça n’arrivera pas : il s’est pendu en écoutant Afterlight dans l’espoir qu’il s’y passe « quelque chose » alors que la proposition sonore de l’album consiste à nous inciter à rentrer dans le temps géologique, et d’abandonner sur le bord du chemin, comme une guenille, cette obsession de passer sa vie à essayer de se trouver présent (et présent à quoi?) à chaque instant. 
En définitive, c'est peut-être le bruit de fond du temps qui passe, qu'on entend. Bien joué : je suis perdu du début à la fin de ce voyage immobile, et sans doute intemporel. 


(2/5)

Destination Beyond  (2009)

Essayez donc de passer plus d’une heure sur le même accord de Cm7sus4 en contenant les hordes de séquenceurs chevelus et de yakuzas acouphéniques au-delà de l’horizon des collines, tel qu’il apparait délimité par la ligne bleue des Vosges de l’Arizona prises en photo sur la pochette. Vous verrez si c’est si facile que ça de pondre de la musique new age au kilomètre. Même en injectant d’infinies variations tapissières aux motifs du carrelage mural, vous aurez du mal à ne pas vous lasser, au bout d’un moment. Steve, lui, il peut. No souçaille. C’est un mauvais procès que de lui reprocher sa mono-tonie, qu’on ne fait pas aux ragas de l’Inde du Sud. Ca frise donc la discrimination. J’ai cru tout du long qu’on allait arriver quelque part, qu’un basculement allait survenir, qu’une destination allait surgir, même lentement. Mais non, le paysage est intégralement embrassé dès le début, et jusqu’à la fin, le départ et l’arrivée se confondent, l’alpha et le mégalo, comme dans le court métrage L'Appel de la nature réalisé par Piotr Tenmin qui non seulement commence au milieu et finit au milieu mais aussi qui reste au milieu pendant tout le long du film. La critique a accusé le film d'être "une simple photo", mais cela n'enlève rien au génie de ce réalisateur.
Pour revenir à Destination Beyond, caricature de musique planante à la ramasse ou incroyable voyage qui ne peut prendre fin du fait de n’avoir pas commencé, la rédaction de Télérama est partagée mais tranche dans le vif, parce que ça va bien, maintenant. 

(1/5)