Tous les matins, le boss arrive le premier au bureau. Sinon, c'est pas un bon boss.
J'ai ressorti ma platine vinyle, et à l'aide d'un simple câble minijack / cinch, du logiciel audacity et d'un peu de bon sens, j'ai rippé un vieux Manset de derrière les fagots. Peut-être son moins pire, empreint d'une certaine sobriété malgré le fil du rasoir de la complaisance... enfin bref, Manset selon la formule consacrée on aime ou on déteste, et que dire de ceux qui s'en moquent, en tout cas celui-ci me semble plus réussi (parce que plus léger) que beaucoup d'autres, on le devine même sourire sur le titre "l'atelier du crabe", ce qui est assez improbable...
Des chansons comme Manteau rouge ou Les rendez-vous d'automne représentent peut-être la quintessence de son art fait d'angoisse existentielle ritualisée et traduite en lancinantes ritournelles. Et Marin'bar aurait pu être chantée par Julien Clerc, autre chèvre célèbre, bien que broutant dans une autre cour. Images mentales bien construites, arrangements dignes et implacables... Réjouissez-vous !
[Edit] 17/05/2014
Ils ont l'air contents. On dirait presque qu'ils y ont pris du plaisir !
J'ai écouté son dernier ralbome d'auto-reprises, je n'en attendais rien, ben j'ai pas été déçu. Mais bon, il a bien le droit à la redite, ou à mutiler son oeuvre, il est Seigneur en son château comme chacun d'entre nouille. Ah, tiens, trente ans plus tard, il rajoute deux petits vers inédits et bien inutiles à "Manteau Rouge", poussant ma verson vers le collector.
M'enfin, il n'y a plus guère que cette ispice di counasse de Pascale Clarke qui se pâme d'aise quand elle l'invite en studio et qu'il condescend à répondre à ses questions de midinette.
Et pourtant, Manset on y revient, car on peut tout à fait l'aimer et le détester en même temps, et parler de lui c'est parler de nous. Je vous épargnerai pourtant ma conférence "Connaissance immonde" pour aujourd'hui parce que je sens bien que tout ce que je pourrais dire de pas sympa me reviendra dans la figure par la loi du karma, et qu'au fond cet album plutôt léger et guilleret se bonifie avec le temps. Mais si on ne s'est pas fait des nœuds dans la tête avec les chansons de Gérard quand on était petit, il est sans doute un peu tard pour commencer.
Pulls jacquart et guitares demi-caisse...la classe à Dallas ! C'était l'bon temps. Et dans le studio d'enregistrement, le masque restait sur le mur !
Quand on reposte un article déjà reposté, on devrait pouvoir inscrire "Repost2" dans le titre, mais ça fait tout péter l'interface. Tant pis. La semaine dernière, j'ai tenté de faire écouter du Manset à quelqu'un qui en ignorait tout, et que je ne connais que par internet, c'est à dire pas très bien du tout. Dans ce cas, il vaut mieux y aller mollo, sauf quand on est en crise hypomaniaque et qu'on passe à l'ouest du sens des nuances, et alors là, priez pour que votre femme ne vous chope pas derrière votre ordi en train d'écrire des conneries impliquées à des inconnus. Je disais simplement à cette personne comme ça me venait que Gérard Manset, c’est l’équivalent d’un test PCR anti-dépression : si tu n’es pas mise à bas en l’écoutant, tu ne seras jamais dépressive. Et du coup, tu n’as pas besoin de vaccin. Tu génères assez d'anticorps. C'était un peu fallacieux, comme argument. J'avoue. Limite antivax. Personnellement, je l’appelle Gérard Manchié, mais c’est parce que je l’ai beaucoup écouté, à un âge où ça rentrait comme dans du beurre, et le beurre dans le kouign amann. Soyons sérieux : le kouign amann n'a jamais rendu quiconque dépressif.Mais du coup m'est reviendu l'Atelier du Crabe, cet album atypique, pas du tout déprimant, à part peut-être "les Rendez-vous d'Automne" qui enfile des images vertigineusement angoissées et qui file des métaphores relatives à une apocalypse que le protagoniste sent venir sans pouvoir ni lui donner corps ni s'en défaire, comme dans le film "Take Shelter", disque léger, alors que tant d'autres du Maître semblent enregistrés sur Jupiter, ou au coeur d'un trou noir dont même la lumière ne peut s'échapper tant la gravité y est forte, disque postérieurement renié, mutilé, par Gégé-la-Saumure, l'alter ego décati-vieillissant de Gérard, son Gainsbarre, disque démembré comme beaucoup d'autres, dont il ne subsiste dans l'Histoire Réécrite par Gégé qu'une " version reconstituée tirée du coffret MansetLandia 2016. Version remixée, des paroles gommées (Automne), Manset relit au lance-flamme sa période 1970 - 1983 dont seul Orion sort indemne. À l' instar d' Yves Simon qui rejette sa période 1967 - 1971, Manset ne s' intéresse et ne respecte ses parutions qu' à partir de Matrice. La technique remplace la création originale. Regrets et gâchis."
C'est un commentaire utilisateur par celui qui l'a mis en ligne sur un fofo bittorent, du coup je n'ose même pas la télécharger, ça sert au moins à ça.
Concernant cette ressortie du frigo des originaux de l'atelier du crabe, que dire ? d'habitude, quand on met un crabe au frigo, ça pue, hier j'ai mangé une araignée de mer qui y séjournait depuis dimanche, franchement j'ai failli ravaler mon pass sanitaire et ma femme était grave incommodée par l'odeur, alors que là, non, tout l'album reste d'une insoupçonnable fraicheur, dense mais toujours élégant.
Marin'Bar dresse le portrait flatteur d'une splendide gamine, dans un pays exotique non précisé, portrait à la fois équivoque et sans aucune arrière-pensée. Et en plus, c'est une chanson enjouée. Thème et traitement à cent mille lieux des obsessions coutumières du monsieur. On est ici deux ans avant un an après Royaume de Siam, chanson pleine de déférence envers le caractère opiniâtre et résilient des habitants de la Thaïlande, sans doute la meilleure période de ce monsieur Manset qui se ballade alors beaucoup à l'extrême-étranger, avec nos sous, à l'époque où nous achetions ses disques étonnants, avant que de devenir un odieux connard et de saloper son oeuvre passée avec des remix de merde.
De toute façon, qu'est-ce qu'on en a à braire, que Warsen écoute un vieux Manset et le trouve moins pénible que les autres ? Il mourra moins bête, mais il mourra quand même.
http://des-chibres-et-des-lettres.blogspot.com/2009/12/gerard-manset-la-mort-dorion.html
C'est son avis et je le partage.
Et ça fait longtemps que j'aurais dû effectuer son rapatriement sanitaire sur ma tombe.
Sauf que le lien vers Groove Shark semble en vrac.
Je le remets là.
Et dans le bon ordre.
Ah Flûtabec alors ça marche pas.
Faut le faire en kit : on débarque sur le moteur de recherche, on tape "Gérard
Manset la mort d'Orion" dedans, et voilà.
Punaise, quelle interactivité !
Edit : en fait, son lien il marche très bien, ça dépan dekel ordi jmekonect.
Evidaman joré bien achté lalboum, mé sepauvr Gégé l'a piloné, ilété pakontan de son travail.
Ilorédu ékouté sépotes, mé p'têt kilan napa, ce qui expliquerait beaucoup de choses à son sujet, mais ne hurlons pas avec les loups pour ne pas mettre le feu aux poules.
Pas de mémorial décent sans cet albome mitique. Capdevielle, c'était un Manset de bazar, avec moins de classe (de préciosité) et plus de coffre : une voix qui louchait sur Springsteen, bien qu'a la relecture on puisse se demander si en fait le malheureux ne souffrait pas surtout d'un problème de transit intestinal, un univers qui se voulait dylanien... Ca a marché le temps d'un album. On a pu y croire, avant de découvrir brutalement l'os au milieu du pâté : "qu'est-ce qui va rester quand l'rock'n'roll aura cessé d'exister, qu'est-ce qui va rester si vous m'tuez ?" dès le second opus, naufrage intégral dans le Ridikül. Si vous voulez lui faire coucou, il a continué ici. Tiens, faudra que je trouve un vieux Manset, aussi. Avec mon fils en 2007 on a fait des délires genre "le dernier ralboum de Jean-Dick Capdegarn" (on trippait Capdevielle + Dick Annegarn) mais on n'a rien enregistré. C'est ballot. D'autant plus qu'à l'heure où j'écris ces lignes, il tape comme un sourd (mon fils, pas Capdevielle) dans le garage avec des potes à lui, métalleux au cheveu gras et à l'oeil terne, et que ça n'aide pas ma laborieuse rédaction. http://www.megaupload.com/?d=MMKN8Z6D
La pochette d'origine, classieuse (je dis ça pour dissiper toute équivoque)
Il existe deux pochettes pour cet album, l'une assez élégante, l'autre beaucoup moins. C'est un des mystères de l'existence des directeurs artistiques à travers les âges.
La réédition 6 mois plus tard, augmentée d'un titre (pochette qui dissipe aussi toute équivoque, mais pas pareil)
Quand j'ai envie de pleurer sans prendre prétexte de réécouter Gérard Manset, j'écoute cet album d'Hector Zazou. Ou si je n'en ai pas l'opportunité, il me suffit de penser à la pochette version "mon cul sur la commode, avec la photo d'Hector mort au mur, et qui ne peut même pas en profiter, vu qu'il est du mauvais côté".
En effet, quand on est mort, la rigidité cadavérique nous interdit de nous retourner pour apprécier une paire de fesses dont nous n'avons pourtant plus l'usage (dansrigidité cadavérique, le mot clé c'est cadavérique, et non rigidité).
où l'on peut en écouter des extraits, un peu comme à la Fnac quand le vendeur était d'accord pour fendre le cellophane du 33 tours sur la tranche et nous placer dans une cabine d'écoute, ce qui ne nous rajeunit pas.
En tout une douzaine de titres souvent vaporeux, langoureux, cafardeux, mais le cafard susurré par une jolie voix féminine c'est quand même mieux que le cafard tout seul, des fois on jurerait entendre Björk, la chanteuse islandaise tellement ravagée qu'elle porte le nom d'un petit déjeuner aux céréales, d'autres fois la pulpeuse chanteuse de Elysian Fields, hé bien non, dans les deux cas on aurait tort. C'est pas elles. Mais on n'a pas peur d'avoir tort, ce qu'il faut craindre c'est le besoin d'avoir raison.
Il y a sur l'album des chansons plus mortifères que d'autres. Mais le souci constant de Zazou de s'entourer de jolies femmes qui chantent avec suavité les effondrements de l'âme plaide en la faveur de quelqu'un qu'on ne peut vraiment suspecter de détester la vie, même s'il l'a quittée depuis.
Parti pêcher le maquereau, Hector revint avec de belles morues.
On pense aux remèdes à la mélancolie énumérés par Ramon Pipin dans Chèque baby chèque : "Je ne chante la solitude qu'entouré de vingt personnes / mes histoires d'amour sont prudes mais à tous les vices je m'adonne / les mélodies du malheur restent ma spécialité / et je mets toute ma ferveur à ne jamais rigoler." Certes, la stratégie d'Hector est plus subtile et n'inclut pas de dimension parodique; encore que, en contemplant la version 2 de la pochette, on puisse avoir des doutes. Et les photos du livret sont signées John B.Root, un pornographe qui eut son heure de gloire dans les milieuxXX autorisés; et alors ? Zazou est mouru en 2008, nous privant de la possibilité de l'interroger à ce sujet; s'est-il moqué du monde ou pas, avec ce trip-hop languide ? Rêvait-il de se taper son aréopage de chanteuses dépressives et mystérieuses, et ne le pouvant, il leur a sublimé des textes et des écrins musicaux pour les y enchâsser ?
A la longue, la puissance vénéneuse des pièces du disque s'estompe, au profit d'un vague à l'âme complice. Si vous absorbez un champignon moyennement toxique tous les jours, l'effet du poison s'atténue.
Autre cas : quand vous vivez avec un cancer, que vous apprivoisez, à condition d'être dépisté à temps, et que vous finissez par tutoyer. Si lui commence à vous parler, par contre, n'hésitez pas à consulter votre oncologue. Ou à lui passer Strong Currents. Les textes du disque semblent d'une insondable intimité. L'élégance le dispute-t-elle à la préciosité ? ou lui-colle-t-elle un atémi à la carotide, comme Chuck Norris ratatine Gérard Manset ? La gravité féminine qui nimbe le projet dans son ensemble est un peu intimidante, pour qui n'a jamais su parler aux femmes quand elles étaient en train d'enregistrer, parce qu'elles étaient bien capables de répondre "mais Chut-euh, tu vois pas que j'enregistre, connard ?"
Si l'on s'interroge sans fin, il faut alors scruter d'un oeil rougi par l'anxiété et le manque de sommeil les explications sur la genèse du projet :
qui n'expliquent rien en tout petit, mais évoquent bien le destin de Zazou, passeur.
Il faudrait sans doute fumer quelque chose de plus costaud que du CBD en écoutant ça pour avoir une révélation divine. Mais je ne fume pas de CBD, pour la même raison que je ne mange pas de cassoulet light.
Cher journal,
j'ai eu encore un éclair de lucidité au bureau, et pourtant j'y suis souvent.
"Moi j'ai pas envie de travailler, Je n'aime pas les congés payés"
chantait Nino dans "Le Blues anti-bourgeois", critique radicale de notre société productiviste qui nous suggère d'accumuler les biens de consommation et les disques rippés en mp3 sans rime ni raison, à moins que ce soit une mise en boite des loulous rive droite des années 60, et en tout cas je l'ai beaucoup écouté quand j'étais petit, moyen, grand, vieux.
Avant de saborder volontairement sa carrière de chanteur yé-yé à succès et devenir un certain hippie incertain, Nino Ferrer a commis une pelletée de 45 tours endiablés, empruntant au rythm'n'blues une fièvre communicative, lui tordant la gueule au passage en lui insufflant avec la bouche une orientation tragique et dérisoire par des paroles flirtant entre le narquois et l'absurde, donnant avant l'heure ses lettres de noblesse au namedropping sans que ça puisse dénoter chez lui d'un manque d'inspiration en prétendant le masquer. http://home.nordnet.fr/jlegohebel/nino_ferrer/la_page_nino_ferrer_discographie.htm
Quand j'ai acheté ce disque, la photo de pochette était toute autre.
Cher Nino,
je n'ai pas grand chose à ajouter, sinon que tes chansons vieillissent mieux que moi.
J'ai repensé à toi et à tes ritournelles des années 60 lors d'un récent ouikende à Paimpol, car un de mes amis de collège méconnaissouzévaluait (approximativement traduit du néologisme américain misunderestimate que l'on doit à Georges Bush) un des titres de l'album, "Mao et Moa".
Et je me suis aperçu que l'album n'était plus tellement disponible ici ou là.
Tu ignorais alors que 25 ans plus tard, tu périrais de ta propre main, dans des circonstances vaguement inspirées des péripéties de l'héroïne de "Justine" (ta chanson, pas la rengaine sans gaine de Marquis de Sade)
Comme si ta vie avait été aussi pathétique, problématique, pathologique que dans ces petites fables énumératives où tu sacrifiais parfois le sens à la prosodie, pour la plus grande joie des petits et des grands.
Et puis j'ai retrouvé cette pochette du 45 Tours 4 titres que j'écoutais à donf à 4 ans 1/2, que même mon père il a failli jeter le tourne-disques, et j'ai regardé sur Youtube si je ne trouvais pas les titres qui n'étaient pas sur Satanée Mirza.
J'en ai trouvé une poignée, qui s'inscrivent dans la même veine peu exploitée depuis que tu l'as quittée début 70's, puisqu'elle emprunte autant à Gérard Manset par les thémes abordés qu'aux Charlots par l'interprétation.
J'ai aussi retrouvé la photo originale de ma compile, qui fait de toi le gendre idéal bien qu'un peu mélancolique de toutes les aventurières de l'entresol, dans les siècles des siècles.
Sur ce mini-album home-made offert en bonus, il y a au moins deux bijoux méconnus :
- une adaptation de "It's a man's world" de James Brown qui n'a pas grand chose à envier à l'original.
- "Ma vie pour rien" est une variation somptueuse sur The House of the Rising Sun revu par Johnny Hallyday, qui résonne comme une farce tragique et hantée, c'est à se demander si tu n'étais pas bipolaire.
Nous ne savons jamais avant la fin si ce qui nous arrive n'est Rien, aussi douloureux que ce soit, ou Tout, aussi insignifiant que ça paraisse. C'est ce que me disait une psy dans les années 90, et je me disais que quand même, elle en avait sous la godasse.
35 ans plus tard, pour l'instant (08h33), rien ne la dément.
L'incertitude est seule à demeurer certaine, et l'impermanence reste permanente. Raison de plus pour écouter ce nouveau florilège à fond les gamelles en désherbant le potager, ne serait-ce que pour faire suer le voisin qui a décidé de faire construire une nouvelle maison le long du mur qui délimite notre propriété.
La propriété c'est le vol, disait Proudhon en pensant aux mecs qui téléchargent.
Il n'y a pas beaucoup de nouvelles nouveautés, dans ma playlist. Je n'en disconviens pas. La trouvaille, c'est Francis Cabrel qui, se réappropriant une antienne de Gérard Manset, gomme ses facilités, élude la préciosité de son désespoir aromatisé à la banane pour en faire quelque chose d'assez décent, en tout cas pour ceux qui apprécient la cabrélisation des oeuvres, pour qui c'est ainsi qu'on voit la grandeur consécutive d'Allah.
Ressorti de mon frigo hyper-secret et d'une actualité intemporelle et néanmoins brûlante, enrichi de quelques hyperliens et maquillé en voiture neuve, cet article a pris moins de rides que moi, bien que je désenvahisse la Pologne à vitesse petit vé.
Evidemment, si le malaise n’était que musical, on s’abstiendrait d’écouter des disques qui procurent inoportunément l’impression que le train est passé sans qu’on soit monté dedans, (cf posts précédents) et d’ailleurs où pouvait-il bien aller, surtout si notre besoin de s’emplir de musiques nouvelles évoque d’autres besoins plus anciens, et qu’on sait déjà par expérience que le trou à remplir est sans fond, et se dire (sans le faire) que tant qu’à ressasser, autant ressasser des mantras, ils sont là pour ça à condition d’y mettre du coeur à l’ouvrage. Mais bon, sur un blog consacré à l’auto-addiction®, quand on a épuisé le sujet on peut bien passer un peu de musique, ça finira bien par ramener au Sujet, épuisé. Un peu comme le cinéma, la musique et ses personnages hauts en couleur procurent des plaisirs de substitution à tous ceux dont l’emploi de bureau ne comble guère les besoins d’aventure. ET pourquoi la musique ? c’est aussi un monde d’où le doute est banni, ma perception m’informe immédiatement sur mes goûts et mes dégoûts, je n’ai que des certitudes. De là à croire que partager ses certitudes est enrichissant… c’est comme le gars qui lit la presse d’opinion pour être conforté dans les siennes, ça tourne un peu en rond, mirontaine mironton.
Imaginons donc que je me la joue “aspirant-au-buzz musical se poussant du coude dans sa sphère d’influence réduite à lui-même” et que je me fasse l’avocat du démon du téléchargement; moins évident que les filles d’hier, parce que c’est compliqué de mettre un mp3 en ligne sur un blog du Monde, qui réduirait ma logorrhée à la portion qu’on grute; ayant néanmoins retrouvé le goût de la curiosité pour la chose sonore (pour cause de symptôme baladeur, et parce que j’ai toujours été un gros consommateur de musique, cet espace qui s’ouvre à l’intérieur de l’autre sans le recouper) je tombe récemment dans le bureau d’un collègue sur une obscure compilation d’artistes ayant participé il y a quelques années aux Transmusicales de Rennes, festival réputé à juste titre pour défricher de nouveaux territoires. Et qu’est-ce qui accroche mon oreille, mmh ? un groupe disparu, un disque introuvable (le groupe s’appelle Sweet back et le disque Amok, et le temps que je comprenne les implications il est déjà trop tard pour s’esclaffer) que je me procure donc par des voies licencieuses, et ô surprise, c’est pas comme dans les compils des Inrocks quand le seul morceau potable, celui qui justement était sur la compile, vous a fait acheter une daube pleine d’hormones, là tout l’album est du même tonneau. On dirait des sessions instrumentales inédites de Morphine période “Cure for Pain“. Hallelouia, merci ô démon du téléchargement.
Une bien belle pochette de Pif le Chien Andalou.
Quelques jours de diète sonore font d’ailleurs remonter à la limite du champ perceptif de vieilles rengaines : Johnny Rotten période Sex Pistols ou Howard Devoto période Magazine, ou encore quelques années plus tard les juifs ashkénazes de Minimal Compact et leur cold wave existentialiste, tous figés/empaillés dans la splendeur primordiale du nihilisme adolescent et jubilatoire, qu’on revisite comme dans un musée, puis qu’on combat avec des antibiotiques à large spectre : faux prêcheurs farceurs d’Alabama 3, ambient-dub de Bill Laswell, qui n’a jamais eu un jeu de basse extraordinaire, mais qui s’est toujours retrouvé au centre de collectifs hallucinants, et c’est peut-être ça la Sagesse, de savoir bien s’entourer, et qui a joué avec tellement d’avant- gardes expérimentales, qui vont du total planant au trash-jazz-métal en passant par une palette de styles musicaux étonnants, dont certains qu’il a inventés lui-même, qu’on se demande quand il a trouvé le temps de dormir, d’aller pisser et d’épouser la chanteuse éthiopienne Ejigayehu Shibabaw (gasp !), lui qui est à la musique moderne frappadingue ce que Steve Roach est au new-age mou du genou : le nouveau Balzac, et je n’en reviens toujours pas de découvrir des allumés qui passent leurs nuits à faire partager leur passion, certes au mépris des droits d’auteur, mais c’est quand même moins prévisible et plus audiovisuel que mes lancinances et rotomontades d’ex-futur rock critic… ceci dit, si je perds mon temps à écrire cet article en faisant comme si je voulais en venir quelque part, alors qu’il serait si simple de mettre en ligne l’intégrale de King Crimson remixant Gérard Manset et tout le monde verrait de quoi il retourne, il est normal qu’en retour je tente de vous faire perdre le votre, je veux dire, c’est humain… bon c’est vrai que je connais aussi des mecs qui mettent à la disposition de leurs frêres affamés leurs collections persos de photos de cul sur des serveurs plus ou moins accessibles, et qu’à une époque tant d’admirable philantropie me scotchait grave à mon écran, me mettant la larme à l’oeil et la goutte au nez… mais aujourd’hui je trouve ça moins élégant que de proposer de la musique en ligne, surtout si elle est très difficilement accessible ailleurs, alors que les robinets à porno sont omniprésents, et diffusent à l’envi leur totalitarisme soft (selon l’expression de Baudrillard) ou hard (selon la tronche défaite de ceux qui ploient sous son joug.)
Après tant d’excès et de rapines sonores, on se surprend à rêver la nuit de gens malhonnètes et de ruelles non éclairées, dans lesquelles on n’ose s’aventurer parce qu’on se doute bien que ce qui nous y guette tapi n’a rien du comité de quartier. Les souvenirs soit-disant personnels deviennent plus précis mais moins accablants qu’on croyait. Si on réussit momentanément à refaire un film tragique à partir du stock mémoriel, l’instant d’après on n’y croit plus, et puis qu’est ce que ça sera dans 20 ans si on n’essaye pas de changer de disque, même en ayant pris la mesure de l’inertie du navire, de moins en moins maniable au fur et à mesure qu’il accomplit son trajet vers sa destination finale et inconnue, ses cales emplies d’un amer bitume ?
“cause the righteous truth is there aint nothin worse than some fool lyin on some third world beach in spandex psychadelic trousers smokin damn dope, pretendin he gettin conciousness expansion, I want conciousness expansion I go to my local tabernacle and I sing!
Alabama 3 “Ain’t Goin’ To Goa” (1997)
Commentaires
A propos de Steve Roach, tu connais “Secret Rooms” de Kevin Braheny ?
Rédigé par: flopinette |le 30 janvier 2008 à 13:02|
non, mais je viens de le trouver là (encore un site de partage, et j’ai même pas fait exprès, décidément…) http://stigmarestroom.blogspot.com/2007/05/kevin-braheny-secret-room-1991.html
à la première écoute, ça me rappelle plus Vangelis que Roach… et les sons synthétiques m’en semblent bien naïfs…mais vu ce que j’écoute en ce moment, je me rappelle que quand je buvais beaucoup de mezcal je trouvais que la tequila c’était de la flotte… et que quand je trouve quelque chose cucul, j’ai intérèt à gratter pour voir s’il n’y aurait pas une vraie émotion derrière.
Rédigé par: john |le 30 janvier 2008 à 16:26|Alerter
Si je l’ai cité avec Steve Roach c’est qu’ils ont fait un album ensemble, Western Spaces (pas inoubliable), et la piste 6 de Dreamtime Return 1 sent très fort le Braheny aussi, mais je ne sais plus où j’ai mis la pochette du CD pour vérifier.
Ce que j’aime surtout chez lui c’est son violon synthétique qui a une texture sonore très intéressante (et qui est l’élément principal de Dreamtime Return 1-6).
Rédigé par: flopinette |le 31 janvier 2008 à 09:29|Alerter
p’tain c’est super-technique comme discussion mélomaniaque… j’ai du mal avec tout ce qui est narratif chez Roach, je préfère les immersions ambient gloubi-boulguesques. Bon comme c’est toi la prescripteuse, je vais réessayer dreamtime return, je te l’échange contre les tibétains de mon nouvel ami (essaye de trouver sa photo, c’est une publicité vivante pour ce qu’il écoute) http://music-share.blogspot.com/2008/01/3-laswell-ambient.html
Rédigé par: john warsen |le 31 janvier 2008 à 10:45|
Trop chiants les tibétains… Pour le reste, rassure-toi, on n’est pas obligés d’avoir les mêmes goûts musicaux.
Rédigé par: flopinette |le 31 janvier 2008 à 14:33|Alerter
3/02/2009
Le mec qui a rippé le vinyle avait pas mal usé le sien... il est rayé, il craque... pourquoi donc ai-je vendu le mien, qui était nickel, aux Puces il y a 25 ans ? pour pouvoir ensuite souffrir de son absence ?
On écoutait ça chez Claude Villers, dans "Marche ou rêve", où Nicolas Hulot faisait ses débuts de chroniqueur... heu, non, c'était dans son émission précédente, "Pas de panique", avec Patrice Blanc-Francard qui faisait le couillon sur "les aventures d'Adolf, le petit peintre viennois", un truc que plus personne n'oserait faire aujourd'hui.
Bref.
On croyait qu'écouter de la musique était un acte politique, parce que c'était de la chanson engagée.
Si vous avez une meilleure copie, n'hésitez pas...
Le lien est dans les commentaires, si je mens je vais en enfer !
[Edit] 19/05/2014
Sidéré par cette époque où les chanteurs avaient quelque chose à dire sur le monde et la société, sauf Gérard Manset, qui en bon bourgeois issu du XVIeme arrondissement proclamait dès 1976 "je n'ai rien à raconter", alors que ça allait mettre 10 ans à se confirmer.
Et ça avait de la gueule aussi, bien que le volet social de ses vertiges métaphysiques s'en soit toujours ressenti, l'empêchant pour toujours de participer aux meetings de Jean-Luc Mélenchon.
Comme un gentil auditeur me faisait remarquer que les 2 albums d'Imago n'étaient plus dispos en download, j'ai trouvé un enregistrement de ce second opus bien meilleur que l'ancien.
On peut l'écouter les yeux bandés, et savourer chacun de ses albums comme si c'était le dernier !
On me parle souvent de « Tout corps vivant » (son premier album, à Hubert-Félisque, pavé d’une radicale altérité dans la mare de la chanson française de l’époque) mais celui qui récolte mes faveurs en tous temps c’est le second, « Autorisation de délirer », et dans une moindre mesure « Dernières balises avant mutation » quelques années plus tard. Variété des thèmes, originalité du traitement, et incommensurables réjouissances neuronales à l’époque.
Après, il s’est un peu enschnoufé la truffe, et s’est mis à s'autoparodier sans le vouloir, bien qu’il soit un peu revenu à la barre ces dernières années, après avoir survécu à ses pulsions d’autodestruction.
Et pourquoi son capital-sympathie est-il intact, alors que celui qu’on avait pour Lavilliers s’est effondré pire que la Bourse en 2008 ? En fait, Lavilliers, ça va mieux aussi, merci, depuis quelques albums, la résilience c’est la bonne ambiance. C’est Manset qui apparait enfin comme un vieux con prétentieux même à ses plus ardent fans.
C’était la rubrique « on s’en fout, les disques ne faisaient que 45 minutes et les journées n’avaient que 24 heures, et ça ne s’est guère arrangé depuis. »
Je n'aime pas du tout ce disque, hormis le titre qui ouvre l'album. Complaisance, prétention, facilités d'écriture et médiocrité des arrangements s'y donnent gaiement la main. Mais il y a quarante ans, je ne disais pas ça. Et sans celui-ci, il n'y aurait peut-être pas eu celui d'après, "l'atelier du crabe". Et j'ai mis quelques semaines à trouver des versions correctes des fichiers (il circule partout une version 160 kbps trop aiguë.) Et Gérard l'a mis au pilon, toutes les versions postérieures à 1983 sont tronquées, avec des titres empruntés à d'autres albums. Donc il doit quand même y avoir quelque chose de bon dedans.
Au bout d'un moment que je bourrine des sites de vente en ligne et que je découvre de nouvelles pelletées de romans de lui dont j'ignorais absolument l'existence, je me rends compte que j'ai envie de Silverberg comme j'aurais envie de clopes, d'alcool ou de porno. Pour apaiser la tension née d'un désir insatisfait et auto-engendré.
Ca fait des lustres que je prétends écrire un de ces jours un article sur la psychopathologie du téléchargement illégal; pas quelque chose sur les conséquences néfastes du vol à l'étalage cybernétique sur le commerce ou la culture, non, rien que du vécu, de l'intime, quand ça tourne mal du point de vue des utilisateurs. Le titre de l'article divulgâche quelque peu le contenu attendu. Psychopathologie, ne riez pas, car comme l'alcool, la dope, le gaz hilarant, les playlists Spotify ou la pornographie, le partage de fichiers peut devenir une passion néfaste, débouchant sur une addiction, et la malédiction des fichiers hébergés sur disque dur ouvrir un enfer un peu pénible à traverser, pour soi et pour ses proches, une fois qu'on est prisonnier de l'inutile.
(cf le tuto de la soluce : si tu traverses l'enfer, surtout ne t'arrête pas, disait Churchill, et n'oublie pas de ramener le pain, ajoutait sa femme.)
le geek intrépide, juste avant de se lancer dans l'aventure de traverser l'enfer sans slip de rechange
Je crois que l'heure est venue de me confesser devant mes cyber-pairs. Cette arlésienne de l'article remis à tantôt n'a que trop duré, et mon état s'est aggravé pendant des éons, longtemps avant que le ministère du Blasphème et du Download me tombe dessus, et je lève le pied grâce à la riposte graduéeavant que ça finisse encore plus mal que ça n'avait commencé.
Deuxième avertissement –Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom)
Madame, Monsieur,
Il a de nouveau été constaté, par procès-verbal,le dimanche 16 mars 2025 à 06 heures 19*, qu’une ou plusieurs œuvres ont été téléchargées ou partagées depuis votre accès à internet, en violation des droits d’auteur. Ces faits peuvent constituer une infraction pénale.
Faits :
Vous avez souscrit un abonnement à internet auprès du fournisseur d’accès à internet ORANGE/FRANCE TELECOM, vous êtes donc légalement responsable de l'utilisation qui est faite de cet accès. Vous avez déjà reçu une première recommandation par voie électronique (chris**.p*@orange.fr) le 5 mars 2025 car votre connexion a été utilisée pour mettre en partage, sans autorisation, des œuvres protégées par le droit d’auteur.
Depuis, de nouveaux faits ont été constatés à partir de votre accès internet :
L'album/La compilation/L'œuvre musicale « Fortaleza » de Bernard Lavilliers le dimanche 16 mars 2025 à 06 heures 19 (GMT), par l'intermédiaire du protocole « BitTorrent » (logiciel qBittorrent) , depuis l'adresse IP 2.1*.1*.1**
Conséquences :
Si, malgré les avertissements reçus, votre accès à internet est à nouveau utilisé pour des mises en partage d’œuvres protégées, vous êtes passible de poursuites devant le tribunal de police pour contravention de négligence caractérisée. Vous risquez alorsune amende d’un montant maximum de 1500 € (7500 € pour les personnes morales)en application de l'article R. 335-5 du code de la propriété intellectuelle.
Pour plus d’information à ce sujet, vous pouvez consulter le site internet de l’Arcom :https://www.arcom.fr/
Le téléchargement illégal prive les créateurs de leur rétribution et représente un danger pour l’économie du secteur culturel. Il vous expose en outre, vous et votre entourage, à des contenus inappropriés (pornographie, violence) ou malveillants (virus, spams).
Comme le prophétisait Ptiluc dès 1985, la gratuité ne résoud pas tous les problèmes.
Je me suis fait gauler à partager "Fortaleza" de Bernard Lavilliers, putain, avec Nanard, on est entre rebelles ! Fortaleza, sur l'album Pouvoirs, le brulôt anticapitaliste que j'avais acheté en vinyle en sortant du lycée en 1978 !
Je suis vexé. J'ai acheté et racheté ce disque, et on me menace comme si j'étais sorti de chez le disquaire avec un skeud sous le zonblou, et que ça se voyait un peu. Faut dire que les disques Longue durée 30cm, c'était sans doute pas facile à tchourer. Alors qu'avec internet, et l'immatérialité des fichiers... peut-on parler de lâcheté numérique ?
Et ce qui me blesse, aussi, c'est que je me croyais immortel, surtout depuis mes 2 cancers, et intraçable sur le Net. La menace de la sanction me démontre que j'avais surtout perdu le sens des réalités. Mes proches ne comprennent pas pourquoi je m'adonne à cette passion funeste du "partage" (le fait d'héberger les fichiers et de les mettre à disposition des autres internautes quand mon ordi est allumé), et me suggèrent de souscrire un abonnement Netflix. Si je me contentais de streamer un contenu ou de faire du direct download, j'aurais pas ces soucis : seuls les adeptes du partage en réseau sont accessibles aux gendarmes : la Hadopi (aujourd'hui l'Arcom) ne peut intervenir que contre l’utilisation de réseaux P2P, où les partages de films ou d’albums de musique sont réalisés sur la place publique, à l’exception des rares réseaux P2P chiffrés.
C'est vrai que si je me fais choper, la troisième fois c'est 1500 €, quand même. On peut en acheter, des Blurays, avec ça. Mais je n'ai pas de lecteur Bluray. A un moment donné, je n'ai pas eu envie de racheter en Bluray ce que j'avais déjà acheté en VHS, puis en DVD, et je me suis laissé tenter par l'illégalité. Où l'offre, en quantité comme en qualité, était bien supérieure à ce qu'on trouvait sur le marché officiel.
Heureusement, on ne peut pas télécharger illégalement le pain (ça serait la ruine des boulangers)
Je me demande un peu où est passée notre fougue à diffuser et à incarner les intuitions de Roland Barthes sur la société de consommation, insistant sur le fait qu'elle crée une dépendance où les individus sont encouragés à acheter toujours plus de biens et de services pour atteindre le bonheur et l’épanouissement et dénonçant une société qui privilégie l’apparence et la superficialité au détriment d’une véritable compréhension et d’une réflexion sur les enjeux sociaux et culturels. Faut croire que comme l’alcool et les cravates de notaires, les séries télé et les intégrales des bootlegs de Bob Dylan sont puissantes, déroutantes, sournoises. La sédation est profonde. Le capitalisme nous réserve à chacun selon ses goûts un anesthésiant de première bourre. Aah ça, j'en ai vu, des films et des séries, et j'en ai stocké 10 fois plus sur mes disques durs, mais en x années de téléchargement clandestin, je suis devenu un genre un peu exotique de gros con, un rebelle qui regarde sa télévision piratée après y avoir bossé toute la journée. C’est pour ça qu’y tourne en boucle. Je vois ça grâce à la méditation, que je reprends maintenant que je peux m'asseoir sans souffrir de la pièce manquante autour de mon premier chakra. Alors allons-y pour la complainte du repenti, le return de la revenge of son of Hadopi. Malgré tous mes efforts, je ne parviendrai jamais à égaler le style d'Alexandre Vialatte dans son recueil d'articles "Et c'est ainsi qu'Allah est grand". Desproges lui doit beaucoup. Ou alors ils s'abreuvaient à la même source poétique. L'esprit souffle où il veut. Mais quand ça veut pas, ça veut pas.
l'important, c'est de reconnaitre son erreur
Au début des années 2000, j'ai été comme beaucoup d'autres geeks attiré par les sirènes du BitTorrent. Ce protocole de partage de fichiers "de pair à pair" permettait à chaque internaute de devenir à la fois serveur et client de ses semblables; pas comme dans un bistrot, non, comme dans un réseau informatique; je finis par être recruté sur des trackers privés, ces serveurs qui facilitent la recherche de pairs (seeders et leechers) pour le partage de fichiers via le protocole peer-to-peer, réservés aux membres inscrits, avec souvent des règles de ratio pour limiter l’accès, et je vis s'ouvrir à moi des casernes d'Ali-Baba, remplies de rayonnages à l'étendue vertigineuse, des entrepôts Amazon sans caisse de sortie, à s'en prendre les pieds dans l'étagère du bas quand on lève la tête pour contempler l'armoire qui monte jusqu'au ciel, et là c'est le drame. Chez les trackers privés, c'était une pépinière de cinéphiles, qui encodaient eux-mêmes, trouvaient des sous-titres à des films improbables et introuvables sur le marché légal. Les mots-clés, chez moi, c'était curiosité, avidité, immunité. A mon tour, je me suis formé, j'ai traduit, j'ai sous-titré, j'ai encodé, j'ai partagé. C'était tendance. Le royaume de la copie privée. Avec la même émulation que dans les années 70, quand on recopiait les disques vinyle qu'on achetait dans le commerce sur une cassette audio, pour dépanner nos camarades de lycée, mais avec ici un effet démultiplié par le réseau de potes "virtuels". Les cassettes analogiques, audio ou vidéo, supportaient mal la recopie, alors que du fait de la non-altération de la copie numérique et des commodités du réseau "de pair à pair", on peut cloner et recloner le même fichier à l'infini, il reste identique à l'original. Même si j'ai perdu beaucoup de temps à me pâmer devant cette alchimie, ça reste plus fascinant pour moi que les embardées de ChatGPT.
La corne d'abondance est le symbole de cette offre pléthorique sur les réseaux
Je me plaignais déjà de la surabondance de l'offre, de la sensation d'étouffement et de mon épuisement à chercher la pépite qu'il me fallait absolument ramener pour justifier les heures que je passais à chercher quoi regarder. Alors c'est vrai que j'ai consommé films et séries gratuitement jusqu'à plus soif, que je me prenais pour un petit malin qui niquait Babylone, auquel la réponse répressive aurait été synonyme de l’obscurantisme des partisans d’un droit d’auteur maximaliste, complètement inadapté à l’ère numérique, qui refusent de voir que le partage est au fondement même de la culture et de la création (La quadrature du net).
les vraies femmes ne se téléchargent pas. Elles se vivent au quotidien.
Au début, je me disais que je ne piratais que les majors, mais finalement les trucs mainstream ça me fait rapidement suer, donc j'ai commencé à emprunter des films indépendants à cette médiathèque de prêt à très long terme, et après j'ai énoncé que si une œuvre piratée me plaisait je l'achetais, mais dans les faits ça ne s'est traduit que pour les livres et les disques (ce qui est déjà pas mal). Qui irait voir au cinéma un film qui lui a plu en version tombée du camion ?
Sans parler de l'antéchronologie quantique : quarante-sept ans après avoir acheté le Pavane de Keith Roberts en livre de poche à la Librairie du Centre de Perros-Guirec, je me rappelle soudain ne pas l'avoir lu, j'en emprunte une copie numérique surz-library, et là, je le lis ! Je considère en avoir déjà acquitté les droits jadis, donc ça ne me pose pas de problème insurmontable. Pavane est une uchronie de la fin des années 60, qui préfigure la SF steampunk. Mais après ça, où trouver les Seigneurs des moissons, paru en France dans le Galaxie bis n° 73 de 1981 qui contient les nouvelles de l'auteur situées dans le même univers, mais qui n'ont pu trouver place dans Pavane?
C'est encore z-library qui gagne à tous les coups. Aucun libraire ne peut se procurer le Galaxie bis n° 73 de 1981. Sauf moi qui ai dû les diffuser quelque part sur ce blog parce que justement, ils étaient introuvables ailleurs. Et où se procurer tous les vieux disques que Gérard Manset a envoyés au pilon depuis des décennies, au fur et à mesure qu'il devenait plus bougon et mécontent de son œuvre passée ? Hein ? hein ? nulle part ailleurs qu'au sein de communautés privées d'adorateurs qui partagent leurs reliques en peer-to-peer. Et l'intégrale d'Henri Salvador, qu'il fallait rendre disponible quelque part puisqu'elle ne l'était pas ? ah non, ça aussi, je l'ai mise sur mon blog.
Mais avant, je l'avais bien trouvée sur un réseau.
Les cyberpotes qu'on se fait dans les communautés peer-to-peer prennent un malin plaisir à travestir leur identité avec un VPN facial
Et je constate depuis que j'ai acheté une télé connectée que le téléchargement illégal est désormais totalement obsolète en tant que pratique culturelle (en plus d'avoir une facture carbone rédhibitoire, parce que déplacer des gigaoctets, ça fait fumer les serveurs en basse-Californie, ce qui provoque ensuite des déluges au Texas où ne périssent pas que des climato-sceptiques) puisque l'offre légale, ne serait-ce que tous les replays disponibles sur Arte, décourage toute tentative de contre-programmation avec un lecteur multimédia lisant les fichiers .mkv en 4K : tous les films et toutes les séries seront un jour prochain disponibles sur une plate-forme gratuite, alors à quoi bon se faire suer le burnous ?
Je vois dans Télérama que l'émission Rembob' INA de Patrick Cohen est consacrée cette semaine à Raymond Devos et rediffuse une archive des années 70, vite je la télécharge tout de suite avec l'aspirateur video downloadHelper sur le site de la chaine LCP... puis je découvre qu'elle est disponible en replay sur ma télé Orange. Le plus excitant c'était de la télécharger... pour les dépendants à la nouveauté, allergiques au cinéma en salle mais pas au fait de voir un film avant tout le monde, il y a deux arguments. Celui entendu il y a quelques siècles sur le forum du cafard cosmique, à propos des excès de la vie digitale :
"Le fait qu'il y ai de bons acteurs pourrait encore à la rigueur donner envie d'aller voir le film afin qu'ils soient rémunérés en conséquence, et que cela leur donne la motivation de continuer, mais l'écart entre leurs bénefs et ceux des grands pontes est tellement terrifiant que je préfère garder mon fric. Toutefois ce n'est pas pour ça qu'il ne faut pas aller le voir, j'ai toujours bien aimé les Harry Potter....Téléchargés.
- Je ne comprends pas... Tu ne veux pas payer pour les films Harry Potter, mais tu les aimes bien? Genre tu vas aux putes, tu t'amuses bien, et au moment de payer tu t'enfuis en sautillant, le pantalons sur les chevilles, parce que les macs c'est vraiment des connards ? je suis choqué."
Le Chadopi est moins affectueux
que Chat GPT, mais
quand il vous tient, il vous lâche plus
L'esprit souffle où il veut et l'intelligence est toujours un régal pour l'intelligence, où qu'elle se manifeste et se déploie. L'autre argument est de nature technoïde : le délire du "partage", c'est vraiment les années 2000/2010, aujourd'hui une nouvelle génération de fripouilles arrive sur le marché avec du streaming décomplexé de qualité, dans des tavernes bien louches comme Rogzov
ou Stremio, qui fait encore plus fort : si on le configure correctement en installant le plug Torrentio, il offre un catalogue cinéma et séries stupéfiant, qui va de l'Antiquité à nos jours; sur le plan technique j'ai l'impression qu'il vampirise des fichiers Bittorent. Je ne sais pas si c'est très moral : les pirates peuvent-ils impunément se pirater eux-mêmes ?
Et si j'empile et thésaurise trop de films tombés du camion dans mon disque dur sans les regarder, convulsé par des fièvres de gloutonnerie numérique, je deviens moi aussi, comme Gérard Manchié, prisonnier de l'inutile; la frustration augmente, bien plus vite que la vitesse de download. Comme disait Clémenceau, le meilleur moment de l'amour, c'est quand on monte l'escalier. Et le meilleur moment, dans le bitTorrent, c'est quand ça télécharge. Encore que si je n'avais pas aspiré illégalement la musique du film Arrival, je n'aurais pas trippé à mort dessus, je n'aurais pas utilisé Heptapode B dans un reportage monté hier pour la station de télévision où j'officie, et je n'aurais pas déclenché des royalties pour Jóhann Jóhannsson. Bon d'accord, il est mort, mais un jour, quand ils liront ce blog, ses ayants-droits me remercieront.
les effets pervers de la riposte graduée (quand tu pirates l'adresse IP de ton voisin)
Quand on a attrapé le virus du partage numérique, on n'en a jamais assez. Parce qu'on passe de plus en plus de temps à surveiller ce qui sort, à capturer dans ses filets ce qui tient sur le disque, au mépris du temps d'écran télé disponible pour regarder tout ça; on veut tout voir (sous-entendu que le meilleur sera toujours assez bon pour nous) et on finit par ne plus allumer sa télé, parce que la traque nous a épuisé et mis sur le flanc; sur le plan psychopathologique, il y a 19 ansje notais à propos d'autre chose que
des concepts tels que subtiliser, en cachette et jouissance se sont très nettement agrégés au sein de ma conscience diurne qui s’en est retrouvée brusquement onirisée. Il y a quelque part en moi l’idée que l’impossibilité existentielle d’accéder au plaisir induit la recherche délinquante de braconner celui de l’autre.
J'observe qu'il y a aussi un peu de cela dans cette satisfaction impossible de la pulsion scopique. Bon, allez, on se calme, d'autant plus que l'urologue m'a dit hier qu'il fallait faire le deuil de l'érection, sauf à envisager des piqûres dans la verge, ce à quoi mon romantisme et ma femme répugnent pour l'instant. Sans parler de la pharmacienne, qui ne voudra jamais venir me piquer à domicile. Pour l'instant, j'ai encore l'impression d'avoir prêté ma prostate à un ami dans le le besoin, et qu'il tarde à me la rendre.
Je le comprends.
Mais avec quoi vais-je compenser ce manque, si j'en crois la prophétie auto-réalisatrice freudienne deux lignes plus bas, si j'arrête de télécharger ?
Le renoncement, c'est bien joli comme concept, mais dans les faits nous ne savons renoncer à rien, nous ne savons qu'échanger une chose contre une autre. (en fait c'est pas une prophétie, mais un postulat). Force est de constater que quand je consacre 1 heure par soir à la lecture, ça va quand même mieux, intellectuellement, que si je me fais subir Mad Max : Furiosa en 2160p sur ma Samsung The Frame 55 pouces.
Et en plus, ça fout la trouille au chat. J'ai totalement perdu mon objectif premier, qui était de passer un bon moment devant la télé. La technologie n'est pas neutre, et elle induit des usages dont nous n'interrogeons pas assez les présupposés. Alors que par exemple, Apocalypse : now version Redux, qui passe de 2h30 à près de 3h20, si on a une version 1080p, c'est absolument fascinant. Ainsi que les vieilles séries produites dans les studios de Villeneuve-la-Vieille, (Le prisonnier, datant de 1967 et dont il circule de nouvelles versions tellement remasterisées qu'on a l'impression d'avoir de nouveaux yeux, qui permettent de voir les épisodes enfin dans l'ordre), mais aussi toutes les séries du début des années 2000 qui flottent à la surface de la face lumineuse du Darkweb qu'on appelle dans notre jargon caverneux le Warez ) elles aussi dans de somptueuses versions restaurées, Les Sopranos, Six Feet Under, The Shield, Deadwood, Carnivale, Breaking Bad, qui sont animées d'une ampleur et possèdent un souffle romanesque qui n'a pas vieilli, par rapport aux séries bofbof de maintenant, alors vas-y, télécharge-moi tout ça, maintenant que t'as changé d'ordi ça devrait pas poser de problème, et puis sinon t'auras qu'à racheter de la mémoire de stockage)
Tel est pris qui croyait se pendre. illustration by courtesy of Ador
En conclusion, qui trop embrasse, mal étreint. L'inconfort, la frustration née de l'errance dans les entrepôts culturels sans caissière sont insolubles dans le téléchargement illégal. Pour quelqu'un comme moi, avec une structure addictive, c'est comme boire de l'eau salée quand on a soif. Mieux vaut retourner au cinéma, avant que nos pratiques contre-nature l'aient tué.
Si en plus vous vous faites attraper la trompe dans le bol par l'Arcom, vous pouvez toujours recopier cette réponse de Numérama au bas de cet article, par ailleurs remarquable pour faire le point sur la chasse aux pirates.
Mais si entretemps vous avez pris un VPN pour continuer votre siphonnage décomplexé des réseaux sans vous faire ennuyer par l'Arcom, assurez-vous d'avoir correctement configuré le killswitch. Sinon, que Benalla vous vienne en aide.
Pour mémoire, tandis que je rédigeais ce laborieux pensum, le dernier repaire de malfaiteurs sans but lucratif (ni ratio de seed / leech) dans lequel je mettais un peu d'animation est tombé en rade, peu avant que j'uploade l'hallucinante série John from Cincinnati de David Milch et Kem Nunn (2006). Que la terre leur soit légère.
pour aller plus loin, mes ruminations antérieures sur le même thème :
Rédigé par: flopinette | le 30 janvier 2008 à 13:02|
à la première écoute, ça me rappelle plus Vangelis que Roach… et les sons synthétiques m’en semblent bien naïfs…mais vu ce que j’écoute en ce moment, je me rappelle que quand je buvais beaucoup de mezcal je trouvais que la tequila c’était de la flotte… et que quand je trouve quelque chose cucul, j’ai intérèt à gratter pour voir s’il n’y aurait pas une vraie émotion derrière.
Rédigé par: john | le 30 janvier 2008 à 16:26| Alerter
Ce que j’aime surtout chez lui c’est son violon synthétique qui a une texture sonore très intéressante (et qui est l’élément principal de Dreamtime Return 1-6).
Rédigé par: flopinette | le 31 janvier 2008 à 09:29| Alerter
http://music-share.blogspot.com/2008/01/3-laswell-ambient.html
Rédigé par: john warsen | le 31 janvier 2008 à 10:45|
Rédigé par: flopinette | le 31 janvier 2008 à 14:33| Alerter