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samedi 25 janvier 2020

Lovecraft Facts (7) : Toshio Saeki

Pendant les journées de plomb qui m'ont vu rédiger laborieusement  mon pensum en forme de testament spirituel sur The Lighthouse, l'illustrateur japonais Toshio Saeki se mourait. Il aurait pu dessiner haut la main le storyboard des scènes oniriques du film avec la sirène, n'eut été le tabou nippon frappant les organes génitaux d'interdiction de représentation.
En fait, Toshio Saeki nous quitta le 21 novembre 2019 à l'âge de 74 ans, mais l'annonce de son décès par sa famille n'eut lieu que le 14 janvier 2020. Une preuve supplémentaire, s'il en était encore besoin, de la fourberie asiatique.
Donc techniquement il était déjà entré puis ressorti des bardös, dont la visite ne dure que 49 jours maximum, mais ses proches avaient dissimulé son trépas, pour des raisons sans doute patrimoniales, car il doit être compliqué de revendiquer son héritage. Qui pourrait reprendre pour le faire fructifier son petit bazar de l'épouvante Ero-Guro (terme japonais contractant les mots érotisme et grotesque), un genre artistique qui semble avoir été inventé pour lui tout seul et qui voit surgir des scolopendres en plein coït, des décapitations pendant les préliminaires sexuels, des asticots dans les sushis et tout un bestiaire du malaise vagal venir s'épanouir avec la suffocante familiarité des rêves qui tournent mal ?

Attention, n'essaye pas de refaire ça chez toi !
On ne peut pas du tout le rattacher à la tradition Wasp de l'épouvante à la Lovecraft, car celui-ci faisait ceinture l'impasse sur la sexualité, mais dès qu'il était question de mêler macabre, grotesque, sexe et violence, le tout avec une ligne claire digne des plus grands de la franco-belgitude, Saeki envoyait du pâté.
Qui mieux que lui pouvait faire enfourcher le vélo sans selle de Thanatos à la gracile Eros ?
Je vous aurais bien proposé une visite du monastère, mais il y eut en l'an de grâce 2018 une Grande Purge du contenu adulte sur Tumblr, visant à débarrasser la plateforme communautaire de micro-blogging de la racaille pédopornographique et nationaliste, purge sans doute légitime dans ses aspirations bien que fomentée par des rejetons puritains et bâtards de Lovecraft auprès de laquelle celles de Staline ne furent qu'aimables séjours de cure thermale à Lamalou-les-Bains. Les  algorithmes des logiciels de reconnaissance fessiale mis à contribution pour trier le bon grain de ce qui était innommable, indicible et inmontrable chauffèrent un peu devant les images ambigües de Saeki, mais dans le doute ne s'abstinrent pas d'effacer tous les contenus suspects. 
A la suite de quoi il devint malaisé de trouver des dessins d'Ero-Guro sur Tumblr. Ou même quelque esquisse de téton ou brouillon d'appendice caudal que ce soit. C'est le problème avec l'intelligence artificielle, elle ne fait pas dans la dentelle.
J'ai déterré un certain nombre d'articles en lien avec l'étonnant disparu, et j'ai appris tout ce qu'il y avait à en savoir dans le petit portrait vidéo concocté par Tracks.
Prudence avec ces images, elles sont neurotoxiques, et tout ce que nous regardons nous envahit.

Ca non plus !
(extrait de l'émission Tracks sur Arte)


Petite nécrologie de Libération


Quelques dessins anciens


Somptueuse Interview avec poison (supplément + 3€)


Encore une biographie, assez détaillée, images inédites


Quelques images ayant survécu à la Purge


Une gallerie assez riche de 2011


Que peut-on dire de gentilde propre et de sain sur Toshio Saeki sans déshonorer sa mémoire ni sa famille ? Que quand il était petit, il a peut-être vécu dans la baie de Minamata, ce qui expliquerait bien des choses.
Et que Cornélius a édité deux de ses livres en France.
Allez en paix.


mardi 21 janvier 2020

Lovecraft Facts (6) : The Lighthouse

J'en avais un peu marre de me lover grave dans le crade autour de Lovecraft, alors je me suis dit "tiens et si j'allais au cinéma pour me changer les idées", mais comme je passe le plus clair de mon temps à me pâmer devant l’abîme du Temps généré par mon miroir, mon beau miroir 27 pouces à vortex (vortex \vɔʁ.tɛks\ masculin invariable. Tourbillon creux créé par un écoulement de fluide), finalement le cinéma a trouvé moyen de s'infiltrer chez moi comme un volute d'incendie austral passant sous la porte de mon bureau (que je cherchais vainement et à tâtons pour tenter une fois de plus d'en sortir) pendant que la maison brûle et que la veuve Chirac regarde ailleurs.

C'est un peu facile, de tout mettre
sur le dos des boucs émissaires 
J'attendais impatiemment la sortie illégale sous le manteau (dont Jésus Saint Paul Saint Martin donna jadis la moitié à un pauvre) du second film de Robert Eggers, ayant apprécié le climat franchement anxiogène et subtilement paranoïaque quoiqu'un peu malsain de son premier film "The Witch", très remarqué à l'époque par l'Amicale des Pétochards de Fauteuils, avec le soutien implicite de la Communauté du 1080p Tombé du Camion Juste Avant la Sortie en Salle, même si la résolution de l'intrigue du film m'avait paru décevante et en contradiction avec l'argument soutenu pendant tout le métrage qu'il était pas si long que mon article.
Un critique semi-professionnel s'en était ému, me privant du bon pain de mettre ses mots dans ma bouche puisqu'il les avait mis dans mes yeux :
Avouez que c'est quand même bien pratique de trouver grâce à internet des gens qui se creusent le ciboulot pour fournir des explications univoques à des films qui se complaisent dans l'équivoque et l'espièglerie de l'ambiguïté à choix multiple, pour peu que vous soyez hermétiques à l'implicite vous repartez les bras ballants et le bec dans l'eau.
L'important c'est de pouvoir réitérer ma protestation veloutée sur cette plate-forme à moi que j'ai, quitte à exiger des pouvoirs publics le tournage d'une fin alternative plus satisfaisante pour l'esprit humain et les lois de la sorcellerie en vigueur au XVIIeme siècle, et financée par le biais d'une campagne de crowfunding; protestation veloutée comme un yaourt aux fruits, brassée à ma mesure en jouissant comme un florent pagny âne florent pagny de ma liberté de penser et de me le dire, et de me le faire savoir à grands coups de millions de dollars claqués en bannières gif animées sur blogspot, et de la fredonner dans les commentaires des quelques milliers de blogueurs qui comme moi ont succombé à l'illusion égotiste de toute-puissance de décrire leurs impressions paradoxales du film, dans le fol espoir de devenir des influenceurs aussi constellés d'étoiles que des généraux sur Allociné, ou des leaders d'opinion aux centaines de suiveurs décérébrés sur Sens Critique, pour traumatique qu'ait été l'expérience du visionnage de The Witch, pas aussi éprouvante que le Possession de Zulawski, mais quand même, Eggers dès son premier film s’affirmait comme une valeur sûre du malaise cinématique, et c'est pas donné à tout le monde.
"Rejetée de leur communauté religieuse par un tribunal à cause de l'orgueil et l'intransigeance du père, une famille très pieuse et tourmentée par la vie coloniale sur une terre étrangère et hostile s'installe loin du village fortifié à la lisière de la forêt devant laquelle curieusement elle s'incline, avec interdiction aux enfants de s'éloigner. Les conditions de vie sont très rudimentaires, l'élevage et l'agriculture préférés à la chasse qui devient néanmoins une nécessité."
"Ma sorcière bien-aimée" versus "La petite prison dans la mairie", et bien plus que ça.

Tout concourait à faire de cette tragédie familiale un chaleureux calvaire, mais aussi un plaidoyer anti-obscurantiste, dans la mesure oùssqueu le Mal invoqué comme cause extérieure ne semblait exister que dans l'esprit de ces chrétiens fondamentalistes enfiévrés par le malheur qui s'abattait à coups redoublés sur leur humble chaumine (rudesse du climat, frugalité des récoltes, duplicité des animaux de basse-cour, puberté de la petite mettant son frère dans l'embarras scopique)
"Presque jusqu'à la fin, et c'est toute l'habilité du scénario, le spectateur est amené à penser que ce sont les personnages eux-mêmes, leur mode d'existence, leur isolement contraint, pour ne pas dire leurs dispositions mentales et les circonstances, qui les conduisent à ces extrémités."
C'est ce que je viens de dire, merci.
Sauf qu’à un moment donné, de manière inexplicable, l'intrigue se retourne, le film se parjure, les sorcières dansent, leurs ballets brossent, nos poils se hérissent, et Scorcese se met à tourner pour Netflix.  
Dommage. 
Mais ça avait un petit goût de revenez-y. 
C'était prétentieux, tordu, mais stylé.
D'où mon attente, sans doute disproportionnée, parce que je ne suis l'évolution du marché des films de chtrouille que de loin, qu'il est réputé chiche en Auteurs, et que Eggers avait l'air d'en être un, né d'une éclosion spontanée simultanée à celle d'un autre Fils à Pénible : Ari Aster (Hérédité, Midsommar).
Après avoir suscité de grandes espérances par leurs frayeurs digestes, tous deux sont parvenus à produire, réaliser et sortir un second film en 2019, faisant frissonner d’aise les bourrelets de graisse bio surbronzée des nombreux bobos friqués et autres branleurs californiens privilégiés qui se pressent chaque année à la grand-messe du film indépendant de Sundance dans l’espoir d’y trouver un remède à leur mélancolie de gosses de riches. 
Mystérieusement, ou alors c'est une Fatalité de niveau n+1 et c’est quand même pas de bol, The Lighthouse tombe dans le domaine public l'escarcelle des voleurs de coulures simultanément à sa sortie en salle, tout comme sa grande soeur possédée The Witch s'était retrouvée offerte et pantelante sur les plateformes où le Yog Sothoth du bittorent en freeleech rêgne en Maitre en 2015.

Prochainement en vente dans cette salle ?
Par égard pour ceux qui ne l'ont pas vu et désirent persister dans l'intention de ne pas en entendre parler, je ne voudrais pas déflorer le film, ni même débiter un boniment semblable à celui que mes estimés confrères, professionnels de l'invective cinéma ou proféreurs semi-pro d'anathèmes on-line, n'ont pas manqué d'asséner sur leurs organes de presse, tous ces blogs de cinéphagie si affriolants avec leurs dessous parfumés et leurs bonnes intentions d’apporter la lumière sur tel ou tel chef d’oeuvre méconnu du 7eme art, qu'on en parcourt une bonne dizaine pour se faire une idée cohérente de l'éventail du choix des possibles, et puis on finit par retourner au lit bouquiner du Lovecraft, parce qu'on s'est saoulé grave en laissant tourner l'heure de la dernière séance. Et puis la dernière fois que je me suis risqué à la critique cinéma, j'ai trouvé que c'était un genre littéraire difficile et exigeant. Qu'il valait mieux louvoyer pour contourner l'obstacle du divulgâchage, quitte à bifurquer vers l'expérimental, pour ne pas lasser le cyber-promeneur qui, dès qu'il tombe sur des expressions comme "chaque cadrage est tiré au cordeau" ou " force est de constater la rigueur implacable de l'intrigue", a tôt fait de débusquer derrière la sentence frappée au coin du bon sens le critique en herbe, l'exégète verbeux, celui qui comble son manque à être par l'écriture suppurante et plaintive, l'apprenti moraliste, voire le scabreux scatophage qui se complait dans une pénombre qu'il croit lovecraftienne alors que c'est juste les dieux jaloux d'ErDF qui lui ont coupé le jus pour défaut de paiement.

"La pipe qui s'éteint, la marée le lendemain" (vieux proverbe breton)

Pour dire quelques mots du film sans m'éventrer non plus sur les écueils des mystères qu'il recèle en ses flancs ventrus, je vais les évoquer de façon détournée, tout comme le film ne se gène pas pour aborder certains sujets en nous faisant croire qu'il nous parle de tout à fait autre chose.
L’histoire à laquelle nous sommes priés de croire est donc celle-ci : Deux hommes sont envoyés comme gardiens de phare sur une ile désertique et brumeuse. La durée du séjour a été convenue à l’avance : 4 semaines. L’époque est indistincte, et l’on doit se référer aux déclarations d'intentions et diverses notules pseudo-documentaires mais en fait commerciales (Electronic Press Kit) pour savoir quand et où ça se passe, alors qu'un carton "Au large de la Nouvelle Angleterre, 1895", par exemple, ça n'aurait pas coûté grand chose au producteur et ça aurait utilement renseigné le spectateur qui n'a rien voulu savoir du film avant de le voir, condition de virginité virtuelle requise quand je vais au cinéma ou quand il vient à moi en rampant sous la porte comme ce soir.
L'absence de datation historique est sans doute volontaire, le récit se veut intemporel et sans âge.
Dès le début, on se doute qu'il ne s'agit pas de petites vacances entre amis genre Brokeback Mountain dans votre villa les pieds dans l’eau, mais d'une âpre expérience de survie en milieu hostile, car le confort est rudimentaire (il n’y a pas de wifi) et les deux hommes ont très vite un rapport dominant/dominé, entre le vieux loup de mer qui a tout vu, tout lu mais pas encore tout bu (Willem Dafoe, rocailleux) et son taciturne apprenti (Robert Pattinson, blanc-bec pataud qui ne demande qu'à apprendre, tout en ayant son petit caractère) qui se retrouve commis d'office aux taches subalternes, alimenter la chaudière du phare en charbon, nettoyer la chambrée, préparer les repas... c'est l'occasion d'un douloureux travail de dégonflement de l'égo, et un questionnement de tous les instants sur la légitimité de son plan de carrière qu'il pensait tracé d'avance dans la hiérarchie des fonctionnaires assermentés de la compagnie des Phares et Balises.

Le monde se divise en deux catégories. Capisce ?
Pour l'aspirant Lighthouse Keeper, le stage de fin d'études se transforme rapidement en colonie pénitentiaire au phare Ouest. Les corvées s'accumulent, son maitre de stage est de plus en plus renfrogné de chez renfrogné et il s'est octroyé toutes les gardes de nuit là-haut dans le phare, et au cours des soirées qu'ils passent entre garçons qu'il faut bien animer avec les moyens du bord bien qu'on soit à terre, se déploie une conception un peu homophobique de la masculinité fin de siècle (le 19eme, parait-il) à grands coups de chants de marins, d'anecdotes pas piquées des hannetons et de grandes lampées de tafia englouties cul sec. Le petit Robert va dégringoler de mauvaise surprise en déception intime, et une suite de petites escarmouches verbales engendrera un inconfort relationnel croissant entre les deux hommes, on voit le moment où pour se venger nos compères vont dégrader la note de leur gîte rural sur Airbnb, mais y’a toujours pas le wifi. 
On ne peut qu'assister impuissants et de plus en plus hallucinés à la dégradation de l'humeur de Robert, parallèle à celle de la météo; pour une raison qui restera obscure, nous avons accès aux représentations internes de Robert, mais pas à celles de Thomas (c'est vrai que je ne vous avais pas dit avant que le vieux s'appelait Thomas, mais les identités de nos deux larrons seront de plus en plus fluctuantes et vacillantes au fur et à mesure qu'on s'avance dans le film vers un dénouement qu'on espère éclairant mais qui ne le sera que pour les thuriféraires de la pensée symboliste, car Eggers, comme Lovecraft, conchie l'époque actuelle et sa médiocrité crasse, et semble se réfugier dans une vision passéiste du cinéma pas réactualisée depuis Murnau, bien que son film soit parlant à ce sujet)
Vous visionnez de vieux films, les vôtres se situent au XIXe siècle. Êtes-vous seulement intéressé par le passé ?
Il est vrai que j’aime Dickens, Dostoïevski, Tolstoï, les sœurs Brontë, Mary Shelley, Virginia Woolf, D.H. Lawrence… Je sais que je devrais passer plus de temps à m’intéresser aux œuvres d’aujourd’hui, mais je reviens toujours à celles-là. D’ailleurs ma femme est consternée que je lise si peu de livres écrits après la Seconde Guerre mondiale ! (interview d'Eggers dans Télédrama)
Les faits sont les suivants :
- tandis que le jeune vieillard auto-intronisé Gardien de la Lumière se paye de belles tranches d'on ne sait pas trop quoi toutes les nuits en haut du phare, l’apprenti en est réduit à des rituels magico-religieux assez minables, faut bien dire ce qui est, avec une pauvre idole de bois trouvée dans la bourre de son matelas, n'évoquant que de très loin la féminité ondine ou terrestre.

Les vieilles morues sont en alerte.
- une sirène vient d'ailleurs s'échouer sur les cailloux, promesse d'amour de vacances de travaux forcés avec ses lèvres aguicheuses, mais l'idylle tourne court. Ce n'était sans doute qu'Arielle Dombasle venant vanter les mérites d’un océan sans plastique. (ne cliquez pas sur le lien, ça fait trop peur)
- les locataires précédents du phare, qui avaient pourtant promis avoir pris soin de vidanger la cuve étanche qui collecte leurs déjections en l'absence de tout-à-l'égout, ont sans doute menti, car la voici déjà pleine; et quand on va mettre de la chaux vive dessus, on se fait attaquer par des mouettes acariâtres qui en sont restées aux Oiseaux d'Hitchcock.
- la météo qui devait être radieuse suite à la présence d’un anticyclone au-dessus d'Arkham fraîchit méchamment, il devient temps de sortir les cirés mais par malchance ils ont un peu moisi dans le placard de la buanderie.
Je ne vous en dis pas plus, sinon on va spoiler en s'poilant.

S'ils avaient eu un peu de wifi,
bien des drames auraient été évités
Ces petites contrariétés s’accumulent et viennent gripper un quotidien déjà pas facile à vivre pour nos hommes qui se chamaillent pour des vétilles, s'accusant mutuellement d'incompétence, de mythomanie maritime et qui s'invectivent maintenant dans une atmosphère de huis clos théâtral ranci de rancoeurs recuites et franchement délétère, parce que le vieux émet force pets sonores et odorants, à tel point qu'à chaque fois que y'en a un qui allume sa clope on s'étonne que tout le phare n'explose pas.
Tout ceci étant exposé au sein d'un cadre carré (1.19:1) d'une éprouvante exiguïté, dans un noir et blanc gris charbonneux à peine adouci par un grain synthétique rajouté au papier de verre numérique. On y suffoque comme dans des chaussures trop petites. Sur le plan du stylisme, c’est somptueux, et bourré de références cinéma, théâtre, littérature, Kubrick, Beckett, Richard Corben (pour la taille disproportionnée du vagin de la sirène, qu'on aperçoit pendant une seconde 3 images, je le sais parce que j'ai déjà revendu toutes mes captures d'écran à la criée en ligne de la Turballe)
Ca, y'a pas à se plaindre du côté des alibis culturels, ils sont en béton, et le cinéphile, le vrai, celui qui déteste la vie et s'en protège dans les salles obscures ou devant le vide sidéral de son homecinéma qui lui masque la vacuité de son inexistence, est vraiment à la fête.

C’est aussi un film qui se croit malin et demi; à partir du moment où les faits et les récits qui les encadrent commencent à diverger de façon irréconciliable, on se dit que soit nos amis yoyotent, soit la Réalité se délite. Quand on prétend vous apporter la preuve absolue que vous êtes un gros demeuré alors que votre monologue intérieur validait jusqu’alors une toute autre théorie, bonjour la dissonance cognitive, et c'est alors la porte ouverte aux décompensations psychiatriques. En multipliant les pistes, Eggers n’en valide aucune, nous laissant face à une tache de Rorschach filmique, qui devient le reflet de nos propres névroses.
Quand le film s'achève, on ne sait pas trop ce qu'on a vu. J'ai lu autant de théories distinctes que j'ai parcouru d'articles de blog. Pour ma part, je crois que l’âpreté des conditions de vie des petites gens avant l’avènement du wifi me semble le vrai thème du film, en tout cas le seul qui soit traité un peu sérieusement : les autres sont vraiment esquissés d'une main de fumiste.
Mais chaque plan est tiré au cordeau, et l'intrigue suit son cours implacable.
Peut-être que ces deux-là n'ont été envoyés sur cette ile mystérieuse que pour distraire les songes de celui qui, dans sa demeure de R'lyeh la morte, rêve et attend. Si vous voyez qui je veux dire sans prononcer son nom, ça m'arrange. J'ai déjà bien assez de problèmes comme ça avec les entités.

Robert prépare déjà son prochain film :
l'adaptation du Necronomicon
Au final, on peut se permettre de croire avoir vu :
- un documentaire sur les troubles de la dissociation de personnalité, sous couvert d'un face-à-face mortifère entre deux gardiens de phare (Fight Club, explicitement cité dans au moins une scène de bagarre en état d'ivresse)
- une pochade sur les marins d'eau douce, mythomanes par nécessité : ceux qui restent à terre,  les "rampants" qui se racontent des histoires, puis y croient jusqu'à la déraison pour oublier leur haine d'eux-mêmes. Car plus une personne se trouve nulle, plus en général est aura développé de l'orgueil par-dessus pour arriver à survivre.
- une farce sinistre sur la rouerie du patronat. Mais je venais de voir Robert Pattinson dans une vraie farce sinistre, dont les enjeux ne se révèlent que dans les derniers plans et font qu'on peut sortir en ricanant de la séance, comme si on avait été mordu par un gilet jaune, le cas de The Lighthouse est plus tangent.
- une allégorie de l’aliénation au travail. Haha. Elle est bien bonne.
- une expérience sensorielle inédite où l'on doute souvent de ce que l'on voit, entend, ressent.
- Déposez vos autres suggestions ici.



Quelques pistes pour finir de noyer la sirène :

http://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=18686495.html

https://www.vox.com/culture/2019/10/15/20914097/robert-eggers-lighthouse-interview-witch

https://explicationdefilm.com/2020/01/03/the-lighthouse/

https://collider.com/the-lighthouse-ending-explained/?amp

https://blogs.mediapart.fr/iconoclash/blog/030120/lighthouse

lundi 13 janvier 2020

Lovecraft Facts (5)

Et voici donc pas plus tard que tout de suite la célèbre recette du poulpe à la sétoise façon Lovecraft, pot aux roses autour duquel je tourne depuis une bonne quinzaine.
Tiens, non, ce n'est pas un extrait des Plus slurpeuses recettes de l'immonde, ce n'est qu'une des milliers de photos à la con qu'on trouve sur Internet,  photo à l'esthétique affirmée mais ambigüe, puisqu'elle joue sur plusieurs registres, dont celui d'un érotisme chic et malsain, photo à laquelle on peut faire dire ce qu'on veut, sauf ce qu'elle pense. 
Vous allez me dire, elle ne pense peut-être pas à grand chose, si ventre affamé n'a pas d'oreille, ventre plein encore moins, mais justement, on regarde peut-être la photo dans le mauvais sens. 
Peut-être que c'est la dame qui a voulu manger la bête après avoir regardé une émission culinaire un peu bourrative de David Cronenberg dans sa première période, et dont la position des mains sur sa poitrine indique à la fois la satiété, une volupté indicible, et peut-être un désir tardif de préserver ce qu'il lui reste de vertu en masquant sa nudité. Et elle a peut-être eu les yeux - qu'on devine gourmands et malicieux - plus grands que le ventre, parce qu'on dirait bien qu'elle cale un peu. Mais peut-être qu'il s'agit d'autre chose, et que c'est la bestiole qui a essayé de s'introduire dans la dame parce qu'elle a un mode de reproduction ovovivipare comme dans Alien, et qui se trouve obligée d'élargir certains orifices pour forcer son passage dans d'étroits boyaux avant d'aller y pondre quelque larve d'outre-espace.
En tout cas quelque chose d'innommable nous est suggéré, et réclame notre connivence, notre adhésion, ou provoque notre dégoût, notre indignation. Il y a 10 ans j'avais légendé la même photo "Alerté trop tard, le Comité de préservation de la faune sous-marine n'a pu intervenir" et si vous me laissez 10 ans de plus, j'en trouverai une encore plus rigolote, mais après on va encore dire que c'est le Warsen qui se mord la queue.
Qu'on ait lu Lovecraft ou pas, qu'on ait joué à des jeux vidéo plus ou moins bien inspirés de son univers quand on était petit, c'est un peu comme s'il jouissait d'une autorité spirituelle et d'un copyright de principe sur tous les trucs à base de tentacules. Littérairement, on se rappelle que c'est le champion très daté du préfixe privatif, même si c'était une super-bonne idée que les mots déclarent forfait pour décrire la source d'effroi, décrire c'est tuer la peur de l'inconnu.
Par exemple, cette nuit je rêve que je trouve devant mon garage une femme "déguisée" en agent de police, faisant semblant de monter la garde ; tout de suite ma conscience onirique me signale qu'il est impossible qu'elle soit un vrai flic, qu'elle n'a donc aucune légitimité à être en planque devant chez moi, en même temps que sur le plan vibratoire je ressens une horreur atroce, je la perçois comme un démon et un cauchemar énergétique digne du pire David Lynch, elle va me dévorer donc je lui saute dessus avant qu'elle m'explose à la figure, et je suis bien sûr réveillé par les cris de ma femme, qui est en train d'être molestée sans raison valable.   
Je me confonds en excuses.
Je n'ai pas tous les jours la chance d'être confronté au sentiment d'horreur cosmique.
Je reconnais qu'il est indicible.

En plus, c'est pas pour prétendre que ce début de peignée somnanbulique ait servi à quelque chose, mais quand même c'est troublant ces trous noirs : ce matin elle a retrouvé les clés de la boite aux lettres et son second jeu de clés de voiture, qu'elle nous accusait effrontément d'avoir égarés depuis deux semaines.
Qu'en conclure ? que comme rejeton illégitime de l'horreur cosmique, les photos de Richard Kadrey comme celle que nous avons vue au début de cet exposé, sont plus probantes que beaucoup d'autres hybridations. 
Avec des mitraillettes à chargeur camembert, je trouve que ça le fait moyen.
Il faut dire que Brubaker et Philips sont des stakhanovistes du climat "black et mortifère".
On les comprend : pour se consoler des horreurs du monde, et parfois du gâchis de sa propre vie, le tord-boyaux à base de criminels et d'existences foutues est ce qui se fait de plus efficace.

jeudi 9 janvier 2020

Lovecraft Facts (4)


Derrière un escalier suintant du web descendant à une cave à côté de laquelle le Darknet n'est qu'un aimable e-canular d'étudiant russe en master II de hacking, j'ai déniché un grimoire maudit, abominablement transcrit par un logiciel d'OCR défectueux qui caviarde hideusement le texte originel :
« De ses voyages dans les terres douteuses de l’indicible, Lovecraft n'est pas venu nous rapporter de bonnes nouvelles. Peut-être bien, nous confirme-t-il, quelque chose se dissimule, et se laisse parfois apercevoir, derrière le rideau de la réalité. Quelque chose d'ignoble, en vérité.
Il est en effet possible qu’au-delà du rayon limité de notre perception, d’autres entités existent. D’autres créatures, d’autres races, d’autres concepts et d’autres intelligences. 
Parmi ces entités, certaines nous sont probablement supérieures en intelligence et en savoir. Mais ce n'est pas forcément une bonne nouvelle. Qu'est-ce qui nous fait penser que ces créatures, aussi différentes soient-elles de nous, manifestent en quelque façon une nature spirituelle ? Rien ne permet de supposer une transgression aux lois universelles de l'égoïsme et de la méchanceté.
Il est ridicule d'imaginer que des êtres nous attendent aux confins du cosmos, pleins de sagesse et de bienveillance, pour nous guider vers une quelconque harmonie. Pour imaginer la manière dont ils nous traiteraient si nous parvenions à entrer en contact avec eux, mieux vaut se rappeler la manière dont nous traitons ces « intelligences inférieures » que sont les les lapins et les grenouilles. Dans le meilleur des cas, elles nous servent de nourriture ; parfois aussi, souvent, nous les tuons par simple plaisir de tuer. Telle est, nous avertit Lovecraft, la véridique image de nos futurs rapports avec les « intelligences étrangères ». Peut-être certains beaux spécimens humains auront-ils l’honneur de finir sur une table à dissection ; et voilà tout.
Et rien de tout cela n’aura, une fois encore, le moindre sens. »
Extrait de: Michel Houellebecq. « H.P. Lovecraft: Contre Le Monde, Contre La Vie. »

Surprise : sur le plan métaphysique, on n'est pas loin des intuitions fondamentales de Ptiluc, pour lequel Dieu est un être "infiniment mauvais et pue-du-cul."
(il faut dire qu'il fait bien mauvais aujourd'hui et que j'aurais tendance à abonder dans son sens).
Plutôt que Lovecraft, ou Lovecraft disséqué par Houellebecq, ne vaut-il pas mieux relire Ptiluc, sans doute moins démodé dans le choix de ses adjectifs ?

"L'importance majeure des accords mineurs" - Ptiluc, 1984 


lundi 6 janvier 2020

Lovecraft Facts (3) : enfin j'en tiens un !

Lovecraft Fact #1

En relisant sa biographie, je mesure combien Lovecraft a eu une existence pathétique, qu'on ne souhaiterait à personne, bien que du coup il ait pu la dédier entièrement à la poursuite de ses cauchemars, quelle chance, cauchemars qui in fine le dévorèrent vivant, et de l'intérieur, aussi trivialement qu'ils le firent du pauvre docteur Le Scouarnec, qui avait un autre type de cauchemar (et prétendait que c'était un rêve éveillé) mais qui devait quand même vivre dans un univers sourdement contaminé par une inquiétude lovecraftienne, au moins en ce qui concerne le risque croissant d'être un jour prochain soumis à la Question par des Grands Anciens déguisés en agents de la maréchaussée.
Mais que voulez-vous, chez ces gens-là le sentiment d'impunité est renforcé par l'illusion de toute-puissance, un peu comme chez les blagueurs blogguistes, mais on ne peut pas tromper tout le monde tout le temps, et déjà tromper ma femme un quart d'heure s’avérerait le cas échéant une gageure, un challenge voire une performance sportive, parce que les réveillons ne m'ont pas fait que du bien par où ça passe, cf les articles précédents depuis que j'ai recommencé à écrire.
De toutes façons, cinquante ans, c’est le bel âge pour un homme : quand une femme lui dit oui, il est flatté, et quand elle lui dit non, il est soulagé. (David Lodge)
Lovecraft a eu une femme quelques temps, quand on lit ce qu'elle dit de lui on se dit que c'était vraiment gâcher la marchandise, quant à la tromper il eut d'abord fallu qu'il l'honore.
Bon, à la relecture, il n'y a aucun Lovecraft fact dans ce paragraphe, il va falloir travailler plus dur.
Je recommence.
Le docteur Le Scouarnec à 25 ans,
tenté par le démon de l'écriture
(allégorie)
Lovecraft Fact #1bis

Les « carnets noirs » de Joël Le Scouarnec, le chirurgien pédophile, dans Le Monde du 3 janvier.
Le journal intime du médecin, accusé d’agressions sexuelles et de viols sur mineurs et incarcéré depuis mai 2017, révèle un homme pervers et méthodique. De 1989 à 2017, il y détaille, jour après jour, les abus sur plus de 300 enfants.)
Et les enfants continuent de peupler les « carnets noirs », toujours plus, une addiction, effrayante sarabande de noms, d’adresses, ou juste une initiale, une silhouette, un fantasme, comme cette gamine qu’il n’a pas « réussi à coincer dans les toilettes » pendant une réception, cette petite invitée qu’il observe par le trou de la serrure au moment du coucher ou une gosse à la clinique dont la mère au bord du lit l’a empêché d’agir. Les odeurs corporelles, les sécrétions, les excréments − les siens comme ceux des autres − ont peu à peu envahi les pages. Il s’en délecte.
(...) A l’hôpital de Jonzac, le chirurgien ambitieux et fou de travail s’est mué en médecin effacé, courant derrière les vacations pour faire sortir du rouge le compte commun qu’il a gardé avec sa femme. « Il était un peu le sage de l’équipe, présent mais pas intégré », raconte un collègue. Le midi, Joël Le Scouarnec ne déjeune pas au self de l’établissement. Il préfère rentrer chez lui. Là, il se met nu, sa nouvelle façon d’être. Avale une boîte de conserve, penché au-dessus de l’évier. Puis télécharge des images pédopornographiques, une addiction, ses nuits y passent aussi, tant pis pour le retard à ses consultations. Ou alors, il se photographie, inlassablement, en tutu, avec une perruque à frange ou une culotte d’enfant volée au gré des occasions. Des mois durant, il ne se lave pas et s’en réjouit. Le whisky l’empêche parfois de tenir sur ses jambes.
Aaah ben voilà, tu vois quand tu veux : ces horreurs me semblent plus innommables, bien que les journalistes du Monde aient su les nommer, que celles imaginées par Lovecraft (bien que les siennes fussent quand même pittoresques, sans toutefois impliquer d'extra-terrestres qui ne se lavent pas, y'a quand même des limites). Moralité : quand il s'agit d'évoquer le bonheur, la littérature nous élève toujours plus haut que le réel (dans le réel, pas de Nirvana sans addiction) cf "Pandore au Congo", le meilleur roman que j'aie lu l'an dernier sur notre rapport intime à la fiction. Alors que question malheur, le réel l'emporte toujours, comme le docteur vient de le rappeler. C'est pourquoi les bouddhistes nomment l'univers phénoménal "Samsara", l'océan de souffrances. "Le désir de Nirvana, c'est le Samsara", ajoutent-ils souvent d'un air goguenard. On les comprend.

dimanche 5 janvier 2020

Lovecraft Facts (2)

Résumons l'article précédent, pour ceux qui n'ont pas le temps de lire, comme je l'ai lu sans en croire mes yeux au bas d'une page web France info tv :
Fans de Lovecraft faisant du barouf devant l'ambassade
irakienne des Etats-Unis où s'est réfugié Abdul Alhazred
pour qu'il écrive la saison 2 du Necronomicon.
Ne vous inquiétez pas, elle arrive.
- Lovecraft écrivait des trucs de fou qui faisaient trop peur, mais c'est parce qu'il était pas bien dans sa tête. Ca n'a pas empêché des générations d'adolescent.e.s de s'en goberger en poussant des petits cris d'orfraie, c'était chouette mais c'est fini, maintenant ils vont sur Internet où les mystères de l'univers leur sont souvent dévoilés avec moins d'élégance par Matzneff, ses incubes, ses succubes, son big Bazar et son quatuor à pétrole. Pendant ce temps, les horreurs persistent dans le Vrai Monde Réel et rendent fou l'imprudent qui se penche dessus. 
Pour s'en convaincre, relire l'article précédent au lieu de me croire sur parole, parce qu'un résumé est forcément réducteur, et qu'en plus il n'était pas très long.
En tout cas moins long que le sempiternel article de Jean-Pierre Filiu sur la partie de billard à trois bandes que se jouent les Etats-Unis, l'Iran et l'Irak.
- donc le seul truc qui ne rende pas fou, c'est de lire ou relire Lovecraft dans le noir, en alternant avec de la méditation de pleine conscience rythmée par le support audio psalmodié de Noël "les plus beaux contes de Nyarlathotep lus par Christophe André" avec le téléphone coupé (à télécharger en mp3 dans les boutiques spécialisées). Je vous fais une ordonnance pour une cure de 15 jours pour commencer, après vous pourrez recommencer à lire des blogs. 
- De toute façon, n'importe quel récit de Lovecraft ne peut rivaliser en épouvante confite avec celui du réveillon d'un malade atteint de schizophrénie.
Donc je ne vois pas bien comment je vais pouvoir inaugurer cette série de "Lovecraft Facts" annoncée, car à peine promise la voici compromise par cette collision tragique entre les prophéties de malheurs cosmiques de l'ermite cybergeek de Providence et le Réel, qui fait rien qu'à dépasser l'affliction.
Et je ne dis pas ça parce que hier soir en rentrant dans le noir le long de la Sèvre pas éclairée sur le vélo électrique de ma femme dont je maîtrisais très moyennement la vitesse je me suis gravement cassé la gueule du côté de la cale de Beautour. Pas uniquement. Disons que de flinguer un pantalon neuf à 95 euros et manquer mourir parce que j'étais parti avec pas d'casque quand le trottoir m'a foncé dessus ne m'a pas aidé à regagner la maison dans de bonnes dispositions vis-à-vis de cet enfoiré de reclus de Providence. En plus j'ai été ramassé par un petit jeune de 45 ans qui était sorti promener son chien, d'une marque qui ne m'a pas marqué mais qui ne m'a pas mordu non plus, et qui m'a pris pour un vieillard maniaque et suicidaire en insistant sur le risque de commotion cérébrale en cas de chute. Je n'ai pas osé l'entreprendre sur ce que les antidépresseurs avaient occasionné en matière de commotion cérébrale la fois où j'en ai pris, il aurait fallu que je lui fasse lire des extraits de ce blog remontant à fin 2011 et je n'avais pas internet sur moi; en plus j'ai cru pendant quatre kilomètres que j'avais bousillé la partie électrique du vélo parce que j'avais encore une petite lumière devant mais plus d'écran de contrôle, mais je pédalais très fort dans le noir restant tellement l'incident m'avait vexé, et ce n'est qu'en arrivant sous un providentiel lampadaire près du parc que j'ai vu qu'une cosse avait été arrachée du boitier mais une fois remise, ça s'est rallumé et j'ai pu finir le trajet avec l'assistance électrique, il y a vraiment un bon Dieu pour les imbéciles, ça je le lui avais dit au mec dans le noir et ça l'avait fait sourire mais pas trop fort parce que je lui ai sacrément fait peur, sans même lui faire lire une page choisie de l'appel de Cthulhu... trois jours plus tôt le guidon s'était complètement dessérré pendant le trajet de retour et j'avais fini quasiment sans contrôler ma direction, je crois qu'il va me falloir admettre mon impuissance devant le vélo électrique, que comme l'alcool, c'est un truc trop fort pour moi.
En plus, je crois avoir écrit tout ce que je m'autorisais à penser des lovecrafteries réelles et imaginaires il y a déjà un moment, et à l'époque j'avais plus d'élégance dans la désinvolture.
C'était moins besogneux.

samedi 4 janvier 2020

Lovecraft Facts (1)

Les Chuck Norris Facts, il y en a peu de drôles,
mais quand elles le sont, elles le sont.
Depuis quelques jours je caressais l'idée de m'amuser un peu en brodant autour de Lovecraft Facts, que je me complaisais à imaginer bâtis sur le modèle des Chuck Norris Facts, je relisais pas mal de trucs autour du flippé de sa race de  reclus de Providence, ça commençait à venir, et puis, fatalitas ! d'un seul coup, en surfant sur l'actu je ne caresse plus rien du tout, entre la fonte accélérée des glaces du Pôle Nord qui promet la décongélation du grand Cthulhu à aussi courte échéance que la dépréciation immobilière de mon ranch "les sabots dans l'eau" sur la côte landaise, l'Australie qui brûle kangourous et koalas dans ses centrales à charbon pour détrôner la Californie dans le championnat du monde d'incendies, Don Trump qui joue à la roulette russe belge - 6 balles dans le barillet - avec l'Iran, ce qui va certainement contribuer à détendre une météo régionale déjà souvent orageuse en fin de soirée, selon les experts du 28 minutes d'Arte que j'invite tous les soirs dans mon salon pour refréner mon appétit après les excès de foie gras à la cocaïne des deux réveillons, si vous voulez tout ça mis bout à bout, même pour les amoureux du désastre comme moi, ça fait un début d'année un peu chargé, alors c'est vrai, on va pas se fâcher pour six pneus, mais je n'ai plus trop le cœur à sourire avec une horreur littéraire délicieusement surannée, alors que l'actualité relègue Lovecraft et ses poulpeuses créatures, Lovecraft et ses luxueuses chimères de l'entre-deux guerres, Lovecraft et ses pittoresques phobies du métissage racial, un peu en seconde division de l'épouvante, allez, du balai le calmar visqueux, au rancard avec Casimir l'ami des enfants et les monstres bébêtes et obsolètes...
Ces jours-ci le vrai ami des enfants c'est le bon docteur le Scouarnec, chirurgien des viscères qui les accompagne au plus près de leur douleur surtout quand c'est lui qui la provoque par des attouchements indicibles en salle de réveil post-opératoire, et pendant ce temps-là l'anesthésiste de Stephen King peut bien aller se rhabiller.
Et hier j'ai monté un reportage sur un expert de justice en morphoanalyse de traces de sang, le gars mandaté par les flics de la police qui arrive toujours trop tard mais qui tombe à pic pour venir faire parler les taches de rebelle sur les scènes de crime, qui nous dit texto "on s'habitue jamais, surtout quand des enfants sont impliqués, et y'a toujours un cas qui dépasse un autre; dans l'abomination, l'être  humain n'a pas de limites."
L'abomination, un terme quasiment privatisé par les traducteurs de Lovecraft en leur temps.
En plus en venant au bureau ce matin sur le vélo nucléaire de ma femme que je lui ai hardiment chapardé dans le garage pendant son absence de la maison, je me suis fait engueuler par un sourd-muet devant la cantine du conservatoire, parce que je roulais sur la voie réservée aux piétons. Il en vibrait d'indignation et j'ai failli l'écraser, ce con.
Quand on se fait engueuler par un sourd-muet, l'avantage c'est que ça ne fait pas beaucoup de bruit, mais les gémissements qu'il tire de sa pauvre gorge sont quand même assez anxiogènes, sur le plan de l'horreur audiovisuelle, à mi-chemin du muet et du parlant.
Du coup, ça m'a tout coupé.
Bref, c'est pas le moment de venir me faire chier avec Lovecraft.
Putain, j'ai failli oublier Matzneff