dimanche 25 avril 2021

Morice Benin - C'était en... (1976)

dessin de Gébé dans l'An 01
(cité par Morice dans le disque
caché dans cet article)
Depuis 1976 et la sortie du disque à Morice, on attendait le Grand Soir, mais à force d'attendre, en 2021, on a eu le Couvre-Feu à la place. 
Où c'est, quand c'est qu'on s'est Gourrés ? A partir de quel petit renoncement s'est-on mis à dévaler la pente fatale de la Route Pour Nulle Part ? C'est un peu une posture victimaire, de dire ça, mais très franchement, entre mon blacklistage, mon immunothérapie, mes acouphènes, ma lithémie et ma vie sexuelle, si je veux me victimiser j'ai d'autres sujets un peu plus saignants. 
Télérama me suggère que c'est au moment du rapport Meadows, publié en 72, qu'on s'est plantés. Juste avant le premier disque artisanal et autoproduit de Morice, en 1974, qui se vendra à plus de cent mille exemplaires, en des lieux insolites et militants, comme  sur le plateau du Larzac. Morice et ses appels vibrants à l'insurrection intérieure - du moins jusqu'à la fin des années 70, avant qu'il sublime sa colère en prenant un virage poétique - le plus urticant des chanteurs marginaux n'a guère ménagé sa peine.
Et comment se fait-il que nous n'ayons pas encore réalisé les promesses du prophète libertaire auto-révélé, lui qui nous exhortait à une révolte permanente contre cette société de merde dès l'âge où nos oreilles furent assez poilues pour que ça rentre comme dans du beurre ? 
Bien sûr il nous reste encore ses vieux disques, à condition de ne pas les jouer trop fort après 19 heures, sinon les flics de la Dictature Sanitaire arrivent, renseignés par un voisin collabo, et ils savent sur qui taper : d'abord DJ Wars, l'ex-playboy fumeur de crack aujourd'hui narcotique anonyme et cacochyme, celui qui est courbé sur ses platines et qui convertit illégalement ses vieux vinyles en mp3. 
Ensuite, les rares spectateurs, qui dépassent quand même la jauge de 6 personnes autorisée par la Préfecture.


La plus grande confusion règne autour des différentes orthographes admises de son identité de Morice, ce qui ne facilite pas le travail des moteurs de recherche. Mais il n'aurait guère apprécié d'être pisté par Google. Je l'ai longtemps écrit Maurice Bénin, mais il semble que la tendance Canal Historique lui ait finalement préféré Morice Benin, lui qui était né Moïse Ben-Haïm et qui aurait donc pu jouer dans le chat du Rabbin de Joann Sfar au lieu de nous saouler avec ses harangues incendiaires et mystiques.
C'est la première fois à mon connaissance que ce vinyle est rippé sur internet, comme on disait dans le temps d'un film qu'il était inédit à la télé.


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et l'indispensable bibliographie en forme d'hommage posthume :


jeudi 22 avril 2021

Le petit Steve Roach illustré : Une année 2004

Fever Dreams (2004)

Un bassiste déboule en intro du premier morceau de ces rêves fiévreux, Episode_1 (les 2 et 3 sont dès déjà dans les tuyaux). Un bassiste ? Un de ces mecs qui jouent des NOTES ??? il vient ajouter une petite touche « dub des cavernes » pas désagréable au tout-venant ethno-ambient. Ca démarre donc intriguant, mais en fait ça ne va nulle part. Les mêmes improvisations atonales à la guitare atmosphérique que d’habitude, fingers in the noise et cloud over the grotto, avec une basse répétitive et des tambours de guerre lasse pour faire passer la pilule, qui conserve pourtant la saveur des gouffres amers. Il faudrait que quelqu’un ose dire à Steve que les pédales d’effet qui scalpent les attaques d’accords plaqués à la guitare en n’en laissant sourdre que l’écho, existent depuis fort longtemps, et n’ont plus rien de chamanamanique. 
Le disque tente de s’auto-plébisciter comme une prémisse à la fièvre érotique, est-ce que je bandonéon ? pas beaucoup. Et mou.
L'écoute m'est dont d’un mortel ennui.
Mais n’oublions pas qu’il y en a qui aiment.
Et puis, écouter tout Steve, c’est un sale boulot, mais il faut bien que quelqu’un le fasse.

(1/5)

https://steveroach.bandcamp.com/album/fever-dreams

Holding the Space: Fever Dreams II (2004)

Les gars du marketing ont écrit des bibliothèques entières sur les vertus psychothérapeutiques des disques de Steve Roach. Le problème des musiques qui s’auto-proclament « soignantes » c’est qu’on ne peut plus tellement les jauger sur le plan musical, il faudrait pratiquer dessus les exercices spirituels prescrits par votre chaman, de façon régulière, et voir si on en sort en meilleure forme. En se situant sur le terrain du soin, et même parfois du tagada soin soin, Steve pense peut-être jouir de l’immunité diplomatique et musicale. Un hypnagogue affirme dans les notes de pochette toujours très fournies que grâce à Fever Dreams II, et à la Respiration Holotropique, il aurait retrouvé dans les tréfonds de l’inconscient collectif la trace du passage ancestral de son arrière grand-mère, disparue en 1858 et dont il n’avait plus de nouvelles depuis. (La Respiration Holotropique est une méthode d'exploration intérieure basée sur un travail de respiration combiné à des séquences musicales.)

Je ricane, mais le disque s’ouvre sur une plage qui évoque certes le pire du tribal-ambient ramolli, « Le Guérisseur Blessé » mais il est suivi du « Puits d’Energie », sur lequel plane le fantôme d’autant plus inouï qu’il n’est même pas mort de Jon Hassell et sa trompette polytimbrale, ce qui veut dire "plusieurs sons différents en même temps" (à ne pas confondre avec polyphonique, plusieurs notes en même temps, c’est merveilleux, j’apprends des trucs en me faisant suer...)
Une voix féminine vient faire des vocalises, un didgeridoo caverneux lui répond en chorus, ils nous font glisser dans les clichés du new age mais c’est agréable.
Sans conteste le meilleur de la série Fever Dreams, un opus tribal-ambient inspiré et varié.

(4/5)

https://steveroach.bandcamp.com/album/fever-dreams-ii

Spirit Dome (2004)

Encore une surprise-partie funéraire avec Vidna Obmana. En un sombre sanctuaire que nul rayon solaire n’a jamais caressé, le pouls d’une bête monstrueuse bat dans les oppressantes ténèbres, tandis que des pipeaux sculptés dans des fémurs humains entonnent d’antiques mélopées sans que l’on puisse entr’apercevoir à aucun moment les musiciens, qui de toute façon n’ont plus de visages depuis longtemps. Funestes mélopées, qu’on souhaiterait n’avoir jamais ouïes ! Comme dans « InnerZone », qui réunit les mêmes malfaisants, le fujara, cette flûte slovaque maudite, et une guitare électrique trafiquée de chez monsieur Bricolage, chromatiquement avariée et infirme, génèrent un environnement sonore malsain, spirituellement débilitant, soi-disant en réaction à l’environnement urbain pathologique dans lequel Steve et Vidna étaient coincés pendant les répétitions de « Innerzone », justement, autre grand disque malade. 
Ca n’excuse pas tout.
Jamais entendu un « live » aussi funèbre ! Il ravira votre arrière-petite nièce depuis qu’elle a viré gothique (c’est de son âge).
Attention : en cas d’infection par la Covid-19, l’écoute de Spirit Dome est un facteur important de comorbidité.
Montrez la pochette à votre médecin traitant, il comprendra.
Subtilement nuisible.

(1/5)

https://projektrecords.bandcamp.com/album/spirit-dome-live-archive


Mantram (2004)
avec Byron Metcalf, Mark Seelig

De l’aveu même de ses géniteurs dans les notes de pochette, l’album a pour ambition de ralentir le cours du temps pour permettre au processus réflexif naturel d’émerger. Steve déploie ses nappes à grande longueur d’onde, que Byron et Seelig, complices réguliers, viennent émailler de flûtiaux et de percussions pour ce qui se veut un mandala sonore rayonnant de toute éternité
, sans début ni fin. D’où l’impression de faire parfois du surplace, de piétiner dans l’antichambre du Nirvana, en foulant aux pieds une bouillie premier (new) âge, il y a un côté mélasse, sirupeux, lénifiant qu’on n’entend pas souvent chez Roach. A part ça, c’est rythmé, serein, harmonieux. Presque mainstream.

(3/5)

Places Beyond: The Lost Pieces 4 (2004)

Collection disparate d’inédits de plusieurs périodes créatives. Une brocante à ciel ouvert, faite d’un peu d’espaces déserts, de pianos spatiaux, d’ethno-ambient,

à la limite du chill-out (terme décrivant plusieurs genres de musiques électroniques caractérisées par leur mélodie reposante et leur tempo modéré — « chill » est un mot argotique qui signifie « reposant » ; par métonymie, il désigne un style de musique planante que Steve n'aurait pas renié, bien que sa notion de musique "reposante" repose sur des conceptions pas tout à fait humaines : il est né des amours contrariés d'une mesa et d'un canyon, comme le révèle son patronyme "roacheux", attribué par ses parents adoptifs, un bulldozer de l'Arizona spécialisé dans les excavations de parkings souterrains, et une femme au foyer sans emploi recueillie au bord d'un ruisseau.
Pour parvenir à détendre l'âme d'un caillou il faut se situer à l'échelle du temps géologique, où l'on compte en en centaines de milliers d'années c'est pourquoi les disques de Steve sont très longs.
Dans la veine atmosphérique harmonieuse, cette collection d'inédits est plaisante.

(3/5)

jeudi 15 avril 2021

Le petit Steve Roach illustré : Une année 2003

Life Sequence (2003)

Clinquant et frétillant comme le saumon remontant la longueur d’onde. Séquenceurs rutilants mitraillant les tympans de cascades harmoniques arc-en-ciel, chatoyant sur des tapis d'ondes positives, on est ici chez un disciple propret de Klaus Schulze (que Steve ne se cache pas d'appeler "papa Schulze" à longueur d'interview) qui présente le visage grassouillet et replet d'Eckardt Tolle pour un show pyrotechnique cristallin et maitrisé, mais un peu asexué. Deux ou trois moments d'architecture gracieuse, mais faut vraiment les chercher.


(2/5)

https://steveroach.bandcamp.com/album/life-sequence

Mystic Chords & Sacred Spaces (4 CD !!) (2003)

Avec un titre comme ça, il faut quand même s’armer de foi pour arpenter ces immensités arythmiques et atonales, dépeuplées du moindre autochtone, et s'aventurer sur chacun des 4 CD qui composent le voyage organisé vers des espaces délimités comme "sacrés", "labyrinthe", "futur récent", et "morceau d'infini", même sans se soumettre aux diktats des marchands de tapis du marketing, particulièrement en verve pour pérorer et postilloner sur ce quadruple album (« the creme de la creme of Steve's work », mais ils disent ça souvent).

CD #1 : dans la veine atmosphérique, c’est un opus imposant du sculpteur paysagiste d'espaces sonores, devis gratuit, travail soigné. Ne cherchons pas trop à le scruter des oreilles comme on dévisagerait un paysage visuel, mais laissons-le infuser à bas volume, en triant nos vieux relevés de CCP, en épluchant nos cactus pour faire une bonne omelette au peyotl, suspendons notre jugement pour un temps et respectons notre part du pari que Steve prend avec l'auditeur sur sa capacité à entrer dans le majestueux mais minimal royaume des mondes électro-acoustiques non rythmiques.
Nous voici en vue des contreforts liquides du travail "immersif" qui s’étalera (s’écoulera, même) sur le reste de la décennie.
C'est souvent froid comme un Vangelis sous barbituriques, mais si on ne s'immerge que là-dedans pendant quelques temps, on finira par la trouver bonne. C’est physiologiquement prouvé.
Le spectre d’effets secondaires s'étend du sédatif léger à l'anesthésie totale, c’est pourquoi les barbituriques sont de nos jours beaucoup moins prescrits en raison de leurs effets indésirables, du risque d'abus, et de l'arrivée sur le marché de molécules à l'action comparable mais aux effets secondaires réduits et à la toxicité limitée (entre autres les benzodiazépines). Ici on est moins neurotoxique que juste chiant. Ah, tiens, le jugement est revenu par la porte de derrière, après avoir fait le tour par le jardin.
CD #2 : sous une voûte immense, un accord cristallin se déploie en réverbérations inhumaines, qui ont commencé d’éclore bien des éons avant le début du morceau et persisteront longtemps après sa fin, émanant comme autant d’acouphènes divins tombés d’un céleste empire sur nos crédules esgourdes, ponctué de crissements d’oiseaux et d’insectes. Quiétude qui n’évolue que très lentement. Dans trois jours, l’organiste risquera peut-être un do# à la tierce majeure sur la partie haute du clavier, qui mettra plusieurs CDs à s’épanouir pleinement, mais je n’en mettrais pas mes ailes de chérubin à couper. Dans ce qui est peut-être un voyage rêvé vers un Groënland imaginaire, car dépourvu du moindre esquimau, toute chaleur n’est pas exclue, mais ça met très longtemps à fondre. Les esquimaux aussi.
CD 3 : l’équivalent sonore d’une de ces lampes à lave psychédélique des années 60 qui contenaient un liquide transparent dans lequel évoluaient des boules colorées de cire fondue, montant et descendant selon la chaleur dégagée par l’ampoule placée dans le socle.
On perd vite pied dans cet océan de sons retournés à l’état liquide, indifférenciés, et en plus on risque d’attraper des amibes. Même pour un professionnel du désert comme Théodore Monod/stéréo, 4 CD d’aridité aquatique, c’est trop ténu pour être écouté, mais quand le mental lâche prise et qu’on l’entend enfin, ça peut troubler : au moment où on cesse d’y prêter attention, ça peut s’offrir à vous. Etonnant, non ?
CD #4 : il faut encore un sursaut de foi pour entrer dans la « piece of infinity » sorte de caverne lumineuse pas vraiment mortifère, mais si languide que la somnolence est garantie et l’accident certain si écouté sur autoroute. On est à nouveau dans les limbes, qui désignent soit un état intermédiaire et flou, soit le séjour des âmes des justes avant la Rédemption, ou des enfants morts sans baptême. Comme je ne sais plus trop où je suis, au bout de 4 CD, mais que je me rappelle que je ne suis pas baptisé, je vais rester poli. Des fois que.

(1/5)

https://steveroach.bandcamp.com/album/mystic-chords-and-sacred-spaces-complete-edition

Texture Maps (2003)


Attention, vieux inédits de la fin des années 80 en voie de recyclage. Au début du disque, on sent bien que Steve apprend à jouer du synthé, en mettant plein de réverb pour masquer son angoisse quand il ne sait pas finir ses phrases musicales, et aussi pour masquer les pains; un tic déplaisant qu’il conservera longtemps. Puis la dissonance harmonique s’installe et hante durablement ses prairies ondulantes de sons désaccordés, au bord du malaise. Et quelle morne plaine !

Le disque idéal pour faire fuir vos amis en fin de soirée (selon Télédrama)

(0/5)

https://steveroach.bandcamp.com/album/texture-maps

Space and Time (2003)

Compilation d’extraits de ses œuvres précédentes, à offrir à ceux de vos amis avec lesquels vous n’êtes pas encore fâchés (un indice : ce sont ceux qui n’ont pas fui la veille en fin de soirée)
Pas désagréable, mais la balade est un peu rapide : un morceau de Steve Roach de moins de quinze minutes donne toujours l'impression d'être tronqué. 
De fait, ici ils le sont tous.

(3/5)

jeudi 8 avril 2021

Le petit Steve Roach illustré : Une année 2002

All Is Now (2 CD) (2002)

Des fragments anonymisés des précédents albums (Core, Streams & Currents, Early Man et Innerzone) sont capturés vivants, retravaillés en concert, ramenés à la maison, malmenés au remixeur à légumes, noyés d’overdubs, puis renvoyés chez leur mère la queue entre les oreilles. Les notes de l’album précisent que cette approche d’autogreffe et d’allers-retours permanents entre le studio et la performance live s’est révélée plus payante que celle consistant à rester-en-tournée-jusqu’à-tomber, ivre d’ayahuesca light et de bière sans alcool entre deux groupies macrobio à grosses…lunettes.
Le concert à Portland, sur le premier CD, nous précipite dans des catacombes chantantes, qui débouchent inopinément sur un vaisseau spatial en partance pour le Big Nowhere, sa destination favorite.
En chemin, on transite par des endroits soniquement inconfortables, mais on ne s’éternise pas. Brian Enorme nous en préserve ! San Francisco et Oakland offrent des paysages variés, cauteleux, lysergiques et nauséeux à souhait. Le second disque propose un festival de glissandos de guitares spatiales ouatées de tonnes d’écho, avec apparition et disparition de sections rythmiques spectrales. 
Les amateurs de train fantôme sont à la fête. 
Si c’était un peu plus articulé, on jurerait entendre Jon Hassell. 
Mais ça ne l’est pas. 
Et pour un live, il y a beaucoup de temps morts.

(2/5)

https://music.apple.com/us/album/all-is-now-live-2002-live/649840784?app=itunes&ign-mpt=uo%3D4

Darkest before dawn (2002)


Une boucle atmosphérique d’environ 1’30’’ restitue à s’y méprendre le moment où la noirceur de la nuit nocturne s’assombrit encore quand elle comprend que l’aurore va la faire pâlir. Malheureusement, cette tentative de traduction sonore du moment tant redouté des condamnés à mort mais aussi à vie est éhontément bouclée et rebouclée pendant 74 minutes pour abreuver nos microsillons. L’auditeur lambda passe de l’émerveillement à la déconvenue en moins de temps qu’il n’en faut pour mettre à jour la supercherie. Nonobstant la plaisance de la séquence répétée à l’infini.

Raconte comment tu as râlé auprès des opérateurs de télémarketing qui assurent le SAV et le contrôle qualité 24/24 chez Steve sans faire usage d’insultes à caractère discriminant (6, 99€ la minute)

Véritable pavé en mousse ricochant muettement sur la mare gelée de l'insomnie, "Il fait toujours plus sombre juste avant l'aube, et en plus on n'y voit que dalle" se distingue par sa sobriété instrumentale et ses vertus curatives sur le manque de sommeil.
Steve est parti du sample d'une chaudière à l'arrêt grossi 20 000 fois à l'aide du microscope électronique offert par ses parents pour son 8ème anniversaire afin de lui permettre de réaliser son rêve secret (délivré par un garagiste-chaman de Tucson au cours d'une transe rituelle d'exorcisme de boite de vitesse) : observer la vie intérieure des cailloux de l'Arizona, et nous entraine dans une sarabande sonique à couper le souffle puisqu'il fait du surplace pendant tout le disque.

(0/5)

https://steveroach.bandcamp.com/album/darkest-before-dawn

Day Out of Time (2002)

Que peut-on dire de la bande-son d’un film sans en avoir vu les images ? Ben en fait, c’est pas très grave : les créations sonores de Roach sont une invitation constante à fermer les yeux et se créer des films phosphéniques de cinéma gratuit, paupières closes. Certains fans hardcore y parviennent même les yeux ouverts. L’illustration de la pochette nous propose un rendez-vous avec nous-mêmes au milieu d’une plaine sableuse parsemée d’artefacts géologiques énigmatiques sous un ciel plombé, et induit la notion d’espaces désolés, ayant pris leur forme bien avant le début du disque, et qui persisteront longtemps après que l’auditeur sera retombé en poussière. 
A l’écoute il y a aussi une note de sérénité aquatique, comme un requiem pour crapauds. Pas de notes, pas de mélodies, cette année il n’en a pas plu, mais des états sonores semi-gazeux apparaissent, puis disparaissent. Méditons sur l’impermanence. Tranquillité des cratères martiens, sous lesquels des océans gelés patientent. 
« N’est point mort celui qui éternellement dort » pouvait-on lire dans le Necronomicon, vers qui s’applique souvent au fan de Steve Roach, tant il règne en ce lieu une atonie, 
un manque de vitalité, de vigueur qu’on peut vivre comme un lieu de repos ou de convalescence, loin des foules déchainées, parce que pas encore vaccinées.
Pour avoir crapahuté dans les canyons de l’Utah et de l’Arizona, et rêvé sur les turbulences nuageuses qui les surplombent, la bande-son est appropriée. 
Un acouphène minéral sous-tend tout l’album, une rémanence.
Encore un disque publicitaire déguisé, vantant les avantages d’être constitué de roches métamorphiques (granit, gneiss) : une sagesse minérale s’en exhale, parce qu’à part méditer, la seule activité pratiquée par les cailloux du coin, c’est l’érosion sous l’effet du vent et de la pluie.
Il rêgne ici un mystère qui manque parfois cruellement ailleurs.
Final très apaisé.

(3/5)

https://steveroach.bandcamp.com/album/day-out-of-time


Trance Spirits (2002)
avec Jeffrey Fayman et Robert Fripp

La tribu s'agrandit, donc la grotte aussi, mais malgré la présence de Robert Fripp aux Guitar Soundscapes et de Jeffrey Fayman aux percussions, l'impression d'ensemble reste froide. Glaciale, même, la faute aux nappes aux tonalités mineures et vaguement menaçantes, comme si nos guerriers sous tension allaient se lancer dans un nettoyage ethnique de la tribu d'à-côté, sans jamais mettre leur menace à exécution. Ils font du surplace, on entend bien le bruit du moteur mais jamais y'en a un qui aurait l'idée d'enclencher la première vitesse. Sur plusieurs morceaux (Trance Spirits et les suivants) j'entends un peu des échos de Jon Hassell, période Dream theory in Malaya, et c'est toujours ça de pris, mais ça ne nous rend pas le Steve techno-tribal ambient qu'on a connu dans les années 90 (et encore moins le Steve Maia Caniço tombé dans la Loire en 2019, mais c'est une autre histoire).

Ces gars-là, y viennent d’inventer l’ambiance oppressante et neurotoxique, au lieu d’inventer la roue. Bien sûr ils sont ravis de leur trouvaille, on les sent éprouver la joie de taper sur le même clou, mais le tribal ambient synthétique, ça reste aussi plaisant qu’un piano mécanique sous de tristes tropiques.

(1/5)

https://projektrecords.bandcamp.com/album/trance-spirits

InnerZone (2002)


Emergence du concept expérimental du "tranquillement dérangeant", à ne pas confondre avec la quiétude troublante. Les disques cosignés avec Vidna Obmana durant cette période ne sont pas de tout repos. Le nom des coupables : un fujara, sorte de flûte traditionnelle slovaque systématiquement désaccordée dès lors qu'on joue en mi dièze, et une guitare électrique trafiquée de chez trafiquée, chromatiquement altérée par une multitude de processeurs d'effets électroniques. C’est parfois beau comme un défilé de chenilles processionnaires un peu ivres, et inquiétant comme une cérémonie de solstice qui partirait de travers, comme dans Midsommar. 
On cultive ici la limbe, la stase. 
Une oeuvre contemplative qui séduira ceux qui se sont laissés imprudemment enfermer à la cave et qui, à l'usage, découvrent que finalement ils ne détestent pas méditer à califourchon sur le tas de charbon. Ou errer dans les catacombes de leur esprit en espérant trouver la sortie par la respiration consciente et la cohérence cardiaque.
Clapotis amplifiés, dissonances antiques, jusqu’au malaise vagal. 
Où peuvent-elles être, ces clés de la cave ?
C’est diablerie, messires.

(1/5)

https://projektrecords.bandcamp.com/album/innerzone

jeudi 1 avril 2021

Le petit Steve Roach illustré : Une année 2001

Pure Flow (2001)

Florilège de morceaux déjà parus sur divers albums, agrémentée de deux inédits. 
Ici, on privilégie les flux, et leur pureté; d’où le titre. En fait de flux, les ambiances y sont ténues. C’est un camaïeu d’éclosions lentes, indistinctes et ouatées, nimbées de réverbérations délicates et lointaines, dans la gamme de fréquences élevées du spectre audible. Paysages atmosphériques de haute altitude, pauvres en oxygène. C’est à l’auditeur d’amener le sien, sans doute. 
Minimal et tranquille.
Mais un peu répétitif.
Mais tranquille.

(1/5)


Streams and Currents (2001)

Encore des flux. Steve creuse souvent le même micro-sillon sur plusieurs disques d’affilée, jusqu’à voir le fond de son inspiration. Le disque a été « créé pour une lecture continue à faible volume. C'est merveilleux dans ce mode », dit la réclame. 
Aah, c’est pas pour écouter, alors. C’est un CD à entendre à l’insu de son plein gré.
Le propre de cette musique ambiante n'est-il pas de pouvoir se faire oublier, de se faire entendre quand on ne l’écoute plus, juste comme si elle n'était pas là, comme si elle n'avait jamais existé ? De se donner quand on n’en attend plus rien ?
De plus, beaucoup de disques de Steve Roach de la décennie 2000 ressemblent à des phénomènes météo, à évolution lente.
Dès lors, la critique est inappropriée : à partir de quel point de vue pourrais-je jauger et apprécier tel nuage plutôt qu'un autre ? De quel droit préfèrerais-je l’orage au beau temps ? Ou au brouillard maussade ? Il est par ailleurs peu commun dans la Nature que les cumulo-nimbus se rassemblent spontanément pour dessiner au ciel une vue d’artiste de la bataille de Little Big Horn, ou y esquisser au fusain la lignée des lamas du Bouddhisme tibétain. On reste le plus souvent dans l’abstrait et l’informel. De même, quand un morceau de Steve Roach prend des formes reconnaissables, ou qu’il m’évoque des images, c’est comme un test de Rorschach auditif, même si ici un peu trop d’écho et de guitare trafiquée ne peut masquer le vide et dévoile même le problème de tous ces disques qui n’hésitent pas à se vendre comme autant de médicaments de l’âme : à force de les écouter, on ne devient pas plus lucide et conscient, mais plutôt hébété et saoulé de réverbération numérique. On baigne alors jusqu'aux genoux de la tête dans une sorte de purée sonore peu ragoûtante et vaguement lumineuse, un brouillard pas franchement menaçant, mais inhabitable à des humanoïdes, qu'ils fussent associés ou sociopathes.

(1/5)


Core (2001)

A l’époque, Steve se trouve au carrefour des genres déjà abordés, dont un bon paquet qu’il a inventés lui-même : futurisme primitif, tribal ambient, ethno-dépressif, transe de séquenceur classique et électronica fluette.
Il décide alors de tous les embrasser simultanément, en mixant les éléments organiques, électroniques, rythmiques et atmosphériques de ses mondes sonores dans le même poëlon. Il se détourne des concerts, des filles faciles, de la mauvaise coke et des blagues à trois balles, pour retrouver l’essentiel de son art. Ce sera hard. Core en naitra. Des copeaux d’autres disques sont ici fondus, raffinés, transmutés, restructurés, et ce parcours santé à travers les différents plans astraux de Steve est plaisant et varié, sans pour autant se résumer à une bande démo de sa palette d’artiste, toutes ses facettes sont exprimées et coulissent habilement les unes dans les autres, sans s’attarder plus que de raison. 
Une très bonne surprise.

(4/5)


Blood Machine (2001)
(en collaboration avec Vir Unis)

Malgré la pochette qui laisse craindre et espérer la bande-son d’un documentaire un peu ollé-ollé sur la vie sexuelle des plantes carnivores, on est vite saturé/submergé de beats cliniques/géométriques… album séquencé/saccadé ad lib/itum, plus synthétique qu’organique, même si ça grésille dans les sous-couches. C’est pas que ça manque de lumière, mais c’est un peu trop propre par terre, ça tient plus de la culture de brins d’ADN au labo que de la grouillante jungle poussant sur l’humus fécond des disques antérieurs en décomposition. Car comme Véolia Propreté, Steve s'est engagé à faire du déchet une ressource.
« Impulse » ou « Mindheart Infusion » sont pas mal dans le genre tribal ramolli, mais l’alchimie sent le plastique neuf. C’est fâcheux. Ennuyeux. Peu inspiré.

(1/5)


Early man (2001) : Réédition augmentée (2 CD)

A peine paru l’an passé, et déjà réédité en version augmentée d’un second cédé « L’homme Préhistorique décomposé » auquel les mêmes qualités s’appliquent : spectral, organique, liquide, voire boueux par endroits (pensez à prendre vos bottes avant de vous aventurer dans ses obscurs conduits), et surtout caverneux avec peintures rupestres. Tel un Rahan des âges cyber-farouches, Steve voulait créer un son d’apparence ancienne, et usé par le temps. « C’est vraiment devenu comme une fouille archéologique alors que je passais au tamis différents mondes sonores pour découvrir le noyau de l'homme primitif. »
Dans « Late Dawn », deux espaces sonores (la jungle et la grotte) se superposent pour en créer un nouveau, inédit et accueillant, à condition de ne pas abuser des sandwichs au pangolin que d’affables aborigènes vendent à la boutique-souvenir à côté de l’entrée du parc.
On peut somnoler et oniriser tout son saoul sur cet album atmosphérique, sans craindre de se réveiller en sursaut et l’échine couverte d’une mauvaise sueur parce qu’on s’est brusquement retrouvé confronté au porc de l’angoisse dans un souterrain maudit, comme ça arrive fréquemment avec d’autres disques roacheux, et aussi dans le final du Don’t Look now de Nicolas Roeg.

(3/5)


Time of the Earth (2001) 

c’est la bande son du DVD éponyme qui sortira ensuite sous forme d’album audio
=> voir Day Out of Time (2002)

Structures From Silence (2001)

réédition de l’album éponyme de 1984, sans bonus ni adjuvant de synthèse. 
Se référer à l’article de référence, dit "l'article 1" :

jeudi 25 mars 2021

250 disques de Steve Roach, et après, au lit !

Un livre qu'on peut lire en écoutant Steve Roach.
C'est même recommandé par les plus grandes marques
de machines à laver l'esprit de ses impuretés
par la musique des sphères.
J'ignore si Dieu croit en Dieu, mais il est certain que tout petit déjà, Steve Roach croyait en Steve Roach. Et c’est comme ça que parti de rien, il est devenu le pape de la musique cosmique, engendrant au cours de son big bang en expansion constante depuis quarante ans une myriade de nouvelles galaxies soniques en formes de sous-genres (dark ambient, tribal ambient), contraignant les gars du marketing à inventer de nouvelles étiquettes au fur et à mesure de l’exploration d’espaces sonores inédits par le maitre. 
N’appelons pas cela de la musique, pour ne froisser personne, et parlons plutôt de paysages sonores : lui-même évoque une vocation et des dons précoces pour sculpter ou peindre, et générer des formes de ses mains, à partir de rien. Depuis 1979, une discographie d’environ deux cents albums solo, et plus de cinquante projets collaboratifs. Il fallait bien ça pour tenter de rendre compte de l'inconcevable immensité du cosmos, du lent mouvement synchronisé des étoiles dans le ciel nocturne, des formes et des couleurs impossibles des nébuleuses. 
Mais Steve s'est aussi fixé pour mission :
1/ d'explorer et de cartographier le monde au moins aussi infini et bien plus mystérieux et complexe de l'être intérieur, 
2/ de tenir le temps à distance, et 
3/ de retisser un lien distendu, malade et oublié entre l'individu et l'univers. 
Le jour où il va décider d'envoyer un message fort au gouvernement, ça va être quelque chose. Mais comment s'orienter dans cette galaxie de disques spatiaux ? une oeuvre aussi foisonnante, avant d'intimer le respect, génère la désorientation et la recherche du syndicat d'initiative. En feuilletant un webzine sur les musiques transverses, je suis tombé l'autre jour sur une remarquable Rétrospective de l’oeuvre de Steve Roach entre 1982 et 2000.  

un disque de Steve qui promeut le voyage organisé
dans l'astral au mépris du passeport vaccinal
Comme je n’avais jamais lu une chronique d’une telle ampleur, qui survole vingt ans de carrière avec brio et concision, je fus subjugué, et après avoir reçu une lettre de menaces à peine voilées du rédacteur en chef du webzine, proposai spontanément mes services pour poursuivre l'exégèse de la saga de l'infatigable musicien électronique, dans un premier temps entre 2001 et 2010. 
Une décennie féconde, 5 albums par an en moyenne, dont des doubles, des triples et des quadruples…
Car j’aurais bien aimé disposer d’un tel guide, dans mon exploration hasardeuse des vortex sonores de ce monsieur, le long d’étroits boyaux ténébreux, la plupart du temps sans lumière et sans casque. 
(Un vortex est un tourbillon creux qui prend naissance, sous certaines conditions, dans un fluide en écoulement. Le trou d’air à l’intérieur du zigouigoui d’eau dans votre lavabo quand il se vide, si ça coule assez fort. Attention, si vous habitez en Nouvelle-Calédonie, le zigouigoui tourne dans l'autre sens. En principe. L’analogie du tourbillon creux dans un fluide en écoulement serait féconde pour étudier l’oeuvre roachienne, mais le nombre de pages dont nous disposons est limité.)

Un autre livre qu'on peut lire
en hurlant avec les loups
et en écoutant Steve Roach
Et il ne faut pas se priver du plaisir de la découverte par soi-même, au risque de la fameuse « connaissance par les gouffres » vantée par Henri Michaux dans ses exercices de spéléologie de l’esprit après avoir inhalé une boite entière de poudre de champignons périmés.
J’ai longtemps écouté Steve Roach pour de mauvaises raisons, en y cherchant comme un forcené ce que j’en entendais dire par ses laudateurs du service marketing, qui prétendaient à longueur de blog semi-pro que ça leur ouvrait les chakras et faisait taire leurs acouphènes, mieux que la sophrologie et la méditation de pleine concierge. 
J’ai longtemps cru à Steve, sans être toujours convaincu par ses créations. 
Mais il aiguisait mon sense of wonder. 
Bien mieux que Stevie Wonder, qui charme plutôt ma femme. 
Cité par Baptiste Morizot dans son remarquable « Manières d’être vivant », le philosophe gallois Martyn Evans définit le “wonder” comme “une attention altérée, irrésistiblement intensifiée, pour quelque chose que nous reconnaissons immédiatement comme important – quelque chose dont l’apparition engage notre imagination avant notre entendement, mais que nous voudrons probablement comprendre plus complètement avec le temps”. 

Scaphandre d'exploration not included
C’est quand j’ai visité l’Arizona, planète minérale d’où elle sourd même pour les mal entendants comme à jets continus, que j’ai le mieux compris la musique de Steve. On sort ici du temps humain pour entrer dans les strates du temps géologique, qui y sont encore visibles. Palpables. Crapahutables.
C'est pourquoi il y a quelques longueurs dans les disques de Steve.
Mais comme le dit Maître Zhu, « il est très difficile de trouver un chat noir dans une pièce noire, surtout lorsqu'il ne s'y trouve pas. » et je finis par me rendre à l’évidence : ce que je cherchais chez Steve, c’était à moi de l’apporter par l’intensité de mon écoute.
J'ai donc refait le voyage immobile à travers sa copieuse discographie, dans sa troisième décennie d’activité, et je fus tour à tour troublé, intrigué, agaçé, malmené, enivré de vertiges et en proie à une violente neurasthénie, mais au fond on s'en moque, car les univers sonores de Steve découragent radicalement les tentatives de "saisie-attachement" de la musique par l'auditeur. 

Si vous faites de la Saisie-attachement sur un vortex,
prévoyez un antivomitif costaud.
Saisie-attachement, terme emprunté au bouddhisme qui désigne une réalité universelle : ces milliers de filaments énergétiques qu'on déploie pour s'approprier et engluer de nos avidités le phénomène musical tandis qu'il se déploie dans le temps de l'écoute. Le Bouddha lui-même est très clair : « Il ne faut rien saisir ni s'attacher à quoi que ce soit. D'ailleurs, ultimement, il n'y a rien à saisir ni à s'attacher à." La Vacuité ce n’est pas le néant, c’est la nature réelle des phénomènes. Et Nietzsche ajoute, après avoir réécouté A Deeper Immersion VIII Ultimate Box set (4 CD, envoi sous pli discret) « Si tu plonges longtemps ton oreille dans l'abîme, Steve Roach t’écoute aussi. » D’ailleurs, c’est cela même que je trouve curieux chez ce monsieur : il prétend tutoyer l’infini et l’intemporel, et nous le faire goûter en tranches d'un peu moins de 74 minutes, mais à chaque fois ça rate, ou en tout cas quelque chose manque, puisqu’il éprouve le besoin de remettre ça quatre ou cinq fois par an depuis 4 décennies. Et on a beau lui dire à chaque fois « hey Stevie, si tu descends au studio, pas besoin d’en faire 4 CD », il n'écoute rien, ne suivant que son inspiration du moment.
Que reste-il de cette foisonnante décennie, une fois que les flonflons du dark ambient se sont tus, que ses lampions se sont éteints et que la fête est finie ?

250 disques au compteur, et pas moyen de retrouver
celui qui me plaisait. Me v'là beau.
Pour le savoir, Je suis parti de la discographie telle qu’on la trouve sur le site https://steveroach.com/discography/ sans omettre les compilations ni les rééditions, augmentées ou diminuées, de façon à ce que l’auditeur éclairé puisse s’y retrouver aussi bien que celui qui vit en basse lumière. Il y a quelques pépites, dissimulées sous beaucoup de scories. C’est clair que dans le doute, Steve ne s’abstient pas.
J’avoue n’avoir pas trouvé grand chose à mon goût, mais ça m’a au moins permis de ranger mes disques…
Mais c'est surtout l’appareil idéologique du merchandising autour, que je trouve irritant, voire horripilant, et que je dénonce. L’argumentaire déployé. Le business du new age, qui me révulse dans ses bobards : Il n’existe à ma connaissance aucune technique méditative sérieuse prenant pour support la musique électronique. Or, cette idée est à la base du pilonnage rédactionnel qui nimbe le florissant commerce des galettes de Steve d’une aura si gênante, avec son consentement implicite. Foi et fricomanie : on est bien aux USA. S'il restait de la colère en moi, après avoir réécouté 50 disques de Steve, j'en pleurerais d'une rage impuissante; heureusement, j'écris ça en écoutant un album vraiment magnifique de tribal ambient, malheureusement situé hors de la décennie que j’ai scrutée de mes poilues esgourdes.


Ca ne me dérange pas d’être le vieux punk dans le magasin de cathédrales new age. 
Il en faut bien un. J’ai fréquenté assez de fraternités spirituelles, des alcooliques anonymes aux sanghas tibétaines, pour discerner à l'oeil nu l’angélisme de la compassion. Enfin, dit comme ça, on dirait que je me prends pour Lavilliers, peut-être bien, tant pis ! 
En me prêtant au jeu de l'intégrale, j’ai eu parfois l’impression de « régler des comptes » avec la Steve Roach Singing Stones World Company®. Mais j’ai compris en parcourant ses interviews que c’est quand même un vrai mystique du son et de l’improvisation, dès qu’il taquine ses claviers, il branche un enregistreur, et il engrange de la matière, qu’il finit toujours par resculpter et publier sous une forme ou une autre, parce qu'il ne trie pas en fonction du "bon" et du "mauvais" de son inspiration. Quand sur certains disques on se retrouve face à des entités poisseuses, comme sur le live All is now (2002), ces entités n'ont pas l'air très human-friendly, mais elles ont le mérite d'exister, et Steve de les décrire. Dans le mauvais, il prend ce qui est bon; et dans le bon, il prend aussi ce qui est bon. 

Le meilleur concert de Steve eut lieu sous la mer 
il y a 300 millions d'années, devant une ammonite,
deux trilobites et un coelacanthe.
Car dans la musique cosmique, on ne va pas laisser de côté ni les soleils effondrés sous le poids de leur propre gravité, sous prétexte que leur bruit de fond n'est pas cool, ni les trous noirs dévoreurs de mondes au motif qu'ils sont très bronzés. Pas de discrimination au faciès pour les astres lointains; enfin, c’est mon intuition. 
J’aurais peut-être dû me cantonner aux albums que j’apprécie, histoire de ne pas générer de mauvais karma en disant du mal de ce type qui ne m’a rien fait. Les concepts qu’il développe dans les années 2000 sont parfois aussi incompréhensibles à mes oreilles que certaines formes malignes de freejazz. 
Mais quand même, faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des saumons d’élevage, en les gavant avec n'importe quoi.
L'exégèse démarre la semaine prochaine.
Y'a que la foi qui sauve. 


Y'a pas que sur les planètes inconnues que ça arrive.
En écoutant Steve Roach, c'est souvent le même parcours du combattant.
(analogie gracieusement fournie par Aâma, de Frederik Peeters)

jeudi 18 mars 2021

Julianna Barwick - Healing Is A Miracle - Extended Versions (2020)

Ca y est. 
Nous voici entrés dans l'an 2 du Covid Intersidéréal
Intersidéréal
Oui. Nous sommes sidérés, mais c'est réel. Pour complaire à la licence poétique d'Alain Damasio quand il essaye sa perçeuse à mots en rentrant de  chez Leroy Merlin, juste avant d'attaquer un nouveau bouquin, pour envoyer un message fort au gouvernement.

La perceuse à mots d'Alain Damasio (vue d'artiste)

L'année dernière, à la même heure, on ne pouvait pas aller à la mer. 
C'était interdit. 
Sauf en Nouvelle-Calédonie, où nos lointains cousins (les deux fils du frère de maman) ne furent confinés que du 23 mars au 20 avril 2020, tandis que nous étions assignés à résidence du 17 mars au 10 mai. Je n'ai jamais eu autant l'envie d'aller à la mer. Mais ça, c'était l'an dernier. La roue tourne. En Nouvelle-Calédonie, aujourd'hui « on attend l’astéroïde », plaisante un internaute. En une semaine, les habitants ont vécu une attaque mortelle de requin, une alerte au tsunami, un cyclone, et, pour parachever le tout, l’annonce, dimanche 7 mars, d’un confinement strict de deux semaines, à la suite du dépistage de neuf premiers cas de Covid-19. Sans parler de la chute du gouvernement collégial le 2 février, de l’incapacité de la nouvelle équipe élue à désigner un président, sur fond de querelle entre indépendantistes. Ni des risques de récidive du cancer de la prostate, ou de l'éventualité de la sortie d'un nouvel ouvrage de Houellebecq.
C'est pourquoi nous, Calédoniens de coeur qui refusons d'aller à la mer par solidarité avec les vrais Calédoniens organiques et reconfinés, et aussi parce que pour l'instant ça caille encore trop alors que chez ces enfoirés elle est à 28°, nous qui attendons donc mi-avril et la troisième vague pour un pique-nique tout nus dans les dunes, pour peu qu'on soit pas reconfinés nous aussi, sinon ça nous fera un prétexte pour gueuler contre la privation des libertés, en attendant nous trouvons un grand réconfort spirituel dans ce nouvel album de Juliana Barwick, dont nous ignorions tout, sots que nous étions. 
Ce disque, c'est vraiment la mer qui vient à nous. 
Presque en nous. 
(Prévoyez vos bottes en cas de coefficient de marée émotionnelle supérieur à 104.)

On dirait les Côtes d'Armor,
mais la pochette a été tournée en Islande.

J'ai lu dans la presse spécialisée que l'album "ne pourrait pas être plus en contradiction avec le paysage blêmissant dans lequel il débarque, et qu'il est pourtant difficile de l’imaginer émergeant à un autre moment. Sa musique promet un refuge - à condition de croire au pouvoir réparateur de ces voix de sylphes imprégnées de réverbération et bouclées à l'infini"... 

Les sylphes et les sylphides sont un symbole de beauté, de subtilité et d'aspiration spirituelle.
Esprits élémentaires de l'air, ils se situent à mi-chemin entre les anges et les elfes.
Ici, une sylphide déchue du céleste empire négocie ses charmes (goût Grand Bleu)
auprès des annonceurs de fromage mou, pour nourrir sa famille. C'est bien triste.

Si le mystère des musiques autoproclamées "thérapeutiques" suscite spontanément notre méfiance, c'est bien parce que nous avons un bout de verre cassé dans le coeur. Essayons encore.
En ce moment, pour les néo-Calédoniens brusquement privés de façade maritime, aller à la mer demande beaucoup d'imagination, en louchant sur la pochette, et en écoutant le disque à donf, et en priant pour qu'il suscite le sentiment océanique qu'il éveille. Ou pas. Ce qui surprend, à marée montante, c'est la familiarité spontanée de cette musique inconnue à base de sirènes en boite. Si on entend la mer, on entend quand même aussi beaucoup la boite, et la frugalité de la production. Il est vrai que ça sort chez Ninja Tune et pas chez Deutsche Gramofon. Mais j'adore Le Mystère des Voix Bulgares, alors je n'ai pas beaucoup tergiversé avant de l'acheter.
En parcourant la critique unanime, on découvre les ombres tutélaires de Jónsi, le chanteur de Sigur Rós, ou de Mary Lattimore, la harpiste inconcevable; ce qu'on peut en apprendre est instructif mais ne remplace pas l'écoute, tant il est vrai que parler ne fait pas cuire le riz.


L'album en prêt à écouter :

Le clip m'a fait sourire, parce qu'il réhabilite des effets vidéo tombés en désuétude depuis une bonne trentaine d'années. 


En Nouvelle-Calédonie, on pouvait jadis conjuguer la pêche sportive, le tourisme sexuel et la gastronomie.
C'était le bon temps.
Qui reviendra peut-être, mais pour l'instant, rien de mieux pour se consoler d'être reconfinés qu'une bonne salade de poulpe en boite avec le dernier Julianna Barwick, qui nous demande d’imaginer la guérison à un moment où la tâche semble impossible.

jeudi 11 mars 2021

The Flying Pickets - Lost Boys (1984)

L'autre jour j'ai voulu revoir les Anges déchus (Fallen Angels) de Wrong Car Wash, qui m'avait naguère tellement perturbé émotionnellement que j'en ai oublié l'avoir déjà revu la semaine dernière. Il faut dire qu'il règne dans ce film une grande confusion, et pas que sentimentale, du fait des lignes temporelles disruptives qui s'y frôlent sans s'y rencontrer vraiment, ou alors trop tard, quand la messe est dite, et que la destinée de ces êtres sans destinée est scellée, nous laissant finalement interdits devant un tel moment de poésie pure à base de méditation excentrique sur l’amour non partagé et l’aliénation dans un monde vertigineux de solitude, ce qui nous renvoie sans ménagement à notre adolescence sous-tendue par ces thèmes majeurs, et en sommes-nous jamais sortis, et vlan, prends ça dans les dents et passe-moi l'éponge, un monde où les mots se raréfieraient en altitude et ça serait pas du luxe, dans ce nouveau siècle au sein duquel Fallen Angels pourtant issu du précédent n'a rien perdu de son altérité. 
Prions pour que Wong Kar Wai ne visionne jamais le Tenet ni le Memento de Nolan, ça lui donnerait des idées surnuméraires pour envoyer valdinguer dans tous les sens mais aussi à l'envers les règles de la narration non-linéaire.  
Ce que je désagrée dans Tenet, en plus de tout le reste, c'est qu'il truande sur son identité à l'accueil pour s'inscrire dans la tradition ultra-codifiée et ô combien exigeante des récits de réversibilité du flux temporel, plus faciles à réussir en littérature qu'au cinéma. 


Un film profondément troublant sur l'illisibilité
de certaines polices de caractères verticalisées

Alors que Fallen Angels creuse son propre sillon, indifférent aux modes qui l'ont précédé et qui lui succèderont dans les Siècles des Siècles. Mais ses personnages sont autrement émouvants. Car même le spectateur le plus endurci par les Biennales de Berlinades de films dard et décès ne tolère que jusqu'à un certain point qu'on moque sa perception du temps étriquée et psycho-rigide, qui lui fait préférer commencer un film par le début, le poursuivre par le milieu et le finir par la fin. Il faut que le jeu du chat avec la temporalité de la souris, comme la simultanéité simulée des actions rapprochées par la magie du montage alors qu'il n'en est rien, serve le propos du film. 
Sinon, même avec du poil sous les ailes, les Anges déchus ne pourront s'élever bien haut dans l'azur cinématographique, et cette digression n'aura servi qu'à contourner par babord une affiche bien trop allongée.

à noter le satellite Spoutnik qui orne la pochette,
comme une invite subliminable et anté-chronologique
à courir nous faire injecter le vaccin russe
et lire l'article éponyme sur ce blog concurrent,
Spoutnik qui aurait été dessiné là comme par un hasard, 
 36 ans avant la pandémie, je n'insiste pas,
mes lecteurs sont majeurs et déjà vaccinés,
enfin j'espère pour eux.
Puis, soudain exténué après toutes ces non-aventures, je suis tombé sur cet avis, d'une irréfragable pertinence 
(= qu'on ne peut contredire ni récuser, et qu'il est malaisé de placer au scrabble).

"J'ai entendu la reprise de Only You dans la magnifique scène de fin de "Fallen Angels". La chanson est absolument transcendante dans ce contexte, mais en elle-même, 
il s'agit simplement d'un arrangement un peu irritant d'une chanson pop très bien écrite. On ne peut pas parler d'album long, puisqu'il ne dure que 40 minutes, mais c'est quand même une purge de l'écouter de bout en bout, les reprises étant invariablement pires que les originaux. Les plus atroces sont les Talking Heads, Bruce Springsteen et Bob Dylan."

Je ne m'inscris pas en faux. L'album des piquettes volantes sent un peu le moisi. Et la moisissure est une forme de vie qui se sent ici chez elle, comme sur les autres blogs funéraires. On aurait presque envie de lui dire "Entre ici, moisissure, avec ton sinistre cortège"... si on n'avait pas déjà passé 3 mois sur la blague, sur un blog hyper secret dont je tairai le nom, par décence.


Contient le hit "Only YOU" !!!

jeudi 4 mars 2021

Massive Attack - Singles 90/98 (1998)

L'autre jour j'ai voulu revoir Fallen Angels (les Anges déchus) de Wong Kar Wai, qui m'avait naguère durablement déchiré la rétine. Allah revoyure, donc, c'est un mélange inédit, foutraque et électrisant, de cinéma asiatique, que je connais assez mal, sauf les Coréens, et de Terry Gilliam au moment de sa découverte enthousiaste de l'objectif grand angle, découverte  dont il ne s'est jamais vraiment remis. Une contrefaçon dégriffée et low-fi du Karmacoma de Massive Attack déploie ses volutes sur certaines scènes d'errance & divagations (=> quasiment tout le film). Et voilà pourquoi, monsieur l'inspecteur, j'ai ensuite voulu réévaluer l'oeuvre de Massive Attack, et comment, de fil en aiguille, j'ai été mis sur la piste de ceci qui m'a conduit à regarder la liste de cela. Et c'est ainsi que je me suis retrouvé à m'infliger cette purge musicale, que dis-je, ce calvaire, cette ordalie, puis à la diffuser massivement, et attackement aussi, pour oublier dans le froid népenthès de l'upload que le trip-hop a vécu. On peut enfin le couler dans l'ambre et le mettre au musée des trucs cool. 
Avec tout Le Bataclan.



Mmmh, la belle mouche à caca.
Interviewée sur goût et texture, elle nous a déclaré :
"à la première bouchée, j'ai cru que ça en était, 
à la seconde, j'ai regretté que ça n'en fut pas".
Car pour l'instant, à part la reprise rigolote de Karmacoma par Portishead Experience, le mieux de ce que j'en ai ouï, c'est encore les morceaux avant retouche inclus dans le pack, et déjà présents sur les albums d'origine. Je suis content de ne pas l'avoir acheté, mais je ne suis pas fier de tenter de m'en plaindre. 
J'aurais préféré me réjouir d'aller dépenser les sous que je recommence à gagner, si ma femme ne boit pas tout en assurance voiture et habitation. 
C’est aussi un peu bien fait pour ma gueule, parce que j’avais prévu de faire autre chose aujourd'hui que rester devant l'ordi. Ce n’est donc même pas l’univers qui me maudit, mais moi qui me parjure.