Comment échapper au chant d'amour du Chicken of Depression quand il est en rut ? |
Encore s'adressent-elles au même Dieu, celui des Orthodoxes. Mais comment le Dieu des Orthodoxes pourrait-il sanctifier cette boucherie - charcuterie ?
hein ?
A moins qu'il y en ait deux.
Un par belligérant.
Mais alors, comment ces Dieux peuvent-ils cohabiter dans le Cosmos, pas si infini que ça d'après le Grand Schtroumpf ? Et pourquoi le Dieu de l'Eglise de Kiev serait-il moins balèze au combat que celui de Moscou ? Ultimement, Lequel des Deux a la Plus Grosse Bistouquette Antichar ? Vastes questions, qui hantent les soldats des deux armées, et qui ont suscité une réponse originale chez David Sylvian, dans ce Uncommon Deities.
Car cela fait déjà trois décennies que, tel un déserteur de l'armée russe s'enfonçant dans les sous-bois en vouant Poutine aux gémonies après avoir dissimulé son char sous les branchages (comptez deux tonnes de fougères pour un char de taille adulte), David Sylvian progresse dans son intention de disparaitre complètement de nos radars, ne ménageant pas ses efforts pour sortir des albums de plus en plus confidentiels, n'hésitant pas à se confiner dans un silence explosif pendant des décennies entières passées dans les arbres, sans même que la caméra de Marguerite Duras puisse le surprendre à travers les feuillages, plutôt touffus en cette saison, qui est aussi la période optimale pour la nidification des déserteurs de l'armée russe. Ça en fait, du monde dans les arbres. Comme pour l'ouverture du Salon de l'Autosatisfaction, il y a foule.
Pour Uncommon Deities, David Sylvian a sans doute longuement médité le sketch des Monty Python "How not to be seen" dans sa cellule monastique. Parce que franchement, "plus arty que ce projet, tu meurs sur ma tombe, si tu te retrouves pas crucifié pour hérésie sur une porte de grange dans le bas-Berry". Mais même s'il s'est retiré du monde, qui a entendu une fois dans sa vie la voix profondément magnétique de David s'en rappelle à jamais et le cite de mémoire dès qu'elle s'échappe des frondaisons, même à la limite de l'audible et noyée dans des gazouillis électro-acoustiques.
Son timbre est inimitable, et pour tout dire beaucoup moins oubliable que celui de Zemmour, par exemple, et c'est le Pen perdue (qui sera pourtant au second tour, même si je louche sur les nichons à Mélenchon) pour s'effacer à tout jamais de nos mémoires, car je me souviens encore très bien par exemple de son album studio avec Robert Fripp (The First Day, très chouette) et du live mémorable qui s'ensuivit (Damage, très chouette aussi, dont les deux compères sortirent chacun leur propre version du mixage, tellement ils n'étaient pas fâchés).
l'affiche de l'expo : David Sylvian mimant le chapeau de David Bowie, un must-have ! |
A moins que je me contente de prier, avec David Sylvian, quelques-unes de ces divinités infimes, peu connues et pas banales, comme Le Dieu de l'abdication progressive, Le Dieu des organismes monocellulaires, celui des Trous Noirs, celui du Silence (et dans Quel Oubli Tragique Il Croupit ! )
Sur un fin glacis musical de ses collègues expérimentateurs, David Sylvian interprète des poésies de Paal-Helge Haugen ayant pour objet des divinités subalternes et improbables, mais à la réflexion pas plus cons que les dieux mainstream (Jehovah, Mahomet, Russell Banks, Xi Jinping). Et tout cela a vraiment eu lieu, pas dans le Métavers, dans lequel on ne trouve déjà plus de terrain constructible, mais au sein d'une installation audiovisuelle conçue par David (dont on trouve encore des traces dans des lieux peu connus et mal éclairés d'internet), au cours du Punkt festival organisé chaque année à Kristiansand, en Norvège depuis 2005.
Un instantané du vernissage de l'expo. Ça fait pas rêver, mais on était quand même mieux là qu'à Kiev. |
Alors, réflexion post-moderne sur la perte de sens de nos sociétés trop libérales, ou énième tentative de Divid pour perdre son égo et décevoir son dernier fan, ce qui serait le signe d'un orgueil vraiment démesuré chez l'artiste déjà suspect d'une quête spirituelle qui a déjà bien plombé sa carrière depuis qu'il n'est plus un chanteur pop énorme au Japon ? Tenus par notre devoir de réserve, nous nous garderons bien d'épiloguer. C'est déjà pas mal que j'aie pu trouver les fichiers d'une oeuvre si confidentielle, alors que la moitié des serveurs russes sont en torche derrière le rideau de fer. Voici ce qu'en pensait un blog de micro-spécialistes, comme ça vous ne pourrez pas dire que vous n'étiez pas prévenus :
Ultra-rare : l'édition limitée et imprimée à la main du guide des champignons toxiques et des poèmes de Uncommon Deities passés par la bouche de David Sylvian |
A cheval entre l'oeuvre radiophonique, la musique classique contemporaine et la musique improvisée, Uncommon Deities est une séduisante épopée moderne et envoûtante qui tente de tracer un arc entre les expériences collectives du controversé Manafon et les fulgurances expérimentales du chef d'oeuvre de David Sylvian, Blemish. Il résulte une œuvre blanche, un mariage délicieux avec le silence qui continue de tracer les contours d'une pop audacieuse et iconoclaste dont le label Samadhisound demeure la tête de pont.
Pour écouter le disque :
Pour aller plus loin et tout savoir sur les dieux pas connus :
- Les textes des poèmes sont cachés dans une base de données Soundcloud gérée par David depuis le Métavers, mais en général il suffit d'entrer le titre du texte dans un bon vieux moteur de recherche, comme j'ai fait ici avec le dieu des organismes monocellulaires :
ou celui des plus petits dieux
Le message est lumineux : si vous ne trouvez pas votre pointure, libre à vous de décrire puis de vénérer le dieu de la Facture Impayée, celui des Enculés Alcooliques, des Enfants Morts sous les Gravats ou du Déserteur caché dans les Branches.
Pour aller moins loin :
N'oubliez pas de visiter la chapelle du Dieu des enfants qui se laissent toucher (vu dans une petite église de Mayenne)
Pour aller nulle part :
Continuez de respirer et de boire frais. Ça va passer. Tout est impermanent.