Un hôtel de luxe à Hawaï, parfait condensé des hypocrisies sociales et des injustices qui régissent le monde (...) en six épisodes inconfortables et hilarants, une impitoyable critique d’une certaine Amérique, de ses privilèges et de la façon dont elle écrase les minorités qui l’entourent. Un jeu de massacre pourtant étrangement attachant, porté par une distribution impeccable, dont Connie Britton, parfaite en femme d’affaires workaholic.
Au bout de cinq épisodes (il en reste deux à découvrir), chaque personnage s’est enfoncé un peu plus avant dans son enfer personnel. Tout le plaisir, un peu pervers, que procure The White Lotus tient à la précision de l’écriture de Mike White. Chaque personnage est à la fois une création tragi-comique minutieusement détaillée et un rouage dans le mécanisme du récit. Pour ne prendre qu’un exemple, Bert Di Grasso, le patriarche lubrique que joue F. Murray Abraham, tient, comme tous ses congénères, la ligne de crête entre ridicule et pathétique. Incarnation d’une forme de patriarcat en apparence obsolète, il est aussi le révélateur de la permanence d’un système qui se transmet et se modifie de génération en génération, comme le démontrent le divorce de son fils Dominic (Michael Imperioli) et la fragilité de l’idéalisme de son petit-fils Albie (Adam DiMarco).Symétriquement, la liberté affichée des jeunes Siciliennes qui hantent, moyennant finances, les nuits des hôtes mâles du White Lotus ne résiste pas longtemps à l’inégalité du rapport de force économique.
À vrai dire, c’est surtout une raison extérieure à la série de Mike White qui nous fait l’aimer inconditionnellement : la confrontation avec un film qui dans son principe à tout à voir avec The White Lotus, mais en est in fine l’absolu opposé, Sans filtre de Ruben Östlund. On retrouve dans la Palme d’or 2022 beaucoup des composantes de la série : l’isolement de personnages fortunés et puissants dans une situation de villégiature, la description satirique de leur égocentrisme autoritaire comme de leur culpabilité hypocrite, la violence de classe tapie sous la servilité marchande, toutes les lignes de force qui traversent le champ contemporain (problématiques de genre, discriminations sexistes, racisées…) condensées dans un creuset en ébullition…Mais avec une visée similaire, les deux œuvres optent pour des moyens contraires. La série de Mike White sait être fine plutôt que caricaturale, corrosive plutôt que nihiliste, élégante plutôt que grossière. Et surtout n’envisage pas le terrain de jeu de la fiction comme une partie de bowling où il s’agit de dégommer un par un des personnages considérés comme de simples quilles. Sous sa surface plaisamment sarcastique, The White Lotus est une série profondément humaniste. Elle est l’idéal remède à la misanthropie dérégulée et inflammatoire de Sans filtre. Car contrairement au film de Ruben Östlund, elle comporte un filtre. Et c’est un filtre d’amour.